Je ne sais pas si je peux parler de bonne action ou d'appât du gain concernant ce que je fis le 1er septembre 2023, mais ce qui est sûr c'est que Rocket avait d'excellents arguments pour me faire mettre le nez dans une affaire louche dont on voyait déjà les prémices sur les réseaux sociaux depuis quelques temps. Bon, j'vais être honnête, c'était clairement pas l'optique "d'aider mon prochain" qui m'avait motivé. Primo, mon pote avait besoin d'aide. Deuzio, y avait du pognon à la clé. Troizio : boum. Ba ouais, ça faisait un bail que j'avais pas fait péter quelque chose, et je dois dire que ça me manquait. Certains diraient que c'est une névrose, perso je parlerais plus d'un passe-temps à la con, mais défouloir.

Bref, Rocket avait su m'appâter comme il se doit et j'avais accepté de me joindre à lui, ne serait-ce que pour le changement procuré par l'idée de faire quelque chose de légal autre qu'aller faire des courses au Walmart du coin. Je savais que je n'avais pas perdu ma journée rien qu'en regardant Rocket tenter d'esquiver les dizaines de regards qui pointaient vers nous dans nos trajets. Même les gosses l'adoraient, quelle star, pensai-je ironiquement.

Par contre, moi, les gosses m'approchaient pas. 'faut dire que mon moyen de défense face à ces petits chieurs du quotidien était efficace : montrer les dents. Pas besoin d'être agressif pour ça, il suffisait juste d'ouvrir négligemment la bouche et de retrousser légèrement la lèvre supérieure. D'une impeccable efficacité, les mômes préféraient ne pas trop approcher leurs mains de ces crocs acérés. Oh, j'les aurai pas mordu, c'est des gosses, j'suis pas un enfant d'cœur, mais j'suis pas un monstre non plus. Par contre, leur foutre une petite trouille en niaquant juste à côté de la main, c'était une option envisageable.

Plus joyeux qu'à l'accoutumée donc, j'avançais avec Rocket pour arriver à notre destination : un de ces fameux graffitis. Je dois dire qu'ils m'intriguaient aussi, je me demandais quel genre d'artiste ou de groupe underground pouvait être à leur origine. Ce petit jeu de piste était prometteur. J'étais venu avec quelques outils de base : marteau, burin, compteur Geiger, testeur électrique, et deux ou trois réactifs utilisables sur le terrain. Ah, et du scotch et peinture que les types utilisent dans les films pour relever les empreintes. Ça prenait un peu de place dans mon sac à dos, mais on ne sait jamais de quoi on a besoin. J'avais pensé embarquer mon nécessaire de crochetage, mais Rocket m'avait lancé un regard noir quand j'avais émis l'hypothèse de le prendre, donc je m'étais retenu.

"Si un de ces gros patapoufs a des cornes de taureau, tire-toi, c'est celui qui m'a allumé l'autre fois" dis-je d'un air narquois en ouvrant mon sac pour en sortir le compter Geiger.

Les deux choses que je voulais tester avant toute chose, c'était si cette peinture avait une quelconque radioactivité, ou contenait des puces RFID, chose que je pouvais tester avec mon téléphone. Bon, les chances étaient minces, mais pas impossible. Pour le reste, je comptais avant tout sur mon museau, naturellement plus sensible que celui des humains. Mon flair m'avait sorti de nombreuses fois de situations désastreuses, qui sait ce que je sentirais sur cette peinture ?

Pas de radioactivité, pas de marqueurs, aucune signature visible. Mais quelle bande d'amateurs ! À quoi ça sert de mettre un truc pareil si c'est pour pas le signer. Ça sentait les problèmes à plein nez cette histoire, on avait affaire à des lunatiques, pour sûr. Mais y avait d'autres détails qui me faisaient partir vers une autre direction...

Déjà, aucune trace de peinture par terre. Certes, ça allait dans le sens de la peinture à la bombe, mais il était évident en observant les coulées de peinture que le graffiti avait été fait rapidement, en des gestes précis et rapides, peut-être même en une seule fois. Les bordures étaient flous, avec des coulées superposées : pas de pochoir, le ou les graffeurs savaient exactement faire un dessin aussi complexe. Pourtant, la superposition des coulées et la façon dont elles fusionnaient corroboraient la théorie du fait à la va-vite. Contradiction. J'aimais pas les contradictions, mais ça me rendait curieux.

Le graffiti était grand, près de trois mètres de haut pour autant de large, sans compter la hauteur à laquelle il se trouvait par rapport au sol. Nouvelle anomalie : des humains pouvaient-ils monter aussi haut sans aide ? Difficile de définir les moyens utilisés : les curieux avaient depuis longtemps effacé les rares traces que pouvaient laisser des adeptes de la courte échelle ou simplement d'un échelle. Impossible aussi de savoir combien ils étaient, mais pour moi, ils étaient minimum deux, même si je pencherai pour au moins quatre, sans quoi le temps d'action nécessaire aurait laissé assez de temps à la peinture de sécher quand ils faisaient les jointures.

Pour le moment, je gardais mes pensées pour moi. C'était bien trop tôt pour faire la moindre conclusion valable et j'aimais pas me gourrer. En plus, les gamins qui étaient à proximité n'avaient rien besoin de savoir. Je préférais laisser à Rocket le soin de les interroger. Moi, je m'occuperais des interrogatoires sur les "vilains", au moins je pourrais agir à ma guise pour leur tirer les vers du nez.

Ouhou, les grands esprits se rencontraient ! Je pensais pas que Rocket serait partant derechef pour l'interrogatoire musclé, j'étais presque vexé qu'il m'ait pas laissé le rôle du méchant flic. Remarquez, quand il se décidait, il faisait bien plus peur que moi. 'faut dire qu'avec mon physique de rêve, c'est difficile d'effrayer efficacement. En tout cas, les choses sérieuses commençaient, et c'était pas pour me déplaire.

Ces gamins savaient des choses, ils en savaient même assez pour avoir peur de parler. Ou du moins, pour que certains d'entre eux estiment qu'ils devaient pas en parler à des Avengers. J'peux pas leur donner tort : qui irait se confier à un flic ? Alors imaginez pour un héros redresseur de torts. Nan, en général, on préfère éviter d'attirer ce genre d'attention. Sauf que là, la moitié de la pilule était déjà lâchée, donc ils n'avaient pas tellement le choix.

Par contre, ce petit coup de semonce risquait de les effrayer pour de bon, donc je profitais que Rocket attire l'attention pour me déplacer doucement en contournant les gamins, espérant pouvoir les intercepter s'ils essayaient de s'enfuir. C'était pas quelque chose de facile : quand on a quelqu'un qui fait diversion, l'astuce est de se déplacer en faisant le moins de gestes possibles, et surtout aucun geste brusque. Ça attire l'œil. Leur attention focalisée sur celui qui tient le flingue, il ne s'agissait pas qu'ils fassent attention à moi, au moins le temps que je coupe leur fuite.

Enfin, couper, c'était vite dit : on était dans une rue, y avait mille endroits pour fuir. Nan, l'objectif, c'était de pouvoir m'agripper à l'un d'eux s'ils décidaient de fuir. J'ai la griffe facile, et je peux vous assurer que c'est pas facile de me décrocher une fois que je les ai plantées dans vos fringues.