La question la fait réfléchir, alors il attend patiemment qu’une réponse s’extirpe de ses lèvres, sans réellement savoir s’il souhaite quelque chose de positif ou non ; il n’a aucun amour pour son père alors il n’est nullement question de jalousie infantile mal placée, mais il s’inquiète plutôt du devenir de cette fratrie décomposée. Mais finalement, c’est une non-réponse qu’il reçoit : elle ne sait pas. Hochant son menton de haut en bas, il presse ses lèvres l’une contre l’autre en disant, désireux de l’apaiser : « Nous irons voir, ne t’inquiète pas. » Rien ne serait plus étonnant que d’apprendre qu’il existe d’autres enfants de Vladimir mais, pour l’heure, c’est le cas de Mikhail qui l’intéresse le plus. « Son bureau, il est chez vous ou dans un local du gang de Vladimir ? » Se rendre dans le nid de la guêpe est inconscient, en revanche, si c’est chez eux, le patriarche a dû se rendre sur place avec quelques hommes seulement, pour ne pas éveiller les soupçons des voisins… Cela ne rend pas l’affaire moins dangereuse, mais plus facilement réalisable.

Il n’est pas sûr que Mikhail soit mort, contrairement à Shufen qui s’effondre en larmes, incapable de retenir le flot de tristesse qui vient remplir ses paupières pour dévaler ses joues. Son mari, l’homme qu’elle aime, auquel elle a dédié sa vie, n’est plus.

Il comprend et entend parfaitement le chagrin qui s’abat sur sa belle-soeur, et ne peut s’empêcher de la regarder en caressant distraitement son épaule, essayant ainsi de la réconforter. « Un problème avec la tite’ dame, patron ?  Quelqu’un l’emmerde ? » Dimitri, les pouces rentrés dans les poches de son jean, un cigare au bec, regarde Shufen en ayant l’air de vouloir voler au secours de la demoiselle en détresse. Tournant le menton vers lui, Ezekiel lui fait signe de déguerpir d’un geste de la tête, avant de reporter toute son attention sur la brune. « Ne sois pas désolée, tu n’es fautive de rien. Il n’y a qu’un seul responsable et c’est lui. » Inutile de le nommer, cette ordure est parfaitement identifiable pour les deux interlocuteurs.

Se levant finalement, il prend une fine inspiration tout en glissant sa main dans ses cheveux, repoussant ses boucles brunes en arrière avant de dire, sur un ton plus calme mais néanmoins toujours nerveux, accompagné d’un croisement de bras contre son torse : « Ici, avec moi, tu es en sécurité. Il ne t’arrivera rien, ni à toi ni à lui. Je te le promets. »

L’ombre des possibles frères et sœurs plane au-dessus de cette conversation, et il est peut-être déplacé de tenir un tel discours alors que la malheureuse se retrouve fraîchement veuve mais, sans paraître outrée des questions qu’il pose, la belle brune y répond sans sourciller. « A vrai dire, les deux… Mais il ne voulait pas que Vladimir découvre qu’il vous cherchait, alors ce qu’on veut est sûrement chez nous. Vladimir venait très peu chez nous… » Son frère semble être quelqu’un de plutôt conscient de la personne étant leur paternel… enfin, semblait être. La nuance est aussi grande que malheureuse, et il baisse un instant les yeux pour soupirer avec tristesse. Apprenant à peine l’existence de ce frère, il doit déjà l’enterrer…

La pilule est difficile à avaler mais, comme il fait déjà face au chagrin de sa belle-sœur, il pousse le sien dans un coin afin de l’ignorer ; heureusement qu’il est devenu maître dans l’art de dissimuler ses sentiments. Après l’interruption d’un membre du Club, et ayant toujours son bras autour de ses épaules, il relève des yeux bienveillants sur cette dernière, lui affirmant, d’un ton sincère et déterminé, que rien ne lui arrivera tant qu’elle sera ici.

Elle semble le croire puisque, en l’observant, il voit ses traits qui se détendent et ses épaules qui retombent d’un coup d’un seul ; il ne sait pas s’il vient de lui ôter un poids mais, en la mémoire de son frère, cet autre-lui qu’il n’a peut-être pas eu la chance de connaître, il va protéger sa femme ainsi que sa descendance. « Merci, Ezekiel… Je- j’ai une dernière chose à te demander. J’ai peur qu’il cherche à s’en prendre à ma famille pour nous atteindre, Luhan et moi… Est-ce que tu pourrais les mettre à l’abri ? Je sais que j’en demande beaucoup… Désolée. » En l’écoutant, il hoche lentement son menton de haut en bas tout en prenant une fine inspiration : « Évidemment, on va s’occuper d’eux. » dit-il dans un premier temps, retirant son bras pour se lever machinalement de la banquette sur laquelle il était assis, réfléchissant à toute vitesse. « On va aller les chercher. Tu peux me donner leur adresse ? » Reprenant sa canne de sa démarche boitillante, il part derrière son bureau pour attraper la veste en cuir qu’il enfile rapidement, tout en parlant à la même vitesse : « Une question : sont-ils hostiles aux mutants ? Je peux me téléporter, je vais les emmener chez moi pour cette nuit. Il va falloir que tu leur dises d’abandonner leur téléphone portable. » Se tournant vers ses hommes de mains, il les interpelle avant de leur demander d’aller chercher une serveuse ou une danseuse pour qu’elle puisse veiller sur le petit bout de chou endormi durant leur absence. Une fois qu’un des hommes s’est levé, non sans avoir prévenu les autres qu’ils n’ont pas intérêt de tricher, le bouclé se retourne vers Shufen en disant, visiblement sous pression : « On y va ? »

S’il n’est pas connu pour être une personne particulièrement généreuse avec les inconnus, force est de constater que cette belle-sœur, qu’il ne connaît que depuis quelques minutes à peine, fait déjà partie de la petite famille qu’il s’est construite. Le Club, assemblée de gens de différents horizons et baignant tous dans une forme d’illégalité, sont les personnes qui comptent le plus à ses yeux… Emma et Azael en feront bientôt partie, peut-être, il l’espère. Encore faut-il qu’il se sente prêt à retrouver sa soeur jumelle mais, cela, est bien loin de son esprit en cet instant.

Bousculé par la découverte de ce demi-frère caché, par la mort de celui-ci et par les horreurs une fois de plus provoquées par son père, il n’a désormais qu’une chose à l’esprit : protéger sa belle-sœur, son neveu et leur famille. « Tu me remercieras lorsqu’ils seront à l’abri. » dit-il d’un ton un peu froid, mais surtout pressé car il sait que le temps est compté, surtout si Vladimir est sur la même quête qu’eux.

Sud de Manhattan n’étant pas assez précis, il lui demande de lui donner l’adresse exacte ou, du moins, ce qu’il y a autour de chez eux pour trouver un endroit qui lui évoque un souvenir assez précis pour une téléportation ; une fois la correspondance obtenue, il hoche son menton de haut en bas avant d’aller derrière son bureau pour récupérer un revolver qu’il glisse à sa ceinture, avant d’attraper sa veste et de faire appeler une serveuse ou une danseuse pour le gosse. Il faut bien que quelqu’un veille sur lui, et ce n’est sûrement pas un de ses hommes de mains qui va s’en charger, non pas qu’ils lui feraient du mal mais, ils ne sauraient pas s’en occuper.

« Je vais peut-être les garder chez moi, alors. » dit-il avec un petit sourire visant à réconforter la jeune femme, avant qu’elle ne soit prête à partir. « Ça risque de secouer un peu. » prévient-il en grimaçant légèrement avant de poser une main sur son épaule, l’emportant avec lui dans une rapide téléportation : un quart de secondes après, tous deux se retrouvent devant un café à la devanture fermée, dans le Sud de Manhattan, non loin de l’adresse indiquée. « Suis-moi. » dit-il d’une voix concentrée en prenant la main de Shufen dans la sienne, marchant d’un pas rapide tout en regardant autour de lui… Pour l’instant, c’est plutôt calme.

Ils arrivent devant l’habitation et, de l’extérieur, rien n’indique une mauvaise situation : on entend la télévision, un bruit de vaisselle et… des voix qui discutent calmement. Tout semble normal, voilà qui est plutôt rassurant pour le moment. Levant légèrement le menton, Ezekiel lui dit, toujours aussi concentré : « Parle-leur la première pour ne pas qu’ils s’inquiètent, d’accord ? »

Une fois devant le domicile des parents de la brune, Ezekiel pose une main sur son bras pour l’interrompre dans ses mouvements : il vaut mieux observer les alentours avant de se précipiter dans la gueule du loup. Derrière les fenêtres, il peut apercevoir que la vie quotidienne est à l’oeuvre, sans éclat de bruits ou voix qui s’élèvent dans la terreur ; bien au contraire, le calme apparent est grandement rassurant.

Tandis qu’ils s’avancent vers l’entrée, Ezekiel se retourne pour vérifier qu’aucune menace ne les guette : si Vladimir est dans les parages, il sait se faire discret, mais le mutant préfère songer que personne n’est là. Pour l’instant, du moins.

Shufen est la première à s’avancer car elle est une figure familière, qui n’alertera point ses parents ; ses parents se battent presque pour l’accueillir, le père optant pour la tendresse d’une étreinte tandis que la mère préfère l’examiner d’un oeil attentif, pour s’assurer qu’elle va bien. Si elle savait… Deux soeurs et un frère se rapprochent à leur tour, et en retrait derrière, Ezekiel lance un regard circulaire sur le paysage tout en calculant combien de téléportation il va devoir accomplir pour tous les ramener en sécurité, mais le temps presse et ils ne doivent pas s’attarder trop longtemps ; ici, ils sont trop exposés.

Shufen les presse en ce sens, les sommant de rapidement rassembler quelques affaires car l’urgence est de fuir : ils obtempèrent avec une docilité surprenante, mais il s’en réjouit intérieurement. Leur expliquer aurait pris un temps qu’ils n’ont pas.

Elle l’interpelle pour qu’il s’approche et il le fait, non sans essayer de faire apparaître un sourire sur ses lèvres : il ne veut pas les inquiéter mais difficile d’être détendu dans pareilles circonstances. « J’ai quelqu’un à vous présenter… Voici Ezekiel. C’est… Et bien, c’est le frère de Mikhaïl. » Hein? Ah, oui… Il n’est pas encore totalement habitué à l’idée d’avoir un frère, il faut déjà qu’il se fasse à l’idée d’avoir une soeur. « Enchanté… » dit-il d’une voix hésitante, n’étant pas sûr que la formulation est la bonne, mais il n’en possède pas d’autres.

Il attend patiemment que tout le monde soit prêt, jetant des regards à l’extérieur aussi souvent que possible, juste pour s’assurer que personne n’arrive. Enfin, lorsque les deux premières personnes sont prêtes, il lance un regard complice à Shufen avant de s’approcher d’elles pour poser l’une de ses mains sur elles, disparaissant dans une rapide téléportation qui laissent des volutes de fumée derrière lui. Revenant un quart de secondes après, il recommence avec le petit frère et les parents de Shufen, les téléportant dans son appartement de Manhattan : cette fois, il s’attarde un court moment de plus, prenant le temps de leur dire de faire comme chez eux.

Revenant dans la maison familiale de Shufen, il la retrouve en lui disant directement « Tout va bien ? » Au moment même où il prononce ces mots, deux voitures s’immobilisent dans l’allée et, Ezekiel ne perd pas de temps : attrapant le bras de sa belle-soeur, il se téléporte de nouveau dans le bureau de son établissement, ne prenant pas le risque… Mais il le sait. Son père était là.