31 décembre 2024

Voyant le bus approchant de notre arrêt, je prends délicatement Luhan dans mes bras. Il s'est endormi pendant le trajet et je n'ai pas le coeur à le réveiller. Je passe la lanière de mon sac de voyage sur mon épaule et je descends du bus, mon fils dans mes bras. Allez, courage Shufen. Tu y es presque. Tiens bon... Oui, on sera bientôt à l'abri. Repositionnant mon sac, je marche en direction du Devil's Playground, qui est à quelques mètres seulement de l'arrêt... Heureusement pour moi. Mine de rien, Luhan commence à peser son poids, alors... Et puis, j'ai le sac de voyage à porter aussi. Plus je me rapprochais, plus je pouvais entendre la musique venant de l'intérieur du Night-Club. C'est vrai, le réveillon... Et dire qu'on attendait Mikky pour le fêter... Désolé, Luhan. L'année va très mal commencer pour nous. Je ne sais pas comment je vais pouvoir te dire que tu ne reverras pas ton père. Moi-même, j’ai l’impression de tomber dans un puits sans fond. Je pose un baiser sur son front, avant de m'approcher de l'entrée. Un vigile au crâne rasé, la gorge couverte de tatouage, s'y trouve. Je me dirige vers lui d'un pas assuré. Je ne lui laisse pas le temps de me demander ce que je fais là : je n'ai pas le temps pour les discussions.

"Bonsoir. Je dois voir Ezekiel.

- Heu... Il m'a parlé d'aucun rendez-vous...

- Je suis une Ranevskaia. Je n'ai pas besoin de rendez-vous. Laissez-moi passer.

- Hein ?"

Cette phrase sembla le perturber. Il fronça les sourcils. Comme il a vu que j'avais l'air sérieuse et surtout déterminée à entrer, il me fit signe de patienter et rentra à l'intérieur. Je claquais la langue, agacée de devoir attendre. Ignorant combien de temps j'allais devoir rester plantée là, je posais le sac de voyage à mes pieds, remontant un peu Luhan dans mes bras. J'appréhendais un peu de rencontrer le demi-frère de Mikhaïl. Je me doute qu'il s'était assez renseigné sur lui, s'il était aussi persuadé qu'il m'aiderait. Mais je craignais qu'il se soit trompé... Qu'est-ce que je ferais si Ezekiel refusait de nous aider ? De nous protéger ? Je secouais la tête pour me reprendre. Mikhaïl nous a envoyé vers lui, je ne peux que lui faire confiance. Tout ira bien. Enfin, il fallait déjà que je puisse le rencontrer. Il en met, un temps.

31 décembre 2024

Bon, il en met du temps. Est-ce que c'est le patron qui n'a pas envie de se déplacer ou bien l'homme de main qui n'est pas capable d'expliquer la situation ? Je soupirais, exténuée mais je fus interrompue dans mes râleries mentales par- un homme, qui était tout bonnement apparu de nul part. J'avais sursauté, surprise, avant de rapidement me reprendre en voyant qu'il s'approchait de moi. Le fameux Ezekiel, donc ? C'est vrai que je voyais la ressemblance avec Vladimir. Bien sûr, il voulait savoir qui j'étais. Si le gorille lui avait bien répété ce que j'avais dit, il devait sûrement se demander pourquoi je prétendais être une Ranevskaia. Ce que j'allais confier ne serait pas facile pour lui. Mais peu importe, j'étais là et il était hors de question de faire marche arrière. Je soupirais à nouveau.

"Je m'appelle Shufen Ranevskaia. Je suis votre belle-soeur."

Je baissais le regard vers Luhan.

"Voici Luhan. C'est votre neveu."

Je le remontais un peu dans mes bras alors qu'il dormait, imperturbable. Il fallait attaquer le plus gros morceau des révélations que j'allais imposer à cet homme, ce soir. Je relevais le regard vers lui et l'observais quelques instants, mon regard se posant sur la canne sur laquelle il s'appuyait. Je continuais finalement.

"Je sais que ça va être difficile à croire, mais... Votre père, Vladimir Ranevskaia... n'a pas été le plus fidèle des hommes. Il a eu un fils avec une autre femme... Et il se trouve que je l'ai épousé."

Je ne sais franchement pas s'il va me croire. Si besoin... J'ai des photos, dans mon téléphone, où Vladimir et Mikhaïl apparaissent. Ca sera une preuve, si besoin. Je sentais mon fils bouger un peu dans mes bras... Il a probablement froid. Je le couvre de mes longues manches, tout en regardant mon beau-frère, on ne peut plus sérieuse.

31 décembre 2024

Je commençais donc par répondre à sa question. Je ne donnais pas de détails, en tout cas pour l’instant : j’allais droit au but. Mon nom, notre lien de parenté. Ce premier point le perturba. Je n’avais pas pensé à Azael. Cela portait à confusion, en effet… Même si la présentation de Luhan écartait la possibilité que je sois mariée à sa sœur. Pour toute réponse à cette interrogation, je secouais doucement la tête. “Je ne comprends pas.” Evidemment. Il ne connaissait pas encore l’existence de Mikhaïl. Comment aurait-il pu comprendre la situation ? Pour l’éclairer, ou du moins essayer en peu de mots, je lui expliquais l’infidélité de son père. Ezekiel n’en fut que plus surpris et confus. Il était très expressif là-dessus. Il ne réagit pas tout de suite, avant de m’inviter à entrer. Je ne cherche pas le moins du monde à cacher mon soulagement. Je ne voulais pas que Luhan tombe malade, mais surtout, j’étais soulagée que Ezekiel soit disposé à m’écouter.

“Merci.”

Récupérant mon sac de voyage, je le calais à nouveau sur mon épaule pour le suivre sans un mot. Il me mène dans des sous-sols. C’est certainement son bureau… Il avait du goût, mon beau-frère. J’admirais quelques instants la belle décoration de la pièce, avant de remarquer des hommes dans un coin, jouant aux cartes. Ils sont cependant concentrés sur leur conversation peu recommandable, alors je décidais de simplement les ignorer, tournant mon attention vers Ezekiel. Il me désignait une banquette pour que je m’assois. Je lui souris légèrement en hochant la tête. Je m’approchais et posais mon sac au pied de la banquette. Je m’assis ensuite, installant mon fils à mes côtés, avant de me tourner vers mon beau-frère, qui a toujours l’air profondément confus. Il me demanda des explications… Je souris tristement, car ce que je vais lui raconter ne sera pas tout à fait joyeux.

“J’imagine bien… Je ne connais pas tous les détails. Ton père n’est pas vraiment le type à raconter sa vie… Enfin… Voilà. Comme je te l’ai dit, ton père a eu une aventure avec une autre femme. De leur union est né Mikhaïl… Mon mari.”

Même si je ne croyais pas avoir besoin de lui prouver quoi que ce soit, je pensais qu’il voudrait voir une photo de son demi-frère. Sortant mon téléphone, je cherchais quelques instants dans ma galerie d’images avant de trouver la photo que je cherchais. Cette photo avait été prise quand Mikky m’avait présenté à ses parents. On y voyait Vladimir, Mikhaïl, et sa mère. Je désignais mon mari.

“Voilà… C’est ton demi-frère… et celui d’Azael, bien sûr.” Je souriais tristement. “Mikky n’a jamais osé vous contacter. Il avait sûrement peur que son père le découvre.”

Mes yeux se posèrent sur Luhan. Je caressais ses cheveux.

“Luhan est notre fils. Donc… ton neveu. Il avait hâte de te rencontrer, mais il est épuisé.”

Oui, je sais. Je repoussais le moment de lui avouer que… qu’il ne pourrait pas rencontrer son demi-frère. A cette pensée, mes yeux s’embuèrent de larmes, que j’essuyais rapidement du revers de ma manche. C’était quelque chose de dur à dire. Je ne réalisais même pas encore que je ne reverrais plus jamais mon mari.

31 décembre 2024

J’avais bien remarqué l’air lointain d’Ezekiel, alors qu’il me menait jusqu’à son bureau. Je n’avais pas vraiment fait attention à la fête autour, je n’avais pas vraiment la tête à ça. Pas tout de suite. A vrai dire, ce qui m’avait surtout inquiété, c’était que le bruit réveille Luhan. S’il bougea un peu, il n’ouvrit pas ses paupières une seule seconde. J’avais souri brièvement. Ma petite marmotte… C’était mieux que tu te reposes.

Dans le bureau de mon beau-frère, installés sur ces banquettes confortables, les sujets fâcheux commençaient à être abordés. D’abord, je lui parlais de Mikhaïl. Pourquoi il avait un frère, son prénom, je lui montrais aussi son visage. J’imaginais que lorsqu’on se découvrait un frère caché, on voulait voir à quoi il ressemblait. Il n’hésita pas un instant à regarder, tandis que je continuais à parler. Son expression trahissait (si on pouvait le dire ainsi ; il ne le cachait pas après tout) toute la surprise de cette situation. Je ne pouvais que compatir, je ne venais pas avec des nouvelles faciles à appréhender et assimiler. Je poursuivais en évoquant que Mikhaïl n’avait pas osé les contacter, par peur de son père. Ezekiel, qui s’était reculé un peu, lui posa une simple question : "Il est sous l’influence de mon père ?”. Un sourire amer m’échappa quelques instants. S’il était sous l’influence de son père ? C’était peu dire…

“Oui. C’est… même un euphémisme.”

Si ce n’est dans notre relation et lorsque cela nous concernait, Luhan et moi, Mikhaïl faisait absolument tout pour son père. Il n’a toujours voulu que son approbation… Son amour, en fait. Mais je pense qu’il savait, au fond de lui, qu’il ne l’aurait jamais. C’était juste trop dur à accepter.

Alors que j’avais détourné l’attention sur Luhan, parlant de son impatience de rencontrer son oncle, Ezekiel posa une autre question. Celle que je craignais, celle qui menait à ce que je ne voulais pas avouer, que je ne voulais pas prononcer tout haut… Et surtout, comment pouvais-je débarquer ici pour lui parler d’un frère caché, pour lui dire tout simplement qu’il n’était plus ?

Oh bon sang, Mikhaïl n’était plus là. La révélation me heurta de plein fouet alors que je croisais le regard d’Ezekiel. Pendant un instant, je retrouvais dans ses yeux une lueur que j’avais si souvent vu dans ceux de mon mari. Et cette lueur, alors que je réalisais l’horrible réalité, acheva de me briser. J’ai essayé de le dire, mon regard plongé dans celui de mon beau-frère.

“Ezekiel…”

Je m’effondrais. Je fondais en larmes, tout simplement, mes émotions libres de s’exprimer, maintenant que le danger n’était plus immédiat, maintenant que je pouvais me le permettre, maintenant que je devais me confronter à la mort de l’amour de ma vie.

31 décembre 2024

Ezekiel ne semblait nullement surpris du fait que Mikhaïl avait peur de leur père, me questionnant presque aussitôt pour savoir s’il était sous son influence. Il confirma ma pensée lorsque je répondis que c’était le cas, l’insultant au passage. Il avait dû autant souffrir de cet homme que Mikhaïl… Je n’osais pas imaginer ce qu’il avait bien pu leur faire, à lui et à Azael.

“Je ne peux qu’approuver.”

Finalement, Ezekiel avait posé une simple question qui m’avait brusquement confronté à la réalité. A l’heure qu’il est, Mikhaïl est mort. je le sais, je connais mon beau-père. J’ai déjà vu plusieurs fois le sort qu’il réservait aux subordonnés qui échouaient. J’avais bien vu la haine décuplée dans les yeux de Vladimir, depuis qu’il était réapparu avec les autres disparus et qu’il avait trouvé son fils à la tête de son gang. Il l’avait tué.

Le chagrin me submergea soudainement, alors même que j'essayais de répondre à Ezekiel… De lui dire qu’il ne connaîtra jamais ce frère dont il vient d’apprendre l’existence. Mon monde s’effondrait autour de moi et alors que je perdais pieds dans mon chagrin, qu’un poids comprimait ma poitrine à m’en donner l’impression de mourir, le bras d’Ezekiel se glissa autour de mes épaules pour me ramener contre lui. Ce geste m’empêcha de sombrer et me maintins sur la terre ferme. Je me laissais aller contre lui, laissant mes larmes couler librement, tandis qu’il me souffla qu’il était désolé. Incapable de parler, je me contentais de fermer les yeux tout en sanglotant. Je restais ainsi quelques minutes, avant qu’enfin le torrent de mes larmes se tarisse un peu. Je respirais profondément, tentant de me calmer maintenant que mes idées étaient un peu plus claires. Je me redressais doucement, posant une main sur le bras de mon beau-frère dans un geste reconnaissant. J’essuyais ensuite mes larmes, reniflant avant de me pencher vers mon sac pour attraper un mouchoir.

“Vladimir… Je…” Je soupirais. “Il a fait partie des victimes du snap. Pendant ces cinq années, c’est à Mikhaïl qu’est revenu la place de chef de son gang. Je l’ai assisté, principalement pour mater toute idée de rébellion.”

J’essuyais mes larmes et j’utilisais mon mouchoir. Je fixais un point, dans le vide, pour me concentrer sur ce que je disais et non sur mes émotions, qui menaçaient d’exploser à nouveau.

“Quand il était revenu, il était furieux que ce fils qu’il pensait inutile ait pu gérer son gang aussi bien que lui… Peut-être même mieux, sur certains aspects. Il est devenu… encore pire avec lui. Il- il y a quelques heures, Mikhaïl est rentré en catastrophe à la maison. Il m’a dit qu’il avait échoué à la mission que Vladimir lui avait confiée… Il m’a dit que son père l’avait menacé, avant ça. Qu’il ne pouvait pas échouer.”

Les larmes remontaient à nouveau, mais peu importe, je n’avais pas la force de les retenir.

“Il- il m’a dit ensuite… de venir te voir, que lui… qu’il irait voir son père pour gagner du temps. Il- j’ai- j’ai essayé de le retenir, Ezekiel… J’ai essayé…”