La sonnerie du téléphone du petit Baskerville avait un instant fait diversion à l’inquiétude des deux enfants. Elle vit la petite se serrer un peu plus contre son ami, l’oreille posé contre le combiné entre leurs têtes, visiblement en quête de quelques mots rassurants. Le petit garçon opina du chef en guise d’assentiment. Pas besoin d’être devin pour savoir qui était à l’autre bout du fil. Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, elle ressentit autre chose que du mépris et de la défiance envers l'agent du SHIELD. Il avait beau être ce qu’il était, elle se doutait qu’en ce moment, son cœur de père devait devenir fou.

La voix de la créature qui se trouvait dans la nacelle en face d’elle, s’éleva à son tour, s’adressant aux enfants pour tenter de les rassurer à son tour. Lys lui jeta un coup d’œil et un sourire reconnaissant. Vu les circonstances, la dernière chose dont ils avaient besoin était qu’ils ne s’agitent trop, au risque de faire basculer la nacelle.

Elle entrouvrait les lèvres pour former un discret « merci » lorsqu’un grincement de ferraille, aigu et inquiétant, se fit entendre. D’un coup, la roue céda, et commença à basculer sur le flanc, avant de s’immobiliser à nouveau brusquement dans une position totalement improbable. Un cri de surprise et de peur échappa à la rouquine, noyé dans ceux des autres passagers de cette engin de malheur. Le choc du garde fou contre ses côtes lui coupa le souffle et elle s’y accrocha comme une noyée à sa bouée. Heureusement, elle était toujours à l’intérieur de la nacelle.

Ce qui n’était pas le cas de la petite fille. Lys écarquilla les yeux d’horreur. Elle se balançait dans le vide, ses petites mains, agrippées à la barre épaisse et glissante, menaçant de lâcher prise à tout moment. Elle hurlait, appelait son ami à l’aide.

Non. Ce n’était pas possible. Pas encore ! Elle était venue là pour tenter de combattre le syndrome de stress post-traumatique qu’elle traînait depuis l’attentat au Rabbit Hole. Elle s’était dit qu’une soirée festive sans accrocs pourrait l’aider. Au temps pour la soirée festive et sans accrocs…

Elle reconnu les signes, la poitrine serrée, la respiration de plus en plus sifflante, le bourdonnement dans ses oreilles qui s’amplifiait de plus en plus, au point de presque occulter les bruits extérieurs, le froid qui lui mordait les os. Les signes avant coureur d’une crise d’angoisse mémorable. Elle jeta un coup d’œil vers le sol. Qui s’était dangereusement rapproché. Son esprit enregistra les mouvements de la foule que certains tentaient de canaliser pour évacuer les gens. La roue allait tomber. Il allait y avoir des dizaines de morts et de blessés. De la douleur, de la peur, de l’angoisse. L’air autour d’elle en était déjà saturé. Des flashs envahissaient son esprit. Le feu, l’odeur de chair brûlée, le regard mort des victimes. Pas encore ! Pas de nouveau ! Elle ne pourrait pas le supporter.

Elle se sentait inutile, aussi inutile que ce qu’elle l’avait été quelques semaines plus tôt. A quoi bon avoir des pouvoirs s’ils étaient inutiles. Et l’espace d’une fraction de seconde, elle eut la tentation de lâcher prise. Dans tous les sens du terme. Après tout, la roue allait tomber, à quoi servait-il de prolonger l’angoisse puisque l’issue était inéluctable. Il lui suffirait de se pencher un peu et de laisser la gravité faire le reste.

Déjà ses doigts relâchaient leur prise sur la barre, et sa tête penchait un peu plus vers le vide, lorsqu’un nouveau hurlement de terreur se fit entendre dans la nacelle des enfants. Tournant la tête dans leur direction, elle vit que Cirth, puisque c’est ainsi qu’il semblait s’appelait, avait agrippé le bras de sa camarade. Et un déclic se fit dans l’esprit de Lys.

Elle ne pouvait rien faire pour la roue, mais, elle pouvait au moins aider le petit garçon à ramener son ami du bon coté du garde fou. Elle rassembla ses esprits, et se focalisa sur les enfants, s’efforçant d’ignorer sa propre peur, la douleur qui irradiait de ses cotes meurtries.

« Bravo Cirth ! Bien joué. Allez, tire ! Tu peux le faire, Tu peux y arriver j’en suis sure ! » Cria-t-elle avec enthousiasme.

Elle en était d’autant plus sure que dans le même temps, elle se concentra pour joindre son pouvoir aux efforts du fils Baskerville. Elle aurait probablement pu faire littéralement sauter la petite dans la nacelle, mais vu les circonstances et son étant de stress, elle préférait faire très attention. Ce n’était pas le moment d’avoir un sursaut brutal qui aurait envoyé la gamine s’écraser contre le bas-flanc.

Cirth tirait de toute ses forces et remonta peu à peu la petite fille, jusqu’à ce qu’elle bascule dans ses bras, à l’intérieur de la nacelle. Lys relâcha son attention et se laissa aller contre le garde-fou, tremblante et épuisée, pour reprendre son souffle.

Sa main glissa dans sa poche à la recherche de son téléphone portable, avant d’abandonner. Un nouveau flash dans sa mémoire. Elle se revit en train de taper un message pour Zemo, et d’attendre en vain une réponse. Inutile aussi d’appeler les secours, elle se doutait qu’ils devaient déjà avoir reçu des dizaines d’appel. Son téléphone resta dans sa poche.

Elle chercha des yeux l’étrangère à la peau zébrée. Elle se rappelait l’avoir vu pianoter sur son téléphone quelques secondes avant la chute de la roue. Elle se demanda à qui elle pouvait bien avoir envoyé un message en cet instant, un parent, un ami ? Elle espéra qu’elle avait reçu une réponse appropriée.

Alors que Lys reprenait ses esprits et poussait un soupir de soulagement de voir la petite fille de de retour dans la sécurité toute relative de la nacelle, elle sentit sa propre coquille de noix se balancer légèrement. L’être à la peau blême qui occupait la nacelle voisine, venait de faire un bon incroyable pour la rejoindre. Elle s’assura qu’elle allait bien, avant d’expliquer qu’elle allait les sortir de là, précisant qu’elle était agente du SHIELD.

Lys se crispa légèrement. Elle n’avait jamais spécialement porté le SHIELD dans son cœur, plus encore depuis qu’elle partageait la vie d’Helmut. Bien sur, elle était moins inquiète que quand il était mal en point sur son canapé, maintenant il y avait peu de risque que le lien entre elle et lui soit découvert, mais elle se rappelait encore sa conversation avec Aemon quelques mois plus tôt, et ses menaces à peine voilées.

La première stupeur passée, elle tordit un peu le nez et pinça les lèvres. « Mes côtes vont garder un souvenir cuisant de cette expédition, mais j’ai connus pire. » répondit-elle, réalisant avec consternation que ce n'était pas qu'une façon de parler et tout en observant la nouvelle venue.

« P… Pardon ?! » demanda-t-elle en posant sur sa compagne d’infortune des yeux écarquillés de stupeur, ses mains serrant instinctivement plus fort la barre du garde-fou. Monter sur son dos ? Et sauter dans le vide avec elle ?! Bien sur, elle l’en savait capable, elle venait juste de le faire pour la rejoindre, mais avec un poids sur le dos ? Même si Azilys n’était pas très épaisse, elle était grande et faisait son poids. Et puis elle craignait que le choc ne déstabilise encore plus la nacelle des enfants, voir même la roue, qui semblait ne tenir par l’opération du Saint-Esprit.

D’un autre coté, il fallait bien commencer quelque part. Elle pourrait toujours utiliser son pouvoir pour amortir le choc et éviter que la nacelle ne se balance trop. Elle hocha la tête et suivit les directives de l’agente du SHIELD.

Ses oreilles raisonnaient encore du hurlement de terreur qu’elle avait poussé lors du saut lorsqu’elles rejoignirent la nacelle où les deux petits, terrifiés, se serraient l’un contre l’autre. Aussitôt Malady se présenta aux enfants, leur demandant leur nom, indiquant à Cirth qu’elle connaissait son père, pour les rassurer.

« Je m’appelle Azilys. » se présenta-t-elle à son tour d’une voix aussi douce et rassurante qu’elle le pouvait, leur adressant un sourire bienveillant, même s’il était un peu crispé. Quand Malady commença à expliquer son plan Lys lui lança un regard interloqué. Même si elle venait de lui donner la preuve qu’effectivement, un saut de cette envergure, même chargée ne lui poserait pas de soucis, l'infirmière avait un peu de mal à imaginer qu’elle puisse amortir le choc de la roue leur tombant dessus. Ils allaient connaître tous les quatre le sort des mouches sous une tapette.

Elle réfléchissait, enfin essayait de réfléchir, au milieu de la panique ambiante. Des cris de terreurs s’élevaient des nacelles alentour. Ceux qui l’avaient pu avait déjà sauté pour rejoindre la terre ferme et se mêler à la grande pagaille qui régnait au pied de la roue, mais il restait quand même beaucoup de monde coincé dans les nacelles les plus élevées.

Elle regarda à nouveau les enfants, puis le sol, cherchant à évaluer la distance. C’était risqué, mais ça pouvait marcher. Elle savait déjà que la petite Anna n’était pas bien lourde et Cirth ne devait pas l’être non plus. Elle pinça les lèvres. Mwouai, ça pouvait se tenter. A nouveau elle fouilla la foule des yeux pour tenter de repérer Aemon. Une fois qu’elle l’eut repéré, elle glissa son pousse et son index entre ses lèvres pour l’interpeller de sifflement puissant.

« Malady, il y a beaucoup d’autres personnes dans les nacelles. » dit-elle d'un ton inquiet, en captant son regard pour lui faire comprendre qu'elle venait d'avoir une autre idée, avant de se retourner vers les enfants. « Cirth, tu me prêtes ton téléphone ? ».

Un peu interloqué par le sifflement, le jeune garçon lui passa son appareil sans un mot. Elle relança un appel en direction du numéro « Papa » et expliqua ses projets au jeune homme dés qu’il décrocha. « Aemon. Vous me connaissez, vous savez qui je suis, et de quoi je suis capable. Allez attendre les enfants sur la pelouse derrière vous, à gauche de l’allée.  » ordonna-t-elle avant de raccrocher et de se tourner vers Malady. « Je m’occupe de faire descendre les enfants. Essayez d’aider les passages des autres nacelles, ils sont trop loin pour moi. Revenez me chercher après. » lui demanda-t-elle.

« Il se trouve que je suis un peu magicienne. » leur confia-t-elle sur un ton de conspirateur, en faisant léviter le téléphone de Cith et le faire glisser dans les airs jusqu’à lui. « Vous avez déjà fais du toboggan sur les nuages ? Ça vous dit d’essayer ? Qui commence ? ». Cirth en bon petit gentleman poussa sa compagne à passer en premier. Lys sourit à la petite, la prit dans ses bras un instant pour tenter de la rassurer et évaluer son poids. Elle en profita pour lui glisser à l’oreille. « Ferme les yeux ma puce, et imagine que tu chevauches un nuage. » Tout en lui parlant, elle desserra ses bras, laissant son pouvoir prendre le relais. Elle ne savait pas comment ça marchait, et elle s’en fichait, l’essentiel, c’était que ça marchait. Avec beaucoup de concentration, elle fit dériver la petite jusqu’au dessus du garde-corps. Anna ne put se retenir d’ouvrir un instant les paupières, et hurla avant de se recroqueviller sur elle même. L’agitation de la petite lui avait fait faire un petit soubresaut qui avait donné des sueurs froides à l’infirmière, mais elle réussit quand même à faire dériver l’enfant vers le sol avec une trajectoire en pente douce, jusqu’à ce qu’elle se retrouve, toujours aussi terrifiée, toujours aussi recroquevillée, mais sur la terre ferme et à une distance raisonnable de l’agitation de la foule.

Elle eut un léger vertige, sans qu’elle puisse dire s’il était du au contrecoup quand elle avait relâché sa concentration ou à une nouvelle secousse de la nacelle. Du coins de l’œil, elle vit Malady dans une autre nacelle, en train de prendre en charge les occupants. Il ne fallait pas traîner. Elle se retourna vers Cirth, avec peut être un peu plus d’urgence. Elle l’avait déjà soulevé dans les airs quand elle lui demanda « Prêt à rejoindre ton papa ? ». A son tour, Cirth retrouva le plancher des vaches, et sa douce compagne. Ce deuxième voyage avait été plus éprouvant pour Lys. L’atterrissage de Cirth un peu moins contrôlé que celui de la petite. Mais il se releva presque aussitôt pour jeter un coup d’œil vers la nacelle qu’il venait de quitter. Ce fut la dernière chose que Lys vit avant de s’évanouir.

Allongée au fond de la nacelle, Azilys papillonna des yeux en reprenant lentement conscience. Elle entendit quelqu’un crier à quelques mètres d’elle, l’exhortant à se relever. Il lui fallu encore quelques secondes pour retrouver ses esprits, surtout se rappeler où elle se trouvait. Elle avait un peu froid maintenant, même si la soirée était relativement clémente pour la saison, et qu’elle était bien couverte. Elle se rappela les derniers évènement, et poussa un soupir de soulagement en se rappelant le regard du petit Baskerville depuis le sol. Elle avait réussit a faire descendre les enfants. Elle s’autorisa à refermer un instant les yeux et à laisser sa tête retomber sur le sol de la nacelle.

Un mouvement de la nacelle la fit sursauter. Pas un mouvement latéral, mais un mouvement plus fluide, comme si malgré sa position plus qu’instable, la roue tournait autour de son axe. Elle tenta de se relever, mais à peine relevé sur ses coudes, elle fut prise d’un vertige qui l’obligea a fermer les yeux et à respirer profondément pour faire disparaître les papillons noirs qui s’étaient mise à danser devant ses yeux. A coté d’elle, elle entendait toujours la voix de l’homme qui l’encourageait. En même temps, elle percevait son espoir. Il avait du être témoin de l’envol des deux petits anges, il devait espérer qu’elle pourrait faire de même pour lui. Son cœur se serra. Elle ne pourrait que ne le décevoir. Elle avait déjà eu du mal avec les enfants, un homme adulte, il avait plus de chance de s’en sortir en sautant de son plein gré qu’en comptant sur elle.

A nouveau, la nacelle bougea avant de s’immobiliser à nouveau. Comme si quelqu’un la faisait tourner manuellement. Elle fini par arriver à se redresser sur les genoux, s’aidant en s’accrochant à la rambarde pour jeter un coup d’œil à ce qui se passait en bas. La foule semblait avoir été enfin canalisé, un impressionnant cordon de sécurité s’était mis en place. Elle vit Malady, prés d’une nacelle au raz du sol, aidant les passager à en descendre avant qu’ils ne s’éloignent en courant. Et elle comprit ce qu’elle faisait. Clairement cette femme était dotée d’une force herculéenne. Lys se dit qu’elle pourrait peut-être l’aider un peu en utilisant son don pour le joindre à sa force physique, mais elle se sentait vide, tellement épuisée qu’elle avait même du mal à lever la main. Il lui faudrait probablement plusieurs minutes pour récupérer assez pour envisager de pouvoir marcher seule, et probablement plusieurs heures de sommeil pour arriver à déplacer une tasse à café par la pensée. Elle ne pouvait plus rien faire pour les aider.

Ceci étant dit, l’idée de Malady semblait plutôt bien fonctionner pour l’instant, et puis, la cavalerie était arrivée. Elle se laissa à nouveau glisser au fond de la nacelle et ferma les yeux, en croisant les doigts pour que la roue ne s’effondre pas totalement avant que tout le monde, elle comprise, ait pu être évacué par les services de secours, et se promit que la prochaine fois qu’elle aurait envie d’une petite sortie pour se changer les idées, elle irait plutôt rejoindre sa couette avec un bon livre et une tasse de chocolat chaud.