[Terminé] Pane, verdure e gatti

27.04.2024 - 7:00am

En ce samedi matin, alors que les rayons d’un soleil enthousiaste venaient caresser les rideaux des appartements de Brooklyn, le réveil, non moins enthousiaste, de Joseph sonna. Comme à son habitude, l’homme se leva immédiatement et fit sa toilette tout en méditant sur les différents patients de la semaine, qui avait été assez lourde de charge. Il passa d’ailleurs un peu de crème sous ses yeux pour estomper les traces de longues journées aux sommeil trop court. Il prit un maigre petit déjeuner, précaution nécessaire pour l’activité qu’il attendait depuis maintenant deux semaines avec impatience : son cours de cuisine italienne.

Il n’attendait pas ce cours pour son contenu, bien qu’il y ait un intérêt malgré tout, mais pour le fait d’être accompagné par la pétillante @Raven Darkhölme dont il avait fait connaissance dans des circonstances similaires. Cette fois, il avait vérifié par avance la réputation du cours et de ses élèves, et s’était assuré d’être loin de Manhattan pour éviter des « désagréments » conséquents au précédent cours. Cette fois, il pourrait profiter à son aise de la compagnie de la jeune femme qui lui rappelait tant son fils perdu sans être importuné.

L’habillement du jour était simple : une chemise un peu épaisse pour protéger du froid, un pantalon du même acabit, le tout couvert sous une chaude redingote accompagnée d’une écharpe et d’un chapeau. Malgré le temps magnifique de cette journée, le vent qui soufflait était encore bien froid, il ne s’agissait pas de tomber malade. Il emporta également dans une sacoche un tablier, une paire de gants épais et un lot de mouchoirs. Il s’agissait de prévoir d’éventuelles catastrophes en cuisine.

Le voyage se fit en taxi plutôt qu’en bus. En cette saison à météo très variable, Joseph souffrait de ce que beaucoup appelleraient « être vieux », en résumé son dos le faisait souvent souffrir en cette période, aussi préférait-il le confort d’un siège arrière chauffé aux chaos et mouvements constants d’un voyage en bus.
Le taxi s’arrêta à l’adresse indiquée, devant une charmante maison de banlieue du Queens, agrémentée d’un petit jardin très bien entretenu. L’endroit faisait rêver : de l’espace entre les maisons, même pas de barrières entre les jardins, une ambiance agréable se dégageant des quelques arbres locaux, et un côté très familial qui ressortait de chaque maison. Joseph regarda sa montre : 8:49am. Il n’entra pas tout de suite : il attendait Raven qui, il le savait, n’allait pas tarder.

À peine avait-il regardé sa montre que Joseph vit arriver une superbe voiture d’époque, qui lui rappela d’ailleurs celle que son propre père avait lorsqu’il était enfant. Ou peut-être était-ce un autre modèle ? C’était il y a si longtemps maintenant. Il vit en sortir la charmante Raven qu’il accueillit avec un sourire involontairement paternel.

« Je viens tout juste d’arriver, Miss Raven. C’est un plaisir que de vous revoir. C’est une bien belle voiture que vous conduisez là, moi qui croyais que vous n’aimiez que les motos, vous me surprenez à chacune de nos rencontres. »

Il n’était pas un expert en automobile, pour dire vrai, il n’avait qu’assez peu d’intérêt pour ces objets qui, à son sens, devaient plus relever du pratique que du beau. Mais la nostalgie qu’éveillait ce beau modèle vint contredire cette pensée terre-à-terre pour le laisser simplement apprécier les courbes de l’auto. Peut-être devait-il ressortir son vieux permis et s’acheter un véhicule de ce genre ? Non, ce serait gâcher.

D’ailleurs, il se fit la réflexion que cette voiture, en particulier vu comme elle semblait entretenue, devait valoir une fortune. Une surprise de plus, mais dont il évita de faire part à l’intéressée, par crainte de la gêner. Soit elle avait l’argent pour, et elle n’était pas du genre à flamber, soit elle ne l’avait pas et elle aurait du admettre l’avoir empruntée. À la place, il lui offrit son bras en faisant face à la maison.

« Êtes-vous prête ? Aujourd’hui nous devons apprendre à faire des « brüchèta », j’ignore ce que c’est, je ne suis pas très doué en Italien. », dit-il en tentant de prononcer phonétiquement le mot Bruschetta.

Pris par l’enthousiasme mesuré qu’il ressentait, Joseph ne fit pas attention aux petites pauses dans les phrases de Raven, ni dans la façon un peu nerveuse de ramener ses cheveux en arrière, ni même à son enthousiasme un poil surjoué par rapport à ce qu’il connaissait d’elle, si bien qu’il passa complètement à côté de la baisse d’humeur passagère de la jeune femme. Fort heureusement, il n’en saurait probablement jamais rien, sinon il en serait mort de honte, perfectionniste qu’il était.

Moins d’une minute après que Raven eut sonné, la porte s’ouvrit en grand pour laisser voir une petite femme au teint clair et aux cheveux bien blancs, vêtue d’une robe très colorée par-dessus lequel elle avait mis un grand tablier blanc et jaune très usagé sur lequel on pouvait encore lire l’idiome « Mangia bene, ridi spesso, ama molto ». La vieille femme arborait un sourire chaleureux qui semblait souligner chaque ride de son visage, au point qu’on en craignait presqu’il qu’il se déchire et les accueillit pour ainsi dire à bras ouverts, avec un accent italien très prononcé :

« Benvenuti ! Vous êtes les premiers, entrez, installez-vous où vous souhaitez. »

Elle se décala de la porte en accompagnant son invitation d’un geste ample du bras vers l’intérieur. Malgré son âge, elle paraissait très en forme à en croire ses mouvements. À l’intérieur, ils arrivaient directement dans un grand salon qui dégageait une grande chaleur visuelle : les murs avaient été peints dans un jaune rappelant la couleur du sable et du safran, de nombreuses plantes d’intérieur ornaient un grand salon et les murs étaient couverts de diverses photos de famille et de divers paysages qu’on devinait être des plages ou des montagnes italiennes. On y trouvait même une série de photos encadrées côte à côte, dont les premières étaient en noir et blanc, qui semblaient représenter diverses étapes de la vie de la vielle dame. Au fond, on pouvait voir la porte grande ouverte menant vers la cuisine, dont les murs semblaient en briques rouges.

Ils n’allèrent toutefois pas jusque là car le salon en lui-même avait été totalement aménagé pour eux : les meubles avaient été bougés et il ne restait qu’une vieille télévision et un fauteuil dans le coin de la pièce. À la place, six tables, disposant chacune d’une plaque de cuisson et d’un four électrique, les attendaient. Chaque table avait deux sièges, à l’exception de la sixième qui n’en avait qu’un, placé à l’opposé de toutes les autres, la place de leur professeur. Cette dernière leur indiqua le porte manteau sur le côté pour qu’ils y déposent leurs affaires.

Tandis qu’ils accrochaient leurs manteaux, la sonnette retentit et la vieille femme revint avec trois autres personnes, visiblement dans la trentaine, qu’elle accueillit avec le même enthousiasme que Joseph et Raven. Polies mais un peu déconcertées par l’attitude de leur hôtesse, les nouveaux venus, deux femmes et un homme, saluèrent les premiers arrivés avant de prendre à leur tour une table. Joseph était également déconcerté, peu habitué à un tel accueil, mais n’en montra pas signe, restant fidèle à son attitude de gentilhomme. Il décida toutefois d’une table au milieu, pour éviter d’être trop près d’elle, invitant Raven à l’y rejoindre.

Tandis qu’ils déballaient leurs affaires, deux autres femmes se joignirent à eux. La première était dans la trentaine aussi, mais la seconde avait visiblement passé la quarantaine depuis un bon moment. Elles saluèrent timidement l’assemblée puis s’installèrent à leur tour, occupant les premiers rangs.

« Avenante, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle respire la santé. »

Joseph avait commencé à sortir de sa sacoche ce qu’il avait préparé pour le cours, à savoir son lot de mouchoirs en papier et un tablier très sobre de couleur unie, visiblement neuf, alors que Raven faisait de même en se félicitant tout haut d’y avoir pensé. Avec un sourire entendu, il répondit :

« Nous avons eu la même pensée, visiblement. »

Il enfila le tablier et le noua adroitement dans son dos, tandis que la maîtresse de maison revenait vers pour faire un commentaire inattendu. Joseph ne sut trop quoi répondre. Certes, il avait, quelque part dans sa tête, cette pensée également. Mais se retrouvé par un parfait hasard confronté à ses contradictions n’était pas agréable. Il n’eut toutefois pas le loisir d’infirmer, puisqu’elle repartit sans attendre de réponse vers sa place.

Les derniers arrivés finissaient de déballer eux aussi des tabliers, leur hôtesse pris la parole :

« Benvenuti à mon cours. Je suis Lucrezia Maniaci, votre insegnante. Ne soyez pas trop sévères, c’est la première fois que j’anime quelque chose comme ça, mais je suis certaine que vous allez adorer ! Je vais vous apprendre à faire des bruschetta. Certains d’entre vous connaissent sûrement ce qu’on trouve le plus souvent : pane, verdure e fromaggi, du pain, des légumes et du fromage. Mmmh, delizioso ! C’est idéal pour les antipasti, les entrées, mais en en faisant des plus ou moins grandes, ça peut être de l’apéritif à partager ou des plats complets.

Pour commencer, je vais vous apprendre à faire le pane. Vous avez, dans la cuisine, tous les ingrédients nécessaires sur la table. Prenez pour chaque équipe un sac de farina, une salière et un sachet de lievito, de levure. Prenez aussi un saladier et une carafe d’eau. »

L’enthousiasme communicatif de Lucrezia incita chaque groupe à suivre immédiatement ses instructions. Chacun semblait convaincu qu’il allait passer un bon moment. Joseph en montrait moins preuve, mais c’était sa retenue naturelle qui donnait cet effet, car il pensait également que les choses allaient bien mieux se passer que la dernière fois. Sans compter que ce cours pouvait lui apporter des connaissances intéressantes pour son métier. C’est assez naturellement qu’il suivit le mouvement des autres groupes pour aller chercher le nécessaire.

Toutefois, sur le trajet de la cuisine se trouvait, enfoncée dans une encadrure, une porte qu’il n’avait pas remarqué de prime abord. Elle était fermée et n’aurait pas retenu son attention s’il n’avait pas été certain d’entendre des grattements derrière. Il s’arrêta une seconde, mais plus rien. Pensant avoir rêvé, il reprit sa route, oubliant aussitôt cette petite étrangeté.

L’aide de Raven fut la bienvenue pour le pauvre Joseph qui réalisa assez rapidement qu’il lui aurait fallu bien plus de bras que ce que Dame Nature lui avait offert. Lorsqu’elle le rejoignit, il était sur le point de faire basculer tout un sac de farine sur le sol. Une fois la catastrophe évitée et les ingrédients et ustensiles correctement répartis, ils purent s’installer, Joseph appuyant vers Raven un regard de reconnaissance. Il leva d’ailleurs un sourcil amusé au commentaire qu’elle fit et répondit tout bas pour qu’elle seule entende :

« À vrai dire, à présent que le « facteur d’échec environnemental » a été éliminé, je pense que nos chances de succès ont en effet grandement augmenté. »

Il semblait satisfait de sa petite blague, référence à une certaine Jennifer qui avait ruiné leur travail lors d’un autre cours. Ici, les gens paraissaient plus détendus, la concurrence n’était pas de mise. En fait, l’enthousiasme et la convivialité de leur hôtesse dépeignait sur tous qui, même pour ceux qui avaient parus les plus stressés, paraissaient nettement plus détendu.

Lucrezia leur expliqua en détails la manière de mélanger puis de malaxer la pâte. Elle utilisait souvent des mots de sa langue maternelle mais les traduisait aussitôt après pour que chacun puisse suivre sans peiner. Elle ne pressait personne et se montrait très encourageante même pour ceux qui peinaient dans les dosages. Pour ce dernier point, Joseph se montra encore une fois très méticuleux quant à la pesée et aux mesures des volumes d’eau et obtint rapidement l’autorisation de Lucrezia de continuer. En revanche, il préféra laisser le malaxage à Raven, prétextant une répartition des tâches. En vérité, il préférait éviter que ses paumes soient en contact avec de la nourriture, au cas-où.

Pendant qu’ils s’affairaient, les différents binômes discutaient ensemble ou échangeait des astuces, générant un léger bruit de fond dans le calme ambiant et chaleureux coupé par les bruits de plats qui s’entrechoquent doucement et de la voix encourageante de la vieille dame. Leurs voisins leur demandèrent d’ailleurs quelques conseils pour définir la quantité de sel à mettre, chose à laquelle Joseph put répondre. Toutefois, son attitude et sa façon de parler créèrent sans le vouloir une barrière quelque peu intimidante, si bien qu’aucune conversation ne démarra vraiment.