Une vie à deux...[-18]

Lys se retint de lever les yeux au ciels. Comment Helmut, qui avait grandit dans ce milieu hyper codifié, avec des protocoles pour tout et n’importe quoi, des traditions ancestrales désuètes et dépassés, comme il venait de le lui rappeler avec tant de finesse, pouvait-il ne pas voir la symbolique rattaché à un vêtement. Quoi qu’il en soit, il sembla séduit à l’idée de s’amuser à chasser la pomme pourrie. Avant qu’elle ne puisse rétorquer quoi que ce soit, un couple s’avança vers eux. Comme le lui avait conseillé ce très cher Ivan, elle observa Helmut du coin de l’œil pour calquer son comportement sur le siens. Tiens, d'ailleurs, en parlant d'Ivan... L'espace que quelques secondes, son esprit avait fait un raccourcis un peu rapide entre le comportement quelque peu effronté de l'apprentis majordome, et la mise en avant de la robe polémique. Avait-il assez d'influence pour avoir pu choisir la robe qu'elle portait ? Elle chassa ces pensés pour se concentrer sur l'instant présent. Elle ne pouvait pas se permettre de se laisser distraire alors qu'elle savait qu'elle naviguait au milieu d'un champ de mines.

L’homme lui adressa une salutation en Sokovien, pendant que son épouse s’adressait à elle dans un anglais plus que correct malgré un accent slave à couper au couteau. Azilys lui sourit en répondant « merci. » en Sokovien avant de continuer en anglais. « Oui, c’est exact. Je suis infirmière. J'ai la chance de n'avoir pas une sensibilité particulière à la vue du sang.» confirma-t-elle. « Mon sokovien est bien plus rudimentaire que votre anglais, quelques mots basiques tout au plus. » s’excusa-t-elle, même si ce n’était pas tout à fait exact, flattant son interlocutrice l'air de rien.  

Quand elle avait su qu’Helmut voulait lui faire visiter son pays, elle avait installé une application d’apprentissage des langues sur son téléphone. Elle s’y était attelé chaque fois qu’elle avait eu quelques minutes, dans le plus grand secrets, même d’Helmut. Elle voulait lui faire la surprise quand elle estimerait son niveau suffisant. Depuis leur arrivé, et à force d’entendre parler cette langue à longueur de journée, son oreille s’était affiné et elle avait fait de gros progrès. Mais le moment lui semblait assez inapproprié pour se dévoiler. Les gens parlaient plus librement quand ils pensaient que vous ne compreniez pas ce qu’ils racontaient.

D’ailleurs, tout en échangeant quelques banalités avec l’épouse, elle avait dressé une oreille en entendant son époux interroger frontalement Helmut. Son Sokovien était peut-être encore basique, mais la question l’était tout autant. Et même si elle aurait pu concerner à peu près n’importe quoi, elle était certaine que l’homme voulait savoir comment le Baron avait pu tomber sous le charme d’une roturière américaine. D’ici la fin de la conversation, il allait tenter de savoir si elle n’avait pas usée de sorcellerie pour arriver à ses fins. Elle se demanda si la chasse au sorcières et les barbecue de pauvres filles étaient encore à la mode dans ce coin d’Europe.

Elle était curieuse d’entendre la réponse d’Helmut, même si elle savait qu’elle risquait de ne pas tout comprendre dans le brouhaha ambiant et la distraction de la conversation avec l’épouse du curieux. Elle tourna à son tour le regard vers Helmut et lui offrit un petit sourire complice. Les hostilités étaient lancées.

Tout en se concentrant sur sa conversation avec l’épouse du curieux, elle laissait trainer son oreille pour capter la réponse d’Helmut à la question plutôt directe et sèche que lui avait posé son interlocuteur.

Elle était consciente que leurs échanges, que ce soit la réponse qu’il apporterait à l’homme, que l’échange, bref et superficiel, qu’elle avait avec l’épouse de celui-ci ne manquerait pas d’être abondamment commenté et décortiqué. Elle ne voulait pas commettre d’impair. Même si elle ne voulait pas renoncer à ce qu’elle était, qu’elle ne voulait pas changer pour rentrer dans le moule, elle ne voulait pas non plus passer pour une péquenaude sans éducation.

Comme elle s’y attendait, entre le bruit ambiant et son niveau de pratique du Sokovien, elle ne comprit pas tout ce qu’il disait. Mais elle comprit au moins le principal, et trébucha un peu dans sa conversation avec la femme, en entendant cette déclaration d’amour. Ce n’était pas bien grave, elle même semblait plus intéressé par la réponse d’Helmut à son époux que par sa conversation avec Azilys. La jeune femme aurait pu jurer voir passer une brève expression de dépit sur le visage de son interlocutrice, et rapidement, le couple pris congé. Ils semblaient bien jeune pour avoir une fille en age d’être mariée, … Peut-être une sœur ? Peut-être avait-elle mauvais fond, mais elle ressentit une étrange satisfaction devant leur déception.

La main d’Helmut se glissant dans la sienne, la ramena au présent. Elle lui sourit, le coeur battant un peu plus fort, encore tout chamboulé de l’avoir entendu déclamer son amour pour elle à la face de son monde.

« C’est très intéressant. » répondit-elle avec un petit sourire amusé. « Finalement, c’est assez amusant de voir tout ses gens tourner autour du pot pour essayer de comprendre comment tu as pu tomber amoureux de moi. Je suis sure que certains et surtout certaines se demande sérieusement, si je ne t’ai pas ensorcelé au fait boire un quelconque filtre. » commenta-t-elle en laissant son regard errer sur la foule bien mise qui les entourait, s’amusant à fixer ceux qu’elle surprenait à couler vers eux un regard qui se voulait discret.

Elle ne savait pas si c’était vraiment accepté par les usages de la bonne société, et elle en doutait. Dans ce genre de milieu, l’expression de sentiments ou d’émotions en public était souvent assez mal vues, et c’est justement pour ça que l’idée l’amusait beaucoup. Elle enroula son bras autour de celui d’Helmut, et glissa son nez dans son cou. « S’ils commence à préparer un bûcher dans le jardin, j’espère pouvoir compter sur toi pour m’éviter un sort funeste. » glissa-t-elle à son oreille, avant de laisser son nez effleurer sa joue pour venir lui réclamer un baiser.

La minute émotion fut interrompu par l’apparition discrète d’Oeznik, signal visiblement convenu pour prévenir que le dîner était servit. Reprenant une attitude plus digne du rang qui semblait maintenant être le sien, Lys lui lança un petit clin d’œil. Elle aurait juré avoir surpris sur le visage impassible du vieux majordome l’ombre d’une expression vaguement désapprobatrice, mâtinée d’un léger sourire amusé.

C’était une expérience assez intéressante d’observer ce noble microcosme. La politesse et obséquieusité des échanges n’était qu’un mince vernis qui peinait à cacher les poignards dans les sourires. En temps normal, cette société était un panier de crabes prêts à se déchiqueter mutuellement pour grimper dans la chaîne alimentaire. Mais pour l’instant, il semblait y avoir une trêve. Toutes les pinces étaient tournées vers la gourgandine sortie de nulle part qui leur avait ravi la place si convoité au  coté du maître du château.

Elle ne doutait pas que derrière tout les regards appuyés et les sourires hypocrites les méninges devaient tourner à la limite de la surchauffe. Elle devinait déjà les alliances futures entre les ennemies héréditaires. Elle avait l’impression d’avoir donné un immense coup de pied dans une fourmilière, provoquant un vent de panique qui rebattrait les cartes des influences. A présent, ils avaient tous un but commun qui surpassait tout le reste. Détrôner la Reine de Coeur du Baron Zemo.

Pourtant, curieusement, elle se sentait en sécurité, et plus amusée qu’inquiète. Helmut avait raison. Elle n’avait pas besoin de faire des efforts pour rentrer dans leur moule, elle n’avait pas besoin de se plier en quatre pour essayer d’entrer dans leurs bonne grâces. Elle pouvait bien faire tout ce qu’elle pourrait, jamais elle n’aurait sa place dans ce monde. Au contraire, ses efforts ne servirait qu’à la rendre faible et méprisable à leurs yeux. Elle n’avait que faire de leur avis. Et elle savait aussi que personne ne se risquerait à s’en prendre ouvertement à elle. Ils connaissaient tous Helmut. Ils savaient tous ce qu’il avait fait pour venger sa famille. Aucun d’eux n’était assez fou pour risquer sa peau et celle de ses proches pour s’en prendre à elle. Tout au moins, ouvertement. Pas tant qu’Helmut l’aimait.

Les démonstrations d’affections ne devaient pas être bien vu dans ce genre de sauterie. Elle n’avait vu personne échanger ne serait-ce qu’un discret frôlement de main, même parmi les couples les plus jeunes. Le baiser qu’elle réclama à Helmut juste avant qu’Oeznik ne vienne les informer que le dîner était servit tenait autant de l’expression de son amour pour lui que d’une provocation envers cette société guindée et codifiée.

Alors qu’ils se dirigeaient, bras dessus, bras dessous, vers la salle à manger, elle ne put résister à une provocation plus appuyée lorsqu’elle, passant devant deux pintades empierrées, qui lui firent penser instantanément à Javotte et Anastasie, elle surprit leur conversation en Sokovien.

« Comment une fille comme elle a pu mettre la main sur l’un des meilleurs parti de Sokovie ! » s’exclama la première d’un ton méprisant, étouffant ses mots derrière un éventail des plus suranné. « Les filles comme elle sont prête à tout pour s’élever de leur misérable condition. » Répondit la seconde avec une expression vaguement dégoutté.

Azilys ralentit le pas, retenant discrètement Helmut, avant de se pencher légèrement vers les deux greluches, avec un sourire innocent, comme si elle voulait les saluer personnellement. Et avec le même sourire, elle leur murmura en Sokovien, de façon à ce que seule elles deux et Helmut puisse l’entendre « Ce n’est pas la taille de son porte feuille ou la longueur de son titre de noblesse qui me comble. » Elle ponctua sa déclaration d’un petit clin d’œil égrillard et d’un sourire coquin avant de reprendre son chemin. Du coin de l’œil, il lui sembla voir Helmut lever les yeux au ciel d’un air consterné, que venait contredire le léger plis amusé au coin de ses lèvres.

Bien que la soirée fut plus divertissante qu’elle ne l’avait craint, elle fut contente lorsqu’ils retrouvèrent l’intimité de leurs chambre. Avec un soupir d’aise, elle abandonna ses escarpins sur le chemin entre la porte et la coiffeuse où elle s’assit un peu lourdement. Malgré le maquillage, la fatigue se devinait sur son visage. Elle commença à se démaquillé soigneusement en ayant l’impression de retirer un masque et de retrouver enfin la vrai Azilys. Elle finissait de défaire ses cheveux lorsque Helmut vint y glisser ses doigts pour lui demander ses impressions sur la soirée.

Elle se retourna vers lui et lui sourit avant de se lever et de lui tourner le dos en dégageant ses cheveux pour qu’Helmut puisse plus facilement défaire son corsage. « J’ai l’impression d’être une anthropologue découvrant un antique tribu de cannibales. Dans tous les regards, je pouvait voir à quelle sauce ils s’imaginaient me manger. » s’amusa-t-elle « C’était intéressant. Mais, pour le moment, je crois que préférerais que ce soit toi qui me déguste. »