« Et donc, comme je vous le disais, il est rare de trouver des peintures de cet artiste dans un état aussi décent. » L’homme, serré dans un costume élégant, se tient aux côtés de Morgan en affichant un sourire aussi figé que ses mains, reliées ensemble dans une posture semblable à une prière mutique ; avec raison, au regard du prix exorbitant du tableau devant lequel ils se trouvent tous deux. Le Docteur, bien qu’écoutant attentivement les paroles de celui qui le suit à la trace depuis quelques minutes, sans nul doute alléché par l’argent qui émane peut-être de sa peau ou de son nom de famille, ne le regarde point. Obnubilé par la peinture qui est de taille imposante et qui est mise en valeur par un cadre des années 30 dit ‘’à l’espagnol’’, arborant une patine dorée usée aux reliures noires, le scientifique l’observe attentivement en penchant parfois son menton sur le côté, fasciné par tous les détails qu’il y découvre au fil des secondes. « Il est vraiment magnifique. » admet-il au bout de quelques minutes d’une voix basse, un fin sourire se dessinant sur ses lèvres alors qu’il tourne enfin son menton vers l’homme qui l’accompagne, et qui apparaît comme grandement satisfait d’entendre son avis. « À juste titre, monsieur, plusieurs acheteurs potentiels sont en liste alors… » « Je le prends. » L’interrompt-il en glissant ses fines mains dans les poches de son propre costume, sans fierté ni présomption aucune : sa fortune est le fruit d’un travail acharné, de prouesses scientifiques dans le monde de la médecine, et d’un génie indéniable le concernant, alors pourquoi devrait-il rougir de pouvoir acheter un tableau à un prix aussi faramineux, sans avoir à se préoccuper de l’état de ses comptes ? « Parfait. Monsieur désire-t-il voir autre chose ? »
Pire qu’un molosse sur un morceau de viande, celui-là. « Je vais faire le tour, ne vous inquiétez pas. » dit-il avec politesse en passant à côté de lui, déposant une main éphémère contre son épaule pour toute fois le remercier de ses services, avant de poursuivre son chemin dans la galerie. Du beau monde est à l’oeuvre ce soir, mais pour la bonne cause : l’argent récolté par la vente des tableaux ira à une association soutenant la recherche pour les enfants malades. Le pédiatre, longtemps adulé, connu dans le monde entier, ne peut qu’être touché par cette cause qui a été la sienne : ainsi, il ne regarde pas à la dépense, songeant que la bonne action prévaut sur tout le reste.
Vêtu d’un simple mais élégant costume noir, accompagné de souliers vernis et d’une chemise blanche dont le premier bouton est défait, il déambule dans les allées de la galerie en déclinant, aussi poliment que possible, les coupes de champagne qu’on lui tend, le vampire qu’il est ne pouvant consommer autre chose que du sang humain.
S’arrêtant finalement devant un tableau de Philippe Pasqua, il croise ses bras contre son torse en plissant légèrement ses paupières, sous le tintement des verres, derrière lui, qui s’entrechoquent gentiment, sous les rires et les bribes de conversations qui parviennent à son ouïe affutée. Il n’écoute ces échanges que d’une oreille distraite, à peine effleuré par l’odeur de sang qui pulse dans leurs veines… Jusqu’à ce qu’une odeur, différente des autres, inconnue, aux effluves particulières, viennent titiller ses narines. Les sourcils légèrement froncés, intrigués, il se retourne pour balayer la salle du regard, ses yeux se posant presque aussitôt sur une belle blonde qui, il le sait déjà, n’est pas humaine. Mais il ne l’est guère davantage alors, bien que curieux de sa véritable nature, Morgan se retourne vers le tableau sans plus s’en préoccuper pour l’heure ; les non-humains sont courant à New-York, il en croise tous les jours à l’Avengers Facility, il n’y a pas de quoi être surpris… Si ?
Dernière édition par Morgan Morbius le Sam 2 Déc 2023 - 15:05, édité 1 fois
D'un regard studieux et aux reflets d'émeraude, l'asgardienne lisait le journal du jour. Midgard était une terre totalement étrangère pour elle, si bien qu'elle mettait un point d'honneur à combler ses lacunes sur le sujet. Elle qui tenait en si haute estime le savoir et la connaissance, ne pouvait concevoir de vivre sur un monde dont elle ignorait tout. Aussi, depuis son arrivée, elle n'avait eu de cesse de glaner toutes les informations possibles sur l'histoire de cette planète, ainsi que sur les différents peuples qui l'habitaient. Par chance pour elle, la ville de New York offrait bien des possibilités pour nourrir sa curiosité et sa soif intellectuelle : bibliothèques, musées, expositions, conférences ... et presse quotidienne. C'était sans doute l'une des meilleurs façons de se tenir informée de l'actualité.
Malgré tout, Amora observait tout ceci d'un regard très critique, consciente que bien souvent, l'histoire était écrite par les vainqueurs ... et surtout, racontée à travers le prisme de ces derniers. L'objectivité n'était donc pas souvent de mise, pas plus que la retranscription impartiale des faits.
D'un geste grâcieux, l'Ase tourna la page du quotidien, son regard se posant sur un article qui retint toute son attention. Dans la soirée se déroulerait une œuvre de charité en faveur des enfants malades de ce monde. Divers œuvres d'art y seraient exposées et mises en vente, afin de soutenir des associations investies dans la lutte contre les maladies orphelines. Alors, un discret sourire s'esquissa sur les lèvres de la blonde. Non pas que les afflictions qui pouvaient accabler les midgardiens l'amusaient, ou encore que le fait qu'il y ait une mobilisation pour lutter contre ce fléau ne la réjouissait. Non ... c'était autre chose. Qui disait œuvre de charité, disait grosses fortunes rassemblées au cours de la soirée. Or, s'il y avait bien une chose qu'Amora appréciait en plus de la connaissance ... c'était le luxe. Ce genre d'événement était pour elle l'occasion de trouver un pigeon à séduire, afin de lui ouvrir les portes de quelques suites dans les hôtels de luxe de la ville.
Le soir venu, l'asgardienne se présenta sur les lieux de la soirée vêtue d'une robe de soirée noire en bustier, complétée d'une étole de soie verte pour couvrir ses bras. Le carton d'invitation ne fut pour elle qu'une formalité, une illusion jetée sur un morceau de bristol faisant largement l'affaire lorsque fut venu le moment d'entrer. Par la suite, la jolie blonde se glissa parmi les invités, saisissant au passage d'un serveur, une coupe de champagne afin de mieux s'intégrer, se mouvant avec une délicatesse et une élégance insoupçonnables au regard des escarpins noirs qu'elle portait.
Autour d'elle, invités et bienfaiteurs s'émerveillaient des tableaux exposés, s'attristaient du sort des malheureux enfants qui les réunissaient en cette soirée, ou encore, félicitaient les acheteurs pour leur généreuse contribution à la cause. Tout un petit monde qui semblait se satisfaire de l'événement et s'autoféliciter, totalement déconnecté de ce qu'il se passait dans le reste du monde ... une belle preuve d'hypocrisie selon Amora, qui avait donc de moins en moins de scrupule à être ici uniquement pour arnaquer l'un de ces riches individus pour son intérêt personnel. L'heure était donc venue de mettre en place le piège.
Faisant mine d'être intéressée, Amora vint alors se placer devant l'un des tableaux, le fixant pour en étudier les détails, les couleurs, la mise en scène. Deux mots vinrent alors à l'esprit de l'Ase face à cette peinture : texturée et torturée. Un style qui lui était totalement ... étranger. Jamais sur Asgard, un artiste n'aurait peint de cette façon. Et pour le coup, cette originalité n'était pas sans déplaire à la blonde. Mais après tout ... n'avait-elle pas elle-même était une originale à son époque ? Une mage en dehors des critères acceptés par la société Ase ?
Finalement, l'intérêt feint ne tarda pas en se muer en intérêt réel, l'asgardienne finissant même par s'approcher de l'œuvre pour mieux en étudier la matière. Le peintre était-il allé jusqu'à intégrer du véritable sang dans sa toile pour obtenir une telle teinte ?
Une fois la surprise quant à l’inhumaine présente en ces lieux, le scientifique reporte toute son attention sur le tableau exposé, penchant son menton sur le côté et parcourant le paysage peint pour en saisir toutes les nuances et les subtilités, les secrets disséminés par le peintre, les détails imparfaits, les ratures, les coups de pinceaux un peu trop appuyés ou, au contraire, des jeux d’ombres qui apportent une grande profondeur à l’image proposée… Le tableau est sublime, d’une allégorie frappante, qui ne peut que fasciner les riches acquéreurs.
Il se tient ainsi, le dos droit, les bras croisés contre son torse que l’on devine musclé sous son costume, quand l’inhumaine blonde se rapproche de lui ; sans même se retourner pour observer sa démarche, il l’entend venir sans difficulté aucune, trahie par le martèlement de ses escarpins frappant le carrelage et les effluves de son parfum délicat, mélangé à l’odeur de son sang qui est pulsé par ses veines. Machinalement, il tourne son menton en baissant les yeux, jaugeant de sa hauteur dans le périmètre : elle vient se placer juste à côté de lui, sans lui adresser le moindre regard. C’est le tableau, plutôt, qui retient toute son attention : il ne s’en offusque guère, comprenant aisément que la peinture soit au coeur des intérêts de l’assemblée.
Mais quelque chose l’intrigue car, dans leurs contemplations communes mais solitaires, il entend les battements de son coeur qui s’apaisent soudainement : l’intérêt qu’elle porte à ce tableau est donc sincère, contrairement à la plupart des personnes réunies pour cette soirée mondaine ; il a suffisamment écumé ces réceptions de la haute société pour le savoir. « Messieurs dames, puis-je vous aider ? Vous cherchez un tableau pour votre maison, peut-être ? » Hein ? Ses dents ayant pincé le coin de sa lèvre inférieure, il fronce d’abord ses sourcils en tournant un regard perplexe vers l’homme affable, qui les observe avec un sourire niais, dans l’attente d’une réponse ; il croit vraiment qu’ils sont en couple ? Morgan trouve que c’est flatteur car elle est plutôt belle femme mais il s’empresse de rectifier la vérité, en secouant son menton de gauche à droite, un petit sourire gêné aux lèvres : « Nous ne sommes pas ensemble. » Encore plus gêné que le sourire de Morgan, l’homme, pétri d’un malaise grandiose pour cette bévue, recule son visage en grimaçant légèrement, se confondant en excuses avant de s’éloigner.
Le suivant du regard, il presse ses lèvres l’une contre l’autre avant de lancer un regard amusé en direction de la blonde, sans toutefois ouvrir la conversation, étant bien trop timide pour cela. Plutôt, il se retourne vers le tableau, se disant que, l'acquérir également serait une folie : il n'a même pas encore choisi sa maison.
Dernière édition par Morgan Morbius le Sam 2 Déc 2023 - 15:05, édité 1 fois
Plongée dans l'étude de la toile, Amora ne prêta pas attention aux gens autour d'elle. Ainsi n'avait-elle pas remarqué l'homme qui se tenait à côté d'elle, et qui, comme elle, observait l'œuvre exposée devant eux. Un instant, elle hésita presque à caresser la peinture du bout des doigts, afin de mieux apprécier les reliefs que l'artiste avait donné à la texture à l'aide de son pinceau ou de spatules. Mais bien vite, elle se ravisa ... n'ayant vu personne s'adonner à cette pratique avant elle, elle en déduisit qu'il devait être inconvenant d'agir ainsi.
Ce fut un employé de la galerie qui arracha l'Ase à sa contemplation, posant une question des plus saugrenues, en demandant si avec l'homme qui était à côté d'elle, ils souhaitaient se procurer une peinture afin d'habiller leur intérieur. Ce ne fut qu'à ce moment précis que la blonde remarqua l'homme en question, posant sur lui un regard détendu et décomplexé ... constatant l'embarras dans lequel ce dernier se retrouvait plongé après une telle confusion. Cette réaction ne manqua pas de faire naître un subtile sourire sur ses lèvres, tandis qu'il se justifiait auprès de l'employé, expliquant qu'ils n'étaient pas ensemble.
Et alors que le vendeur se confondait en excuses, puis s'éloignait pour se faire oublier, l'Ase ne portait plus aucune attention à l'œuvre, car son regard émeraude était à présent posé sur l'individu qui, après lui avoir adressé un rapide sourire, se plongea une nouvelle fois dans la toile. Il était plutôt bel homme, avec un visage aux traits fins et réguliers, un port altier qui faisait honneur au costume qu'il portait et qui lui seyait parfaitement, soulignant un physique de toute évidence athlétique. Peut-être était-il un peu pâle ... mais qui aurait pu lui en vouloir en plein mois de janvier ? Haussant un sourcil, l'asgardienne ne décrocha plus son regard de l'individu, s'amusant presque de le voir ainsi se concentrer sur la peinture. Etait-il en train d'éviter tout autre contact visuel avec elle ? Le rendait-elle nerveux ? Si oui, pourquoi ? Bien des hommes auraient profité de cette occasion offerte par ce vendeur maladroit pour engager la conversation avec elle ... et pourtant, lui ... semblait tout faire pour que l'inverse se produise. Sans détacher ses yeux de son voisin, Amora but une gorgée de sa coupe de champagne, le fixant par dessus le rebord du cristal.
"Vous semblez bien intéressé par ce tableau pour quelqu'un qui a si rapidement renoncé à l'acquérir, lui fit-elle remarquer, d'une voix amusée. A moins que ce ne soit la perspective d'être en couple avec moi qui vous aies à ce point troublé."
L'Ase laissa alors un léger rire cristallin filer entre ses lèvres, avant de se reprendre, toujours souriante, avec une étincelle de taquinerie dans le regard. La perspective d'être une source d'inconfort pour son malheureux interlocuteur, alors qu'il n'avait rien demandé, l'amusait. Elle n'était pas totalement étrangère à cette réaction chez les hommes, bien qu'en général, elle provoquait chez ces derniers une attitude bien différente.
"Ne vous inquiétez pas, je plaisante ... j'ai bien conscience que je ne peux faire le poids face à une telle œuvre."
Ce ne fut qu'à cet instant qu'Amora détacha son regard espiègle de l'homme, pour le reporter sur la toile, satisfaite de toute l'ironie de ses dernières paroles.
Une fois le trouble et le malaise passés, le scientifique retourne à l’examination minutieuse de sa peinture, sans songer davantage à la maladresse de leur hôte empressé. Il sent bien le regard appuyé de la blonde mais, n’ayant guère d’expérience avec la gente féminine, il préfère se concentrer sur un domaine qu’il connait et maîtrise : le marché de l’art. Il a déjà fait l’acquisition d’un tableau quelques minutes plus tôt, et alors qu’il s’était murmuré qu’un deuxième ne serait que pur excès, il commence à changer d’avis, se disant finalement qu’il trouvera bien un endroit pour mettre en valeur cette merveille… « Vous semblez bien intéressé par ce tableau pour quelqu'un qui a si rapidement renoncé à l'acquérir » Elle entame la conversation, ce qui le fige presque dans aussitôt, de même sorte que s’il venait d’être piqué par un venin. Et alors qu’il commence à tourner son menton vers elle pour lui faire face, elle surenchérit, d’une voix délicieusement amusée : « A moins que ce ne soit la perspective d'être en couple avec moi qui vous aies à ce point troublé. » On peut dire qu’elle est directe ; peut-être un peu trop, d’ailleurs…
Vite, il faut trouver quelque chose à répondre au lieu de rester planter comme un santon ! Il décide alors de jouer la carte du rire pour gagner un peu de temps de réflexion, bien qu’il ne soit pas le meilleur comédien : son rire sonne faux et, si ses lèvres sont effectivement retroussées, ses yeux n’expriment rien d’autre qu’un profond inconfort. « J’en ai déjà acheté un, en fait. » Il a réussi à parler sans avoir la voix qui tremble, mais il se sent obligé de racler sa gorge en fronçant légèrement ses sourcils, prenant une voix plus grave pour poursuivre : « Je… Je suis désolé qu’il ait cru que nous étions un couple. » Il s’excuse d’une faute qui n’est pas la sienne, mais qui traduit cependant du piètre opinion qu’il a de lui-même : de toute évidence, il se déprécie suffisamment pour trouver insultant, pour elle, qu’ils soient en couple, ce qui justifie qu’il lui présente ses excuses. Elle ne semble pas en être offusquée, ni même horrifiée, mais le malheureux, n’ayant jamais connu les élans suaves de la séduction ou de l’amour, ne peut envisager qu’elle le trouve un minimum charmant. Mais elle n’en avait pas fini de le torturer…
« Ne vous inquiétez pas, je plaisante ... j'ai bien conscience que je ne peux faire le poids face à une telle œuvre. » Un véritable SOS peut se lire dans le regard de celui qui, prenant une fine inspiration, tourne de nouveau son visage vers la minaude blonde qui, elle, regarde à présent le tableau. Qu’est-ce qu’il doit dire, qu’est-ce qu’il doit faire ? Comme personne n’est pas là pour lui donner la réponse, il décide en un quart de secondes, tombant, peut-être, dans le piège qu’elle lui tend : « Oh, non ! Ce n’est pas ce que je voulais dire. » Forcément, il n’a rien dit de tel, le bougre. « Vous êtes très belle. Plus que le tableau. Même si ce n’est pas vraiment comparable. » S-u-p-e-r. L’intervention est formidable, il se maudit intérieurement et finit par mordre le coin de sa lèvre avant d’en revenir au tableau, sans vraiment le voir, cette fois : il a l’esprit totalement chamboulé, maintenant, à cause de la sublime créature à côté de lui.
D'un œil expert, elle épiait chacune des réactions de l'homme qui se tenait à côté d'elle, décryptant les diverses expressions qui se succédaient sur son visage au gré des boutades que lui lançait l'Ase. Passée maîtresse dans l'art de la séduction, Amora avait notamment appris à déchiffrer le langage corporel ... une forme de communication bien souvent plus authentique que la parole. Et le candidat du soir était un véritable cas d'école. La première phrase de la blonde formulée, tout le corps du malheureux s'était raidi, comme pris d'un spasme de stupeur. De toute évidence, Amora l'avait pris par surprise. Puis, alors qu'il reportait son attention sur elle, l'asgardienne porta la seconde estocade. Cette fois-ci, elle obtint pour réponse un rire de la part de son interlocuteur ... un rire qui lui, n'avait rien d'authentique dans la façon dont il résonnait ... ce qui ne manqua pas d'étirer un léger sourire au coin des lèvres de la jeune femme. Il y avait, de toute évidence, une pointe de nervosité dans ce rire simulé ... voire, de l'inconfort. C'était comme si cet homme ne savait pas vraiment comment s'y prendre. Etonnant.
La suite s'avéra tout aussi surprenante et exquise, puisque vint le moment des explications approximatives, trahissant une forme de maladresse et de manque de pratique dans le jeu des relations sociales. Ainsi donc, le gagnant du soir avait déjà acheté un tableau. Un détail intéressant, puisqu'il indiquait que le bellâtre disposait d'un revenu suffisant pour un tel achat. Mais lorsqu'il s'excusa auprès d'Amora sur le fait que l'employé de la galerie ait pu penser qu'ils étaient en couple, le sourire de l'Ase s'étiola, alors qu'en même temps, l'un de ses sourcils se rehaussait sous l'effet inattendu de ce que cela impliquait. Dans la voix de l'homme, elle sent une forme de culpabilité. Pourquoi ? Il n'avait commis aucune faute. C'était comme s'il estimait qu'il lui était interdit de prétendre à un tel lien avec une femme comme elle. C'était bien la première fois qu'elle observait une telle réaction de la part d'un homme. Intrigant.
A moins qu'il ne soit pas intéressé par la gente féminine. Mais cette hypothèse fut rapidement balayée par la suite ... une suite qui fit de nouveau réapparaître le sourire en coin de la blonde, tant elle se délectait de la maladresse et de l'inconfort qu'elle avait fait germer chez son interlocuteur.
"Voyez-vous cela", releva-t-elle avec une pointe d'amusement lorsque l'homme fit entendre qu'il la trouvait belle.
Un nouvel éclat de rire aux notes mélodieuses s'échappa de sa gorge, suivi d'un regard émeraude attendrit se posant sur le malheureux. Elle l'aimait bien. Il était différent de tous les autres ... et c'était appréciable. Il lui semblait prévenant et honnête, bien qu'un brin maladroit. Si bien qu'à présent ... elle ne pouvait se résoudre à se jouer de lui comme elle l'aurait fait avec un autre. Il ne méritait pas un tel sort.
"Les conversations banales avec des femmes, vous n'avez pas l'habitude, n'est-ce pas ?, lui demanda-t-elle sans véritablement attendre de réponse, attendrie par cet homme. Comment un homme avec votre prestance et vos atouts physiques peut à ce point manquer d'assurance ?"
La question posée, et consciente de l'inconfort qu'elle allait une nouvelle fois lui imposer, Amora sourit alors à son interlocuteur ... un sourire affectueux et chaleureux. Puis, elle lui tendit une main.
"Je m'appelle Amora, et je serais ravie que vous me parliez de ce tableau que vous avez acheté un peu plus tôt."
Avec cette invitation, l'Ase espérait briser la glace, notamment en amenant l'homme sur un terrain qu'il connaissait un peu mieux : celui de l'art.
Il n’est pas foncièrement à l’aise et cela se voit sur son visage et s’entend dans sa voix peu encline à la certitude ; il manque cruellement d’expérience avec les femmes, ayant été bien trop accaparé par ses recherches et sa maladie pour s’adonner à des quelconques plaisirs en charmante compagnie par le passé. Ainsi, même si Amora est d’une grande beauté, il aurait eu la même réaction avec une autre belle créature de la gente féminine.
Mais celle-ci, malicieuse et joueuse à souhait, s’amuse véritablement de son inconfort et de sa maladresse, sans que la nature espiègle de ses agissements ne soit, encore, révélée à son interlocuteur ; il ne voit aucune séduction ni élan malin à son attitude, bien trop ignare sur la question pour s’en rendre compte. « Voyez-vous cela. » Dit-elle d’une voix amusée, l’obligeant à se retourner vers elle pour hausser l’un de ses sourcils, demandant, avec grande sincérité et naïveté, ce qu’il a pu dire pour soulever une telle réaction ; rien de mal, il l’espère.
Celle qui n’est pas totalement humaine — bien qu’il aurait presque oublié ce charmant détail avec ce malentendu, se met à rire d’un éclat mélodieux, résonnant comme une symphonie de gaieté qui ne peut que le faire sourire, presque, de manière totalement inconsciente. Il l’observe, regarde chacun de ses traits, sa peau laiteuse, son cou de cygne, son opulente chevelure tombant en cascade dans son dos, rivière d’or encadrant un visage aux traits purs, sans aucune fausse note. Comme son rire. « Les conversations banales avec des femmes, vous n'avez pas l'habitude, n'est-ce pas ? » Un peu honteux de cette découverte, bien que cela ne soit guère une surprise, il baisse un instant le regard sans se départir du sourire qui orne ses lèvres, son menton se hochant de gauche à droite comme première réponse non-verbale. « Comment un homme avec votre prestance et vos atouts physiques peut à ce point manquer d'assurance ? » Peut-être parce qu’il n’a pas toujours été ainsi et que, il y a à peine quelques mois, il était chétif et marchait avec une canne, incapable de se mouvoir correctement tant la maladie le rongeait de l’intérieur. Si, aujourd’hui, son physique est plus appréciable, il n’a pas changé l’homme à l’intérieur. « Je ne sais pas… » Souffle-t-il en relevant le menton vers la belle blonde, poursuivant alors : « Je ne suis pas le genre d’homme sur lequel on se retourne, j’imagine. Mais c’est pas grave. » Le vampire, suspendu aux lèvres de son interlocutrice, remarque que ses yeux expriment une humeur qu’il peine à déchiffrer, mais qu’il trouve appréciable, comme une caresse aérienne.
« Je m'appelle Amora, et je serais ravie que vous me parliez de ce tableau que vous avez acheté un peu plus tôt. » Amora… Voilà un prénom peu commun, qui sied à la perfection le visage séraphique de celle qui lui tend sa main : il s’en saisit avec délicatesse, la serrant avec une pression aussi mesurée que possible, tout en lui souriant avec suavité. « Morgan, enchanté Amora. » Elle souhaite qu’il lui parle du tableau acquis quelques minutes plus tôt, désireuse, de ce fait, de passer du temps en sa compagnie… Pourquoi ? Il n’en sait rien mais, se sentant chanceux, presque privilégié d’avoir l’attention de cette femme qui s’exprime avec aisance, il la regarde quelques secondes, avant de lui tendre finalement son bras, au prix d’un effort sur-humain pour lui. Il n’esquisse aucun geste déplacé, faisant même attention à ne pas la toucher, même ses côtes, et il fait attention sur leur chemin, à lui ouvrir la voie pour qu’aucun obstacle ne vienne perturber ses pas. La conduisant, donc, vers le tableau qui est désormais sien, il lui explique, d’une voix calme et posée, bien que naturellement grave : « C’est un tableau d’Otto Dix… Connaissez-vous Otto Dix, Amora ? » Il n’attend pas de réponse particulière, ne sous-entendant nullement que, si la réponse est négative, elle est ignare ; le ton est doux, presque lent, et le sourire qui est imprégné sur ses lèvres n’est que douceur. « Durant la première guerre mondiale, il s’est engagé et a été envoyé au front. Il a été témoin de la guerre, et de la folie qu’elle engendre… Il a été marqué par ce moment de sa vie, et je suppose qu’il a soigné ses plaies en déversant ses mauvais souvenirs, et ses cauchemars, ainsi. » Conclue-t-il en parvenant devant le tableau qui, affichant des gueules cassées jouant aux cartes autour d’une table ronde, expriment autant la folie d’un esprit désoeuvré que l’horreur des corps mutilés. Absorbé par cet éclat de peinture, témoin d’un passé ô combien douloureux qui fait peut-être écho au sien, il lui faut quelques secondes pour revenir sur le visage de sa comparse, lui demandant alors, en agrémentant son sourire d’un accent curieux : « Qu’en pensez-vous ? »
Semblant presque honteux des soupçons de l'Ase à son égard, l'interlocuteur d'Amora détourna un instant le regard, comme s'il n'était plus en mesure de soutenir celui de la jeune femme. Pour autant, il ne nia aucunement l'hypothèse de la blonde, finissant même par confirmer ses paroles d'un silencieux hochement de tête. Pour autant, il semblait afficher un discret sourire, sourire qui n'échappa pas à l'œil de l'asgardienne. D'une certaine manière, c'était comme s'il était soulagé de ne pas avoir à faire semblant avec elle ... de ne pas avoir à jouer un rôle que la société semblait vouloir lui imposer. D'après lui, il n'était pas le genre de personne qui attirait les regards ou qui intéressait les autres. Une ombre invisible ? C'était donc ainsi qu'il se percevait. Etrange.
En silence, Amora l'observa, jugeant par la même occasion cette société qui avait forgé cet homme contre sa volonté ... qui lui avait imposé cette piètre estime qu'il avait de lui-même. Pourtant, il était évident qu'il renfermait un esprit brillant ... une qualité que l'Ase plaçait avant la beauté, tant la connaissance reflétait pour elle une importance primordiale. Finalement, il avait relevé son regard pour le poser sur elle, surmontant son trouble et son inconfort. En réponse, Amora esquissa un sourire.
Morgan, puisque c'était ainsi qu'il se prénommait, sembla se détendre et oublier l'espace d'un instant ses doutes et ses craintes, acceptant la requête de la blonde. Lorsqu'il lui proposa son bras, cette dernière fit alors glisser avec délicatesse sa main sur le tissu de sa veste, remarquant au passage combien il prenait soin de ne pas la brusquer, ni commettre un impair à travers un geste qui aurait pu être jugé déplacé. Avait-il peur de sa réaction ? De lui faire mal ? Une attention qui elle aussi, n'échappa pas à l'Ase. Alors, tel un gentleman, Morgan conduisit son interlocutrice devant sa toute récente acquisition. A la question de ce dernier, elle répondit d'un signe négatif de la tête, ignorant tout de cet artiste. Avec intérêt, elle écouta alors les paroles de Morgan, tout en étudiant l'œuvre. C'était une toile qui, bien que colorée, recélait une part sombre. De cette peinture, il y avait tant de souffrance qui émanait ... une souffrance qui malgré tout, n'était pas parvenue à éradiquer la vie. Des hommes, mutilés et déformés, jouant une partie de cartes. Des victimes d'une terrible guerre qui avait frappé ce monde. Des hommes sacrifiés sur l'autel des idéaux, mis au banc de la société pour leur difformité, et cela malgré le sacrifice auquel ils avaient consenti pour cette même société.
"J'aime beaucoup cette toile, ce qu'elle raconte ... ce qu'elle exprime ... tout autant que son côté cathartique pour l'artiste, répondit-elle sans la quitter des yeux. De mon point de vue, je trouve les personnes qui ont traversé des épreuves difficiles bien plus intéressantes que les autres. Ces personnes là ont des choses à raconter ... d'autant plus lorsqu'elles ont dû passer par une forme de transfiguration pour survivre. Une expérience que peu peuvent comprendre."
N'ayant pas quitté le bras de Morgan, l'Ase déposa alors sa main libre sur celle de son interlocuteur, alors qu'elle poursuivait son observation de la toile.
"Otto a su transcender la peinture pour y distiller sa souffrance, mais également celle de tous ces hommes. Il y a presque quelque chose de magique dans ce processus, de l'ordre de l'alchimie. C'est réellement fascinant. Et c'est également courageux de sa part de s'être confronté à cette réalité en la peignant, plutôt que de l'avoir fuie pour tenter de l'oublier."
D'une certaine façon, Otto n'avait-il pas à sa façon, traversé le même feu de l'existence qu'Amora ? N'avait-il pas été modelé par ces épreuves que la vie lui avait imposées ? Peut-être que oui.
Le gentleman, qui tient à son bras la plus belle dame présente en ces lieux, traverse la pièce en privilégiant soigneusement le confort de la belle, lui ouvrant le passage et marchant à son rythme. Si elle est attentive, elle peut remarquer qu’il fait tout ceci sas chercher son regard, sans même vérifier qu’elle en prend conscience : il le fait car c’est dans sa nature, car il considère que c’est ainsi que les femmes doivent être considérées, car il est doté d’une bonne nature ayant des qualité de coeur qu’on ne peut nier, et il le fait sans rien attendre en retour.
Ainsi porté par ces nobles intentions, le duo arrive devant la toile fraichement achetée par l’homme qui, dépassant la dame d’une bonne tête, lui fait le récit de la peinture : une histoire sanglante s’en échappe, des moments tragiques, de la guerre, du sang, de la souffrance et un profond désespoir qui persiste, même après le retour à la vie civile. Le tableau dépeint ce fameux retour, mais exprime surtout les dégâts physiques ; les trois hommes affichent une posture pour le moins hideuse et déformée, l’un étant sans bras et avec une jambe de bois, avec le visage à moitié arrachée et l’oreille manquante, et ses deux comparses ne sont pas mieux lotis. Difficile d’imaginer qu’on puisse vouloir brandir ce tableau dans son intérieur mais, lui, entrevoit plutôt le témoignage poignant d’un homme ayant traversé l’horreur et, en ayant extrait le meilleur. L’art.
Après son petit discours, il contemple la toile durant quelques secondes, s’émerveillant des détails qui fleurissent à chacune de ses contemplations, puis lui demande ce qu’elle en pense, tournant son menton en sa direction pour l’écouter avec intérêt.
Elle partage son avis sur la toile, ce qui le fait sourire avec plaisir, mais force est de constater qu’elle éprouve une réelle attirance pour ce tableau qui, peut-être, fait écho à quelques malheureux souvenirs chez elle. « C’est vous qui auriez dû l’acheter. » Dit-il dans un sourire complice, avant de baisser les yeux sur la main féminine qui vient effleurer la sienne, de sa peau douce et câline ; ce geste ne le braque pas mais, ayant peur d’oser un geste indélicat ou indigne de la personne qu’elle est, il ne fait rien. « J’imagine que c’était un moyen d’extérioriser… » dit-il sur un ton attristé, ses yeux se relevant sur le tableau tandis qu’il passe la pointe de sa langue sur ses lèvres. « Malheureusement, nous n’avons pas tous le même talent. » Se retournant vers la blonde, il lui demande, sans perdre son sourire : « Et vous, Amora, savez-vous peindre ? »
Devant l'opinion de l'Ase, Morgan esquissa un sourire à son tour. Non pas un sourire amusé par des propos qu'il aurait pu trouver extravagants, mais plutôt un sourire complice, comme une façon d'approuver ce qu'Amora venait de raconter. De toute évidence, il partageait l'avis de la jeune femme au sujet de cette toile, de son auteur, et de ce que ce dernier avait voulu transmettre à travers sa peinture. Il n'avait pas simplement acheté ce tableau pour ajouter une énième toile à sa collection, et ceci afin de nourrir un ego matérialiste. Non. S'il avait jeté son dévolu sur cette peinture, sur cet artiste, c'était très certainement parce que tout ceci faisait écho en lui. Il avait compris le sens profond du thème qu'Otto avait voulu exprimer à travers son œuvre.
A la remarque amusée que formula Morgan, l'Ase reporta son attention sur lui, lui souriant une nouvelle fois. Un bref instant, elle baissa le regard, avant de lentement le remonter sur lui, jusqu'à fixer ses iris dans ceux de son interlocuteur. Un moment suspendu dans le temps, qui bien qu'il ne dura tout au plus qu'une seule seconde, parut pourtant s'étirer de longues minutes.
"En l'achetant, je vous en aurais privé ... et je crois deviner toute l'importance que cette toile a pour vous, répondit-elle sans le quitter du regard. Et puis, je n'aurais nulle part où l'accrocher pour la mettre en valeur. Non ... ce serait un véritable gâchis."
Ce dernier argument, Amora l'avait prononcé en étirant un peu plus son sourire, dans le même esprit de complicité qui s'était installé entre eux. Finalement, Morgan évoqua la possibilité d'une forme d'exutoire de la part du peintre, à travers son art. Une façon pour lui, de combattre ses démons et les traumatismes qu'il avait ramené de la guerre. D'un hochement de tête, l'Ase approuva ces dires. Sur Asgard, elle avait déjà vu d'anciens combattants s'investissant dans l'art de la forge et de sculpture afin de guérir les maux invisibles qui les minaient, blessures secrètes héritées des combats contre les ennemis d'Odin.
La jeune femme se figea légèrement lorsqu'une fois encore, Morgan se dévalorisa. Son sourire aussi, pâtit de cette attitude, se crispant légèrement. Se rendait-il seulement compte du regard particulièrement intransigeant qu'il portait sur lui-même. Mais bien rapidement, Amora se détendit lorsque son interlocuteur lui demanda si elle-même savait peindre.
"Ne soyez pas trop sévère avec vous-même ... je suis certaine que vous disposez d'autres talents. Il n'y a pas que l'art dans la vie, et chacun peut apporter sa pierre à l'édifice de bien des façons différentes. Moi-même, je suis une piètre artiste avec un pinceau entre les mains."
Avec complicité, elle se pencha en direction de Morgan, toujours à son bras, comme pour venir lui faire une confidence au plus près de son oreille, alors qu'elle s'était mise à parler un peu plus bas. Dans un même temps, d'un geste du menton, elle lui indiqua une direction dans laquelle son regard émeraude portait déjà. De cette façon, elle désigna un groupe de vieux bonhommes bedonnants et étriqués dans leurs costumes hors de prix.
"Pensez-vous réellement que ces trois-là sont bons à quoique ce soit d'autre qu'aligner des liasses de billets verts qu'ils ont obtenu sur le dos d'honnêtes gens bien plus talentueux qu'eux ?"
Reportant son regard sur Morgan sans pour autant s'écarter de lui, elle lui adressa une moue à la fois dubitative et amusée.
"J'en doute sincèrement."
Dernière édition par Amora le Dim 17 Déc 2023 - 15:02, édité 1 fois
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