"Vous avez déjà l'adresse…" a écrit Charles Xavier dans son dernier mail. Les points de suspension travaillent Mindee, amusent Phoebe et inquiètent Céleste. La première se dit que, en effet, les sous-entendus sur les X-Men étaient peut-être déplacés. La seconde se dit que, en effet, les sous-entendus sur les X-Men étaient déplacés. La troisième se dit que, en effet, les sous-entendus sur les X-Men ont dû nous mettre dans une position ambivalente. Il faudra donc développer le propos pour montrer notre bonne intention. Il faudra donc développer le propos pour montrer notre maladresse. Il faudra donc développer le propos pour montrer notre bonne intention. Mindee souligne que la bonne intention passe avant la maladresse. Phoebe souligne que la maladresse était fort utile pour amener un troisième degré d’intérêt à notre candidature. Céleste souligne qu’on doit faire attention à ne pas aller trop vite. Comme souvent, en somme. Comme toujours, en somme. Comme d’habitude, en somme.
On est assises sur la banquette arrière du Uber. Celle de gauche, bras croisés, regarde les changements de décor à travers la fenêtre teintée avec intérêt. Celle du milieu, mains sur les cuisses et sur une tablette tactile, regarde le plafond malgré ses paupières mi-closes. Celle de droite, bras croisés regarde les changements de décor à travers la fenêtre teintée avec concentration. Après avoir longé l’Hudson à Manhattan comme au Bronx, on a délaissé les rues de New York City pour les alternances de rues et de forêts de New York State. Finalement, ce sont les arbres et les rivières qui nous ont le plus accompagnées durant notre heure et quart de trajet.
On est occupées. On est patientes. On est stressées. En se concentrant sur son point de détail, Mindee ne stresse pas pour les autres. En se concentrant sur son point de détail, Mindee stresse les autres. Oh, non, Céleste stresse très bien toute seule. L’expertise, selon Mindee. La chiantise, selon Phoebe. L’injustice, selon Céleste. C’est parti pour une Célesteméro ? C’est parti pour une Célesteméro. C’est vraiment trop’injuste…
On plisse les lèvres. Malgré nos postures différentes, notre simultanéité et nos similarités prennent le pas. Aujourd’hui, on est vêtues en tailleur ; chemises blanches, veste à bouton unique et pantalons noirs. Les escarpins sont noirs également, avec un talon de six centimètres ; de quoi nous porter vers le mètre soixante-quinze. Soixante-quinze, c’est également le temps, en minutes, qui s’écoule entre notre départ et notre arrivée. Voilà qui devrait nous porter à 02:40PM à l’Institution Charles Xavier pour Jeunes Surdoués. Plus ou moins. L’exactitude temporelle n’est pas et n’a jamais été notre fort, ainsi préfère-t-on essayer d’avoir beaucoup d’avance que prendre le risque d’être un peu en retard. Ce qui ne nous laissera pas tout le temps de stresser, une fois la porte du Uber refermée derrière nous. Etant toutes descendues du même côté, on rompt notre file indienne pour faire face au portail de fer forgé. Celle de gauche garde les bras croisés tandis que celles de droite et du milieu inverse leurs positions, la première avec les mains jointes au niveau du ventre et la seconde tenant la pochette de tablette devant son bassin.
C’est impressionnant, constate Céleste. C’est joli, constate Mindee. C’est fermé, constate Phoebe. C’est pas faux. C’est donc vrai. C’est l’arrivée en avance. On attend là ? On cherche la caméra et on lui sourit ? On cherche l’interphone et on sonne ? On cherche la caméra de l’interphone, on sonne, on lui sourit, on s’excuse et on attend là. C’est un bon plan. On y va.
On avance d’un même pas vers la grille. Celles de gauche et de droite regardent les pans de mur de leur côté à la recherche de l’interphone tandis que celle du milieu regarde en l’air pour en faire de même avec d’éventuelles caméras. Malgré la présence d’une plaque "Institution Charles Xavier pour jeunes surdoués", c’est effectivement une caméra qui est repérée en premier. A trois, on la salue donc de la tête et du sourire avant de nous excuser d’une seule voix et d’entreprendre notre attente. Si les portes s’ouvrent, on s’avancera ; sinon, on patientera. Dans les deux cas, on a Céleste pour s’occuper.
Le professeur Xavier avait étudié les candidatures des sœurs Cuckoos avec beaucoup d'intérêt, et pour diverses raisons. Des raisons professionnelles, pour commencer : l'Institut accueillait de plus en plus d'élèves, ce qui augmentait considérablement la charge de travail, et des assistantes pourraient donc être utiles. Des raisons éthiques : lorsqu'un mutant le contactait, quelle que soit la raison, il lui prêtait toujours une oreille attentive. Des raisons plus personnelles : Charles avait, en ce moment-même, cruellement besoin de l'aide d'une télépathe, et si celles-ci s'avéraient dignes de confiance, elles pourraient lui être d'un grand secours. Enfin, par curiosité : au vu de la lettre de motivation des sœurs, il était apparu clairement qu'elles connaissaient parfaitement la véritable nature de l'Institut, et il voulait savoir pourquoi.
Il avait présenté les candidatures à Hank, son ami de longue date, qui s'était montré tout aussi intrigué et intéressé que lui. Le scientifique lui avait même glissé, en ne plaisantant qu'à moitié, qu'il ne serait pas contre en prendre une des trois pour l'assister dans ses recherches. Charles avait donc répondu positivement aux candidatures des mutantes, et avait fixé le rendez-vous le plus tôt possible. Certes, un entretien d'embauche pour une école en plein mois de juillet était plutôt inhabituel, mais l'Institut n'était pas qu'une école… plusieurs pensionnaires, enfants comme adultes, y séjournaient à l'année, et il y avait donc toujours de la vie au manoir Xavier.
Le professeur avait relu la lettre de motivation et les différents curriculum vitae de nombreuses fois, s'attardant sur plusieurs détails qui l'avaient interpelé. Il avait imprimé les documents et les avait d'ors-et-déjà ornementés de nombreuses notes en pattes de mouche. Il avait tant de questions à leur poser… Il relisait le CV de Phoebe pour la énième fois lorsque la caméra du portail émit le bip caractéristique indiquant la présence de visiteurs. Il observa l'écran de surveillance et constata qu'elles étaient arrivées.
Il prit quelques instants pour les observer. Elles semblaient parfaitement identiques, dans leur physique et leur tenue vestimentaire, mais déjà des différences d'attitude se remarquaient pour un œil attentif. Leurs mouvements étaient cependant parfaitement synchronisés, à tel point que c'en était presque dérangeant. Derrière son écran de contrôle, le télépathe sourit. Ils allaient pouvoir commencer… Il ouvrit à distance la grille en fer forgé et les contacta toutes trois par télépathie, mais prit soin d'envoyer à chacune un message différent :
« - Bonjour mademoiselle Cuckoo. Vous êtes en avance. Je vous en prie, entrez, je vous attends dans ma salle de classe. - Bonjour mademoiselle Cuckoo. Vous êtes en avance. Je vous en prie, entrez, je vous attends dans le petit salon. - Bonjour mademoiselle Cuckoo. Vous êtes en avance. Je vous en prie, entrez, je vous attends dans la bibliothèque. »
En réalité, il ne se trouvait dans aucune de ces trois salles, mais bien dans son bureau, près de l'entrée du manoir. Ce petit jeu visait à vérifier deux choses : qu'elles étaient bien interconnectées, et qu'elles étaient bien télépathes. Si tel était le cas, elles devraient pouvoir le retrouver rapidement…
La grille s’ouvre vite et, alors qu’on attend qu’elle ait terminé de le faire pour se mettre en marche, une voix effleure nos consciences. Une invitation, ou plutôt trois. Nos yeux s’illuminent brièvement d’un bleu électrique puis on reprend notre marche.
(Bonjour monsieur Xavier.)
Nos pensées sont synchrones, raisonnant auprès de celles qui viennent de nous parvenir afin de trouver leur chemin jusqu’à son propriétaire. S’il s’attarde suffisamment dans nos esprits, outre rendre les envois télépathiques hors de propos, il pourra entendre les échos de nos différentes pensées ; chose démultipliée par la connexion à nos trois esprits. Une fois connecté à l’une d’entre nous, on peut écouter voire influencer les trois.
(Nous nous excusons pour l’avance.)
Une pause, une respiration mentale, puis à la pensée de Céleste succède celle de Mindee.
(Nous vous remercions pour l’accueil.)
Une seconde pause, une seconde respiration mentale, puis c’est au tour de Phoebe de transmettre.
(Souhaitez-vous nous rencontrer individuellement ?)
Céleste préférerait éviter. Mindee n’y voit pas d’inconvénient. Phoebe se permet de demander. Après, c’est sans doute pour pouvoir nous rencontrer au mieux sans devoir gérer la synchronicité. Après, c’est sans doute pour pouvoir évaluer notre degré d’interdépendance et d’indépendance. Après, c’est sans doute superflu considérant que les pièces ne doivent pas être suffisamment éloignées pour nous séparer. Ce n’est pas faux. C’est donc vrai. Pourquoi est-ce Mindee qui a le petit salon ? Le hasard ? Le mérite ? La flagornerie. Céleste veut être neutre dans l’histoire. Mindee veut s’assumer dans l’histoire. Phoebe veut le petit salon dans l’histoire. Monsieur Xavier en a décidé ainsi. Echanger serait impoli. Pour positiver, c’est Céleste qui a la salle de classe. C’est très bien la salle de classe. C’est mieux ou pire que la bibliothèque ? Allez jouer à la marelle dans un champ de mines toutes les deux.
Plus on se rapproche de l’Institut et plus le mélange de château et de manoir de son architecture est impressionnant. A chacune sa partie : celle du milieu détaille la partie centrale, celles des côtés leurs homonymes. La première intègre deux tours latérales et une sorte de donjon très épais, tous surmonté de créneaux dignes de rempart. Un porche se trouve au-dessus des portes d’entrée, protégeant celles-ci des aléas météorologiques, et doit également servir de balcon pour l’étage supérieur. Enfin, les nombreuses vitres quadrillées qui s’enchâssent dans la pierre doivent maximiser l’apport de lumière extérieure, au moins dans les étages. Les secondes, en miroir, partent des tours et du donjon tout en gardant le principe des grandes fenêtres et y ajoutant des lucarnes triangulaires. Elles s’avancent ensuite comme des bras terminés de pignons et d’une fenêtre arquée, mélangeant élégamment les styles européens et anglosaxons en plus des traditions médiévales suscitées.
Entant attendues à l’intérieur, on se permet d’ouvrir la double-porte principale. Celle du milieu prend la tête pour le faire puis celle de droite, avec la tablette, entre à son tour et cherche le plan d’évacuation et d’intervention. Finalement, celle de gauche franchit à son tour le seuil et détail le grand hall, son double escalier et ses ascenseurs.
D’après Céleste, les salles de classe sont dans l’aile est, les salons et la bibliothèque dans l’aile ouest. D’après Mindee, le petit salon doit être le plus petit des salons et elle veut bien être guidée. D’après Phoebe, la bibliothèque doit être indiquée pour les élèves et elle se débrouillera. La première note qu’elle est la seule à ne pas aller dans la même direction que les autres. La seconde note que si les noms des professeurs ne sont pas sur les portes la recherche va être sympathique. La troisième note qu’elles n’ont pas le temps pour du Célesteméro. Oui, en effet. Non, en effet. On est en accord.
Les trois sœurs lui répondirent d'une seule pensée, à l'unisson, preuve qu'elles étaient donc bien interconnectées. Puis elles prirent mentalement la parole chacune leur tour, mais leurs pensées résonnaient en écho dans les esprits de leurs sœurs. Chacune entendait ce que les autres pensaient, et chacune s'exprimait au nom de toutes. Dans quelle mesure pouvaient-elles être autonomes ? Leurs CV leur indiquaient des compétences légèrement différentes, elles devaient donc avoir tout de même une individualité propre. Pouvaient-elles se couper volontairement de ce lien si fort qui semblait les unir constamment ?
Le professeur ne leur répondit pas, leur laissant l'initiative d'entrer et de décider de la marche à suivre. Elles observèrent le manoir minutieusement, se répartissant les zones à regarder, sans doute afin de ne pas perdre de temps. Puis elles entrèrent dans l'école et cherchèrent à se repérer, avant de se diriger chacune vers l'endroit qui leur avait été indiqué. Charles restait spectateur pour le moment, les laissant découvrir les lieux.
Les salles de classe étaient toutes fermées, lumières éteintes et portes verrouillées. L'éclairage du couloir permettait, en se collant aux hublot des portes, de constater qu'à l'intérieur les chaises étaient posées sur les tables : logique, l'année scolaire était terminée, ces salles ne serviraient pas avant septembre. Les différents salons, bien qu'ouverts, étaient tous vides. Quant à la bibliothèque, elle sembla déserte à première vue, jusqu'à ce qu'une voix jeune et joviale vienne du plafond pour lancer un :
« Bonjour ! Je veux vous aider ? »
La voix, qui avait un léger accent germanique, provenait d'un jeune homme étrange qui était suspendu à l'envers à l'un des lustres de la bibliothèque, comme une chauve-souris, sa longue queue de diablotin battant l'air avec nonchalance. Il souriait à Céleste, dévoilant des dents blanches et pointues, et ne semblait pas le moins du monde perturbé par la situation insolite.
Charles sourit intérieurement. Si les sœurs avaient eu le moindre doute sur la nature des occupants du manoir, ce qui ne semblait pas être le cas, au moins elles étaient fixées. A présent qu'elles s'étaient quelque peu éloignées les unes des autres, le télépathe les contacta de nouveau, scindant son discours en trois, chaque partie adressée successivement à l'une des trois sœurs, comme trois pièces d'un mini-puzzle à reconstituer.
(à Mindee) « - Les lieux sont-ils à votre goût ? J'espère que vous ne m'en voudrez pas pour cette petite balade, je voulais simplement constater par moi-même les particularités de votre mutation. (à Phoebe) - Je préférerais vous rencontrer toutes les trois en même temps, si cela ne vous dérange pas. (à Céleste) - Si vous possédez bien les talents décrits dans vos candidatures, vous devriez être en mesure de me trouver. Je vous attends. »
On n’a pas le temps pour du Célesteméro. Cependant, on est deux insatisfaites sur trois. Le sentiment est mineur mais bien présent.
L’une préférerait éviter d’aller seule de son côté. L’autre préférerait une majorité de contentement. La troisième préférerait le petit salon. Monsieur Xavier en a décidé ainsi, insiste intérieurement Céleste. Echanger serait impoli, rappelle intérieurement Mindee. Arriver avec vingt minutes d’avance aussi était impoli, soupire intérieurement Phoebe. Justement, on a déjà commis un impair ! Effectivement, on a déjà commis un impair. De plus, Monsieur Xavier n’a pas répondu à la question, ce qui est impoli, donc un partout et la balle au centre. Le raisonnement est déficient, la première désapprouve. Le raisonnement est déficient, la seconde approuve. Le raisonnement est déficient mais il y a le petit salon à la clé. Fait-on donc cela ? La bibliothèque pour Céleste, les salles de classe pour Mindee et le petit salon pour Phoebe ? Voilà, on demandera pardon à nouveau une fois arrivées ou on se fera passer les unes pour les autres. La première l’accepte sans savoir si elle est plus coupable de désobéir ou contente de ne pas être l’isolée. La seconde l’accepte en se rappelant qu’elle raillait sur l’absence du nom des professeurs sur les portes des classes et acceptait qu’on la guide mentalement. La troisième est pleinement satisfaite d’avoir son petit salon, place oh combien plus digne que la bibliothèque.
Les deux d’entre nous qui sont en mouvement s’arrêtent, celle ayant tenue la porte faisant volteface pour se retourner vers celle immobilisée à regarder le plan. Toutes trois, on se met en marche en simultanée et celle avec la tablette rejoint l’autre à destination de l’aile ouest, croisant au passage celle qui s’en va seule dans l’aile est. Cette dernière est la première à arriver dans le champ de ses objectifs, lesquels sont clos et éteins.
Céleste remercie Mindee. Celle-ci se dit qu’au moins elle ne risque pas de se tromper de porte. Phoebe l’envie, les salons sont tous ouverts et d’une taille pas forcément très différenciable à l’œil nu.
Se rappeler le plan n’est pas difficile, l’accès aux connaissances et aux compétences étant partagés. Ainsi, tandis que l’une s’en va de hublot en hublot à la recherche de la lumière, les deux autres se séparent et seule celle portant la tablette trouve aisément son chemin.
La bibliothèque, c’est bien ! C’est mieux ou pire que le petit salon ? Allez jouer à colin-maillard sur l’autoroute.
Le mobilier est décoré avec goût, conférant une âme au lieu : ce n’est pas qu’un endroit d’enseignement, c’est un endroit de vie. Les meubles de bois, les teintes des murs, la lumière naturelle apportée par les fenêtres… on ne peut que se rappeler The World et y trouver, malgré quelques similarités, de grandes différences. L’Institution Charles Xavier n’est pas aussi… aseptisée. L’Institution Charles Xavier n’est pas du tout aseptisée. L’Institution Charles Xavier est un manoir, avant tout. Y trouver la bibliothèque ne semble de prime abord pas impliquer d’y trouver quelqu’un, les rayonnages fournis et les tables et sièges de lecture semblant désert. Cela ne rend l’intervention joviale et germanophone que plus surprenante, attirant nos trois attentions mentales et l’attention physique de l’une d’entre nous. Cette dernière s’arrête et penche la tête sur le côté en voyant son interlocuteur. Les deux autres s’arrêtent penchent la tête sur le côté un instant après, synchrones.
L’inconnu est grand, d’une bonne tête de plus que nous. L’inconnu est perché, beaucoup plus que nous et la tête suscitée pendant vers le bas. L’inconnu est bleu, bleu. Sa tenue est ce qui semble le plus normé chez lui, moyennant l’absence de chaussures – pratique pour s’accrocher au plafond – et le dépassement d’une queue pointue – pratique pour s’accrocher au plafond là-encore.
En un mot comme en cent, Céleste bug un instant. En un mot comme en cent, Mindee bug un instant. En un mot comme en cent, Phoebe bug un instant. Céleste ne peut qu’explique qu’elle se trouve face, ou plutôt au-dessous, un diablotin funambule bleu. Mindee ne peut que se dire que c'est étonnant. Phoebe ne peut que se dire que c'est improbable. Après un instant de réflexion, Céleste le trouve mignon : il a un visage qui s’affine d’une manière de jeune premier et des cheveux coiffés sur le côté qui casse la symétrie d’étranges marques épidermiques. Après un instant de réflexion, Mindee trouve que c’est moins étonnant. Après un instant de réflexion, Phoebe trouve que c’est moins improbable.
« Bonjour, commence doucement l’interpellée. Nous avons rendez-vous avec monsieur Xavier… »
Mindee pense que le plan de se faire passer les unes pour les autres est meilleur que demander pardon ainsi encourage-t-elle Céleste à se faire passer pour Phoebe ! Phoebe pense que le plan pour demander pardon est une question de bon sens ainsi encourage-t-elle Mindee à aller se faire voir. Céleste pense que c’est la première fois qu’elle voit quelqu’un de bleu. Et de diabolique, queue incluse. On perçoit les priorités…
On perçoit également les pensées qui viennent résonner dans nos esprits, l’un après l’autre.
« Sauriez-vous où il se trouve, demande Céleste alors que les pensées s’adressent à Mindee. »
(Les lieux sont à notre goût, nous ne saurions vous en vouloir et nous vous montrerons le reste de nos particularités avec plaisir, monsieur Xavier.)
Phoebe note que Mindee aime les portes fermées et les lumières éteintes, c’est bon à savoir, puis se concentre sur son propre message. Monsieur Xavier espère que nous rencontrer toutes les trois ne nous dérange pas.
(Cela ne nous dérange pas.)
Céleste note que Phoebe tait sa dépréciation de la balade comme Mindee le lui a demandé, balade qui ne dérangeait qu'elle. Mindee et Phoebe notent que Céleste est plus perturbée par les sous-entendus de monsieur Xavier, dans son propre message, que par le mutant chevelu qui joue les chauves-souris souriantes.
Si nous possédons bien les talents décrits dans nos candidatures, nous devrions être en mesure de trouver monsieur Xavier…
Est-ce une autorisation ? Est-ce une invitation ? Est-ce du foutage de gueule ? C’est plus probablement une invitation ou une autorisation. C’est plus probablement une autorisation ou une invitation. C’est agréable de se sentir soutenue.
« Excusez, reprend Céleste en fixant le mutant légèrement plus jeune que nous et beaucoup plus grand. Je vais user de mes capacités un instant. »
Nos yeux commencent à émettre leur lumière bleutée alors que nos ondes psychiques se projettent tout autour de nous, nous renvoyant les échos des esprits nous entourant sur une centaine de mètres de chacune. Tous les habitants du manoir semblent s’y trouver, nous laissant découvrir des sons persistants de leurs présences. Une présence au rez-de-chaussée, quelques-unes dans les deux étages au-dessus de nous, quelques autres dans les deux étages au-dessous de nous. On détaille cet environnement astral à la recherche de la seule pensée qui nous est familière, indistincte mais traçable. Nos trois visages se tournent vers sa position physique puis nos yeux redeviennent humains. Deux d’entre nous se mettent en mouvement tandis que la troisième relève le regard vers le plafond.
« Trouvé, déclare Céleste avec un sourire aimable. Merci de votre aide et au plaisir de faire plus ample connaissance. »
La frustrée de salon rejoint la voleuse de bibliothèque à l’entrée de celle-ci tandis que l’appréciatrice de portes fermées se hâte pour revenir sur ses pas. Instinctivement, on cale notre foulée sur celle des autres et les claquements de nos talons ne font rapidement plus qu’un. Deux tiers s’arrêtent au niveau de la porte du bureau puis attendent d’être rejoints par le troisième pour reprendre la position à trois de front.
Deux des inspirations font barrage à une pointe de stress, la troisième à une pointe d’impatience.
On attend là ? On cherche la caméra et on lui sourit ? On entre !
Celle de gauche fixe celle du milieu qui s’avance pour toquer à la porte tandis que celle de droite, tablette en main, fixe la porte qui nous fait face. Trois coups donnés, celle du milieu reprend sa place et on attend toutes trois, bras le long du corps et identiques dans notre expression cordiale.
Observer les triplés était tout bonnement fascinant. Le télépathe n'avait même pas besoin de lire leurs esprits, il en déduisait déjà beaucoup de par leurs attitudes. Lorsque l'une pencha la tête d'un air intrigué en apercevant Kurt, les deux autres, bien qu'elles ne voient pas directement la scène, eurent le même geste à une seconde d'intervalle. Leur connexion se maintenait donc même lorsqu'elles étaient hors de vue les unes des autres. Charles aurait aimé s'amuser à les éloigner encore plus pour constater la portée de leurs pouvoirs, mais il se ravisa, songeant que ce ne serait pas correct. Il pourrait toujours leur poser directement la question.
Dans la bibliothèque, le mutant aux allures de diablotin sourit de plus belle mais il haussa les épaules lorsque Céleste lui demanda s'il savait où elle pouvait trouver le professeur Xavier. Puis il acquiesça aimablement lorsqu'elle annonça qu'elle allait user de ses capacités, et il observa d'un air intrigué les yeux bleu électrique de la mutante. Il finit par lever un pouce en l'air lorsqu'elle expliqua qu'elle avait trouvé le professeur, et lui dit aimablement au revoir, lui souhaitant une belle journée et bonne chance pour son rendez-vous.
Quant au télépathe, il observa la manifestation physique de leur pouvoir avec beaucoup d'intérêt. Les yeux sont les fenêtres de l'âme, dit-on… Voir ensuite leurs trois têtes se tourner simultanément dans la direction du bureau avait quelque chose d'un peu gênant, mais qui subjuguait le professeur. Elles avaient réussi… La partie de cache-cache était terminée. Elles se rejoignirent rapidement devant son bureau, synchronisant leurs pas avant de se placer les unes à côté des autres, dans une attitude un peu militaire, voire robotique. Le même sourire cordial s'afficha sur leurs trois visages après que celle du milieu ait toqué à la porte.
« Entrez, je vous en prie ! »
Ce fut la première fois qu'il s'adressa à elles à haute voix. Son timbre était doux et chaud, son ton paisible et cordial. Il les laissa pénétrer dans le bureau et découvrir les lieux. La pièce ne ressemblait pas du tout à l'idée que l'on peut se faire d'un bureau de directeur d'école. Elle tenait plus du petit appartement ancien, avec une partie salon comportant plusieurs fauteuils, une table basse et une grande télévision ainsi qu'un minibar bien fourni, et une partie bureau avec des meubles anciens. Des étagères de livres couraient sur plusieurs pans de mur et sur le mur derrière le bureau étaient placardés trois diplômes de doctorat, en génétique, biophysique et psychologie. Lorsque les triplés entrèrent dans la pièce, Charles s'extirpa de derrière son bureau pour avancer son fauteuil vers elles et leur tendit la main avec un sourire chaleureux.
« Enchanté mesdemoiselles. Je suis Charles Xavier, le directeur de cet Institut. Comme vous l'aurez constaté je suis télépathe, cependant je n'userai pas de mes dons sur vous au cours de cet entretien, et j'apprécierais que vous agissiez de même. »
Après avoir échangé trois poignées de main - qu'il analysa d'ailleurs, car l'on pouvait percevoir beaucoup du caractère d'une personne en lui serrant la main, et il était curieux de constater s'il y avait des différences à ce niveau-là entre les trois sœurs - il porta ses yeux sur le minibar et demanda poliment :
Le diableutin, chose plus appropriée et surement moins péjorative que diablotin même si on n’osera jamais la dire oralement, reste enjoué malgré l’expression de son ignorance quant à la position de monsieur Xavier. Il n’y a aucun souci, d’autant plus que l’objectif de le trouver par nos propres capacités est exprimé peu après ; on n’a donc pas triché. Mieux encore, enfin pour Céleste et Mindee car Phoebe ne voit pas ce que cela aurait changé, l’autre mutant ne prend pas mal la manifestation de notre mutation. L’inverse aurait étonné Céleste et Phoebe, considérant les signes de sa propre mutation, mais comme il n’y a qu’un tier face à lui on limite les perturbations que l’on cause. Celles que lui cause, en revanche, réapparaissent un instant à la constatation de la morphologie de ses mains. Comme précédemment, cela passe rapidement ; pas de quoi que l’on retourne le levé de pouce, cependant, mais un acquiescement poli et souriant est tout de même de rigueur pour accompagner le partage de la bonne journée et les remerciements de la bonne chance.
De toute façon, Céleste a l’intention de rencontrer à nouveau l’autre mutant. De toute façon Mindee a l’impression qu’on va beaucoup en entendre penser. De toute façon, Phoebe s’agace déjà que notre benjamine nous va nous empêcher de nous endormir ce soir. On aura toutes beaucoup à penser, ce soir ! C’est pas faux. Ça va être bien…
Face à la porte, on est accueillies d’une voix suave et sereine qui ne nous est pas réellement inconnue. Cependant, l’expression physique ajoute toujours quelque chose à la résonnance mentale, étant bien plus diluée et conséquemment bien moins brute. Voix intérieures et extérieures, bien qu’elles appartiennent à une même personne, ne sont jamais totalement les mêmes.
On entre avec un même sourire puis on se répartie naturellement l’observation de la nouvelle pièce. Le bureau du directeur Xavier nous rappelle ceux de chefs d’entreprise, avec une petite partie salon – au grand plaisir de Phoebe et de Mindee, la première pour la dignité et la seconde pour le point d’embêtement – précédant le bureau lui-même et un décor permettant de maîtriser la première impression faite. Ici, les meubles de bois donnent cette même vie qu’au reste du manoir, tandis que les nombreux livres laissent comprendre à la haute éducation et la grande appréciation de la connaissance de monsieur Xavier. D’ailleurs, trois diplômes énoncent son nom ; et son rang. Le Docteur Xavier lui-même s’avance au-delà de sa place de travail solitaire. Son costume est impeccable et souligne son charisme naturel. Sa chaise roulante ne saurait diminuer ce dernier ou la carrure impressionnante d’un homme qui, debout, devrait également nous dépasser d’une tête. Cependant, ce qui nous magnétise le plus, ce sont ses yeux. Les yeux sont les fenêtres de l’âme et l’incarnation de sa voix.
On mimique le sourire d’accueil que nous fait le docteur Xavier, dépassant la cordialité précédente.
« Je suis Phoebe, commence celle de gauche, la première à s’avancer vers la main tendue, avec un sourire charmé. »
Son bras est tendu, coude loin du corps, tandis que ses doigts sont fermes, se retenant de presser mais prêts à essayer de le faire plus fort que l’autre s’il commence à broyer, et que son amplitude est mesurée, l’énergie mise dans le mouvement étant retenue.
« Je suis Irma, poursuit celle du milieu, la seconde dans la queue, avec un sourire charmé. »
Son bras est tendu, coude loin du corps, tandis que ses doigts sont doux, ne s’abandonnant pas mais laissant à l’autre la menée de la poignée de main, et que son amplitude est légèrement plus grande que la précédente, l’énergie communicative sans se permettre d’être envahissante.
« Je suis Céleste, conclut celle de droite, ayant changé de main la tablette tactile avant de tendre sa main à son tour, avec un sourire charmé. »
Son bras est plié, coude à mi-distance du corps, tandis que ses doigts sont plus hésitants, laissant à l’autre la menée de la poignée de main mais prêts à se durcir si elle s’avère broyeuse, et que son amplitude est moindre, attendant que l’autre mène la danse une fois encore.
« Nous sommes enchantées également, monsieur Xavier, dit-on à trois, en chœur, avec des visages toujours identiques.
- Evidemment que nous nous abstiendrons, confirme celle du milieu avec un acquiescement, Il est impoli de se connecter à un esprit sans y être invité.
- Nos yeux s’illuminent lorsque nous utilisons la télépathie ou le chœur, précise celle de droite avec un acquiescement.
- Nous ne pouvons les cacher. »
Enfin, sauf en fermant les yeux, se dit Céleste. Enfin, sauf avec des lunettes de soleil, se dit Mindee. Enfin, sauf en saoulant les autres, leur répond Phoebe. D’autant que fermer les yeux, cela n’aide pas. D’autant que les lunettes de soleil, cela cache à moitié. D’autant que vous n’aidez pas, même pas à moitié.
Indifféremment de nos pensées, on se tait sur un sourire entendu tout en relevant les sourcils et penchant légèrement la tête sur le côté. Nos trois regards suivent ensuite celui du docteur Xavier, réalisant la présence de boissons lorsqu’il nous en propose.
« De l’eau minérale, répond-t-on toutes trois sans se consulter, s’il vous plait. »
Continuant à regarder le docteur Xavier agir, on reste en attente avec les bras le long du corps. L’exception est celle de droite, qui sort la tablette de veille, mais elle se synchronise bien vite. Désormais prêtes pour l’entretien, on ne s’assiéra pas avant d’y être invitées et remerciera chacune notre tour lorsque l’on sera servies. Celle du milieu tiendra le verre de celle de droite le temps que cette dernière s’installe dans sa position de dactylographe. Enfin, l’une de nos mains s’attardera sur notre verre et l’autre sur notre cuisse, ou la tablette qui l’occupe.
Le professeur nota des différences notables dans les poignées de main, ce qui lui confirma que les trois sœurs, au-delà de leur connexion parfaite, avaient bien une identité propre. C'était logique après tout, elles étaient des triplées, pas des clones. Chacune avait son caractère et son vécu personnel, qui s'ajoutait à leur conscience collective.
Malgré leur union et leur synchronicité, il semblait exister une sorte de hiérarchie entre elles. Phoebe semblait être la plus assurée, sans doute la meneuse du trio, ce qui était cohérent avec sa demande de poste d'assistante de direction. Irma se montra plus douce, plus conciliante. Sa position en disait beaucoup également : elle était celle du milieu, la médiatrice du trio. Quant à Céleste, elle s'avéra être la moins affirmée des trois, comme si elle vivait dans l'ombre de ses sœurs.
Après avoir répondu en chœur aux politesses d'usage, Irma s'exprima pour les trois, affirmant qu'en effet elles n'useraient pas de leur don, par souci de courtoisie, mais également car, le précisa Céleste, leur télépathie était toujours physiquement visible. Etonnant. Charles avait connu plusieurs télépathes, et ce pouvoir n'avait à sa connaissance jamais été physiquement visible, ce qui lui avait personnellement facilité la vie à de nombreuses occasions, même s'il se limitait dans l'usage de sa télépathie. Bien qu'il n'interpréta nullement la remarque d'Irma comme un reproche, il préféra tout de même préciser, par souci de transparence :
« Nous sommes bien d'accord. Pour ma part je tâche de ne l'utiliser que lorsque cela s'avère nécessaire. D'ailleurs si j'ai usé de télépathie pour vous guider et observer votre attitude, je ne me suis bien évidemment pas permis de farfouiller dans vos esprits. La tentation a pourtant été grande ! La curiosité est l'un de mes plus beaux défauts, il est donc probable que je vous assaille de questions. »
Il avait souri sur les deux dernières phrases, pour prouver sa bonne volonté et exprimer tacitement son souci de mettre ses invitées à l'aise. Il se dirigea ensuite vers le minibar et servit quatre verres d'eau qu'il disposa sur un plateau pour pouvoir aisément les transporter, le plateau étant assez large pour tenir en équilibre sur les accoudoirs de son fauteuil. Puis il reprit sa place derrière son bureau tout en désignant les trois chaises disposées face à lui.
« Asseyez-vous je vous en prie. »
Deux chaises étaient de belle facture ancienne, paraissaient confortables et assorties au mobilier, tandis que la troisième avait un design bien plus moderne, simple et pratique : à l'évidence cette chaise dépareillée avait été récupérée dans une autre salle, afin de permettre aux trois sœurs de pouvoir prendre place.
« Bien ! Par où commencer… »
Le professeur posa le plateau sur le bureau, laissant les sœurs prendre leurs verres si elles le souhaitaient, puis il ouvrit le dossier contenant les candidatures des demoiselles, avec en première page le contenu textuel du premier mail envoyé par Irma. L'entretien allait pouvoir continuer.
« J'aimerais beaucoup que vous me parliez de votre interconnexion télépathique. A ma connaissance c'est une particularité unique, et parfaitement fascinante. Quand s'est-elle manifestée ? »
On acquiesce automatiquement lorsque le docteur Xavier nous dit que nous sommes d’accord. C’est à la fois vrai, nous sommes en accord, et à la fois un automatisme, face à quelqu’un que l’on perçoit comme un supérieur hiérarchique. L’explication quant à la propre éthique télépathique de monsieur Xavier n’a rien de surprenant, même s’il est possible de jouer sur les nuances de la nécessité. Dans son cas, il a effectivement communiqué pour nous guider, on le savait, et observer nos attitudes, on ne le savait pas mais cela nous semble à toutes logique, sans pour autant entrer dans nos esprits.
D’un côté, on espère qu’on aurait été capable de le détecter s’il l’avait fait. D’un autre côté, cela aurait facilité bien des choses et on aurait accepté si c’était demandé avec une visite guidée. D’un troisième côté, bien heureusement qu’il ne s’est pas permis de farfouiller !
Nos sourires changent à la mention de la tentation puis à celle de la curiosité, passant de l’entente précédente à une connivence sincère. Sans nous défaire de cette expression, on hoche la tête à nouveau lorsqu’il s’agit de nous assaillir de questions. On saura répondre, on en est certaines. Immobiles et bras le long du corps, on regarde toutes trois le docteur Xavier faire son aller-retour au minibar, afin de nous servir et de nous rapporter nos boissons.
Céleste se demande si on n’aurait pas dû proposer d’aller le faire pour lui. Mindee comprend l’intention mais considère que cela aurait été impoli, voire insultant, considérant qu’il aurait pu lier cela à son handicap. Phoebe laisse le soin aux autres de le faire, plus concentrée sur le fait que monsieur Xavier prenne la même boisson que nous. C’est peut-être un hasard. C’est peut-être un signe de connivence. C’est peut-être signe d’entente.
Le fait de revenir derrière son bureau plutôt qu’à nous a également du sens. L’entretien commence. La prière de s’assoir est un top départ attendu, vers lequel on se rend dès que celle du milieu a récupéré deux des verres et que celle de gauche a récupéré le troisième ; chose chorégraphiée à deux et suivi d’un remerciement synchrone à trois, tant d’un mot que d’un signe de tête et de buste. La troisième, à droite et avec la tablette, se retourne ensuite vers les trois chaises. Plus exactement, vers le duo de chaises d’origine et la chaise de renfort. Voilà qui l’interpelle et arrête un instant les deux autres, qui s’en reviennent à son niveau.
Il ne nous faut qu’une seconde pour nous décider et celles de gauche et de droite s’en vont sur les sièges de belles factures tandis que celle du milieu cède sa place au centre pour le siège supplémentaire. Afin d’atteindre son verre, celle de droite se retrouve donc au centre. A gauche, les deux mains se joignent sur le verre et le pose sur l’avant des cuisses, au niveau des genoux, du fait d’un léger avancement du buste. A droite, l’avancement du buste est également présent ma chaque genou a sa main et son verre. Au centre, les cuisses supportent la tablette et sont surplombées par le même avancement. Nos trois visages, d’une cordialité travaillée, fixent notre interlocuteur.
On était confiantes qu’on saurait répondre à ses questions. La première nous fait redresser têtes et bustes en fronçant les sourcils. A la recherche du souvenir, nos regards s’en vont dans un coin de nos yeux puis se dirigent les uns vers les autres, deux d’en nous fixant la troisième à tour de rôle jusqu’à ce qu’on ait justement fait le tour de toutes. Ce n’est qu’après cela, qui nous prend tout de même quelques secondes, que l’on en revient au docteur Xavier avec un peu de gêne.
« Nous l’ignorons, commence-t-on à trois. Nous ne parvenons pas à trouver de souvenir précédant l’interconnexion. »
Ça commence mal. Ça commence bien. Ça commence déjà. Céleste s’inquiète que ce soit une mauvaise réponse. Mindee s’inquiète que ce soit un mauvais signe. Phoebe s’inquiète qu’elle n’ait jamais pu avoir la paix sous cette forme-ci.
« Notre télépathie est apparue après, poursuit-on toutes ensembles. Nous étions motivées par entendre les autres comme nous nous entendions nous-mêmes.
- C’est cependant différent, poursuit celle de droite. Entre nous, il n’y a pas ce brouhaha de pensées comme lorsque nous étendons notre esprit autour de nous. Nous n’avons pas à nous concentrer pour sélectionner les échos qui nous intéressent.
- Nos voix intérieures sont simplement là, continue celle du centre. Elles l’ont toujours été et laissent un vide lorsqu’elles ne le sont pas. De plus, nos yeux ne brillent pas.
- Malgré cela, enchaine celle de gauche, nous faisons aussi facilement la différence entre nous qu’avec les esprits auxquels nous pouvons entrer en contact mental. Cela étant, nous sommes naturellement plus connectées qu’avec des étrangers.
- Par exemple, reprend celle de droite, lorsque nous nous sommes regardées toutes à l’heure, c’est car nous sommes allées chercher les souvenirs des autres pour vérifier là où nous ne trouvions pas l’information.
- Ce n’était pas volontaire, renchaine celle de gauche.
- Mais c’était un réflexe, termine celle du centre.
- Pour faire une analogie avec un ordinateur, conclue-t-on à trois, si les neurones et les synapses sont les composantes électroniques, que la télépathie est le wifi, nous avons notre réseau local. »
Céleste reste insatisfaite avec cette explication. Mindee et Phoebe, elles, le sont. Parler d’internet et d’intranet est tout aussi pertinent ! Mindee considère que c’est du détail superficiel. Phoebe considère que c’est inutile. Céleste reste sur sa position. Mindee reste sur sa position. Phoebe reste sur sa position.
On est bien installées.
D’ailleurs, quitte à être bien installées – ce qui est vrai pour les trois mais deux le sont légèrement mieux – on se permet de prendre une gorgée d’eau à la fin de notre explication. Celle du centre récupère son verre et on les amène toutes trois jusqu’à nos lèvres pour une gorgée. Les verres s’en reviennent ensuite contre les genoux, même celui qui entre en contact avec la tablette du fait.
« Notre intelligence semble collective également, reprend-t-on à trois. Sans partager naturellement nos souvenirs, nous pouvons accéder aux savoirs des autres. Là encore, cependant, nous ne confondons jamais. Enfin… »
On s’interrompt pour faire un mouvement de tête et d’épaule visant à nuancer notre propos.
« C’est hors sujet mais nous avons des souvenirs communs. Quand nous sommes mentalement synchronisées.
- Pour simplifier, nuance celle de droite, nous pouvons former un chœur, comme dans un orchestre.
- Non plus trois voix intérieures mais une seule, toujours plus forte, ajoute celle du centre.
- Trois-en-Une, confirme celle de gauche. Cependant, pour en rester à l’esprit-ruche…
- Cela nous a facilité tous nos apprentissages théoriques, assure celle du centre.
- De même que celui des parties douces de la télépathie, renchéri celle de droite.
- Ecoute et transmission de la voix intérieure…
- Localisation et identification des esprits…
- Consultation et transfère des souvenirs… »
On marque finalement une pause, considérant en avoir suffisamment dit et se laisser un peu trop aller dans notre expression commune. Outre notre anglais britannique, le fait de poursuivre les phrases des unes et des autres est devenu un peu trop présent sur la fin. Cela venait cependant naturellement, quoi que légèrement moins que lorsque l’on s’exprime en simultanée.
« Avez-vous les informations que vous souhaitiez, dit-on finalement de cette dernière manière, et quelles sont les nouvelles questions que nos réponses vous posent ? »
On est à notre aise, peut-être même un peu trop sur la fin. Céleste trouve que l’on devrait fournir plus d’explications sur notre manière de parler. Mindee trouve que l’on devrait attendre les réponses du docteur Xavier. Phoebe trouve que l’on s’arrête au bon moment. Deux contre une, la démocratie a pensé avec le résultat habituel.
Physiquement, on garde notre attitude convenante et notre attention est aussi tournée vers le docteur Xavier qu’on le peut.
Alors, quelle sœur allait laisser sa place sur les belles chaises pour se contenter de celle plus fonctionnelle ? Certainement pas Phoebe. Probablement Céleste ? Non, ce fut Irma, la médiatrice, qui se « sacrifia » pour le confort de ses sœurs. Les voir évoluer était captivant, et Charles ne cherchait pas à masquer son admiration pour la chorégraphie complexe et pourtant si fluide qu'il voyait se dérouler sous ses yeux. Il s'était toujours montré très intéressé par les mutations de ses congénères, de la plus simple à la plus spectaculaire, considérant chacune comme une petite merveille, même les plus dangereuses.
A sa première question, les sœurs commencèrent à chercher dans leurs souvenirs propres, avant de s'interroger mutuellement du regard. Étaient-elles en train de chercher dans la mémoire des autres les fragments de réponses qui leur manquaient ? Il était déjà parfois difficile de ne pas se perdre dans ses propres pensées, mais lorsqu'il s'agissait de les partager entre trois entités... Comment pouvaient-elles s'y retrouver ? Fascinant.
Elles lui apportèrent rapidement des réponses sur ce point. A leur connaissance, elles avaient toujours été connectées, et la télépathie extérieure était venue après. Elles parvenaient parfaitement à faire le tri dans leurs propres pensées, sachant également quelle réflexion intérieure émanait de qui. Leurs explications étaient parfaitement claires, et si elles satisfaisaient le professeur, elles soulevaient également leur lot de nouvelles questions. Leur façon de parler, alternativement ou à l'unisson, captivait Charles, sans pour autant l'empêcher de suivre la conversation. Il se fit néanmoins la réflexion que ce ne devait pas être évident à suivre pour un interlocuteur à l'esprit moins aiguisé.
« C'est parfait. Pour exemple, si Irma suit une formation de comptabilité, Phoebe et Céleste pourront, sur une simple synchronisation de pensées, profiter de ses connaissances comme si elles les avaient acquises également ? Est-ce pérenne en ce cas, ou l'échange de savoir ne fonctionne-t-il que le temps du partage ? »
Si cela fonctionnait ainsi, même de façon ponctuelle, c'était très impressionnant ! Elles avaient la capacité de synchroniser trois existences distinctes. Une intelligence collective... Trois vies en une... Tellement de possibilités, de connaissances théoriques et pratiques à acquérir ! Lui qui avait déjà obtenu trois doctorats durant ses études, il ne pouvait que rêver à la quantité astronomique de savoirs qu'il aurait pu accumuler s'il avait été doté de trois esprits distincts et connectés comme les sœurs Cuckoos.
« Parvenez-vous à communiquer entre vous et à échanger vos données alors que vous êtes toutes trois sur une conversation différente ? Je présume que cela doit demander un effort de concentration supplémentaire ? Et y'a-t-il une limite physique à la formation de votre esprit-ruche ? Je pense notamment à une contrainte distancielle. Lorsque vous visitiez mon rez-de-chaussée, vous parveniez encore à vous percevoir les unes les autres et à communiquer ensemble alors que vous étiez physiquement séparées. Mais si vous vous trouvez dans des maisons voisines, dans des villes différentes, dans des pays différents ? »
Il tâchait de retenir le flot de questions qui lui venait à l'esprit, et parvint en fin de compte à n'en poser que deux d'un coup, même si chacune se déclina en plusieurs sous-questions. Il présageait que cet entretien allait durer un long moment... Heureusement que l'année scolaire était terminée et qu'il n'avait pas de contrainte de planning !
Accueil
