Tout c'passait comme sur des roulettes, j'en rev'nais pas. J'veux dire, moi quand je fais un truc pareil, y a systématiquement les flics qui me tombent dessus et qui me demandent des comptes. J'imagine que les héros ont un genre de passe-droit. En tout cas, l'intimidation de Rocket était toujours aussi efficace, j'avais même pas eu besoin de sortir les outils. C'était un peu décevant quelque part, mais on avançait : ces gamins savaient quelque chose et avaient peur de le révéler. Juteux.

J'laissais les autres mômes se tirer, un seul nous suffisait, mais je mémorisais leurs visages. Au cas où. Une fois à l'écart des oreilles indiscrètes, Rocket commençait son interrogatoire. Il me jeta un œil. Ce genre de regard qui voulait dire "vas-y". Bon, c'était pas un "lâche-toi" ou "donne tout", comme j'aurais espéré, mais j'm'en contenterais. Vu que Rocket jouait le méchant flic, je supposais que mon rôle était de jouer le bon flic. Ouais. On peut pas dire que ce soit mon fort de jouer les gentils, mais pour bonimenter un gamin, ça d'vrait aller.

"T'sais, " dis-je avec un sourire que je voulais bienveillant mais qui devait être salement flippant, "Mon pote a pas eu son café c'matin, et quand il a pas son café, il est du genre... grognon. Si j'étais toi, j'dirais tout c'qui y a à dire, sans rien omettre, et j'pense qu'on pourra oublier qu't'existe..."

J'aurais pu lui coller une patte sur l'épaule si j'avais été assez grand, mais il faisait déjà presque deux fois ma taille. Pourquoi même sur cette planète primitive, tout le monde est trop grand ? Du coup j'me contentais d'un coup de coude léger dans les côtes, histoire d'appuyer mon "argumentaire", et surtout pour pouvoir le chopper s'il décidait finalement de se tirer. Ou d'nous piéger. Ou d'nous mentir. J'suis un pro en matière de mensonge. Et en baratin. J'sais exactement comment lire les expressions faciales de toutes les espèces de la galaxie que j'ai croisées. Si ce gamin me mentait, je le saurais.

Le gamin avait la trouille. En tout cas, il avait suffisamment confiance dans cet "Ernesto" (encore un nom bizarre) pour croire ce qu'il lui disait sans demander plus de détails, et donc avoir la trouille à cause de ses mises en garde. Ce nom ne me disait rien, donc le gars devait pas être très connu dans l'underground. Ou il savait être discret. Mais du coup, son nom et sa tronche étaient les seuls indices qu'on avait. Je faisais une photo de la photo. En cas de besoin, ça pouvait servir. Et j'attendais pas la permission du gamin pour le faire, d'ailleurs, des fois qu'il remballe son smartphone si je demandais.

Je laissais Rocket en finir avec les formalités. De toutes façons, c'était pas mon fort. Sûr, on n'allait pas cafter. Pas de raison de le faire en fait : ce môme était n'importe qui, pas besoin de l'entraîner dans les emmerdes. J'eus un peu de retard sur la vanne de Rocket, parce que je réfléchissais déjà à la suite des événements, à savoir comment retrouver ce fameux Ernesto.

"Hein ? Ah, ouais. 'fin du coup si on a droit au gun paralysant, j'aurais voulu l'savoir plus tôt. T'as gardé tout le fun pour toi, s'pèce de défenseur de la justice à deux sous."

Je riais, honnêtement, parce que clairement j'entrevoyais plein de méthodes d'interrogatoire. Pour sûr, la prochaine fois, je serai bien plus préparé que cette fois. D'autant que cet Ernesto n'allait probablement pas nous lâcher les infos comme ça. Enfin, si on le trouvait d'abord.

"Plus sérieusement, ça va pas être de la tarte. Un pseudo et une photo, c'est léger. D'mon côté j'vais essayer de me pirater un accès à leur groupe d'urbex, j'suis sûr que je vais apprendre plein de choses juteuse à leur sujet, et ptêt même l'adresse de cet Ernesto.

Pour la partie plus légale", continuais-je en mimant des guillemets avec les doigts, "toi qu'a un passe-droit de super-héros, tu crois que tu peux faire tourner cette photo dans les fichiers des flics pour savoir s'il est fiché ? Ça nous aiderait pour la suite. J'pourrais le faire moi-même, mais t'as dit qu'il fallait être réglo, donc j'évite les pots-de-vin aux flics. Et ça me fait économiser des sous en plus."

Des infos, j'en trouvais pas mal dans les jours qui suivirent. Déjà, c'était pas difficile de retrouver le groupe Urbex et de s'y incruster en douce. Ces gars étaient des vrais fanas des graffitis de rue, c'était marrant. Par contre, on voyait qu'ils avaient des choses à cacher : toutes les IP étaient cachées derrière des VPN. J'aurais pu tenter de remonter ça, mais c'était un gâchis de moyens, je me foutais de qui ils étaient.

Par contre, dans mes recherches, je trouvais une info fraîche environ trois jours après notre escapade : le gamin était mort. La vache, vu le peu qu'il avait lâché, les mecs derrière devaient être de sacrés tarés. Et se foutaient d'attirer l'attention. Soient ils étaient forts, soit stupides. Peut-être les deux remarque. Dans tous les cas, ils n'hésitaient pas à se salir les mains. Ma prochaine sortie ne se ferait pas sans un blaster.

Je décidais de ne rien dire à Rocket concernant la mort du gamin. Tel que je le connaissais, il se sentirait responsable de sa mort. 'pas envie de jouer le bureau des pleurs ce coup-ci. Quant à cet Ernesto, ce fut galère de remonter ses infos, d'autant qu'il était pas fiché par les flics. Tout à la bidouille pour le retrouver : caméras de surveillance, croisement de ses posts et des déplacements possibles, triangulation sur les différentes IP utilisées et petit crack de plusieurs fournisseurs de VPN pour enfin trouver une localisation géographique approximative.

Après ça, le plus dur était fait, mais il m'avait fallu presque 10 jours pour obtenir tout ça. Heureusement, une fois l'approximation obtenue, il ne restait plus qu'à passer par un peu de reconnaissance et de vidéo surveillance pour retrouver le lascar. Et il avait ses habitudes, le bonhomme. C'est pas bon ça, les habitudes, c'est comme offrir un moyen nous filer. Ça arrangeait bien mes affaires, remarquez. Je finissais par trouver l'adresse de notre gus, et je savais même quand il était chez lui.

Fier de moi, je retrouvais Rocket au Milano pour enfin lui dévoiler tout ce que j'avais :

"J'ai retrouvé notre Ernesto. Pas facile à débusquer le bougre. L'est prudent, mais pas assez. J'ai son adresse, il est dans immeuble résidentiel classique. Il agit en douce, mais il a ses petites habitudes, j'ai pu le filer jusque chez lui. Discrètement, bien sûr.

Bon par contre, cette histoire sent le moisi. Ce mec est bien trop prudent pour que ce soit juste de la parano. Donc si on veut l'approcher, 'faut pas qu'il nous voie, ni que quelqu'un d'autre nous voie. Des ombres quoi."

C'était pas vraiment la vérité, mais comme je disais plus tôt, j'préférais éviter de dire à Rocket que notre premier "contact" s'était fait descendre, et que du coup y avait risque que ce soit la même avec Ernesto si les tarés derrière cette histoire nous voyaient l'approcher.

Pour l'occasion, je m'équipais aussi. Après tout, pas de raison que Rocket soit le seul à s'amuser. Un blaster, trois fumigènes, deux lacrymo, un masque à gaz (bas ouais, 'faut bien), un pied-de-biche, des crochets, un mini-ordinateur pour le piratage, des couteaux et deux bombes puantes de mon invention : imaginez le truc le plus horrible que vous ayez jamais senti. C'est pire. Et en prime, c'est inflammable. Deux plaisirs pour le prix d'un. Vous comprenez pourquoi je prenais un masque à gaz ?

Voyant que Rocket n'était pas timide sur son équipement, je décidais d'emporter aussi quelques explosifs tactiques et mon dernier joujou en date : un lanceurs de micro-missiles Chitauri. Bon, j'l'utiliserais qu'en dernier recours, parce que j'avais pas beaucoup de munitions, mais ce serait utile. J'ajoutais une visière à infrarouges à la liste. Ça sert toujours.

Rocket envisageait la voie des airs, c'était une bonne idée, les gens d'ici n'avaient pas le réflexe de regarder en l'air.

"Ah ouais, j'l'ai trouvé l'autre fois. Euh d'ailleurs, le rouge, 'vaut mieux le laisser rangé, j'l'ai un peu bricolé. Disons qu'il est pas très discret. Ni très stable en fait."

Je souriais de toutes mes dents. Un peu bricolé. C'était rien de le dire. 'faut dire que j'avais branché un cœur énergétique d'un des robots de la station Chitauri qu'on avait visité quelques semaines plus tôt, et un petit propulseurs. Quand j'ai testé ce truc la première fois, je n'ai pas su vraiment ce qui risquait de me tuer en premier : la vitesse terrifiante du truc, ou l'étouffement à force de manger des bestioles ?

Fin prêts, il ne nous restait plus qu'à aller rendre visite à cet Ernesto. À la faveur de la nuit, en volant tranquillement de toit en toit pour ne pas être vus, vêtus de combinaisons noires qui nous laissait à la faveur de l'obscurité. Enfin ça, c'est la théorie. C'était plus facile dans ma tête, je dois dire. New York est plus lumineuse de nuit que de jour. Vu la quantité de projecteurs pointés vers le ciel, je préfère vous dire que c'était pas le plus simple de ne pas passer dedans.

'fin bon, au bout d'un bon moment, on finit par atteindre le toit de notre zigoto, nos sacs-à-dos si chargés qu'on avait le pas lourd malgré nos tailles. Mais au moins, y avait peu de chances qu'on soit vus par qui que ce soit. Restait qu'à rejoindre l'étage du bonhomme, en gentiment sonner à la porte...

@PNJ, à vous l'honneur