[Terminé] La compréhension du cœur

Blessé, affaibli, déboussolé, le Phoenix s’immole d’une rage qui ne consomme que lui ; les mots de la misère mentale s’entrechoquent dans le chaos de son corps qui tend vers l’épuisement, mais qui refuse de plier. Pas encore. Pas aussi vite. Le combat acharné qui vient d’avoir lieu anime encore son coeur d’une haine furieuse, d’une violence viscérale qui trouve sa source dans les rivières opaques de son enfance mis sous scellés, et qui s’écoule à présent jusque dans ses yeux écarquillés, révulsés par une puissance dévastatrice dont il est la seule cible. La Sorcière Sombre vient de disparaître, elle s’est envolée, elle a fui, elle est partie ; lui, est encore là. Il retombe misérablement sur le sol sitôt qu’elle quitte son champ de vision, aveu de faiblesse venu rompre la dureté de sa carapace fêlé, car ses genoux se croisent brièvement avant de cogner contre la terre molle, humidifiée par les pluies et les ricochets de la mer en contre-bas, puis le reste de son corps suit le mouvement de repli, comme le pantin de tristesse qu’il est, la marionnette de ses tourments, la corde vient de céder, il a un hoquet de nervosité avant de se mettre à hurler pour tenter d’expier le désordre mal assemblé de ses émotions. À genoux, talons contre fesses, coudes repliés contre son buste, il lève sa gorge vers le ciel et pousse un cri déchirant à travers le vent, un cri si terrible, si perforant, si douloureux, que même les oiseaux quittent leur nid douillet pour s’envoler plus loin, surpris par la déflagration du corps meurtri : le coeur, lui, n’est pas en meilleur état, la voix non plus d’ailleurs. « POURQUOI TU FAIS ÇA » Personne ne sait à qui il parle, personne ne sait qui parle, mais le timbre suppliant qui quémande une réponse n’en obtient aucune. Qu’importe. Il a l’habitude du silence.
Il n’a pas la force de se relever, ses jambes engourdies, épuisées, ravagées, refusent de lui obéir ; les poings repliés par la frustration et la colère, il frappe le sol à plusieurs reprises en serrant les mâchoires tout en continuant de pleurer sans pouvoir s’arrêter, bafouant la terre humide qui se soulève en poussières brunes sous ses gestes répétés. Il reçoit des particules argileuses sur ses vêtements déjà souillés par le sang et grogne, comme un animal blessé, comme un animal traqué, face à ce défouloir qui n’en est pas vraiment un, devenu un être désorchestré, aliéné et alimenté par la folie d’une rancoeur qui commence, insidieusement, à le(s) détruire de l’intérieur. Avec urgence, il remonte ses mains  tremblantes et sales sur son visage brûlant et moite, fermant les yeux et déposant ses index contre ses tempes pour entreprendre de rétablir un semblant de calme dans son esprit, en vain : bercé par les vagues venues battre la falaise rongée par le sel, il est un instant tenté de s’y jeter, de se laisser mourir, de franchir la barrière invisible du vide pour se faire aspirer par les vagues, pour se dissoudre parmi l’écume, pour cesser d’exister. Le chagrin est immense, proportionnel à la colère éprouvée, semblable aux tristesses contenues et rendues indemnes pendant longtemps mais qui finissent toujours par exploser, des tristesses cristallisées par une force rongée, attaquées par une fragilité portée à bout de bras, qui assèchent, qui durcissent, qui glacent. Que reste-t-il du coeur ? Que deviennent les enfants privés d’amour ? Que deviennent les oiseaux mis en cage ? En cet instant, seul au milieu de l’herbe haute, plusieurs entailles et blessures recouvrant sa peau, le Phoenix pivote sur lui-même pour se tourner face à l’horizon, l’une de ses mains posée dans l’herbe humide. Il hoquette faiblement, renifle lentement, se calme, s’apaise, se console. Tout ira bien, se dit-il tout bas. Tout ira bien.

Seuls les plus grands sorciers et les plus grands télépathes du monde auraient pu être informés de ce qui se passait sur les falaises au sud de Block Island, s’ils étaient à l’affût du moindre détail.

Je ne l’étais pas.

J’ai autre chose à faire, m’occupant tour à tour de menaces habituelles, notamment la dimension infernale depuis que le Darkhold a été dérobé à mon confrère, mais surtout de nouvelles menaces, réinsérable dans le cas de Fenris ou planétaire dans le cas des Célestes. Je ne considère pas Wanda Maximoff comme une menace, que cela soit par ses pouvoirs propres ou par son vol du Livre des Péchés, car je l’estime suffisamment intelligente pour ne pas provoquer de catastrophes ; qu’importe que cela soit par bonté d’âme ou pour ne pas précipiter sa chute, par mon intervention notamment. Bien que le SHIELD lui coure après, elle relève de la garde des Maîtres des Arts Mystiques et beaucoup parmi eux sont ceux qui aimeraient intervenir. Qu’ils s’amusent à le faire sans moi et le résultat sera probablement le même qu’à Hong Kong. S’ils ne comprennent pas ce que je fais, mes collègues comprennent que j’ai un plan. De part ses liens avec les deux factions, Wanda Maximoff peut amener un rapprochement des Avengers et des X-Men qui me sera utile par la suite ainsi demande de surveiller plus ceux-ci que celle-ci. La dernière confrontation entre l’Institut et la Sorcière Sombre semble remonter à plusieurs jours et a valu le départ d’une des membres de celui-ci ; celle-là même que je soupçonne d’avoir déchiré la trame de l’espace-temps avec ses pouvoirs en 1983 et d’être conséquemment responsable de l’arrivée des X-Men à notre époque. Lorsque leur apparition a été localisée en 2018, je suis allé à leur rencontre et ai pu discuter avec Charles Xavier. L’homme a un potentiel psychique de destruction massive mais est quelqu’un qui me semble digne de confiance. Cela fait de lui la seconde plus grosse menace potentielle chez les X-Men.

La première vient d’affoler les observateurs de mon ordre, dont ceux du Sanctuaire de New York ont ouvert un portail étincelant pour prendre contact avec moi. D’un geste de la main, je referme le livre à la recherche d’informations sur les Célestes et, du suivant, je le renvoi dans les rayonnages de Kamar-Taj. J’avais espéré voir Wong en arrivant ici, même si je venais ici pour le savoir, mais je n’ai rien trouvé ; ni ami, ni connaissance. Après un signe de tête à l’observateur, son portail disparait et je m’empare de mon Anneau de Téléportation pour me rendre jusqu’à la protégée de Charles Xavier. Jean Grey, si ma mémoire est bonne. Elle l’est.

Des champs. Des forêts. Des falaises. La mer. Je n’ai aucune idée d’où mon portail étincelant me conduit mais je le franchis sans crainte. Ma botte lacée et sanglée, du même bleu royal que le pantalon qu’elle couvre et que la veste traditionnelle sans manche qui le couvre, foule le sol sur lequel est agenouillée la silhouette de la mutante rousse, contrastant ainsi avec mon habit comme les verts et les bleus de l’environnement. La tunique en denim sombre voit ses avant-bras et ses poignets sanglés également tandis que sept ceintures maintiennent l’habit traditionnel de Sorcier Suprême contre elles. Contrastant avec le tout à l’instar de la chevelure suscitée, la cape rouge de laine japonaise superposée avec des bords brodés et une doublure intérieure à carreaux imprimés, décorée de deux fermoirs en or avec incrustation de rubis, franchi en dernier le portail avant de s’amuser avec le vent. Au-dessous des deux fermoirs mais partageant leur aspect, l’Œil d’Agamotto repose contre mon torse et est soulevé par l’inspiration que je prends à la vue de la scène.

La peau de rousse est très pâle, presque livide ; sans doute plus que d’ordinaire même si je ne connais pas ledit ordinaire. Cela étant, je ne pense pas que ni les craquelures épidermes due à une énergie psychique et psionique ardente ni les entailles appartiennent audit ordinaire. Tout comme le sang et la boue qui rendent les vêtements difficilement reconnaissables mais collent parfaitement avec l’état de la jeune femme. Une main souillée tient le sol pour que le reste du corps ne s’y affale pas et les émotions qui ont déclenché sa détection semblent diminuer face à un effort de volonté.

Après un instant à regarder la scène, plus inquiet sur ce qui s’est passé que pour celle qui semble capable de se gérer toute seule mais légèrement inquiet pour elle tout de même, je me retourne vers la bibliothèque de Kamar-Taj et les Maîtres des Arts Mystiques qui partageaient mon étude. Manger et boire n’est pas interdit, j’y ramène souvent des pommes de mon côté, et j’observe mes pairs à la recherche d’un qui aurait eu la bonne idée d’avoir similaire mauvaise habitude. Une tasse de thé disparait ainsi de la table sur laquelle elle est posée, réapparaissant au-dessus de ma main couturée de cicatrices alors que je laisse le portail se refermer pour interrompre toute réclamation quant à ma réquisition. Le breuvage est encore chaud et plein, sans doute maintenu par un tour d’intrication similaire à celui fait avec le présent que j’ai fait à Thor ; lequel n’est ni plus ni moins que la téléportation d’objets faite à l’instant, avec le liquide exclusivement.

Une fois retourné vers Jean Grey, je tends la main vers elle sans m’approcher. Seule la tasse le fait, lévitant avec une auréole brumeuse de lumière. Au centre de mon visage aux pommettes pointues, dont l’expression tâche d’être douce, mes yeux hétérochromes mélangeant bleus et verts à l’instar de notre environnement fixent la personne en détresse à qui le présent est fait et la main est tendue.

Le bruissement des vagues, dont l’écho était porté par le vent salé jusque sur les hauteurs de la falaise devenue champ de bataille, camouflèrent tout d’abord l’arrivée silencieuse du Sorcier qui, s’extirpant de son portail ayant la forme d’un cercle doré, était resté silencieux, témoin invisible d’un combat achevé dans la souffrance. Sans nul doute, analysait-il la situation passée et présente quand le Phoenix était encore trop déboussolé pour remarquer la sienne, de présence ; assis au sol sur les vestiges de ce duel ruineux, une main plus ou moins appuyée dans l’herbe humide pour le maintenir droit, il contemplait la mer en séchant ses larmes, en armant ses peines, en consolidant la forteresse de sa solitude. Il y avait la douleur physique, bien réelle et visible par les blessures et entailles recouvrant sa peau, mais perdurait aussi une souffrance moins palpable, plus insidieuse, installée depuis des années, qui refusait de partir ; il avait cru trouver une alliée, il avait cru trouver une amie. La Sorcière Sombre aurait dû être les deux. Frustré, déçu, affligé et attristé de la tournure des événements, tournure qu’il avait lui-même décidé par ailleurs, il faisait à présent face à une grande désillusion. Personne ne pourrait jamais le comprendre.
C’était un sentiment particulièrement difficile, misérablement commun pourtant, que celui d’être seul au monde et de le savoir, sans moyen d’y remédier pourtant. Personne ne le comprenait et personne ne cherchait à le comprendre ; à ses yeux, la seule personne qui aurait été capable d’un tel élan venait de le combattre. En somme, l’espoir de briser la solitude venait d’être réduit en miettes. Mais alors qu’il se formulait cette conclusion ô combien morne, quelque chose, dans son dos, attira son attention ; les sourcils froncés par la méfiance, le Phoenix s’était rapidement retourné vers le Sorcier en se remettant droit sur ses jambes encore quelque peu tremblantes, les mains tendues en avant pour maintenir son équilibre. Strange. Le Phoenix connaissait son nom grâce aux souvenirs de Jean, mais ne comprenait pas ce qu’il venait faire ici ; puis, en acceptant de le quitter des yeux quelques secondes, son regard toujours doré avait lentement dévié sur la tasse de thé lévitant dans les airs et venant tout juste de l’atteindre, attendant qu’elle s’en saisisse. Qu’est-ce que…? Les sourcils toujours froncés, les lèvres légèrement espacées par la perplexité, rougies par une blessure au coin de celles-ci, la rousse avait regardé Strange quelques secondes avant de finalement prendre la tasse de thé qu’il venait de lui offrir, sans encore la boire. Premièrement, parce qu’elle ne lui faisait pas assez confiance pour ça et, deuxièmement, parce qu’elle savait que si elle essayait de boire, elle aurait mal à la mâchoire. La Sorcière Sombre ne l’avait pas ratée… Elles s’étaient sacrément amochées toutes deux.
Déglutissant avec une difficulté certaine, car le Phoenix était accablé d’une fatigue à la fois physique et psychologique qui ne lui permettait guère de s’échapper pour l’instant, il avait baissé les yeux quelques secondes, observant les volutes parfumées qui s’échappaient de la tasse chaude, avant de redresser son menton pâle mais sali vers le Sorcier, lui parlant d’une voix blanche et éteinte.
« Qu’est-ce que vous voulez ? »
Il s’en doutait, ce n’était pas une rencontre hasardeuse ni une visite de courtoisie mais, une chose était certaine : il ne se laisserait pas emprisonner une seconde fois.

La réaction à mon apparition est aussi défensive qu’on peut s’y attendre pour une personne encore sous le choc d’un combat. Se redresser pour faire face, même si ce n’est pas le plus indiqué. Je ne suis pas son docteur et celui avec lequel Jean Grey vit a un doctorat de plus que moi ; cela ne me touche pas réellement l’égo, celui-ci me persuadant que j’ai eu les deux miens plus jeune que Charles Xavier. Nonobstant cette considération, je maintiens ma position ainsi que la lévitation de la tasse le temps que la jeune femme lui accorde de l’attention. Si j’effraie, le thé surprend. J’attends. J’attends que l’adrénaline redescende et que l’intelligence de mademoiselle Grey fasse les connexions entre les éléments de la situation pour comprendre celle-ci et agir en accord. Elle finit par comprendre et accepter. Bien. J’ai un instant d’hésitation à maintenir un soutien lumineux à la soutasse et aux mains qui la tiennent, considérant les tremblements des jambes, mais je préfère rabaisser ma propre main et ne pas faire montre de trop de pouvoirs, considérant l’état de tension de la jeune femme.

Je reste donc là, l’observant alors que le présent fini par faire son effet à défaut d’encore faire son office. Montrer que je viens en paix est une chose, je n’avais pas besoin d’un tribut pour cela, cependant soutenir mademoiselle Grey par la chaleur et l’arome se fait plus facilement avec un thé. Lorsqu’elle a terminé sa contemplation, la jeune femme parle d’une voix morne. Une question. Evidente.

« Une démonstration de votre puissance m’a alerté. Je suis venu comprendre ce qu’il se passait. »

Dans un premier temps. Si je fais confiance à Charles Xavier pour gérer les menaces potentielles au sein de ses X-Men, c’est là plus une façon de parler qu’un réel gage de mon abstention. Evidemment, si la mutante est capable de créer des brèches dans l’espace-temps, je risque d’avoir du mal à l’enfermer quelque part mais un seul geste de la main me permettra d’essayer. Cependant, ce qui m’interroge avant de savoir si elle est une menace ou non est de connaitre la situation. D’après son état, elle s’est battue. D’après sa tenue, ce n’était pas dans le cadre des X-Men. D’après ses blessures, cela a été serré. Reste à déterminer l’implication de l’adversaire et du lieu dans tout cela. Peut-être est-ce ici qu’elle s’est réfugiée depuis son départ, même si j’ignore la capacité qu’aurait Charles Xavier à la localiser psychiquement. Peut-être est-ce justement une équipe d’X-Men qu’elle a affronté mais rien n’est moins sûr : ils n’auraient eu aucun intérêt à dissimuler leur affrontement. Sans compter qu’il y aurait plus de traces. Considérant l’absence de corps et de marque de combat étendue, la falaise voire l’île étant toujours debout, je pense que le combat était majoritairement aérien ou d’attaques psychiques et psioniques ascendantes.

« Cela étant, considérant votre état, peut-être devrais-je attendre que vous soyez reposée. Souhaitez-vous un portail vers l’Institut ? »

J’ai toujours l’Anneau de Téléportation sur mes doigts et suis prêt à renvoyer mademoiselle Grey chez elle tout en m’attendant à ce que ce ne soit justement plus chez elle. C’est un teste comme une feinte.

« Si non, je peux vous offrir le gite et le couvert également. »

Calme et poli, je continue d’observer la mutante iridescente en me tenant droit et les mains le long du corps. Je n’ai pas peur d’elle, même si je sais qu’elle représente un danger. Néanmoins, l’expédier dans la Dimension Miroir si elle cherche à m’atteindre ne devrait pas être trop compliqué, à moins qu’elle ne soit capable de transformer un portail dimensionnel en singularité à l’instar de Thanos. C’est bien une chose qui m’intéresse également, déterminer son niveau de dangerosité, mais c’est là l’objectif final et non une étape intermédiaire. L’aider à aller mieux, que cela passe par la renvoyer chez elle ou l’accueillir chez moi, arrivera avant je l’espère.

Quoique l’illustre puissance se dégageant du Phoenix eût alerté le Maître des Arts Mystiques, la pâle figure qui lui faisait face en cet instant devait quelque peu contredire cette force démontrée : tenant miraculeusement debout, ses jambes blessées à certains endroits affichant nettement des tremblements de nervosité mêlés de fatigue, elle avait enroulé l’un de ses bras maigres autour de son ventre creux tout en déglutissant avec difficulté, sans trop le quitter des yeux, en dépit du fait que ces derniers peinaient à soutenir son regard perçant. Stephen Strange ne lui semblait point hostile mais… Sait-on jamais, se murmurait le Phoenix encore lucide malgré ses pensées agitées. Charles non plus, à l’époque, ne lui avait pas semblé hostile ; la petite fille, cachée derrière les présentes flammes dévastatrices de la colère, lui avait fait confiance à l’époque, d’une manière entière et aveugle. Voyez où cette confiance pleine l’a conduite aujourd’hui : sur le chemin de la désolation, de la souffrance et de la haine.
« Il ne s’est rien passé. »
Souffla-t-elle avec lassitude, dans une phrase qui ne signait nullement une quelconque volonté de lui mentir car elle devinait fort bien que tenter de se soustraire à la vérité face à lui était une quête illusoire, mais elle annonçait plutôt qu’elle n’avait guère envie de s’épancher sur le sujet. Pas maintenant, en tout cas.
ㅤUn soupir s’extirpant de ses lèvres, le Phoenix avait finalement baissé les yeux en tendant sa main libre vers le sol — l’autre tenant encore la tasse de thé délicatement parfumée, afin d’accompagner sa descente lorsqu’elle entreprit de s’asseoir de nouveau sur le sol, songeant que ses jambes n’allaient pas tarder à la trahir. Croisant ses genoux et serrant ses jambes l’une contre l’autre sur le côté de son corps, la rouquine avait apporté la tasse à ses lèvres tuméfiées pour en aspirer une fine gorgée, le liquide chaud coulant dans sa gorge en diluant un sentiment réconfortant… Qui s’était rapidement évanoui sous les mots du Sorcier.
« Cela étant, considérant votre état, peut-être devrais-je attendre que vous soyez reposée. Souhaitez-vous un portail vers l’Institut ? »
Qu’est-ce qu’il vient de dire….? Ainsi donc, il est là pour ça… Un tressaillement paniqué parcourut sa nuque et ses bras, si bien que la tasse de thé avait subi un tremblement suffisamment significatif pour se renverser déversa son liquide brûlant sur son poignet sans qu’elle ne semble, de prime, réagir, lui faisant seulement braquer ses yeux azurés sur le visage de Strange. Les cils immobiles, le corps tendu mais secoué de discrets spasmes nerveux, elle avait pressé ses lèvres l’une contre l’autre tout en commençant à déclamer, mauvaise :
« Si telle est la raison de votre venue, vous pouvez d’ores et déjà aller vous…
— Si non, je peux vous offrir le gite et le couvert également. »
Oh. Heureusement qu’elle n’avait pas achevé sa phrase. Après la colère, ce fut la surprise qui entreprit de recouvrir sa figure, ses sourcils froncés et sa bouche entrouverte déclamant alors un réel étonnement, quoique teinté d’une méfiance bien légitime : personne ne lui avait jamais offert quoique ce soit, ni même ne lui avait tendu la main.
« Pourquoi feriez-vous ça ? On ne se connaît pas… »
Elle redoutait le piège qu’il était possiblement en train de lui tendre, exécrait la possibilité qu’il ait pitié d’elle, et espérait secrètement qu’il veuille simplement l’aider en considérant sa souffrance et sa colère comme légitimes. Elle voulait l’entendre, elle avait besoin que quelqu’un reconnaisse que Charles Xavier avait fait une erreur, qu’il était coupable, qu’elle n’avait rien fait pour mériter toutes ces années de souffrance et de solitude et qu’elle n’aurait jamais du subir ce châtiment injuste. Les victimes, de quelconques agressions que ce soit, se fichent souvent de la peine encourue par les criminels : ce qu’elles veulent, c’est qu’on rende légitime le fait qu’elles sont des victimes.
ㅤLe Phoenix, qui se remettait lentement debout en tenant sa tasse à deux mains, avait reniflé en posant un regard sur Strange, un regard qui attendait expressément une réponse.

"Il ne s’est rien passé", essaie-t-elle de mentir sans se convaincre elle-même de tromper qui que ce soit. C’est plus destiné à signifier qu’elle ne veut pas en parler ainsi n’en prends-je pas ombrage. Cela m’évite également de partager mes suppositions.

Après un soupir et avec précaution, Jean Grey tâche de s’installer à nouveau parterre. L’effort de se maintenir debout lui coûte beaucoup plus que d’habitude, chose qui est étrange dans une situation où il ne s’est rien passé. Immobile, je la laisse faire et me contente d’apprendre de ce qu’elle ne veut pas me dire. Elle a besoin de se rassurer, d’où la position recroquevillée, et le thé y contribue comme prévu jusqu’à ce que je feinte comme prévu également. J’aurai pu attendre qu’elle se détende un peu plus pour parler, c’est un fait, mais quitte à perturber sa détente autant le faire rapidement qu’elle puisse la reprendre.

De plus, la réaction à l’évocation de l’Institution est des plus signifiantes. Frisson. Peur. Le reversement d’un thé brulant sur un être ne réagissant pas à la douleur. Mes yeux sont aussi mobiles que vifs, apprenant ce qu’il y a à apprendre de cette scène. Depuis l’intervention de Wanda Maximoff, cause du départ de mon interlocutrice, Jean Grey semble craindre l’Institut. Surprenant. J’ignore quel est le linge sale des X-Men ou leurs divergences internes, tant que cela ne crée pas de danger mondial je m’en moque pas mal ; cela ne me concerne pas. Néanmoins, étant intelligent, j’avais anticipé la possibilité et n’ai donc pas à accepter l’invitation impolie de mademoiselle Grey et je me permets même de l’interrompre avant qu’elle n’implique ma prostate.

Après la peur, c’est la surprise. J’ignore quelle est la vitesse de son esprit d’ordinaire mais la fatigue du rien-passé l’amène à être lente, en puis d’agressive. Néanmoins, je fais l’effort d’aller à son rythme plutôt qu’au mien, quoi que je puisse varier la vitesse comme à l’instant, tant par intérêts multiples que par diplomatie.

« Pourquoi feriez-vous ça ? On ne se connaît pas…

- J’envisage que vous soyez une menace pour la Terre, dis-je simplement en la fixant dans les yeux avec la franchise et la tranquillité qui contraste avec son refus de parler et son agressivité. Néanmoins, rien ne m’empêche d’évaluer cela tout en vous offrant de quoi vous reposer et, somme toute, des raisons de ne pas en être une. »

Les pouvoirs comme les savoirs et les ambitions peuvent créer des menaces, c’est inévitable. Cependant, si on ne s’occupe que des pouvoirs et des savoirs, qu’on ne peut généralement retirer, on oublie qu’il suffirait d’une ambition bienfaisante pour qu’une menace potentielle ne devient jamais un danger. Je pense que c’est ainsi que raisonne Charles Xavier et c’est ainsi que je tiens à raisonner. Si on ne donne pas sa chance à quelqu’un, on est partiellement responsable de sa chute. Celle de Jean Grey pourrait avoir commencé ainsi est-il important de lui donner une seconde chance avant qu’il ne soit trop tard. De ne pas l’enfermer dans sa peur et son agressivité.

« C’est votre choix, même s’il peut sembler biaisé considérant votre état. »

C’est visible qu’elle ne soit pas en meilleure condition pour m’affronter cependant un affrontement ne m’intéresse pas. Néanmoins, elle pourrait raisonner ainsi.

« Si vous préférez rester seule ici, je vous laisserai et me contenterai de vous observer à distance. Cependant, un bain, des antiseptiques et un repas devraient vous faire encore plus de bien que le seul thé. »

Sous réserve qu’elle ne se blesse pas à nouveau mais son absence de réaction à la douleur de la brulure me renvoie à l’ignorance de ses autres blessures, comme si elle ne réagissait pas aux messages de son corps lui envoie au-delà des difficultés que cela lui donne à contrôler celui-ci. Indices de ce qui se passe réellement, bien que j’ignore quoi exactement. Le fait qu’elle soit contrôlé est une possibilité.

"Jean Grey" me fait face et je lui fais face également. Nous sommes diamétralement opposés, depuis le physique jusqu’au comportement en passant par nos rôles et nos expériences. Outre que cette différence m’indiffère, les contraires ont des similarités : la symbolique du Ying et du Yang. Je pense que la bienfaisance en fait partie.

Je laisse le choix, même si je le démultiplie encore : du gite et du couvert, je passe au seul couvert. Partir de l’Institut implique peut-être l’absence d’envie d’avoir un toit au-dessus de la tête, même temporaire, ainsi restera-t-on là où Jean Grey pose la barrière. Comme avec le rien-passé, je saurais mener mon enquête autrement qu’avec bienveillance mais j’offrirais celle-ci aussi loin qu’elle sera acceptée.

D’ailleurs, je remarque que ce genre de proposition, l’accueil au Sanctuaire, se fait principalement à des jeunes femmes rousses. Je sens venir les commentaires et ils ne viseront pas ma prostate…

À l’évocation de l’Institut, la peur et la colère se mêlèrent pour glacer ses veines par l’effusion d’une rancoeur amère ; si elle était restée immobile malgré le tourbillon mauvais qui avait contracté son estomac, la tasse de thé généreusement offerte n’avait pas survécu à la tempête silencieuse qui avait secoué ses mains de quelques tremblements. N’ayant guère la force de se relever pour lui faire face ou même pour tenter de s’enfuir, car elle sentait que ses dernières forces étaient mobilisées pour la maintenir éveillée, Jean s’était contentée de l’observer, les sourcils froncés, méfiante et agressive comme un animal sauvage ayant été trop longtemps tenu loin de toute civilisation. Mais le Sorcier avait tenté de l’apprivoiser en lui offrant une autre porte de sortie, se proposant de l’accueillir pour la nuit et la faisant taire par la même occasion alors qu’elle était sur le point de formuler une invitation qu’il n’aurait guère appréciée. Ravalant, donc, ses paroles perfides, elle avait plissé ses paupières tout en fronçant ses sourcils, non pas d’un air mécontent mais gardant plutôt sa méfiance pour se protéger car, la dernière fois qu’elle avait fait confiance à quelqu’un, le Phoenix avait été emprisonné durant neuf longues années, dans la douleur, le chagrin et la culpabilité.
ㅤㅤSi elle l’avait d’abord questionné frontalement sur les raisons le poussant à lui tendre la main d’une façon aussi généreuse (en apparence, le supposait-elle), le Phoenix ne pouvait s’empêcher de se demander comment le Sorcier avait su pour l’Institut. Peut-être la fatigue ne lui permettait pas d’avoir ses pleines capacités mais, elle ne parvenait pas à se souvenir de cet homme longeant les murs du Manoir…
« J’envisage que vous soyez une menace pour la Terre, »
Si ses côtes n’avaient pas été aussi douloureuses, le Phoenix aurait sans doute ri de cette annonce, mais ce fut finalement un sourire désabusé qui avait élargi ses lèvres éraflées, tandis qu’il détournait le regard pour tenter de rassembler ses dernières pensées. Il n’avait pas l’avantage et il le savait, alors il lui fallait à tout prix éviter un affrontement, même s’il était évident qu’il ne se laisserait pas ramener au Manoir sans lutter.
« Néanmoins, rien ne m’empêche d’évaluer cela tout en vous offrant de quoi vous reposer et, somme toute, des raisons de ne pas en être une. »
Etre une menace pour la Terre, voilà une bien curieuse supposition à son sujet, lui qui avait été maintenu prisonnier dans son propre esprit. Néanmoins, l’épuisement et la méfiance n’avaient pas totalement obscurci son jugement, et le Phoenix était conscient qu’il n’avait nul endroit où aller. Après un court moment de silence, durant lequel le Phoenix avait resserré son étreinte autour de son propre corps comme pour contenir les morceaux brisés de son être, elle avait murmuré :
« Je ne veux pas être de nouveau emprisonné. »
Il y avait dans sa voix, l’écho d’une douleur passée qui ne s’était pas encore éteinte, et qui demeurait, au fond de son esprit, comme une peur qui ne cessait de le tourmenter. Mais puisqu’il semblait bienveillant à son égard (Charles aussi et pourtant…) et que le Phoenix n’avait pas d’autres possibilités pour l’instant, bien trop vulnérable et blessé après son combat avec Dark Wanda, il s’était redressé sur ses fines jambes tremblantes, faisant l’effort de faire un pas vers le Sorcier malgré sa démarche rendue douloureuse et pénible, qui témoignait néanmoins du fait qu’il n’avait pas totalement perdu confiance envers autrui, malgré ce qu’il aimait penser.
« J’accepte votre offre… »
En espérant ne pas avoir à le regretter…

Je comprends la méfiance dont fait preuve "Jean Grey". Je la partage, même si je ne la montre pas. La possibilité qu’un super-héros soit contrôlé par des forces extérieures est plus grande que la moyenne tandis que la possibilité que l’X-Woman la plus puissante de toute le soit est problématique à la mesure. Qu’importe la volonté qui anime ce corps en ignorant ses douleurs autant qu’elle y arrive, elle tâchera d’être le moins menaçant possible tant que je ne la pousse pas à l’être. Cela serait contreproductif pour elle. De plus, si l’on doit réellement en venir à un exorcisme, je préfère être sur mon terrain. Détail important s’il en est, je n’ai pas encore suffisamment d’informations pour agir de façon constructive. En conclusion, autant être diplomate. Bienveillant.

Franc, aussi. Cela fait parti de la bienveillance à défaut de le faire de la diplomatie.

"Jean Grey" est blasée de sa condition de menace et sourit avec sarcasme. Plus important encore, elle détourne le regard. Prendre le temps de réfléchir. Peut-être de s’attrister. Visiblement de s’accrocher à elle-même, physiquement et mentalement. Puis elle laisse échapper l’information la plus importante depuis mon arrivée. Douleur. Peur. Murmure d’un miroir brisé, malheureux et portant malheur. Cela ne m’est pas adressé, à moins qu’il s’agisse d’une manipulation, mais cela me laisse envisager que la Sorcière Sombre ait libéré quelque chose dans le manoir ; quelque chose ayant trouvé refuge dans Jean Grey. Peut-être est-ce pour cela qu’il n’y a pas de cadavres : Jean Grey et le quelque chose se sont affronter l’un l’autre. Néanmoins, reste à élucider la partie "dissimulation". Le quelque chose en est-il responsable ? C’est possible. La dissimulation devait être présente avant le combat et celui-ci l’a détruite. Considérant l’accès de Maximoff au Darkhold, il est fort possible qu’une âme échappée de la Dimension Infernale soit un moyen simple de transformer les ennemis en alliés ; une possession. Je n’aime doublement pas cette possibilité, puisque j’aurais sous-estimé le mal qu’est prête à faire Maximoff en plus du malsain qu’elle implique ; lequel est néanmoins parfaitement raccord avec le Livre des Péchés.

L’emprisonnée se redresse en un effort qui pousse le corps à bout mais, une fois encore, elle ne l’écoute pas. Un pas. Vers moi. Vers la douleur. Vers le repos.

« J’accepte votre offre…

- Bien, réponds-je en acquiesçant, satisfait. Je vais à présent ouvrir un portail, ne vous inquiétez pas de mes gestes. »

Dit ainsi, elle risque encore plus de s’en inquiéter mais au moins sait-elle ce que je m’apprête à faire. Néanmoins, je m’abstiens de faire des gestes brusques. Le bras gauche en avant se lève doucement en supportant l’Anneau de Téléportation tandis que le bras droit replié reste en retrait. Le second commence à tourner alors que devant le premier s’allument des étincelles en un cercle toujours plus grand. Celui-ci dévoile le grand escalier de bois du hall aux yeux de l’emprisonnée et, conséquemment, le petit vestibule et la double-porte d’entrée me concernant. J’avance ensuite ma main secondaire et le cercle étincelant en fait de même jusqu’à franchir la forme affaiblie, l’emmenant directement sur les mosaïques abîmées du Sanctuaire. M’écartant de l’axe ainsi créé et m’avançant, je tends la main et libère de la lumière jusqu’à la tasse et la sous-tasse abandonnées pour les récupérer. Cela fait, je franchis à mon tour le portail pour me retrouver à nouveau face au corps de Jean Grey.

Laissant le portail étincelant se refermer derrière moi, je fais disparaitre la tasse et sa sous-tasse de ma main afin qu’elles réapparaissent dans l’évier de la cuisine, dont je me souviens parfaitement. L’absence de bruit de vaisselle cassée m’apprend avec satisfaction que rien ne s’y trouvait déjà pour y connaitre un déséquilibre momentané. A défaut d’avoir à réparer la vaisselle plus tard, je tourne mon regard vers le plancher en demandant mentalement au sanctuaire de remettre les pièces poncées de celui-ci en place. Chose faite dans l’instant.

Ramenant mes bras le long de mon corps, je pose à nouveau le regard sur les invitées. Mes sourcils se froncent d’interrogation.

« Avez-vous quoi que ce soit contre le déplacement instantané ? »

Avec Thor, je n’avais pas envie de poser la question car je m’en moquais. Ici, cela a un peu plus d’importance. Une aide précise pour un corps peinant à se déplacer, oui, mais il faut encore une fois tâcher d’être diplomate, d’aller à son rythme et de ne pas l’affoler.

« Le Sanctum a quelques tours de magie qui pourraient vous être utiles. »

Double sens, voire triple puisqu’il y a le sens littéral et un sous-entendu pour le quelque chose comme un autre pour Jean Grey, sait-on jamais qu’elle soit consciente et qu’elle ait besoin d’avoir un espoir sur le fait que je sois plus conscient des choses que je ne semble l’être. Après, le quelque chose peut peut-être le voir ainsi également, malgré son esprit malmené. Si tel est le cas… et bien, nous sommes chez moi.

« Préférez-vous commencer par le repas ou la toilette, demande-je avec nonchalance afin de favoriser les deux sens les plus évidents de ma phrase précédente. Au risque de me mêler de ce qui ne me regarde pas, la seconde est probablement la meilleure. »

Et pas que parce qu’elle me donnera le temps de commander un repas auprès de Dominique puis de faire des recherches sur un éventuel sort d’analyse astrale afin de confirmer ou d’infirmer la possession.

« Sauf si vous acceptez de me communiquer vos tailles de vêtements, je crains fort que je ne pourrais vous fournir qu’une tunique de novice. »

Qui ne se trouve pas sur place mais qui me permettra de ramener une tasse et une sous-tasse à Kamar-Taj. Sans thé, il ne faut pas exagérer non-plus. Après, l’information sur la connaissance d’une trivialité concernant le corps est une information intéressante également : j’espère un télépathe capable de défendre sa mémoire même sous contrôle d’autrui, même si je ne puis en être sûr. Par politesse, cependant, je me contenterai d’un portail à Charles Xavier, depuis Kamar-Taj, afin de lui poser quelques questions tout en lui demandant de me laisser faire. Voilà qui m’introduira dans le conflit avec la Sorcière Sombre en tant qu’allié des X-Men, sachant que je sais déjà comment je vais approcher les Avengers. Quand j’aurai le temps.

Pensant vite mais agissant peu, j’attends le retour de "Jean Grey" afin d’aller dans son sens. Qu’importe l’ordre des étapes, je suis capable de toutes les faire d’ici ce soir.

Ayant fait quelques pas pour réduire la distance entre leurs deux corps comme un premier signe d’apaisement et de bonne volonté de sa part, se maintenant néanmoins afin d’ajuster une potentielle défense en cas d’attaque, le Phoenix avait légèrement froncé ses sourcils en entendant les dires de l’homme à la tenue vestimentaire plutôt étrange. Elle avait froncé les sourcils en retroussant son petit nez d’un air intéressé mais ostensiblement ignare, sans contrariété aucune, donnant plutôt l’image d’une enfant dont la curiosité venait d’être piquée. Est-ce qu’elle avait déjà vu une telle chose ? Elle ne s’en souvenait pas. Ses bras entourant toujours sa cage thoracique rendue douloureuse, si bien que chaque respiration reprise était un soulèvement endolori, la rousse avait longuement observé les mouvements du Sorcier qui, de ses mains, ouvrit un portail rond dont les contours étaient comme des étincelles de soudure ; à l’intérieur du cercle se dessinait l’image d’un grand escalier en bois qu’elle ne connaissait pas, mais qui lui renvoyait comme une impression de cocon confortable et douillet. Ou peut-être était-ce qu’elle était épuisée, et que son cerveau malmené formulait des pensées chaleureuses qui la réconfortaient un peu. Toutefois réellement rassurée de ne pas reconnaître l’Institut dans cette vision, le Phoenix avait lancé un regard plus quiet en direction de Strange avant d’être happée par le fameux portail, se retrouvant alors dans un endroit qui lui était parfaitement inconnu, mais dans lequel elle se sentait étrangement apaisée. C’était calme, reposant…
ㅤㅤAyant machinalement tourné sur elle-même pour parcourir visuellement les lieux du regard, le Phoenix avait sursauté en se retrouvant de nouveau face au Sorcier, bien qu’elle avait fait de son mieux pour dissimuler cette réaction qui trahissait son manque de lucidité… Elle était tellement fatiguée qu’elle n’était même plus capable de réfléchir convenablement.
« Le déplacement instantané ? » Répète-t-elle en tirant machinalement sur les manches de sa veste, ses yeux s’égarant quelques secondes sur le sol avant qu’elle ne redresse son menton pour demander, hésitante : « De la téléportation, vous voulez dire ? Non, non… Je ne crois pas. Kurt vous donne l’habitude. »
Évidemment, il ignorait qui était Kurt mais il allait devoir se contenter de cette demi-information qui lui semblait pourtant évidente, car la jeune fille n’était point disposée à déverser plus de détails pour un sujet aussi futile, elle n’en avait pas l’énergie.
« Le Sanctum a quelques tours de magie qui pourraient vous être utiles.
— Utiles pour quoi ? »
N’étant pas sûre d’avoir pleinement compris sa phrase, le Phoenix avait planté un regard méfiant et impassible dans les iris du Sorcier, ne sachant pas si elle devait interpréter sa phrase comme une main tendue ou comme une menace. La peur solitaire, la colère étouffée et la fatigue pesante la rendait quelque peu paranoïaque, si bien qu’elle avait un instant regretté de l’avoir suivi jusqu’ici. S’il décidait de l’emprisonner lui aussi, elle ne pourrait rien faire pour l’empêcher. Elle était bien trop fatiguée et blessée pour lui résister. Alors, peu à peu, son regard avait changé et elle avait semblé lui souffler, comme une demande muette : ne me faites pas de mal. Parce que si vous me faîtes du mal, le meilleur en moi s’éteindra.
« Peu importe. »
Reniflant légèrement, le Phoenix avait détourné le menton sur le côté en laissant ses paupières battre de fatigue, juste avant qu’il ne reprenne la parole, abordant des sujets plus prosaïques.
« Préférez-vous commencer par le repas ou la toilette ? Au risque de me mêler de ce qui ne me regarde pas, la seconde est probablement la meilleure. »
Soudainement mal-à-l’aise suite à la deuxième phrase, les sourcils du Phoenix s’étaient contrits tandis qu’elle était restée quelques secondes interdite, avant d’hocher ses épaules sans grande conviction ; est-ce qu’il venait de dire qu’elle sentait mauvais ? Attendant qu’il détourne le regard quelques secondes, la rousse avait tourné son menton sur le côté pour renifler deux coups vers le pull taché de sang et de terre qu’elle portait depuis deux jours déjà, sans parvenir à une conclusion probante.
« Euh… La douche c’est… »
Par où ? Sa taille de vêtements. Ce détail était tellement loin de ses préoccupations qu’elle avait mis quelques secondes à retrouver l’information dans sa besace interne, finissant alors par souffler d’une voix basse :
« Je fais du 36, je crois. Les douches sont dans quelle direction ? »
Lançant un regard vers le plafond, elle s’était formulée l’idée que l’endroit était beaucoup plus grands que ne le suggérait les apparences, et elle n’avait que moyennement envie de se perdre dans les couloirs interminables, au risque de s’endormir au milieu de l’un d’eux.

Après la curiosité quant à mon portail de téléportation et la peur quant à la téléportation elle-même, "Jean Grey" semble poursuivre sa quête de tranquillité. Je suis, et reste, un élément perturbateur dans celle-ci mais ne m’y attarde pas. D’autres choses à faire et à penser.

Je partage certaines, nécessitant à la jeune femme de les répéter pour les comprendre alors même qu’elles lui déclenchent de la gêne et de l’inconfort. La réponse quant à la téléportation, en effet, me laisse comprendre l’accès à la mémoire ; qu’il soit naturel ou volé. Kurt, Wagner, il me semble que c’est l’un des X-Men ayant voyagé dans le temps avec Charles Xavier ; tout comme Jean Grey et les autres, j’ai mémorisé les noms suite à leur arrivée en 2018 et ma rencontre avec le Professeur. Téléporteur par déplacement instantané plutôt que portail, d’après les dires de "Jean Grey".

Lorsqu’il est question de découvrir en quoi le Sanctum peut être utile à une personne peinant à se déplacer, j’hésite à illustrer le principe du déplacement instantané immédiatement mais le regard méfiant qui m’est lancé me fait bien comprendre que ce n’est pas le moment. Je regarde "Jean Grey" de haut du fait de notre différence de taille comme du fait qu’elle ne soit pas au mieux de sa forme. Peur, principalement. Aller à son rythme. Attendre, donc.

« Peu importe. »

Jusqu’où va l’étendue de cette déclaration. J’en plisse les yeux un instant, interrogatif, mais passe à autre chose pour que les étapes soient claires. Où "Jean Grey" va aller ? A elle de le décider, même si je glisse mon avis. Voilà qui évitera de trop l’effrayer face à ce que le Sanctum peut faire. Voilà qui la surprend et la malaise, l’amenant surement à se ranger à ma suggestion par dépit ou indifférence. Cependant, elle ne répond rien et se contente de me regarder. Attendant une réponse, je la fixe également.

On reste ainsi plusieurs secondes.

Puis j’enchaine sur une autre question, tournée autrement afin d’avoir une réponse même si elle est plus indiscrète que précédemment. Ce qui, bien évidemment, me fait obtenir une réponse à la première. Ou, plus exactement, une demi-question. Je souris donc avant de désigner du nez l’escalier menant à l’étage. Lorsque mes yeux s’en reviennent à "Jean Grey", celle-ci est en train de se renifler le pull et cela me surprend et m’arracher un pouffement.

Histoire de changer le sujet, surement, elle me donne la seconde réponse, qui me surprend tout autant car il ne me semble pas que les vêtements dépassent le 20 et que je la verrais dans du 2, du 4 ou du 6 ; du S ou un petit M, pour utiliser les tailles internationales. Je veux dire, je suis en 12 et cela équivaut à du L… Inutile de s’attarder dessus, d’autant plus que la question sur les douches revient et est entière.

Alors que "Jean Grey" regarde le plafond, avec son demi-cercle de bois aux nombreux panneaux et aux quelques colonnes éclairés de la lumière des fenêtres de la façade ainsi que la fenêtre centrale du deuxième étage sous l’escalier, celui-ci change pour se rapprocher et devenir droit à défaut d’être totalement triangulaire. Autour de nous, la pièce est bien plus petite et sur son carrelage se trouvent une baignoire avec porte savon, une cheminée, un lavabo avec miroir et un sanitaire. L’éclairage est similaire au précédent, avec une fenêtre donnant sur la rue sans que celle-ci puisse voir au travers puisque nous nous trouvons désormais au second étage. Un lustre surplombe enfin le tout, actuellement éteint.

« Ici, réponds-je avec une simplicité satisfaite alors qu’un geste de main me permet d’amener l’une des serviettes blanches se trouvant dans la lingerie sur le couvercle abaissé des toilettes. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-le moi savoir avant que je ne m’en aille. »

Ma dernière suggestion s’accompagne de quelques pas en direction de la porte, située à l’opposé de la fenêtre et sur le mur mitoyen à la cheminée. D’une main couturée de cicatrices, je tourne la poignée pour montrer que c’est ouvert puis désigne le petit verrou qui se trouve au-dessus.

« S’il est fermé, le manoir ne permet pas de se téléporter ici. »

Petit détail utile à préciser pour qu’elle puisse se sentir en sécurité et qu’il a fallu instaurer lorsqu’il a été question de vivre ici à plus que Wong et moi. Lorsqu’on était deux, chacun avait sa salle de bain attribuée. C’est bien de pouvoir se déplacer sans passer par les portes, c’est moins bien quand les portes sont fermées pour une bonne raison.

Main sur le panneau de bois, prêt à m’en aller et le refermer derrière moi, j’attends l’éventuelle demande de "Jean Grey".