[Terminé] Pane, verdure e gatti

La tomate-mozzarella que mangea Joseph en écoutant le récit de Raven n’était pas vraiment à son goût. À bien y réfléchir, ce n’était pas vraiment la saison, rien d’étonnant donc à ce qu’elle manque de goût, malgré la tentative du cuisiner de rattraper cela en ayant badigeonné l’ensemble généreusement d’huile d’olive, rendant l’ensemble passable, voire écœurant. Heureusement, discuter avec Raven lui faisait sans peine oublier cette petite déconvenue.

Alors qu’elle survolait le nombre de ses voyages, il esquissa un sourire mi-amusé, mi-admiratif. À l’époque où elle faisait le tour du monde, lui n’était qu’un nouveau-né en couche-culotte, et pourtant aujourd’hui, il était son aîné. Le monde était décidément riche d’étrangetés. Cette époque était pour lui partiellement oubliée, masquée par tout le reste de sa vie, à plus forte raison que ce n’était pas à proprement parler une belle période de sa vie, entre la mort de son père, la découverte de sa mutation et les difficultés financières, autant dire qu’il avait tôt fait d’oublier. La suite de sa vie avait été bien plus stable et passionnante.

Raven devança la question qu’il allait poser, elle devança même sa manie de chercher des raisons. Il était vrai que le stéréotype du psychologue travaillant même dans ses loisirs avait la vie dure, mais il devait admettre qu’il donnait lourdement raison à ce préjugé, aussi ri-t-il de bon cœur lorsqu’elle le renvoya sur les roses avec humour.

La suite venait d’arriver et Joseph avait oublié de signaler au serveur l’insatisfaction de l’entrée, chose qu’il faisait habituellement. La pizza en chausson vint présentée devant lui accompagnée d’une salade verte assaisonnée avec soin. Cette fois, le plat semblait nettement meilleur que l’entrée. Profitant que Raven entamât goulûment son risotto, il parla à son tour tout en découpant délicatement la première bouchée de la calzone.

« Que d’endroits fabuleux vous avez dû voir, Miss Raven. Même si l’époque était encore dans l’ombre de la guerre. Y a-t-il un endroit que vous avez préféré ? À moins que vous ne vous soyez concentrée que sur les spécialités culinaires ? »

Il posa sa dernière question avec une pointe d’humour, pointant d’un air amusé avec sa fourchette le risotto entamé par Raven avec appétit.

Joseph refusa poliment l’invitation de Raven à goûter à son plat. Il était bien trop copieux pour lui et sa simple vue lui donnait l’impression d’une insurmontable montagne. De plus, il aimait préserver le goût d’un aliment lorsqu’il le mangeait, les mélanges n’étaient pas sa tasse de thé. Une autre fois peut-être. Alternant entre sa pizza qu’il dégustait tranquillement, la salade pour accompagner et le vin qu’il goûtait paisiblement, il écoutait Raven.

En un sens, il était un peu déçu. Rien de bien grave, mais il s’était attendu à la voir s’étendre bien plus sur ses voyages. Avec l’énergie qu’elle avait et les voyages qu’elle semblait avoir fait, il s’était même attendu à la voir lui conter ses périples à travers une Europe en reconstruction, une Allemagne divisée, une Asie en pleine domination soviétique ou une décolonisation naissante puis frappante en Afrique. Il avait lu de nombreux récits de cette époque, mais n’ayant que peu quitté sa Boston natale, il n’avait pu entendre des histoires de première main.

Malheureusement, la demoiselle n’était pas prolixe dans ses descriptions, ou simplement n’avait-elle pas la fibre narrative. Après tout, elle semblait plus être une femme d’action qu’une poétesse. Elle s’épanchait bien plus sur la quantité, vingt ans de voyages ce n’était pas rien, que sur la qualité. Il constata toutefois le paradoxe de ses dernières affirmations et les souleva avec un sourire amusé :

« Pour quelqu’un qui dit aimer les lieux calmes et naturels, vous semblez pourtant avoir un penchant pour des capitales particulièrement peuplées. Tokyo en particulier, ne recèle presque aucune nature. Qu’est-ce qui vous attire donc dans cette ville qui est l’antithèse même de la nature ? »

Bien qu’il ait tout le loisir de manger en écoutant Raven raconter son expérience au Vietnam, Joseph était loin d’égaler sa rapidité à engloutir son plat. Alors qu’elle en approchait le terme, lui n’en était qu’à la moitié, prenant le temps de mâcher et savourer chaque bouchée, ainsi que lui avait enseigné sa mère enfant et qu’il appliquait encore aujourd’hui, malgré que le monde ait changé de vitesse depuis.

Il aurait eu bien des choses à dire que l’utilisation des mutants, et autres métahumains, comme armes de guerre, mais le sujet lui paraissait laborieux alors qu’ils étaient en train de se détendre. De plus, elle avait visiblement vécu ces événements elle-même, il était inutile de rouvrir de vieilles cicatrices. Fort heureusement, elle revint rapidement sur Tokyo et la culture nippone. Il n’en connaissait finalement que ce qu’il trouvait dans les livres, et il fallait avouer que l’américanisation de cette culture avait maintes fois démontré ses lacunes et déformations grossières. Puisqu’elle y était allée, il jugea intéressant d’approfondir le sujet.

« Je dois confesser un certain manque de connaissances concernant la culture nippone. Est-il vrai que ce pays est encore dirigé par les principes d’honneur et d’épée ? »

Joseph arrivait doucement à la fin de sa pizza tandis qu’il écoutait Raven décrire les jardins japonais. Il fut assez surpris de l’entendre dire qu’elle avait participé à des combats de sumos. S’il était évident qu’elle ne l’avait pas fait sous son apparence actuelle, il était surprenant qu’elle ait pu gagner un match. À moins que ses métamorphoses n’impliquent également un changement de masse. Ce serait assez surprenant, à vrai dire, mais en un sens, cela expliquerait son appétit. Son corps était probablement capable de stocker des ressources pour augmenter sa masse musculaire et graisseuse en fonction de ses métamorphoses. Il se promit de lui poser un jour la question plus tard.

Il était à court de questions concernant le Japon, mais restait intéressé par les contes de ses voyages, malgré l’austérité de ses descriptions. De toute évidence, beaucoup de ses récits seraient datés des années 60 à 80 et cela semblait la freiner de peur de donner des descriptions périmées. Aussi décida-t-il de se concentrer sur une période plus récente.

« Votre mutation vous permet d’explorer de façon vraiment unique, Miss Raven. Vous me disiez tantôt avoir été transportée jusqu’ici très récemment, avez-vous repris votre vie de voyages depuis ? »

Il préférait éviter de parler de voyages temporels ici, où de nombreuses oreilles indiscrètes pouvaient les entendre. Si parler de mutations ou de pouvoirs était bien plus commun aujourd’hui qu’il y a 10 ans, certains sujets restaient inabordables, soient parce qu’ils n’étaient pas crus, soit parce que certaines personnes pouvaient les croire, et c’était rarement une bonne chose.

Tandis que le serveur débarrassait leurs plats, Joseph fit le tour des desserts. Cette fois, il n’était pas pressé par le temps comme lors de la commande des plats, aussi prit-il le temps de faire le tour de ce qui était proposé. Son choix se posa sur un café gourmand, idéal pour les petits appétits mais aussi pour la gourmandise, d’autant plus idéal en raison du café compris dans l’ensemble, selon lui. Si le plat était trop fourni, il était en outre certain que sa compagne serait ravie de l’aider à finir.

La commande effectuée, il écouta Raven lui expliquer les circonstances de leur retour. Lorsqu’elle parla de « Charles », Joseph pensa instinctivement à sa rencontre avec Charles Xavier, qui avait eu lieu une semaine plus tôt. Il n’aurait probablement pas fait le rapprochement s’il ne l’avait pas rencontré, mais dans le cas présent, Joseph n’était pas homme à croire aux coïncidences. Un homme portant exactement le même nom et au physique très semblable, sans compter son expertise qui reflétait sans nul doute l’expérience, non vraiment, c’était trop gros pour qu’il ne s’agisse que du fruit du hasard. Toutefois, il ne montra pas surprise, la chose lui était apparue comme une suite logique.

Le « clin d’œil à la Raven », comme il appellerait sa métamorphose oculaire par la suite, ne faisait qu’ajouter aux soupçons du métapsychologue, même s’il pensait intérieurement qu’il n’appréciait pas du tout cette façon qu’elle avait de « tester », de façon évidente de surcroit, son intellect. Même en sachant que c’était innocent de sa part, ou du moins lui laissait-il le bénéfice du doute à ce sujet, son ego avait de grandes difficultés à accepter qu’un professionnel de son envergure se retrouve testé par une adolescente de 40 ans qui semblait en avoir 20. Toutefois, il avait bien assez de self-control pour savoir faire taire cette part inadéquate de lui-même. Après tout, il avait déjà eu des patients aux manies beaucoup plus agaçantes et avait toujours sur rester agréable et courtois.

Pour en revenir à Charles Xavier, une série de conclusions vint s’ajouter dans son esprit. S’il s’agissait bel et bien de lui, et étant donné l’existence de Singularity et de Raven au sein de son institut pour enfants surdoués, Rowles commença à se demander aussi si ces « surdoués » n’étaient pas en réalité des mutants. Une école pour mutants donc. Il se promit d’enquêter plus tard sur le sujet. Ce genre d’institution pouvait se révéler particulièrement intéressante.

« Effectivement, votre retour ne s’est pas fait dans les meilleures conditions pour le voyage. Pardonnez ma curiosité mais, ce « Charles » dont vous faites mentions, s’agirait-il par hasard de Charles Xavier ? »