[Terminé] La compréhension du cœur

Après que la suggestion explicite du Sorcier fût accordée comme choix définitif de la part de la mutante, celle-ci le questionne sur le chemin à suivre pour rejoindre la fameuse douche dont elle semble avoir tant besoin ; si elle a bien vu le sang séché sur ses vêtements et sur sa peau pâle, le sang de son ancienne ennemie et le sien, elle n’a pas encore réalisé qu’il faut s’en débarrasser, la fatigue et la douleur de ses blessures ne l’aidant pas à s’affranchir de la torpeur qui obscurcit ses pensées. Encore en état de choc, d’une lenteur d’esprit qui ne lui ressemble guère, elle donne l’impression d’être ballottée mentalement dans une sphère d’idées décousues, rendant ses réactions molasses et ses gestes confus. « C’est joli ici. » Lance-t-elle en levant les yeux vers le plafond, plus pour meubler la conversation qu’autre chose puisqu’elle n’a pas encore pris le temps de véritablement observer les lieux. L’endroit lui semble néanmoins ancien, mais dans un style très différent de l’Institut ; un peu sombre, vêtu de bois et de fluettes lumières orangées disséminées ici et là, le lieu aspire au calme et à la quiétude. Presque, il paraît inconvenant de prendre la parole pour troubler le silence.

Mais alors qu’elle avait demandé quelle direction prendre pour rejoindre les salles d’eau, le décor autour d’elle se mit à changer ; l’escalier en bois disparut pour laisser place à une pièce plus exiguë, offrant une baignoire spacieuse, une cheminée, un lavabo et une petite fenêtre donnant vue sur la ruelle juste en-dessous. Du second étage, elle n’entend pas les bruits de dehors mais cette vision avec l’extérieur la rassure étrangement, la confortant dans l’idée qu’elle n’est pas faite prisonnière entre ces murs.
N’ayant pas réagi aux changements physiques, plus par abrutissement qu’autre chose, Jean lève un simple regard vers Strange avant d’esquisser un sourire maladroit mais emplit de gratitude à son égard, qu’elle lui formule ensuite d’une voix simple : « Vous faîtes déjà beaucoup, merci. » L’espace d’un instant, la télépathe tire des lianes invisibles dans l’esprit de Strange pour l’envelopper et tromper sa vision, ou du moins, lui révéler la véritable apparence du Phoenix : en se retournant vers son invitée, il peut découvrir une fillette d’une dizaine d’années seulement, le visage tendrement renflé, des joues généreuses et piquées par des grains de beauté. Elle le regarde de ses grands yeux bleus, de ses grandes pupilles enfantines qui disent beaucoup sans parler, et ses yeux dévient un instant vers la main recouverte de cicatrice qu’il lui dévoile, avant de lui sourire de nouveau, plus franchement. « Je fermerai la porte après votre départ, merci. » La petite fille a disparu, la version adulte apparaît de nouveau dans son champ de vision, immobile au milieu de la pièce. La ressemblance entre les deux est évidente, frappante même, si bien que la version adulte semble aussi fragile que celle de l’enfant. Néanmoins, ne rajoutant aucun mot, elle s’avance pour accompagner la sortie de l’homme l’ayant recueillie et, sitôt qu’il a passé la porte, elle referme celle-ci pour se retrouver seule. Mais l’est-elle vraiment, seule ?

Épuisée, autant physiquement que psychologiquement, elle appuie son dos contre la porte et se laisse glisser le long de celle-ci en fermant les yeux, soupirant de fatigue et d’angoisse. Un bain lui fera le plus grand bien mais, pour l’instant, juste quelques secondes, elle veut juste se reposer…

L’habitude des déplacements instantanés, ou la fatigue, font que "Jean Grey" ne réagit pas réellement à celui du Sanctum. Somme toute, c’est une réaction qui me va : elle n’est pas positive, chose que je n’attendais pas, mais elle n’est pas non plus négative, chose déjà plus probable. L’indifférence est donc une solution qui m’est pleinement satisfaisante.

Peut-être pas autant que le sourire que la jeune femme m’offre avant de me remercier. J’ai presque le temps d’ouvrir la bouche pour exprimer que ce n’est pas grand-chose que son image change. D’une Jean Grey adulte, ou en fin d’adolescence tout du moins, on passe à une Jean Grey enfant, n’ayant pas commencé son adolescence ou peu s’en faut. Je me tends de tout mon corps et de ton mon esprit, serrant le panneau de bois au point de m’en faire souffrir, mais suis bien incapable de résister à ce que je suppose être de la manipulation mentale. Il n’y a pas de menace perceptible, bien au contraire. Une image d’innocence. L’unique réaction qui me vient est cependant de la méfiance. L’incompréhension arrive rapidement mais la méfiance est et reste. Si je ne comprends pas, je sais que j’ai perdu. La volonté qui m’a amené à revivre quatorze millions six cent cinq fois l’affrontement avec Thanos et ses conséquences suffirait-elle à bloquer une tentative de contrôle ? Me rendrais-je au moins compte de ladite tentative ? Comme avec la Dimension Miroir, les télépathes ne se battent pas sur le même terrain que les gens normaux et ceux qui contrôlent le terrain ont un immense avantage. Toujours trop sur de moi, j’ai perdu.

Néanmoins, l’autre ne gagne pas.

Elle choisit de ne pas gagner.

« Je fermerai la porte après votre départ, merci. »

L’illusion se termine. J’ignore ce qui s’est passé au-delà de ces trucages de mes pensées instantanées, surement épiées par la télépathe. Qu’a-t-elle trouvé d’autre ? Qu’a-t-elle volé d’autre ? Qu’a-t-elle changé d’autre ? La Magie Astrale me donne de bonne idée sur ce qu’il est possible de faire en manipulant les esprits et c’est proprement terrifiant. Terrifiant au point que je ne veuille pas y toucher outre mesure. Je vais devoir le faire, lorsque j’aurai le temps, ne serait-ce que pour me protéger. Je dois voir Wong. Une mission de plus…

Accompagné vers la sortie, j’obtempère sans rien dire. Est-ce moi ? Est-ce elle ? Est-ce que je décide encore de ce que je fais ou décide-t-elle pour moi ? Comment échapper à sa possible emprise, puisque j’ai encore le loisir de réfléchir ; possiblement une illusion de plus. Je serre les mains en réfléchissant à un illusoire moyen de perturber sa concentration, illusoire dans le sens qu’elle saura en même temps que moi ce à quoi je pense, et prends donc la première idée qui me vient. C’est donc un canard en plastique un peu poussiéreux, incongruité qui m’a marqué dans les "rangements" du sous-sol, qui apparait après moi avant que la porte ne se ferme. Sitôt pensé, sitôt fait, c’est à mon tour de disparaitre pour me trouver auprès de Dominique. Le blond lève un sourcil intrigué en voyant ma tension mais j’ignore la question implicite tout en regardant ses habits de ville, rares chez les Maîtres des Arts Mystiques ; mais on ne me l’aurait pas envoyé s’il n’était pas une forte tête également.

« Vous vous y connaissez en fringues, dis-je froidement, trouvez-moi un haut simple, style t-shirt, un jean et des sous-vêtements en 36… quoi que cela puisse être. Et préparez un repas pour trois.

- Pour trois, demande-t-il en levant l’autre sourcil, amusé. Si on parle d’une telle taille, cela ne serait pas pour quatre ou cinq plutôt ? »

Je le regarde, agacé, et il hausse les épaules, indifférent.

« C’est un mâle ou une femelle, votre minotaure ?

- Qu’est-ce que ça change…

- Le sous-vêtement.

- C’est une femme.

- Evidemment. »

A son tour d’être aussi ravi que moi, même s’il n’a pas la tension qui m’accompagne.

« Ne l’approchez pas.

- Enfin un ordre avec lequel je suis d’accord. »

L’ignorant, je récupère mon Anneau de Téléportation puis invoque un portail jusqu’à la bibliothèque de Kamar-Taj. Je la trouve vide et lâche un juron. Ils étaient plusieurs à étudier lorsque je suis parti, il n'y a pas si longtemps que cela, et désormais les lieux respirent la fraicheur des heures nocturnes. Je lâche un autre juron, me rappelant qu’il y a pratiquement dix heures de décalage horaires ; 9h45 de plus à Katmandou qu’à New York. Exceptions faites de gardiens de nuit, tout le monde doit être parti dormir ici. Évidemment.

Si l’un d’eux arrive dans les secondes qui suivent mon intrusion et qu’il y a des observateurs dans le Sanctum Narthex, j’ai la désagréable surprise de constater qu’il s’agit d’un homme et le lui soupire au visage.

« Trouvez-moi une femme parlant anglais et connaissant les premiers soins, dis-je comme s’il était parfaitement normal que je me trouve ici et maintenant, avant de me reprendre légèrement. S’il vous plait. Maintenant. »

Avançant rapidement parmi les étagères pour m’en aller trouver le Livre des Esperitz, afin d’y chercher une formule sur les exorcismes, je me concentre également sur Charles Xavier. Une fois devant le Livre, j’incante un instant pour ouvrir un portail étincelant relativement petit ; de quoi le voir lui et ses épaules tout en lui rendant la politesse.

« Professeur Xavier, salue-je de la tête avant de partir chercher le livre et de commencer à le feuilleter tout en poursuivant la conversation relativement rapidement. C’est urgent. »

J’accorde un instant de réflexion, pleinement conscient que j’ai très probablement interrompu quelque chose mais n’ayant pas énormément d’estime pour ledit quelque chose. Tant qu’il fout le camp, le quelque chose, il aura fait son office à mes yeux.

« Je suis ici pour vous signaler que j’ai retrouvé Jean Grey, qu’elle a peur de votre Institut et ne souhaite pas y retourner, qu’elle est légèrement blessée physiquement et altérée mentalement dans une proportion que je souhaite déterminer, sachant qu’elle a déjà utilisé sa télépathie pour me faire, à ma connaissance, halluciner ce que je suppose être une version jeune d’elle. Pouvez-vous m’expliquer concisément vos hypothèses et me scanner tout aussi concisément, afin de vérifier qu’elle n’ait pas fait plus amples modifications. Je vous guide sur les souvenirs de notre rencontre, pour que vous y voyez plus clair, et vous fait confiance pour le reste. Merci. »

Après une hésitation à lui dire qu’il a dix minutes, je m’en abstiens. Il le découvrira rapidement, dès qu’il sera dans mon esprit. Je sens que ce genre d’expérience va profondément m’agacer à l’avenir, ça démange déjà beaucoup. Faire confiance, ce n’est pas quelque chose qu’on peut réellement se permettre à mon niveau mais j’ai déjà l’ambition de recruter Xavier dans un projet qui impliquera de la confiance et il a fait forte impression lors de notre rencontre, après son arrivée. Donc je fais l’effort. Pas comme si j’avais le choix. Voilà qui m’emmerde profondément avec la télépathie : elle ne laisse jamais le choix. Ni sur ce qu’on partage, ni même sur ce qu’on fait.

« Bonjour docteur Strange, me répond un Xavier fatigué occupé à faire la toillette d’une femme… je détourne les yeux le temps qu’il la couvre en retenant un soupire. Que puis-je faire pour vous ? »

Ignorant de la situation et n’ayant pas l’intention de m’en enquérir, je lui fais le résumé aussi concis que possible et il réagit à la mesure. Oui, c’est un problème de plus à régler et un poids de plus sur ses épaules, je sais très bien ce que cela fait. Néanmoins, lui l’a pour dix minutes ; même si je me doute pleinement que la confiance limitée fait qu’il continuera d’y penser par la suite. De plus, j’irais jusqu’à considérer que le fait de savoir l’une de ses protégées chez moi sera un léger soulagement d’un poids déjà présent. Contrairement au fait que je cherche des formules sur des exorcismes.

Histoire de positiver, plus pour moi que pour Xavier, il semble mettre la main à la tempe pour signaler l’utilisation de ses pouvoirs. Si c’est un prérequis nécessaire à l’utilisation, c’est bien pratique : lui immobiliser les mains signifie neutraliser ses pouvoirs. Cependant, c’est plus probablement un refrain gestuel utile à signaler aux autres qu’il utilise ses capacités et, conséquemment, à signaler qu’il ne le fait pas le reste du temps. Sauf que rien ne l’empêche de le faire, surement. Cependant, nous n’en sommes pas là !

Je me concentre sur la rencontre avec "Jean Grey" alternativement à ma lecture de recherche de sort et laisse Xavier constater ce que j’ai constaté comme possiblement apprendre des informations magiques qu’il doit pouvoir faire avec ses pouvoirs mutants tout en scannant le reste de mon esprit. S’il veut remarcher un jour, la Magie Eldritch sera là pour lui et il n’aura besoin de plus qu’un analogue tour dans mon esprit pour savoir comme l’utiliser. Ou amener des tasses de thé volée à des jeunes rousses effrayées, ce qui est plus adéquat avec la situation sur laquelle il doit se renseigner.

Sans trop de difficultés, je me concentre sur les deux sujets que sont mon souvenir et ma lecture jusqu’à ce que Xavier rouvre les yeux. Je relève les miens vers lui et l’observe encaisser les choses. Qu’a-t-il à encaisser ? La liste de mes suppositions est longue et probablement non exhaustive. J’espère qu’il ne sait pas pour la Guerre de l’Infini et la manière dont je l’ai vécue. J’espère qu’il ignore beaucoup de choses, en réalité. Après, s’il s’est limité à ce qui le concerne… oui, je surveille les X-Men depuis notre rencontre. Tout comme je surveille les Avengers, chose qui n’est guère difficile considérant qu’ils ne sont plus beaucoup. Tout comme je tâche de surveiller certains super-vilains, même lorsqu’ils ne sont pas de mon ressort. Tout comme j’essaie de surveiller le SHIELD, chose beaucoup plus difficile considérant qu’ils cherchent à surveiller tout le monde de leur côté aussi ; avec surement plus de légitimité d’ailleurs, puisqu’eux doivent s’occuper de toutes les menaces surhumaines alors que moi je suis sensé me limiter aux magiques et aux planétaires.

« Votre esprit est intact. »

Il n’a donc pas vu la Guerre de l’Infini dans mes souvenirs. Doublement parfait. Double soulagement également, pour être franc. Je n’ai pas fait fuiter trop de secrets et suis libre de mes mouvements, confiant que Xavier ne devrait pas avoir profiter d’un moment de faiblesse comme celui-ci pour espionner à son tour. Comme je le pense depuis notre première rencontre, cela devrait être ma pensée ; sauf s’il m’a manipulé dès 2018, auquel cas… je déteste les télépathes. Ils me titillent la paranoïa à un point improbable.

Lorsque les explications de Xavier viennent sur le lien entre Maximoff et Grey, je me concentre pour enregistrer le souvenir. La Sorcière Sombre en veut personnellement à Xavier, il n’a pas la cote auprès des rousses, et je comprends que la personne étendue sous le drap en est probablement une victime également. J’ai fait confiance à Maximoff pour ne pas être manipulée par le Darkhold, cependant cela a des conséquences pour d’autres personnes. J’en suis désolé. Heureusement, je n’ai guère le temps de l’être : les explications sur les entraves télépathiques dans l’esprit de Grey me font froncer les sourcils d’une manière différente. Je déteste les télépathes et ils me donnent des raisons de le faire autre que ma paranoïa ! J’entends ce que Xavier veut me dire et comprends qu’il ait tenté de supprimer les pouvoirs, de les bloquer dans l’inconscient. Cela aurait peut-être dû être fait avec Maximoff également. Néanmoins, j’ai une approche différente : même si cela peut sembler ironique considérant la méfiance dont je fais preuve, je pense que l’on gagne toujours à éduquer et responsabiliser. Cela étant, Xavier pense ainsi aussi sinon l’Institut n’existerait pas. Cela signifie que les pouvoirs de "Jean Grey" sont dangereux au-delà de cette éducation. Merde.

« Je la soupçonne également d'avoir manipulé sa mémoire pour me rendre responsable d'une tragédie de son enfance. »

Merde.

Refermant le livre des esprits en comprenant que c’est un psychiatre et non un exorciste qu’il faut à "Jean Grey", je ne fais pas le moindre commentaire mais continue de fixer le Professeur. N’est-il pas psychologue ? Nous n’avons jamais pris le temps de mesurer nos doctorats, pourtant cela serait utile. Pas que pour un concours d’égo.

« Ses pouvoirs sont très puissants, mais actuellement Jean n'est qu'une enfant déboussolée, perdue et en colère, reprend-t-il en me faisant me retenir de lui dire que je l’ai déjà déduit pour une bonne partie ; chose qu’il entend peut-être s’il est toujours dans mon esprit mais je ne m’excuse déjà pas d’être oralement désagréable alors mentalement il n’a qu’à pas être là ! Elle a besoin de temps pour faire le tri dans son propre esprit. »

Puisque l’on arrête de le faire pour elle, c’est un fait en effet. Quant à être bien entourée ailleurs qu’à l’Institut, je n’arrive pas à croire que Xavier soit soulagé de la savoir chez moi. Certes, c’est moins pire que de ne pas savoir où elle est… cependant je ne suis pas la meilleure personne pour bien entourer les autres ! Néanmoins, s’il le croit c’est bien qu’il n’a pas trop consulté ma vie. Ou juste qu’il lui en faut peu, dans la situation présente.

« Je ferais de mon mieux, promis-je sans dire que ce n’est pas forcément gagne de qualité. Et je vous tiendrais informé. De toute façon, il faudra que l’on parle. »

Laissant là Xavier à ce que j’ai interrompu, je referme le portail de téléportation et me retrouve seul entouré des savoirs de Kamar-Taj. Un geste de main me permet de redéposer le Livre des Esperitz dans son étagère puis j’accorde un instant de contemplation aux cicatrices qui me font face. Ce sont elles qui m’ont amené ici et c’est d’avoir renoncé à les effacer pour les accepter qui a entrainé la naissance du magicien. Du "super-héros", si on en croit ces choses-là. Avant cette acceptation, j’étais déboussolé, perdu et en colère. Peut-être pourrais-je apporter quelques conseils à Grey, par mon expérience personnelle. Cependant, elle a été deux fois opérée mentalement… putain de télépathes.

Un portail de téléportation de la taille d’une assiette s’ouvre au niveau de mon visage, me dévoilant celui de Dominique au sein d’un magasin de vêtements.

« A tout hasard, il est pas européen votre minotaure ? »

Je le regarde de travers un instant avant de comprendre de qui il parle, me blasant instantanément du fait.

« Aucune idée, lui réponds-je, en me disant qu’à part le fait que Grey soit le nom d’une célèbre marque de thé britannique, Earl Grey, je n’ai aucun indice sur l’origine de Jean Grey. Pourquoi ?

- Une piste sur le 36. Heureusement que vous n’êtes pas l’un des plus grands magiciens du monde, sinon on serait surpris que vous ne sachiez pas tout.

- Et heureusement que vous n’êtes pas le plus grand larbin du monde, sinon on serait surpris que vous ayez besoin de demander.

- C’est vraiment le mieux que vous puissiez faire ? »

Il a l’air sincèrement dubitatif, ce qui m’agace encore plus. D’où une réponse qui est un ordre.

« Trouvez-moi les fringues. »

Il ne va pas falloir deux magiciens pour trouver une pointure de vêtements ?!

« Dans le doute, préparez-vous à faire le repas. »

Je fixe Dominique au plus profond de ses yeux le temps que le portail étincelant ne disparaisse. Il est pleinement satisfait d’avoir contourné l’ordre précédent à l’aide du nouveau. Je soupire une fois qu’il n’est plus en mesure de le savoir.

Alors que je peste mentalement contre un emmerdeur, j’en ai un autre qui est précédé de ses pas. Heureusement, il est accompagné par ce que je lui ai demandé de ramener. La vingtaine, les cheveux châtains réunis en un chignon de secours, les yeux noisettes d’une personne tout juste réveillée, la tunique et la robe blanche des novices.

« Anna Black, se présente-t-elle en s’inclinant respectueusement.

- C’est inutile, lui réponds-je, l’amenant à hésiter. La courbette.

- Le Sorcier Suprême Wong a…

- Vous lui ferez à lui, interrompe-je tout en relevant mon Anneau de Téléportation pour nous emmener au Sanctuaire. J’ai une jeune adulte qui a besoin des premiers soins et une inspection. J’ai jugé plus confortable pour elle que ce soit une femme qui le fasse. »

Ouvrant le portail sur le couloir de l’étage où se trouve la salle de bain, je me retourne vers la novice manifestement époustouflée du sort.

« N’en touchez pas les bords et tout ira bien.

- Sauf votre respect, monsieur…

- Docteur.

- Docteur… vous savez faire… ça ? Et vous n’avez pas de sort de soin ? »

Ils se sont faits passer le mot pour me gonfler ce soir et y arrivent très bien, individuellement comme en équipe, au point que la novice s’intimide toute seule face à mon expression.

« Si on en avait, il n’y aurait pas à avoir un développement personnel et spirituel pour guérir en ces lieux.

- Euh, dit-elle avec une gêne manifeste face à mon improvisation et un regard à au bibliothécaire qui, lui, me connait mieux. D’accord.

- Après vous. »

Après un regard et un signe de tête audit bibliothécaire, je franchis à mon tour le portail et reviens donc à New York. Alors que les étincelles disparaissent derrière moi, j’indique la porte qui se trouve dans un mur à l’angle du couloir. Il ne me faut pas deux pas pour dépasser la timide jeune femme.

« Par hasard, vous ne sauriez pas à quoi correspond la taille d’habillement 36 ?

- Quelle nomenclature ?

- Habillement.

- Alors, dit-elle en regardant bien droit devant elle. Ni les US ni l’UK ne montent autant, il me semble. »

J’acquiesce, m’arrêtant au niveau de la porte pour regarder la jeune femme qui doit avoisiner le mètre soixante.

« Et dans les tailles européennes ?

- Il y en a trois ou quatre différentes, si ma mémoire est bonne. »

Aller, cette histoire me gonfle. Canalisant la lumière alentour, je crée un hologramme de Jean Grey devant l’infirmière improvisée. Si ce n’est pas une copie exacte, j’espère que cela donne néanmoins une idée.

« C’est à taille réelle ? »

Non, j’ai multiplié l’échelle par deux pour que ça soit plus facile d’estimer les proportions… ne pas répondre, ne pas répondre.

« Je dirais entre 2 et 6. Ça nous laisse trois choix.

- Vous savez quoi, lui demande-je après une profonde inspiration et la dissipation de l’hologramme, tâchant d’être indulgent face à son regard qui me répond "j’ose pas demander si c’est une vraie question". Essayez de trouver une tenue qui lui conviendrait. »

Réinvoquant un portail de téléportation à destination d’un Dominique dans un magasin de vêtement féminin, ce qui est une comparaison se suffisant à elle-même, je reprends rapidement.

« Voilà du renfort, trainez pas.

- Heureux de vous savoir si confiant en mes capacités.

- Oui. »

Je les laisse faire les présentations sous les regards médusés de personnes dont le lieu d’habitation doit être je-ne-sais-où où la nuit tombe, probablement en Europe, et referme au plus tout mon cercle étincelant.

Un geste de la main m’apporte instantanément l’une des deux trousses rouges du manoir, que j’entretiens avec soin car on ne sait jamais quand on va en avoir besoin ; ce qui n’est pas forcément lié à l’arrivée d’une rousse mutante ayant survécu in extremis à un combat quelconque, même si ce genre de rencontre m’arrive plus souvent qu’il ne devrait.

Trousse contre un flanc, je finis par me rengorger.

« Mademoiselle Grey, vous êtes prête ? »

Question stupide, on ne lui a pas encore trouvé d’habits ET cela ne doit pas faire quinze minutes que je suis parti. Peut-être même pas dix.

« Si c’est non… dites-le. »

J’ai de la cuisine à faire…

Il vient de la laisser seule après que le Phoenix ait dévoilé sa véritable apparence, après que la réalité faussée — ou dupliquée, se soit révélée comme un mirage derrière un manteau de fumée opaque. Chimère trompeuse ou aveu murmuré ? La porte s’est refermée, le Sorcier a disparu, la voilà seule dans cette salle de bain qui lui renvoie son reflet amaigri, pâle, gris, desséché.

Assise à même le sol contre la porte close, le visage enfoui entre ses mains, elle s’endort durant quelques secondes ; pas d’un sommeil profond mais, la fatigue est si intense que fermer les yeux est devenu un jeu périlleux. Elle perd cette première partie ; durant quelques secondes, le vide, le calme, l’apaisement. Une paix illusoire et trompeuse, presque autant que le reflet que lui renverrait le miroir de cette salle de bain. Mais durant cet instant éphémère, il n’y a plus rien. Son esprit est semblable à un champ de bataille après la guerre : la terre est gorgée de sang, les cadavres s’entassent au milieu des fleurs piétinées et… « Hm… » Elle déglutit avec difficulté en redressant soudainement sa nuque, les doigts engourdis, les jambes lourdes, les tempes douloureuses. Sans même ouvrir les yeux, qui ne sont point dorés derrière le voile de ses paupières, rien qu’à l’odeur qui émane de la pièce, Jean sait qu’elle n’est pas dans un endroit qu’elle connait : comme bien souvent depuis quelques jours. Chaque réveil est plus difficile que le précédent, bien que la lassitude commence à se mêler à l’équation ; le rituel, lui, est le même. Ouvrir les yeux quelques secondes — c’est ce qui lui demande le plus d’effort, fixer le plafond le temps que l’esprit en déroute se remette sur les rails puis se dire que, finalement, elle n’a pas la force de lutter aujourd’hui, alors elle s’efface, se dissout derrière le Phoenix pour lui laisser la place ; il est tellement plus facile d’abandonner, de rendre les armes pour ne pas relancer la guerre, pour rester dans ce sommeil conscient qui la tient loin du chaos… Elle aimerait dormir, tout le temps. Dormir pour fuir. Dormir. Dormir, c’est proche de la mort. Dormir, c’est être paisible. Elle veut la paix. Alors, dans un crime silencieux perpétré contre elle-même, elle se laisse un peu mourir, chaque jour. Cela s’est fait progressivement, en franchissant des étapes invisibles, sans qu’elle ne s’en aperçoive. Un mois auparavant, elle était encore joyeuse, pleine de vie et rieuse ; aujourd’hui, le soleil est maigre, un squelette décharné duquel ne s’échappe aucune chaleur.

Le Phoenix, revenu sur le devant de la scène par l’abandon systématique de l’adolescente épuisée, se lève lentement en s’aidant de ses mains ; et le corps de la rousse s’avance d’abord jusqu’au lavabo puis fait demi-tour pour verifier que la porte est bel et bien fermée, avant de retourner vers la baignoire pour y faire couler l’eau chaude. L’écoulement que provoque la chute de l’eau, qui se répartit lentement dans le bac, produit un bruit de fond apaisant, presque, rassurant, et elle entreprend alors à se déshabiller. Ses jambes, encore dissimulées, sont soutenues tant bien que mal par les chevilles graciles qui se dessinent sur le parquet, et dont la maigreur affole déjà. Elle traverse la pièce, défait les boutons de son pantalon bleu foncé et le laisse tomber, l’écrasant avec ses pieds pour le faire rejoindre le sol ; ses jambes sont squelettiques, mais le plus affligeant est ses genoux qui ne se frôlent plus : deux boules osseuses ressortant gravement, rongées par une maigreur hostile qui la dévore de l’intérieur. La nudité la fait frissonner de froid malgré la chaleur accablante de l’été, et elle s’empresse alors de retirer son haut, dévoilant ses côtes saillantes, sa poitrine étouffée et ses épaules pointues. Elle ne se regarde pas, elle évite son reflet aux traits déformés par l’affliction, et se dépêche plutôt de rejoindre la douche en enlaçant son propre corps, devenu la proie de cette guerre des consciences, de cette haine féroce qui grignote son esprit comme une véritable sucrerie. Bientôt, il ne restera plus rien.

Enlaçant ses propres bras, de ses petits pieds nus, elle retourne près de la baignoire pour rejoindre l’eau chaude, tournant les boutons du robinet d’une simple pensée pour en faire cesser l’écoulement. La sensation de chaleur suave qui l’enveloppe est si douce… Allongée dans la baignoire, les genoux légèrement fléchis, elle se laisse retomber en appuyant l’arrière de son crâne contre le rebord glacé de la baignoire ; fermant les yeux, elle coule lentement, jusqu’à ce que la pointe de son nez disparaisse sous l’eau ; là, dans le silence de son propre corps, le Phoenix oscille entre un apaisement qui se distille dans ses pensées et des images d’horreur qui apparaissent par flash… Elle, enfant… La voiture… Le chemin de campagne… La radio qui grésille…. Elle, enfant… La radio… Le chemin de campagne… La voiture qui grésille… « Mademoiselle Grey, vous êtes prête ? » D’un sursaut silencieux, elle remonte à la surface juste à temps pour entendre la parole du Sorcier derrière la porte, ses mains ayant attrapé les bordures de la baignoire comme pour se raccrocher à la réalité. « Si c’est non… dites-le. » Chassant les images tortueuses de son esprit en fronçant durement ses sourcils, elle attend quelques secondes avant de reprendre la parole d’une voix un peu forte pour qu’il puisse l’entendre, mais néanmoins tremblante : « Je ne suis pas prête ! » Comme elle craint de voir quelqu’un entrer malgré ses mots, machinalement, elle enroule ses bras autour de sa poitrine en abaissant son corps de quelques degrés puis, voyant que la porte reste close, elle se redresse en vitesse pour attraper une serviette et l’enrouler autour de sa taille, sa longue chevelure imbibée répandant de l’eau au sol sans même qu’elle ne s’en rende compte. « Vous… Vous êtes encore là ? » Demande-t-elle en se rapprochant de la porte, frissonnant de froid mais aussi d’une inquiétude bien difficile à déterminer. De quoi est-elle inquiète ? Elle n’est pas en danger, ici… Le danger viendrait plutôt de son propre esprit.

Ne sachant pas tellement quoi faire, la rousse retourne auprès de la baignoire mais finalement rebrousse chemin, revenant près de la porte pour en saisir la poignée, décidée et… Change une nouvelle fois d’avis. Elle a peur de rester toute seule à l’intérieur mais elle a également peur de sortir, surtout avec une simple serviette comme vêtement. « Je peux sortir ? » N’attendant pas vraiment de réponse, la rouquine entrouvre la porte pour laisser dépasser son petit nez : est-ce quelqu’un est encore là ?

Quelques secondes de silence puis Jean Grey répond d’une voix tremblante qu’elle n’est pas prête.

« D’accord, réponds-je simplement alors que ça s’agite à l’intérieur de la salle de bain, les bruits d’eau et de pas audibles dans le silence du Sanctuaire. Prenez vôtre temps. »

Je me détourne de la porte et entreprends de visualiser la cuisine avec une motivation proportionnelle à mon appréciation de cette soirée.

« Vous, hésite la jeune femme un instant avant que je ne demande au Sanctum de me transporter et me faisant retenir un soupir. Vous êtes encore là ? »

J’inspire en supposant que je ne peux ni répondre à la négative ni continuer ce que j’étais parti faire en la laissant seule.

« Oui, réponds-je après deux ou trois secondes de réflexion, me retournant vers la porte. Pourquoi ? »

Le silence me répond durant quelques nouveaux instants, passés à fixer la porte de mon côté. Puis, à nouveau, la mutante me parle. Elle veut savoir si elle peut sortir.

Je croise les bras, mains entre ceux-ci et mes flancs avec la trousse de soin qui en dépasse, en prenant une profonde inspiration. Une pose que je maintiens alors que la porte s’entrouvre afin de regarder le couloir.

« Faites comme vous le souhaitez, reprends-je en tâchant de ne pas laisser transparaitre l’agacement que j’ai face à la capacité de l’univers à s’ordonner de la façon qui ne m’arrange pas en cette soirée. Ce que je vais vous demander, en revanche, c’est d’accepter qu’on regarde vos plaies. Une novice ne devrait pas tarder à le faire, au cas où vous soyez gênée par un regard masculin. »

Oui, maintenant que je me retrouve dans cette situation, je me fatigue également d’avoir expédiée la renfort en renfort de celui qui devrait déjà être rentré afin que Grey puisse sortir.

« On est parti vous chercher des vêtements, également. Je passerais les vôtres à la machine à laver cette nuit. Ainsi, ils devraient être réutilisables demain, une fois séchés. »

Sans éviter totalement de tourner autour du pot, je passe les sujets simples d’abord afin que Grey comprenne ce qui se passe. Une chose qui deviendra réciproque, j’en ai bien l’intention. Ne serait-ce que pour savoir ce qu’elle compte me répondre et m’avouer, même si le moment n’est peut-être pas le mieux choisit pour le faire : elle n’est pas à son aise ni dans une tenue qui lui permet de l’être et, si elle est réellement une enfant déboussolée, perdue et en colère, elle risque de ne pas apprécier ma question. Je la pose tout de même, franchement : sous réserve que l’hypothèse de Xavier sur le mensonge soit bonne, j’ai encore moins de raisons de ne pas être franc que d’ordinaire.

« Au risque d’être indiscret, que m’avez-vous montré avant que je parte ? La… comment dire… mini-vous ? »

A défaut de savoir réellement la façon de présenter les choses, je laisse percevoir ma perplexité et mon incompréhension. Je ne suis pas encore certain de comment amener le fait que je sois aller voir quelqu’un qu’elle refuse de voir à présent et de la garder calme malgré tout ainsi opte-je pour l’omission pour l’heure. Si elle entre dans ma tête, tout est perdu néanmoins.

« Pourriez-vous également rester hors de mon esprit, s’il vous plait ? »

Après un instant d’hésitation à donner une raison pour cela, je me concentre plutôt sur le fait d’ouvrir ma posture afin que cela ne sonne pas comme un reproche. Ce n’en est pas un, même si me répondre un non ou un faux oui risque de me faire me renfermer, mais la première étape est de décroiser les bras et de les écarter légèrement de mon corps pour paraitre plus accueillant ; chose qui passe également par mon visage. A défaut de sourire, je baisse légèrement la tête d’un intérêt légèrement connivent : je sais qu’elle est télépathe et ça ne me pose aucun problème tant qu’elle ne m’implique pas. On n’en est pas au clin d’œil, il ne faut pas exagérer.

« Merci. »

C’est sincère et accompagné d’un sourire accentuant un peu plus la connivence.

Le sentiment d’insécurité se répercute contre les murs de cette salle de bain après l’intrusion auditive du Sorcier, venu s’enquérir de son état après moins de dix minutes de solitude, et moins de trois passées dans le bain ; en posture vulnérable, nue en terrain inconnu, le silence confortable ne l’accompagne plus alors elle a l’impression d’une urgence étrange au fond de son coeur, une urgence qui la pousse à s’extraire de la baignoire après avoir à peine eu le temps de se savonner. D’ailleurs, elle a encore des traces de mousse blanche sur l’épaule mais, qu’importe, elle s’avance vers la porte en serrant sa serviette autour d’elle, ses cheveux humides dégoulinant d’une eau parfumée dans son dos et ses jambes, semant même des goutes sur le sol afin de suivre sa trace jusqu’au palier, où l’attend la silhouette impressionnante du Sorcier qui, se tenant droit, a les bras croisés contre son torse dans une posture d’autorité, ce qui lui fait un instant regretté d’avoir ouvert la porte. Peut-être aurait-elle dû s’enfuir par la fenêtre ? « Ce que je vais vous demander, en revanche, c’est d’accepter qu’on regarde vos plaies. Une novice ne devrait pas tarder à le faire, au cas où vous soyez gênée par un regard masculin. » L’intention qu’il avance est louable, bienveillante et même généreuse, démontrant un réel intérêt pour sa personne mais, la voix grave du Sorcier qui n’admet aucune tendresse l’impressionne et l’oblige inconsciemment à baisser les yeux durant quelques secondes. Il semble même agacé de quelque chose (d’elle ? de la situation ? de se retrouver responsable d’elle ?), mais la rousse soupçonne que ce sont ses traits naturels qui veulent cela alors elle s’efforce de ne pas le prendre personnellement, se contentant de resserrer encore plus la serviette blanche autour de son corps mouillé, tandis qu’il évoque ses vêtements sales, souillés par son sang et celui de la Sorcière en fuite. Sait-il seulement ? Il ne faut pas… « Je préfèrerai une femme, en effet… Merci pour les vêtements. »

Réalisant seulement —ou enfin, ça dépend du point de vue, que ses cheveux humides inondent le parquet du palier, la jeune femme recule de quelques pas en mordant l’intérieur de sa lèvre par gêne et, craignant de provoquer la colère du maître des lieux par cette faute, elle s’empresse de déplacer l’eau échouée sur le sol jusqu’à la baignoire se trouvant dans son dos, d’une simple pensée ; elle n’a pas levé la main, ni bouger le bras, mais la seule implication de son esprit a suffit a effectuer cette tâche. Réaction tout à fait instinctive, elle n’y accède aucune importance puisqu’elle sait que son hôte est lui aussi doué de capacités extraordinaires, alors elle ne daigne pas relever les yeux vers lui, jusqu’à ce qu’il reprenne la parole. « Au risque d’être indiscret, que m’avez-vous montré avant que je parte ? La… comment dire… mini-vous ? » La formulation, loin d’être maladroite mais se trouvant attendrissante, provoque un léger sourire aux lèvres de la jeune rousse qui, plantant ses yeux bleus dans ceux du Sorcier, se contente d’hausser d’abord ses épaules d’un air désinvolte. Elle comprend sa curiosité comme elle comprend son incompréhension, mais n'a pas tellement envie d'en discuter maintenant, qu'elle est presque nue devant lui, les cheveux mouillés au milieu de la salle de bain. Après quelques secondes de silence, ne sachant pas très bien comment expliquer ou formuler la vérité, le Phoenix se contente de répondre, d’une voix simple et d’un regard qui n’est point trompeur : « C’est moi, comme vous venez de dire. Il n’y a rien de plus à dire. » La rousse ne sait pas si la réponse qu’elle vient de distiller donne satisfaction au Sorcier mais, celui-ci, après lui avoir demandé de ne plus faire irruption dans son esprit, décroise ses bras comme pour paraître plus ouvert, plus chaleureux ; ce changement de posture fonctionne fort bien car il lui paraît ainsi moins impressionnant, mais l’esprit enfantin devine qu’une manipulation n’est pas tout à fait absente de ce changement d’attitude. Alors, même si l’élan d’un sourire amusé esquisse le coin de ses lèvres par un revers amical, elle se garde bien de le confondre dans ses agissements et se contente d’un sobre « Entendu. » qui est bien sincère, même si elle n’exclue pas le faire de rejoindre ses pensées si la situation l’exige. Si le Phoenix se sent en danger, soupçonne un piège ou une duperie, il n’hésitera pas mais, pour l’heure, il n’a aucune raison de manquer à sa parole. « Quel est cet endroit ? » Demande-t-elle en levant machinalement le nez vers le plafond, plus pour détourner et meubler la conversation qu’autre chose. En attendant la fameuse novice devant l’ausculter, autant ne pas rester dans le silence… Le silence, c’est angoissant. Et des angoisses, elle en a suffisamment.

J’intimide la jeune femme. Bien que cela puisse être normal, c’est également contreproductif. Néanmoins, j’ai déjà prévu de changer cela une fois ma demande, de rester hors de mon esprit, formulée. Si elle ne veut pas que je l’intimide, Jean Grey n’a qu’à rester dans sa tête à elle. Un bon point pour elle envers moi, tout comme l’initiative que j’ai prise de chercher une femme pour s’occuper d’elle ; et de ses vêtements. L’achat, pas le lavage. Je ne suis pas encore certain de comment amener celui-ci.

Avant de le faire, je constate que la jeune femme se reproche toute seule de mouiller le plancher du couloir et s’en retourne donc à celui de la salle de bain. Craint-elle que ce soit agaçant ? Oui, je suis agacé… mais pas par cela. Cela me blase, plus qu’autre chose, même si je me doute qu’il doit y avoir quelque chose d’attendrissant ou de touchant. Dommage, je passe à côté. Jusqu’à ce que ça soit l’eau qui le fasse : passer à côté. Télékinésiste. J’ai un apriori envers les télékinésistes depuis la Bataille de Greenwich et le voyage vers Titan où l’un d’entre eux m’ait torturé… néanmoins, je n’en suis pas à les détester sur leur seule existence. Ils ne sont pas télépathes. Enfin, Jean Grey possède les deux capacités. Soirée de merde. Néanmoins, il faut également noter qu’elle est capable d’affecter l’eau, donc sa télékinésie s’étend à l’hydrokinésie, et de la diriger sans mouvement ni regard ; ce qui implique une plus grande maitrise que ce que permet la magie Eldritch, basée sur le mouvement, et un sens télékinétique pour percevoir là où elle l’envoie. Impressionnant. Je me demande comment la jeune femme perçoit le monde, au-delà des sens qui me sont connus.

Bon, je me demande beaucoup de choses. Lorsque ma question quant à la vraie nature de l’image de Jean Grey, ou Jean Grey bis, fait sourire la concernée, je me demande pourquoi. Puis quand elle hausse les sourcils à la façon d’une enfant qui n’a pas envie de répondre, je me rappelle pourquoi je n’aime pas les enfants. Alors une enfant télépathe… c’est dire. Tandis qu’elle fait silence, je me blase. C’est un effort pour moi que d’essayer de l’accueillir cordialement… ou passablement… et, si elle commence à ne pas me faciliter la tâche, nous allons passer un bon moment.

Finalement, elle répond. Une réponse à la con qui me maintient blasé mais une réponse tout de même. "C’est elle"… merci, ça ne m’aide pas. "Il n’y a rien à dire de plus"… si. Beaucoup. Je soupire du nez à cette déclaration et hésite franchement à décroiser les bras pour paraitre un peu plus avenant ; pas beaucoup plus, certes, mais un petit peu est mieux que rien.

Je le fais, cela marche. Cela l’amuse même. J’ai un petit sourire nerveux en me disant qu’elle sait qu’elle ne m’aide pas, là, mais il disparait en un souffle. Au moins a-t-elle accepté de rester dans sa tête. Est-ce que je la crois ? Moyennement. Cependant, je lui donne le bénéfice du doute ; elle n’a rien modifié la première fois.

« Quel est cet endroit, demande-t-elle ensuite, me donnant envie de lui répondre "le plafond" afin d’être aussi constructif qu’elle précédemment.

- Le Sanctuaire de New York, dis-je après un instant. L’un des trois points qui permettent de protéger la Terre des intrusions dimensionnelles extérieures, continue-je avant de la regarder en me disant qu’à huit ans, ou dix ans, ou douze ans d’âge mental, elle ne va pas comprendre. C’est une maison magique… »

Blasé.
Je suis blasé.

Je n’arrive pas à savoir si je la sous-estime ou la surestime, je pense que cela varie fonction de si je considère ses pouvoirs ou ce que je sais de sa maladie mentale. Dans les deux cas, évitons de le dire ainsi. Sachant que si elle se vexe, c’est qu’elle n’est pas restée au-dehors de mon esprit. Aurais-je trouvé une technique anti-télépathique ? Être hypocrite au possible oralement et imbuvable au possible mentalement pour voir si elle réagit ? Dommage que je sois plus doué pour être imbuvable oralement.

Tellement qu’à part lui demander si elle a l’intention de me dire la vérité à un moment donné ou si elle veut retourner dans le bain, je n’ai pas grand-chose à lui dire. Malheureusement, elle semble essayer de combler les silences ; chose difficile en ce lieu, sans parler d’avec ma personne.

Je soupire.

L’instant suivant, le tourne-disque de ma chambre apparait à mon côté. Avec le plus grand naturel du monde, je remets le lecteur au début du disque avant de le lancer.


« La Flute Enchantée, Mozart, 1791, me souviens-je sans peine. Il y en a pour deux heures quarante-cinq environ… Oui, je meuble en jouant du pipo. »

J’ai hésité avant d’énoncer tout haut mon sarcasme. Maintenant que c’est fait, je regarde la réaction de Jean Grey.

« Je laisse ça là, vous retournez où je vous ai interrompu, vous me prévenez quand vous avez fini et je vous préviens quand les autres l’ont fait ? »

C’est la proposition qui m’arrange le plus, à défaut d’être la plus humaine ou diplomatique qui soit.

« Sinon… je vous fais visiter, hasarde-je en sentant que je vais le regretter mais parant à la possibilité que la jeune femme n’ait pas envie d’être seule. J’aurai préféré que vous ayez des vêtements mais on n’est plus à ça prêt. »

L’ours mal-léché portant une cape rouge grogne mais ne mord pas ; le Phoenix sait qu’il l’agace par ses réponses qui n’en sont pas vraiment, mais ne trouve rien d’autre à faire que de lui sourire avec un amusement discret, à l’image d’un enfant insolent ne craignant point le courroux de son parent. Qui est la petite fille qui vient d’apparaître ? L’histoire est trop longue, trop douloureuse et trop complexe pour être contée au milieu d’un couloir désert, en étant à peine vêtue d’une serviette blanche. Et peut-être, ne comprendrait-il pas. L’accident. Le deuil. La culpabilité. La souffrance. L’errance. La solitude. Le désespoir.

Comment pourrait-il comprendre ? Elle se sent tellement seule dans sa douleur qu’elle a l’impression d’être seule au monde.

Il soupire avec agacement, elle recule d’un pas en appliquant davantage ses mains contre son buste, ses doigts s’enroulant autour de la serviette humide comme pour se décharger, abandonnant un peu de la nervosité qui parcourt ses phalanges ; elle est dans un endroit qui ne lui est point familier, presque nue, en présence d’un homme qui commence peut-être à perdre patience. Et quand bien même il affiche une posture moins sévère, elle ne le considère pas moins rigide. Elle aimerait bien lui rappeler qu’il est venu à sa rencontre et qu’il lui a proposé de venir ici mais, craignant un énième rejet, la rousse garde le silence quelques secondes avant de le rompre, questionnant l’origine de ce lieu. Elle écoute attentivement la réponse qu’on lui donne, ses yeux vagabondant ici et là jusqu’à la mention de la maison magique… Là, ses yeux s’attardent quelques secondes avant de se poser sur le visage du Sorcier, ayant à la fois envie de rire et de pleurer. Elle hésite un instant à pleurer de rire mais finit par hocher simplement son menton de haut en bas, tout en pressant ses lèvres l’une contre l’autre et en écarquillant ses yeux, donnant l’impression de contenir une émotion presque moqueuse. Elle hésite un instant à lui demander s’il va sortir un lapin blanc de son chapeau mais se ravise finalement, n’ayant même pas le temps de lui répondre que déjà, un tourne-disque apparaît à côté de lui, soufflant un air mélodieux qu’elle ne trouve pas vraiment apaisant, mais qui ne la dérange pas non plus. « Dois-je comprendre que ma conversation vous ennui ? » Le sarcasme du Sorcier ne lui provoque aucune réaction, mais elle semble attendre une réponse à la question qu’elle vient de lui poser.

Il lui apparaît alors bien moins chaleureux et digne de confiance que lors de leurs premiers échanges sur la falaise, et le coeur fragile de la jeune femme, qui se sent déjà de trop, de trop et trop agaçante, est alors piqué d’un malaise à la fois bouleversant et douloureux : elle recule de quelques pas supplémentaires en baissant soudainement le menton sur le côté pour ne pas avoir à soutenir son regard, et ignorant sa dernière proposition, elle affirme alors d’une voix tremblante d’émotion et brûlante d’un reproche dissimulé dans le silence : « Je voudrais simplement partir. Mes vêtements, s’il vous plaît. Je disparaitrais aussitôt que je serais habillée. »

« Dois-je comprendre que ma conversation vous ennui ? »

Soirée. De. Merde.

Je laisse la Flute Enchantée tourner tout en regardant fixement la fille désenchantée. J’enterre l’espoir de la tranquilliser et tâche que mon agacement ne se transforme pas trop en lassitude. C’est mon erreur, à moi seul. Maintenant, comment la rattrape-je ?

Jean Grey bis recule, physiquement et mentalement. Quelques pas de plus dans la salle de bain. Quelques centimètres de plus vers le sol. Quelques regards de plus vers le côté. Une unique voix tremblante.

Elle veut partir. Simplement partir.
Elle veut ses vêtements.
Elle veut disparaitre.

Je la regarde.

« Je suis si mauvais hôte que cela, demande-je avec autant de rhétorique que d’auto-dérision, avant de baisser la tête à mon tour et de soupirer. Toutes mes excuses. »

D’un geste de la main et d’un regard, je congédie le tourne-disque à sa place et me détourne partiellement de Jean Grey bis.

« Si vous voulez partir, je ne vous retiendrais pas. Néanmoins, le temps qu’on vous apporte vos nouveaux vêtements, dites-moi ce que vous souhaitez manger. »

La possibilité que je cuisine me semble plus que compromise, à défaut il va falloir commander. Kamar-Taj est autosuffisant en nourriture mais il faut bien admettre que les Sanctuaires n’ont pas la même autarcie. Chose qui pose problème puisque, niveau revenus et financements, les Maîtres des Arts Mystiques ne sont pas les plus fournis. Vendre de l’or est notre principal moyen, je dirais. Alchimie, quand tu nous tiens. Le Tribunal soit loué, je n’en suis pas à régler des dettes de jeu avec cette méthode.

Si j’hésite à passer le regard de Jean Grey à ses vieux vêtements, qui me semblent reposer là où elle les a laissés dans la salle de bain, je ne le fais pas réellement. Je la regarde avec la fatigue d’une journée trop longue qui joue sur mes faiblesses. Comment compenser celles-ci ? Comment user de mon intelligence pour m’en sortir ? La nourriture est un test, une offrande, comme le thé avant elle. Est-ce que cela fonctionnera deux fois ? Est-ce…

Evidemment.

Soirée. De. Merde.

Le cercle d’étincelle s’élargie dans le couloir jusqu’à ce que Dominique, trentenaire blond aux cheveux courts mesurant un mètre quatre-vingt pour plus de soixante-dix kilogrammes et vêtu d’un costume avec veste détachée et cravate de la couleur de son rang d’Apprenti, puisse entrer. Mains dans les poches, il salut Jean Grey de la tête avant de laisser la place à une vingtenaire aux cheveux châtains réunis en un chignon de secours, aux yeux noisette d’une personne mal réveillée et à la tunique et la robe blanche des Novices. Celle-ci porte des vêtements clairement trop grands trop Jean, ou pour quiconque ici d’ailleurs, sur lesquels reposent d’autres vêtements plus raisonnables ; jeans et t-shirt simples, bleus. Bleu royal. L’enfoiré, il a pris la peine de prendre la même couleur que ma tenue !

« Alors, vous avez eu le temps de faire le repas, me demande-t-il, avec une nonchalance qui explique que l’on ne veuille plus de lui à Kamar-Taj, avant de se tourner vers Jean. Bonsoir. C’est donc vous le mi… »

Sa phrase est interrompue alors que je demande mentalement au manoir de le transporter à la cave. Ensuite, je prends une grande inspiration.

« Mademoiselle Grey, dis-je en contenant un agacement clairement dirigé vers l’autre con et en me tournant entre elle et la Novice choquée de l’emploi de la magie, je vous présente Anna Black.

- Euh… bonsoir ? »

Si je commence à tendre les mains pour récupérer les affaires, je m’interromps dans le geste puisqu’il est stupide. Comme Dominique. En revanche, je prends la trousse à pharmacie rouge et je la tends à Jean Grey en tâchant de contenir les légers tremblements.

« C’est elle qui vous examinera, reprends-je avec autant de douceur que j’y parviens. Je sais que vous ne souhaitez plus rester mais prenez au moins le temps de cela, s’il vous plait. Je tâcherai de vous rapporter votre repas avant votre disparition. »

Une fois la commande prise, je m’en retournerai pour les laisser à leurs affaires. Je marcherai en suivant le couloir afin de m’éclaircir les idées avant d’entreprendre l’inévitable téléportation jusqu’à un commerce du quartier… en espérant que la discussion accompagnant l’examen permette de tempérer Jean Grey bis le temps que je revienne. Voire encore au-delà.