"Un nouveau-né qui découvre le monde"... Peut-être que cette créature s'était éveillée à la conscience récemment, bien que son corps soit celui d'une jeune adulte. Jean lui fit également part d'une pensée insolite et inquiétante qu'elle avait captée dans l'esprit décousu de la non-humaine. Cette notion d'engloutissement ne semblait pas de bonne augure.
La créature - avait-elle un nom ? En ce cas elle n'avait pas pensé à le donner lorsque Charles s'était présenté, ce qui prouvait bien qu'elle n'était pas au fait des conventions sociales de base - réagit par le rire à la question du professeur, et affirma qu'elle venait de ce monde. Charles haussa un sourcil perplexe. Elle se montrait curieuse elle aussi, le regardant comme s'il était le premier humain qu'elle voyait. Lorsqu'elle lui posa à son tour une question, il comprit la raison de cette fascination. A son tour il eut un rire léger et expliqua :
« Mes jambes ne fonctionnent plus, je ne peux pas les bouger. C'est pour cela que je me déplace en fauteuil roulant. Ce n'est pas vraiment une maladie dans mon cas, mais il existe plusieurs termes pour désigner ma condition : infirme, paraplégique, handicapé… Choisissez celui qui vous plaît le plus. »
Il tâchait d'utiliser des phrases courtes et des mots simples pour se faire comprendre, sans pour autant l'infantiliser. S'il pouvait lui montrer qu'il était disposé à discuter, à l'aider, à lui apprendre de nouvelles choses, peut-être accepterait-elle plus facilement de collaborer avec eux.
« Vous dites venir de ce monde, pourtant vous n'appartenez à aucune espèce connue en ce monde. Vous n'êtes ni humaine, ni mutante, ni animale. Nous aimerions comprendre d'où vous venez et ce que vous êtes. »
Si elle refusait d'en parler, ou si, comme il le supposait plutôt, elle ne parvenait pas à fournir d'explication précise, il se risquerait à fouiller dans son esprit, mais pour le moment l'échange verbal se faisait bien, alors autant en profiter.
L’excitation d’avoir une chambre pour elle toute seule fut bien vite remplacée par la vive curiosité que la situation physique de Charles lui inspirait ; ainsi, après lui avoir répondu qu’elle venait du même monde que lui — information qu’il était peut-être légitime de remettre en doute d’un point de vue extérieur, la non-humaine demanda au professeur Xavier s’il était malade, avec une aisance particulièrement déconcertante. Elle agissait comme une enfant n’obéissant point aux règles de convenances, quand bien même son apparence faisait d’elle une adulte en tous points.
Haussant légèrement ses sourcils en entendant la question innocente de la brune, Jean avait lancé un regard entendu à Scott, qui ne pipait mot non plus. Tous deux surveillaient l’inconnue d’un oeil discret, prêts à intervenir au moindre geste douteux de sa part, n’osant cependant pas intervenir verbalement dans leur échange pour l’instant paisible. Charles était bien plus adroit en la matière, et menait la conversation avec un calme olympien qui lui ressemblait bien.
Adressant un sourire discret à son mentor, Jean avait joint ses deux mains sur le devant de son corps tout en pressant ses lèvres l’une contre l’autre, attendant patiemment de voir l’évolution de la situation… En espérant que celle-ci n’échappe point à leur contrôle, et qu’aucun mal ne soit fait à cette étrange créature, qui appelait l’affection de Jean sans qu’elle ne sache véritablement pourquoi. .
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THE FIRE FINDS A HOME IN ME ᭸ clipped wings, I was a broken thing, had a voice but I could not sing. there's a scream inside that we are frightened,we hold on so tight, we cannot deny, eats us alive, oh it eats us alive. there's a scream inside that we are frightened, I’ll shout it out like a bird set free.
L’humain utilisait des mots compliqués pour désigner sa maladie. En plus, il y en avait plusieurs. Le plus facile à retenir était « infirme », elle oublia les deux autres aussitôt après qu’ils furent prononcés. Sans compter que le choix qui venait de lui être donné était des plus complexes. Ce qui lui plaisait le plus ? Elle n’avait retenu qu’un des trois, du coup, elle ne savait pas vraiment si elle pouvait choisir parmi une seule solution. Ce casse-tête brouillait tellement son esprit simpliste qu’il fallut quelques secondes avant qu’elle ne se repasse les derniers mots de l’humain.
Et là, quelque chose se produisit. Physiquement, on aurait simplement dit que la jeune femme s’était arrêtée de bouger, interdite par quelque chose qu’elle venait de réaliser. Mais en y regardant de plus près, on pouvait remarquer que même ses cheveux et sa robe ne bougeaient plus au rythme du vent, comme si elle était totalement figée.
Quant à son esprit… C’était une véritable panique qui prenait cette fois toute son attention, à tel point qu’elle en oubliait de faire bouger son corps comme il se devait. Comment avaient-ils su ? Elle avait fait tellement d’efforts, elle était certaine d’avoir réussi à être humaine cette fois. Mais ils savaient, et en plus, l’humain l’avait dit tout haut ! Comment allait-elle s’en sortir ? Est-ce qu’elle devait fuir ? Est-ce qu’elle devait essayer quand même ? Oh lala, qu’est-ce qu’elle devait faire ?
Charles n'était pas certain que la créature avait compris ses explications, mais ce n'était pas bien grave. Elle ne croiserait pas des paraplégiques tous les jours. L'important était qu'il ait volontiers répondu à sa question et satisfait sa curiosité, qu'il se soit montré pédagogue et amical. Cela ne suffit cependant pas à la mettre en confiance, au vu de la réaction de panique que provoquèrent les mots du télépathe.
L'étrange façon dont elle se figea intrigua profondément le professeur. Ce n'était pas seulement son corps qui était immobile, mais aussi ses cheveux, ses vêtements, comme si son être entier n'était en réalité composé que d'un seul bloc. C'était peut-être cela qui l'avait dérangé dans l'apparence de la demoiselle. Il envisagea la possibilité qu'elle soit un être artificiel, synthétique, une machine créée par l'Homme - ou par autre chose - et qui se serait récemment éveillée à la conscience. Le silence s'installa, rompu par un Scott perplexe qui agitait sa main devant les yeux du Slime :
« Je crois que vous l'avez cassée, professeur… Professeur ? Allons bon, il est cassé aussi… »
En effet, le professeur s'était à son tour immobilisé, son regard perçant plongé dans les iris colorés de la créature. Il était temps d'aller chercher les informations à la source, de remonter aux souvenirs les plus anciens enfouis dans la mémoire du Slime, pour tâcher de comprendre ce qu'elle pouvait bien être. Scott quant à lui, en constatant que la fille et Charles ne réagissaient pas, se tourna vers Jean en haussant les épaules.
Formant deux échos distincts, les mots de Charles avaient d’abord figé la jeune fille paniquée, prise au piège d’un mensonge dissimulé par un déguisement humain fort convaincant, mais néanmoins point suffisant pour réussir à tromper l’homme dont l’esprit était assurément le plus puissant au monde : se figeant à son tour, le professeur Xavier avait laissé ses deux élèves pantois.
Comme bloquée dans le temps, suspendue au-dessus des éléments naturels comme le vent, l’inconnue était figée telle une statue de marbre défiant les âges : inerte, silencieuse, elle ne cillait guère malgré les longues secondes qui s’écoulaient. Respirait-elle encore ? La question effleurant l’esprit de Jean, celle-ci s’était avancée d’un pas en fronçant légèrement ses sourcils, ses yeux scrutant attentivement le buste féminin face à elle ; bien moins prudent, Scott s’était à son tour avancé pour secouer sa main devant les yeux de la créature, espérant ainsi chasser le brouillard noir ayant causé sa disparition, en vain.
Mordant le coin de sa lèvre, Jean s’était tournée vers celui qui était son plus proche ami en ajoutant, d’une voix discrète :
« Je crois qu’il est en train d’étudier son esprit à la recherche de réponses… »
Allait-il trouver le moindre indice permettant de venir en aide à cette inconnue aussi étrange qu’attachante ? Soucieuse, Jean avait d’abord regardé autour d’eux pour s’assurer que chacun vaquait à ses occupations, ne voulant point perturber son mentor dans l’exercice minutieux de ses recherches mentales. Rassurée de constater que personne ne se souciait véritablement d’eux, la rouquine avait haussé à son tour les épaules, tout en conservant un calme apparent. Si la situation paraissait compliquée —c’était peu dire, il ne fallait surtout pas communiquer le moindre signal d’alarme, et surtout pas à la créature pour l’instant figée : qui sait ce qu’elle serait capable de faire en se sentant menacée ? Sous cette question, Jean avait posé un regard hésitant sur Scott, qui était visiblement aussi perdu qu’elle.
« Attendre… Charles sait ce qu’il fait, j’en suis sûre. Il faut juste s’assurer que personne ne vienne le perturber jusqu’à ce qu’il finisse… J’espère seulement qu’elle ne va pas se mettre en colère… »
L’angoisse, poison maladif dans son sang, commençait déjà à tisser une toile dans son coeur : et si les choses tournaient mal ? Ce serait de sa faute, évidemment, entièrement de sa faute… Oh, non. Mordant le coin de sa lèvre, la télépathe avait glissé l’une de ses mains autour du bras de Scott, se rassurant ainsi avec ce geste réconfortant tout en fixant impatiemment Charles, dans l’espoir qu’il leur revienne avec des réponses. .
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Au début, il n’y avait que la faim. Insatiable, inextinguible. Dans une obscurité permanente ne subsistait qu’un unique besoin dévorant : manger, se nourrir, chasser. Un tourbillon de repas sans goûts, dont l’unique but était de subsister pour manger encore et encore, sans jamais s’arrêter. Des sensations étranges parcouraient le télépathe qui s’était engagé dans ce passé sans âme. Comme si sa peau était sans cesse parcourue de frissons variables, comme si son corps n’avait plus de consistance, comme si ses organes ne consistaient qu’en un estomac impossible à satisfaire.
Puis vint la peur. Une sensation de brûlure insoutenable, la sensation d’être traversé par une chose énorme. Soudain, la faim n’était plus prioritaire. Soudain, seule comptait la survie. Sa peau était sans cesse frappée mollement, son corps se déformait, se divisait. Ses fragments, éparpillés, disparaissaient l’un après l’autre, asséchés par les flammes. Se concentrer sur un fragment. Fuir. Se glisser dans les espaces étroits. Survivre. Manger. Recommencer. Ne restait qu’une étrange image désormais inscrite dans l’obscurité permanente : celle d’une araignée.
Après la fuite recommença la chasse. Toujours. Manger. Toujours. Nulle pensée n’émergeait de cette soupe primale qu’il était devenu, seule existaient la faim et la peur, ne vivant qu’au gré de celle qui dominait l’autre, guidées par les sensations de sa peau qui vibrait et se déformait sans cesse, sans jamais se contraindre à une forme précise.
Après un temps qui semblait infini quelque chose se produisit. Sa peau devenait de plus en plus lâche, de plus en plus diffuse, pour finalement ne présenter plus la moindre surface, juste une suite discontinue de fragments diffus de son corps emportés malgré lui. Enfin, les fragments s’arrêtèrent. Pas tous, certains durent être abandonnés. Son corps se reconstituait. Mais étrangement, la faim se fit moins prenante, la peur moins présente. Quelque chose avait changé. Il semblait plus… apaisé.
C’est alors que surgit, pour la première fois, une pensée : pourquoi ? Évidemment, elle n’était pas survenue en un mot à proprement parlé, mais l’esprit s’était désormais teinté d’une interrogation. Sur lui, sur ce qu’il y avait autour. Sur ce qu’il était.
Assez vite, la faim et la peur devinrent des sentiments secondaires, remplacés par un autre tout aussi envahissant : la curiosité. La soif de savoir. L’exploration de la pensée nouvelle-née qui s’était frayé un chemin dans le chaos primordial qu’il était auparavant.
À mesure de ses explorations et de ses repas, la pensée qui dirigeait désormais ce corps aux frontières indéfinies se complexifiait, devenant capable d’analyser simplement son entourage : les vibrations qui parcouraient sa surface devenaient des informations : des mouvements, des sons, des proies, des menaces. Puis se précisaient des images sans couleur, d’abord indistinctes, semblables à des blocs dépourvus de géométrie identifiable, puis de plus en plus précises.
Petit à petit, il pouvait sentir le grain du sable, percevoir le déplacement des proies, distinguer des blocs de matières diverses et même voir de l’autre côté des obstacles. Il découvrait alors un monde dont il ignorait tout, et dont il voulait explorer chaque parcelle.
Le temps transforma la pensée, apportant toujours plus d’éléments. Bientôt, les sons se chargèrent de nouvelles informations : certains d’entre eux, créés par les proies, servaient à communiquer. Ils étaient semblables, récurrents. Ils avaient un sens. Mais quel était-il ? Là encore, le temps fit office de professeur. Les sons devinrent des paroles, les paroles devinrent du sens, le sens devint un langage et le langage devint un moyen de comprendre.
Ces proies s’appelaient humains. Ils étaient innombrables, aussi semblables que variés. Combien faudrait-il manger pour mieux les comprendre ? Les humains parlaient de « voir », de « goûter », de « sentir », « entendre », « toucher », « ressentir », autant de sensations étrangères qui attisèrent encore plus la curiosité.
À nouveau, la pensée mua et acquis plus de complexité à mesure que les proies étaient consommées. Le corps des humains était étrange, complexe, difficile à imiter, il en était de même pour les autres créatures qui les croisaient. La notion de proie s’effaça doucement de la pensée primitive pour être remplacée par la notion d’être, s’accompagnant de la conclusion que toute matière organique n’était pas nécessairement proie. Une révolution qui transforma toute la pensée.
La curiosité n’avait de cesse de connaître plus, de comprendre plus. Les humains devenaient une obsession, eux qui savaient tout de ce monde, ils auraient tant à lui apprendre. Mais les humains refusaient de l’approcher, il devait se mêler à eux. Il fallait être comme eux.
Un jour, soudainement, le monde explosa dans un univers de couleurs, de sons et d’odeurs qui envahirent totalement son esprit, comme s’il voyait réellement le monde pour la toute première fois. La première expérience de la perception humaine était effrayante mais délectable. Il fallut de très nombreux essais et une extraordinaire patience pour parvenir à se mêler aux humains.
Alors la vie du Slime ne fut plus que découvertes apportant toujours plus de questions. Ce qui était avant l’avatar même de la faim avait été supplanté par une curiosité insatiable, envahi avec candeur de milliers de questions mêlées d’étranges certitudes toujours remises en question. Le monde des humains s’offrait à lui, en particulier leur nourriture, à présent que le Slime avait réussi à imiter leurs papilles gustatives.
Ses expériences parmi les humains furent nombreuses. Certaines furent heureuses, comme c’était le cas aujourd’hui, mais la plupart furent moins chanceuses, voire désastreuse, comme cette fois où des humains tentèrent de l’empêcher de se reconstituer et qu’il en dévora deux par vengeance.
On en venait enfin à la pensée présente qui, bien qu’encore récemment bloquée sur la panique engendrée par la découverte de sa couverture, semblait désormais varier elle aussi sur les souvenirs explorés par le télépathe, générant en elle un chaos de sentiments contradictoires variant entre le besoin de fuir et celui de satisfaire son incroyable curiosité. ______________________
Dans le monde réel, là où la pensée n’était pas visible, la forme humaine de la Slime commençait à perdre un peu de sa consistance. Sans pour autant perdre ses traits, on aurait dit que les couleurs de sa peau, de ses cheveux et de ses vêtements s’affadissaient. Sa peau et sa robe parurent même légèrement translucides, tandis que les incohérences des motifs de sa robe prenaient de l’ampleur, la géométrie se tordant comme sous l’effet d’une quelconque pression qu’elle était la seule à subir.
Son immobilisme avait cessé, elle bougeait de nouveau pour opter pour une position debout un peu avachie, mais elle ne semblait absolument pas respirer et son regard, désormais ocre, était perdu dans le vide.
Plonger dans la mémoire d'une créature à l'essence inconnue était extrêmement risqué, Charles en avait conscience. Mais il avait confiance en ses capacités, et sa curiosité avait été plus forte que son appréhension. Il devait savoir. Il avait besoin de comprendre. De ressentir ce que cet être ressentait, de voir ce qu'il avait vécu, afin de mieux cerner sa nature. L'immersion fut néanmoins bien plus éprouvante qu'il ne s'y attendait.
Les premiers souvenirs de la créature étaient si primaires que le télépathe dut faire un effort particulier de concentration pour ne pas se perdre dans des émotions aussi brutes et rudimentaires. La faim, la peur, la chasse, la survie. Charles se força à les survoler pour ne pas se laisser submerger. Il était également troublé par les sensations corporelles, si étrangères aux siennes. Il lui était difficile de comprendre ce qu'il ressentait, comme si aucune analyse logique ne pouvait être appliquée.
Il décela ensuite quelque chose d'essentiel pour la créature, ce qui deviendrait l'une de ses principales préoccupations, un sentiment que cette fois il pouvait aisément concevoir : la curiosité. Un appétit insatiable de réponses, de connaissances, de compréhension. A mesure qu'il avançait, les émotions et les sensations se complexifiaient, devenant peu à peu de plus en plus intelligibles pour lui. La créature s'ouvrait au monde, elle acquérait des sens.
Elle prit conscience de l'existence d'autres êtres, différents d'elle, qu'elle considérait alors comme des proies. Le télépathe fut parcouru d'un frisson d'horreur glacée lorsqu'il comprit ce qu'elle faisait aux humains, lorsqu'il fit le lien avec sa pensée "d'engloutir" Jean qui l'avait traversée quelques minutes plus tôt dans la réalité. Elle n'avait aucune conscience du mal qu'elle causait.
Puis vint la première métamorphose en humain. Une explosion de sensations qui faillit vriller l'esprit du télépathe. Il se sentit complètement submergé. Sans rien en maîtriser, sans même en avoir conscience, il se mit à rire, poussant des exclamations brèves, saccadées, irrégulières, inhumaines. Pendant quelques longues secondes, le professeur parut sombrer dans la folie.
Il fallait qu'il sorte. Mais la fascination était si forte. Il devait revenir à la réalité. Mais il n'avait jamais ressenti quoi que ce soit de semblable.
De très loin, il entendit des voix, sans en discerner les mots. Ce n'était qu'un lointain écho, une intervention presque indésirable, mais que la partie rationnelle de son esprit interpréta heureusement comme une ancre à laquelle s'attacher. S'il ne répondait pas maintenant à cet appel, il n'était pas certain d'en sortir indemne. A contrecœur, il se focalisa sur la voix de Jean qui l'exhortait à revenir.
Il cessa brusquement de rire. Son visage se figea dans une expression incompréhensible et complexe. Son regard était fixé droit devant lui, mais il semblait ne rien voir. Cela dura quelques instants, puis il prit soudainement une profonde inspiration, comme lorsqu'on reprend son souffle après une plongée en apnée. Il cligna des paupières compulsivement et secoua la tête, luttant pour revenir entièrement. Il leva alors les yeux vers Jean et Scott et leur dit dans un souffle :
« Je suis là. Je… »
Il était revenu, certes, mais il était encore sous le choc de cette télépathie qui l'avait bouleversé. Il cherchait les mots pour décrire ce qu'il avait vu et ressenti, mais l'expérience qu'il venait de vivre était parfaitement unique et indescriptible.
Privée du voyage sensoriel et émotionnel que faisait Charles dans l’esprit de la Créature, Jean avait longuement fixé le visage neurasthénique de son professeur, sans toutefois oser perturber son cheminement psychologique. Qu’était-il en train de découvrir, au juste ? D’où provenait cette jeune femme qui n’en était pas vraiment une ? Quel était son but, ses envies, ses espérances ? Mille questions tournoyaient dans son esprit agité, et au fur et à mesure des secondes qui passaient, donnant l’impression de s’écouler avec une lenteur presque douloureuse, d’autres interrogations survenaient. Bruyantes. Angoissantes. Risibles.
« Qu’est-ce qu’on fait ?! Tu vois bien que ce n’est pas normal, regarde les ! »
Scott allait finir par attirer l’attention sur eux à force de parler fort de la sorte, mais Jean ne pouvait pas lui en vouloir… Ni lui donner tort. Un bref coup d’œil en direction de la Créature lui fit réaliser qu’elle était, elle aussi, dans un état figé qui faisait presque peur à voir. Était-ce l’exploration de son esprit qui lui donnait cet aspect amorphe ? Ou est-ce que Charles avait induit une paralysie mentale pour la garder sous contrôle le temps de son expédition télépathique ? Mordillant le coin de sa lèvre, Jean se trouvait bien incapable de répondre à cette question épineuse. Ce qui se déroulait sous ses yeux était semblable à une pièce de théâtre se jouant derrière d’épais rideaux fermés : elle pouvait entendre les pas des comédiens rasant le sol en bois de leurs chaussures épaisses, mais le déroulé de les événements restaient opaques. Est-ce qu’il riait ? Pourquoi son rire était si défait, si brouillon, si effrayant, si étrange ? Qu’est-ce qui se passait ?
Repoussant ses cheveux roux en arrière sous la nervosité, elle avait tourné un visage anxieux vers Scott, ne sachant quoi lui répondre et sachant encore moins quoi faire dans pareille situation. Ils ne pouvaient décemment pas interrompre le professeur alors que…
« Il faut le réveiller bon sang ! »
La voix tonitruante de Scott l’avait presque faite sursauter. Papillonnant longuement des cils, elle avait finalement obtempéré en hochant rapidement son visage de haut en bas, attendant quelques secondes encore avant de se rapprocher de Charles, ses deux mains encadrant alors le visage de son mentor tandis qu’elle lui parlait, sans même être sûre qu’il pouvait encore l’entendre là où il était :
« Charles, tu dois revenir ! Je ne sais pas ce qu’il se passe mais si tu m’entends, reviens avec nous, maintenant ! »
Brusquement, le rire du professeur fut remplacé par un silence accablant, qu’une expression indéchiffrable avait comblé. Il n’était pas encore redevenu complètement lui-même, mais peut-être avait-il au moins retrouvé le chemin de la raison ? S’était-il perdu dans l’esprit de la Créature ? Se redressant, Jean avait éloigné ses mains des tempes de son mentor pour tourner un regard méfiant vers la jeune fille, se doutant qu’elle était bien responsable de l’état grandement préoccupant de Charles… Et dire que c’était sa faute si elle se trouvait là…
La voix de Charles, enfin, se fit entendre, allégeant le poids de l’inquiétude sur les épaules des deux mutants, qui soupirèrent en échangeant un regard complice. Ils avaient eu sacrément peur, mais peut-être que le pire était encore à venir…
« Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Demanda Jean d’une voix fébrile, sans quitter la Créature des yeux… Maintenant que son esprit avait été libéré de l’intrusion du télépathe, comment allait-elle réagir ? .
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Lorsque l’esprit de la Slime fut relâché, ce fut pour elle comme si un poids énorme venait de lui être retiré. Elle n’avait pas vraiment conscience de ce qui venait de se produire : c’était comme si son flux de pensée avait cessé quelques instants, comme compressé par quelque chose de beaucoup plus gros. Sonnée, elle redevint toutefois mobile, agissant de nouveau comme une humaine, même si elle avait totalement cessé de respirer et que les angles de ses genoux devenaient étranges. Plus encore, la robe, originellement blanche, était désormais d’un bleu-ciel translucide, à travers lequel il semblait flotter quelques masses sombres aux contours indéfinissables.
Insensible aux paroles des humains autour d’elle, la Slime essayait de comprendre ce qui venait de lui arriver. Elle rattrapait ses souvenirs comme s’ils tentaient de s’échapper. Il y avait les humains, la chambre, le parc, les questions difficiles. La panique. Elle était découverte. Ou pas ? Elle ne se souvenait plus vraiment. Devant-elle, il y avait l’humain malade. C’était lui qui l’avait découverte. Que faire ? Elle n’en savait rien.
Sa plongée télépathique ne lui avait pas vraiment apporté les réponses qu'il attendait. Il n'avait toujours aucune idée de ce qu'était cette créature, comment elle avait été conçue, d'où elle venait. Le professeur prit néanmoins quelques instants pour analyser les informations qu'il avait pu obtenir.
La créature était jeune, quelques années tout au plus. Elle avait vécu seule et s'était formée sans aucune aide extérieure, sans le moindre repère humain ou social autre que ses propres recherches. C'était aussi une métamorphe, qui était parvenue, à force d'observation et d'engloutissements, à prendre forme humaine. Mais quelle pouvait-être sa forme originelle ? Il y avait quelque chose de… liquide, de sécable… Il fut tiré de ses réflexions par la voix de Jean, toujours inquiète, qui demandait des explications. Il y répondit d'une voix encore un peu vague :
« Je viens d'assister à l'éveil d'une conscience… »
Son regard se porta ensuite sur la créature, qui n'allait pas rester figée éternellement. C'était probablement une sorte de réflexe de défense, mais qui ne pouvait s'avérer efficace sur le long terme. Et en effet, elle commençait à bouger, à changer de consistance, à perdre probablement son apparence humaine pour revenir à sa véritable forme. Et même si le professeur attendait cette métamorphose avec fascination, il craignait qu'elle ne leur échappe avant qu'il n'ait eu le temps de lui prodiguer un conseil essentiel :
« Vous n'avez pas à avoir peur de nous. Nous ne vous ferons aucun mal. Par contre… Il faut arrêter d'engloutir des gens… Vraiment, ce… ce n'est pas bien. Il ne faut pas… »
Il parlait d'une voix assez faible, comme s'il peinait à reprendre totalement ses esprits, comme s'il sortait d'une expérience particulièrement éprouvante dont il avait du mal à se remettre.
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