[Terminé] You're Heaven To Me

ANNÉES 1970 AVEC RAVEN DARKHOLME

Le morceau de gruyère —qui n’était pourtant que bien simple en comparaison aux autres fromages posés sur le plateau rond en bois, n’avait point fait sensation dans la bouche du Soldat de l’Hiver, qui avait courbé sa langue avec répulsion ; s’empêchant de le recracher (bien que ce n’était pas l’envie qui lui manquait), le bougre s’était fait violence en se forçant à l’avaler, ne voulant pas risque de paraitre grossier aux yeux de son hôte, qui semblait avoir une appétence particulièrement et incompréhensible pour ce met dit raffiné. Au moins, il avait fait l’effort de goûter ! Tel un enfant fier de sa prouesse, Bucky avait hoché son visage de haut en bas en haussant légèrement ses sourcils bruns, voulant la rassurer sur la gentillesse de son geste : s’il appréciait qu’elle veuille partager sa trouvaille malodorante avec lui, il n’était pas encore prêt à s’en nourrir avec avidité. Mimant de se sacrifier pour lui laisser toutes les autres parts de fromage, grand seigneur qu’il était, Raven avait cependant éclaté de rire devant son cinéma généreux, car elle n’y croyait point ! Cédant alors à un sourire coupable, Bucky avait tourné son menton vers elle tout en haussant légèrement l’une de ses épaules, avouant son mensonge à demi-mots.

« D’accord, d’accord… Il est possible que je trouve cette chose trouée totalement infecte ! D’ailleurs, ça sent horriblement mauvais… Et si TOUTES leurs spécialités sont comme ça, franchement, la France… » Gonflant ses joues pour recracher un air presque hautain, l’américain avait levé les yeux au ciel avec dédain, un sourire amusé flirtant toujours avec ses lèvres quelque peu gercées, bien qu’il s’apprêtait à énoncer une terrible vérité : « Ce sera sans moi ! Je préfère les hamburgers aux escargots, moi. »

Le cliché était parfait, mais néanmoins véridique. Le fromage n’était donc pas pour lui, et il évitait aussi soigneusement que possible d’en être trop près : ça empestait d’une façon peu commune, comment diable faisait-elle pour manger cela ?! Se questionnant à ce sujet pendant que les lasagnes finissaient de gratiner dans le four, Bucky avait tourné son menton vers la blonde en arquant l’un de ses sourcils devant sa mine attristée… Avait-il dit quelque chose de mal ? Elle ne pouvait tout de même pas être aussi peinée de savoir qu’il n’aimait pas le fromage… Ne se doutant pas des souvenirs douloureux qui passaient dans l’esprit de son amie, Bucky avait pris la parole d’une voix soucieuse, véritablement inquiet de son état.

« Est-ce que tout va bien, Raven ? »

Avait-il demandé en positionnant les assiettes et les couverts sur le plan de travail, observant la jeune femme durant quelques secondes avant de se retourner vers le four brûlant, duquel s’échappait une bonne odeur de sauce tomate. Le plat de lasagnes fumantes fut donc déposer au centre de la petite table métallique, et le jeune soldat ne perdit pas de temps avant de s’installer d’un côté de celle-ci, l’estomac dans les talons. Mais alors que Raven s’adressait à lui dans un français presque natif, le brun avait légèrement levé son menton sur le côté, comprenant cette langue sans la parler.

« Tu parles français ? Où as-tu appris cette langue ? »

Curieux d’en apprendre plus au sujet de la blonde, c’était également un moyen de ne pas parler de lui. Il en avait déjà trop dit, peut-être. Qui sait ce qu’elle pensait de lui, en secret ? Qu’il était un agent infiltré ? Un espion ? Un fou furieux échappé d’un laboratoire caché ? Il était potentiellement les trois à la fois, mais préférait qu’elle ignore la vérité.

Lorsqu’elle tendit sa fourche vers lui, d’un geste qui le surprit grandement, le brun avait levé un regard hésitait vers celle-ci avant d’approcher son visage pour capturer la nourriture prisonnière de la fourchette, qu’il mangea sans se faire prier. Il avait l’impression d’avoir été affamé durant plusieurs jours tellement l’apport de ce plat riche et lourd soulageait son estomac… Combien de jours avait-il marché avant de trouver ce train ? Peut-être plus qu’il ne le pensait… Alors qu’il réfléchissait silencieusement, essayant de remettre les images de la réalité sur le brouillon de ses souvenirs, Bucky avait sursauté lorsqu’une marmite, posée dans le fond de la pièce, avait légèrement glissé de son présentoir pour retomber sur la table en-dessous, sous les sursauts du train. Un instant, les traits de son visage avaient été pétris d’effroi, de même sorte que s’il avait craint que la Mort soit derrière la porte, frappant à celle-ci pour venir le quérir… Personne n’était derrière la porte. Les fantômes étaient dans son esprit. Seulement dans son esprit.

Reprenant sa place avec fébrilité, Buck avait glissé sa main dans ses cheveux avant de lever une oeillade lointaine vers Raven, sans réellement entendre ses mots… Il avait peur, il n’avait pas honte de l’avouer. Et s’ils venaient… Non. Ils n’étaient pas là. Inutile de se torturer... N’est-ce pas ?

« Un dessert ? Oh, euh… Oui, oui, pourquoi pas. »

Il n’avait plus réellement faim, mais ne voulait pas vexer la jeune femme qui se tenait devant lui, et qui faisait de son mieux pour l’apaiser. Peut-être avait-elle compris qu’il traînait des bagages bien trop lourds ? En le voyant jeter des regards insistants vers la porte, la blonde avait dû comprendre que l’homme qui l’accompagnait était poursuivi, et qu’il craignait de voir apparaître ses geôliers dans son dos…

« On pourrait aller le manger dans la cabine, peut-être ? Qu’est-ce que tu en as dit ? »

La cabine le rassurait. Il la connaissait, il ne risquait pas d’être découvert… C’était un endroit où il se sentait en sécurité. Un sentiment bien rare, dans une vie comme la sienne.
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ANNÉES 1970 AVEC RAVEN DARKHOLME

Quand bien même il affichait l’attitude d’un enfant manquant cruellement de coopération et de curiosité culinaire, Bucky ne cédait pas : ce morceau de fromage troué était tout bonnement infect, si bien que même l’odeur lui donnait la nausée. Vraiment, c’était à se demander comment elle faisait pour avaler cette ignominie ! Une grimace défigurant même la courbe de sa bouche, Bucky avait haussé l’une de ses épaules en tressautant silencieusement, de même sorte que si la simple idée de gouter à nouveau cette chose malodorante lui avait donné des frissons hautement désagréables.

« J’ai goûté, à l’instant ! »

S’était-il injurié en ouvrant grand ses yeux, assez atterré de la grande injustice dont il était à présent victime : il avait fait l’effort de manger un bout de cette chose affreuse pou lui faire plaisir, et même s’il n’avait aucune envie de recommencer, elle ne pouvait pas nier qu’il avait fait un pas vers elle. Ou vers le gruyère. Et il avait l’impression d’avoir encore le goût sur sa langue…

« Et c’est affreux… Je ne sais pas comment tu fais pour manger ça… »

Mais tandis qu’il évoquait, non sans répulsion, le goût insipide du fromage proposé par Raven, celle-ci semblait avoir été accaparée par des pensées bien mornes, qui s’étaient traduites par une expression rêveuse, penchant vers la mélancolie. Soucieux de cet état, le soldat s’était empressé de la questionner avec une réelle inquiétude, qu’elle avait presque aussitôt apaisée d’un sourire léger, mais néanmoins sincère. Rassuré, Bucky avait vaguement hoché son visage de haut en bas en répondant à son sourire, s’autorisant à se tourner à nouveau vers les lasagnes pour surveiller leur cuisson.
Lorsqu’elles furent suffisamment gratinées pour sortir du four, Bucky déposa le plat copieux sur la table, et tous deux n’attendirent point longtemps avant de planter leurs fourchettes dans celui-ci, à l’assaut des lasagnes fumantes et délicieuses. Mangeant jusqu’à ce que le plat soit entièrement vide, seulement marqué par les vestiges de sauce tomates qui demeuraient au fond, Bucky avait déposa sa fourchette sur le côté en posant sa main droite sur son ventre à présent plein, un sentiment ô combien agréable… Il avait presque failli oublier la sensation de satiété.

C’était peut-être la raison pour laquelle il avait mis tant de temps à répondre à la blonde, dont les capacités linguistiques étaient encore plus grandes que les siennes. Et ce n’était pas peu dire ! Véritablement impressionné, il avait hoché son menton de haut en bas tout en poussant légèrement ses lèvres en avant, sa digestion lourde ralentissant considérablement son temps de réaction… Là, pour l’instant, il avait surtout envie de dormir en profitant de la sensation agréable d’avoir un ventre plein.

« Mais ta langue maternelle est l’anglais ? Je veux dire… Tu es née aux États-Unis ? »

Visiblement curieux à son propos, car elle ne lui avait point annoncé être une éminente linguiste polyglotte aux compétences infinies, Bucky avait attendu sa réponse avec un vif intérêt, avant d’être interrompu dans son élan quiet par un bruit sourd provenant de l’extérieur du wagon… Du moins, c’est ce qu’il avait cru.
Une casserole. Ce n’était qu’une malheureuse casserole sans importance mais l’esprit du Soldat de l’Hiver s’était ravivé comme une braise sous la cendre : en alerte, angoissé et presque terrifié, il s’était levé d’un bond en figeant un regard mauvais vers la porte tranquille, qui était toujours fermée.

Le dessert. La cabine. En sécurité. Voilà la proposition qui avait été faite à la blonde, qui n’avait guère refusé, comprenant peut-être que de terribles fantômes poursuivaient l’homme qui partageait à présent sa cabine. Tandis qu’elle s’était armée d’une éponge imbibée de savon, et qu’il déblatérait à ses côtés en la questionnant sur un sujet commun, un bruit de serrure avait retentit de l’autre côté, figeant les deux gloutons illégaux qui se trouvaient à l’intérieur de la cuisine : n’ayant même pas le temps de lui sommer de se cacher, Bucky avait été poussé à côté de l’évier, une jambe féminine appuyée contre son torse. Les sourcils froncés, l’esprit alarmé et le coeur battant à tout rompre dans sa poitrine, il s’était exécuté sans réellement comprendre ce qu’elle faisait… Même en se cachant ainsi, ils allaient être découverts, c’était certain ! Et pourquoi diable restait-elle debout, à la vue de tous ?! Levant un regard à la fois inquiet et perdu sur la jeune femme, il s’était rendu compte qu’elle n’était plus la blonde séduisante qui l’avait accueillie dans son wagon ; à la place, il voyait l’apparence d’un homme fort, roux et jeune, qui était apparu sans qu’il ne sache comment.

Alors qu’il s’apprêtait à s’extirper de cet étau pour le moins déstabilisant et inquiétant (de son point de vue), l’espion soviétique à la mémoire défaillante s’était rendu compte que la jambe, toujours posée contre son thorax, était bel et bien celle de Raven : le reste de son corps ne l’était pas, en revanche. Comment était-ce possible ? Comment pouvait-elle avoir deux apparences en même temps ?

Par peur d’être remarqué par l’homme du train, Bucky était resté immobile et silencieux, mesurant même sa respiration tout le temps qu’il resta parmi eux. Attendant sagement qu’il sorte pour se redresser, il avait fait quelques pas dans la pièce en repoussant les mèches de ses cheveux en arrière, songeant combien le moment qu’il venait de vivre était perturbant.
Raven, elle, ne parlait plus. Elle était redevenue la blonde étincelante sous ses yeux, lui faisant comprendre sans mot qu’elle pouvoir changer d’apparence sans même prononcer un mot, ce qui rendait la chose encore plus étonnante.

« Euh… Raven… »

Avait-il dit d’une voix hésitante, sa main grattant sa nuque comme si cela allait aider à distiller des mots de circonstance dans son cerveau. Évidemment, il ne savait pas quoi dire, il n’avait jamais été préparé à une telle situation. Si elle avait été curieuse à cause de son bras mécanique, qu’est-ce qu’il devait dire, lui ?!
Pour tenter de dédramatiser la situation tendue, et pour lui faire comprendre que l’incident ne changeait strictement rien entre eux, Bucky était venu s’accouder à côté d’elle, mimant d’être songeur avant de dire, d’une voix taquine :

« Si on se fait repérer par un Freak Show, tu crois que les gens viendront plus pour toi ou pour moi ? »
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