[Terminé] Le bonheur de l'imprévu

« Je ne demande pas à être cru. Mais si je voulais vraiment vous tuer, vous seriez morte. Vous pouvez croire ça. » Elle roule des yeux pour les lever vers lui, le toisant d’un oeil mauvais en pressant ses lèvres d’un air cruellement dubitatif, ne pouvant s’empêcher de se demander ce qu’il espère produire comme effet en lui rappelant qu’il est un tueur expérimenté qui n’hésitera pas à presser la détente pour la tuer elle. Comme façon de rassurer les gens, on fait difficilement pire. « Enfilez ça. » Surprise de sa soudaine générosité, Alison fronce lentement ses sourcils en hésitant un court instant à se saisir de la veste qu’il lui tend, comme si elle redoutait un piège mais, voyant rapidement qu’il est sincère dans sa démarche, elle s’en saisit afin de l’enfiler à la hâte, profitant de la douce sensation de chaleur qui vient apaiser les frissons sur ses bras. « Merci… » Souffle-t-elle en tirant sur les manches trop longues pour elle, car étant d’une taille et d’un corps largement moindre par rapport à l’homme musclé qui vient de concéder son vêtement.

Dire qu’elle a hâte de rentrer chez elle, de fermer tous les volets et de se fondre dans ses draps pour dormir serait mentir mais, avant d’avoir ce luxe, il lui faut songer à la sécurité du lieu, peut-être également ciblé par les menaces ? « Votre logement est plutôt bien sécurisé. J'aurais pu vous éliminer là-bas, mais plutôt difficile de passer inaperçu. Je ne pense pas qu'on essaye de vous avoir là-bas quand il tellement plus facile de vous filer dans vos déplacements. » Est-ce qu’il se rend compte des informations extrêmement angoissantes qu’il lui balance à la figure sans aucun scrupule ? Est-ce qu’à force de tuer sans vergogne pour quelques billets, il a oublié son humanité ? Ses majeurs et index appuyés sur ses tempes, elle ferme les yeux quelques secondes en essayant de ne pas accorder trop d’importance à ce qu’elle vient d’entendre mais… Trop tard. C’est déjà imprimé dans son esprit. Combien de temps va-t-elle avoir peur dans la rue, dans les lieux publics ? Est-ce qu’elle va devoir vivre dans la peur jusqu’à la fin de sa vie à cause de connards dans son genre ? « Génial. » Ironique, elle passe l’une de ses mains sur ses paupières en déglutissant avec difficulté, son bras libre se mettant sous sa poitrine tandis qu’elle essaye de rester lucide, et de ne pas se laisser envahir par la peur.  La tâche est difficile. « Je vous propose de vous déposer là-bas et de vous laisser appeler de l'aide. Je peux même rester jusqu'à ce qu'ils arrivent, mais attention à ne pas faire de gaffe. Si c'est le cas, il y aura des morts et je suis certain que ce n'est pas ce que vous voulez. Alors que si je vous laisse partir, vous ne me reverrez pas, je peux vous le jurer. » Il n’y a pas d’hésitation à avoir, si bien qu’Alison hoche rapidement son menton de haut en bas en disant, d’une voix pressée : « Oui, d’accord, allons là-bas. Je vous promets que je ne dirai rien vous concernant… Ils me poseront des questions puisque mon chauffeur est mort, mais je dirais que vous aviez un manque et que je n’ai jamais vu votre visage. » Il lui a sauvé la vie, c’est donc la moindre des choses qu’elle en fasse de même, et personne ne lui en voudra de ne pas avoir une mémoire fiable dans un tel évènement ; elle pourra aisément dire qu’elle ne se souvient pas de tout le déroulé de la soirée.

Après cet accord, ils remontent sur la moto en direction de la station essence, qui n’est pas très loin ; il lui paraissait pourtant avoir rouler des heures avant d’atteindre cette forêt. L’adrénaline a déformé la réalité dans ses souvenirs, peut-être. Lorsque la moto s’immobilise dans un coin non-éclairé de la station service, qui n’est guère agrémenté de caméra de surveillance vu l’endroit miteux et la devanture qui n’est pas de première fraîcheur, la blonde descend de moto en tenant son petit sac dans une main, s’empressant d’enlever sa veste généreusement prêté pour le rendre à son propriétaire. « Merci, encore… » Pas seulement pour la veste, mais pour l’avoir épargnée : c’est implicite et nul doute que le tueur va le comprendre. « Je vais appeler mon assistant, il doit me chercher partout… » Elle se tourne machinalement vers l’intérieur de la station essence, éclairée par des néons blanchâtres qui permettent de voir l’étalage des produits vendus, avec un employé qui s’attèle à la tâche de remplir les dites étagères. Elle est traversée par la peur d’être de nouveau en danger, étant également la première surprise de constater que la présence d’Antoine la rassure. « J’y vais… » Elle le dit mais elle ne le fait pas tout de suite, restant quelques secondes immobile avant de finalement s’éloigner de quelques pas pour entrer dans la station essence, prendre un sachet au hasard et se diriger vers le comptoir pour demander à passer un coup de téléphone, tremblante comme une feuille morte et pieds nus — pieds ensanglantés. C’est décidément la pire soirée de sa vie.