[Terminé] Le bonheur de l'imprévu

D’un pas à la fois pressé et mal-assuré, la blonde avance sur le bord de la route en ne cessant de lancer des regards en arrière, le paysage verdoyant de la forêt humide étant illuminé par le feu qui monte jusqu’à la cime de l’arbre embrasé, véritable torche flambante dans la pénombre. Elle a autant peur que froid, puisqu’elle pressent que son sauveur n’en est pas véritablement un ; les circonstances de leur rencontre sont trop fortuites pour lui paraître innocentes, si bien qu’elle se demande sincèrement s’il n’était pas, de prime, motivé par les mêmes instincts que l’homme qu’il est en train d’abattre. Sinon, que faisait-il là ? Comment peut-il abattre un homme aussi facilement, sans la moindre hésitation, pour une inconnue qu’il ne connaît même pas ? Alison a beau n’avoir aucune expérience en la matière, elle n’est pas sotte au point de ne pas comprendre ce qui se trouve tout juste devant son nez.

« Putain de motards à la con. » Grommelle-t-elle entre ses dents blanches, interrompant sa marche pour retirer ses talons d’un geste souple, les tenant dans sa main par la lanière tout en soupirant afin de grimacer : toucher le goudron sale avec ses pieds blancs la dégoute au plus haut point, mais entre avoir les orteils poussiéreux et le corps criblé de balles, le choix est vite fait. « Aïe ! » Elle vient de marcher sur quelque chose de pointue, ce qui lui fait froncer les sourcils de douleur tandis qu’elle espace ses lèvres de quelques degrés, déposant ses chaussures sur le sol dans l’idée de contempler sa blessure sur le côté de son pied droit, mais elle n’en a pas le temps : déjà, le grondement d’un moteur se fait entendre, et elle reconnaît parfaitement la moto de son pseudo sauveur. « Oh merde ! » Sans penser à récupérer ses talons, elle s’enfonce aux abords de la forêt pour se cacher derrière le tronc épais d’un arbre, réalisant bien vite que la terre humide sous ses pieds est fortement désagréable, et augmente davantage le froid qui s’est déjà répandu dans tout son corps. « Oh, merde, merde, merde ! » Murmure-t-elle, plus pour elle-même qu’autre chose, en baissant les yeux sur ses pieds nus tout en croquant dans le coeur de sa lèvre inférieure.

Il va savoir qu’elle est dans les parages s’il remarque ses talons blancs… Mais va-t-il les voir ? Dans cette éventualité, la blonde tend l’oreille, se demandant si l’homme poursuit sa route ou non…

Elle a fui le danger d’un mec inconnu sorti de nulle part pour la sauver des griffes d’un motard inconnu sorti de nulle part pour finir, au milieu de nulle part, pieds nus, frigorifiée, collée contre un putain d’arbre à la con. Super soirée ! Rhett va l’entendre quand elle va le retrouver — et si elle le retrouve. Non, il n’a rien fait, ce n’est pas de sa faute si un tocard de première à payer des baltringues de seconde pour faire le sale boulot à sa place, mais quand même, il va bien falloir qu’elle passe ses nerfs sur quelqu’un et c’est lui qui est payé pour ça. C’est dans son contrat d’assistant ? Il va falloir qu’elle vérifie. Après lui avoir gueulé dessus, bien entendu.

Mais pour l’heure, c’est l’inconnu n1 qui gueule et, même derrière son arbre, dissimulée par l’obscurité de la forêt, Alison sait qu’elle est dans le pétrin. « Hey la princesse, tu veux vraiment pas que je te ramène ? » Règle n1 : quand une fille se cache derrière un arbre pour fuir un mec, c’est qu’elle n’a pas envie qu’il la ramène. « La première âme qui vive est à pas mal de kilomètres... » Oui, elle sait ! D’ailleurs pourquoi son chauffeur est passé dans ce coin paumé ? Enfin, elle ne va pas le maudire maintenant puisqu’il est mort mais… Quand même. Il aurait pu emprunter un autre chemin. « Je peux te déposer en un rien de temps. » Tout comme il peut lui foutre une balle entre les deux yeux en un rien de temps, c’est fou comme l’argument est beaucoup moins séduisant d’un coup. Mais pourquoi il insiste aussi, le bougre ?! Est-ce qu’il ne peut pas simplement monter sur sa bécane et partir ? Elle commence à avoir des fourmillements dans les jambes à force de grelotter de froid… « Je te jure que je te veux pas de mal. » Difficile de le croire mais elle a envie de le faire ; ce serait beaucoup plus simple si elle pouvait lui faire confiance. « Je sais qu'on se connais pas, mais si tu restes ici, tu vas crever de froid. » Dans tous les cas elle va mourir, non ? « Alors soit pas bête et laisse moi au moins te ramener à la station essence qui se trouve pas trop loin, enfin en moto. Après tu reprends ta vie et je reprend la mienne, ça te va ? » Il est tenace, et cela lui donne l’impression qu’il est de bonne foi, même s’il pourrait également l’être pour de mauvaises raisons. Mais elle n’a pas vraiment d’autre option puisque, à dire vrai, elle n’est pas sûre d’être en meilleure posture si d’autres personnes débarquent pour finir le travail à la place de celui resté dans les bois.

Alors, après une rapide concertation avec elle-même, elle finit par presser ses lèvres l’une contre l’autre en essayant de remettre de l’ordre dans ses pensées, avant de guider ses pas pour contourner l’arbre, visiblement incertaine dans ses propres gestes. Elle a envie de le croire, elle a profondément envie de croire qu’il ne lui veut aucun mal et qu’elle peut lui faire confiance mais, après ce qu’il vient de se passer, personne ne va lui reprocher d’être méfiante. « De toute façon, si tu me tues, je viendrai te hanter. » dit-elle en faisant quelques pas dans la terre humide mais, elle ne sait pas trop sur quoi elle marche, seulement c’est douloureux ! Des débris de verre ?! « Vous pouvez venir m’aider ? » Demande-t-elle en grimaçant, tendant ses bras en direction d’Antoine pour qu’il rapplique puisque, de toute évidence, elle préfère encore mourir d’une balle que de marcher dans la terre humide. Le sens des priorités, toujours.

Les mains tendues en sa direction, quémandant silencieusement son aide après l’avoir réclamée oralement, la diva attend que le chevalier — ou du moins celui qui prétend en être un ce soir, vienne lui porter secours. Qu’on se le dise, même Alison qui n’accorde que très peu d’importance aux autres se rend bien compte, en cet instant, que cela le saoule grandement de devoir jouer les sauveurs mais puisqu’il a tant insisté pour le faire, il va assumer maintenant. Donc, les bras tendus en sa direction, la blonde patiente sagement jusqu’à ce qu’il se rapproche et, sans lui demander la permission, appuie l’une de ses mains sur son épaule d’homme pour relever l’une de ses jambes et découvrir la plante de son pied ensanglanté, heurté par des débris de verre. « Les cons ! » Ceux qui ont balancé leurs bouteilles de bière sur le bas-côté, et qui causent aujourd’hui ses blessures : des cons elle l’a dit !

Mais puisque Antoine veut bien l’aider à quitter ce champ de débris en verre, Alison se retrouve bien rapidement assise à l’arrière de la moto et, force est d’admettre que c’est un vrai soulagement. « Laissez moi faire. Bon, ça va piquer un peu, mais au moins, on va limiter les dégâts. » Les mains appuyées sur la bordure de son assise, elle le laisse effectivement faire en grimaçant quelque peu sous les picotements provoqués lorsque les morceaux de verre sont extirpés de sa peau, ses lèvres se séparant tandis qu’elle serre les dents. « Aïe… » Il lui fait mal mais c’est pour la bonne cause, et elle est bien obligée d’admettre qu’il lui épargne une situation aussi périlleuse que difficile. « Merci… » Ça lui arrache la langue mais elle n’a pas trop le choix ; dans les faits, il peut très bien décider de l’abandonner sur le bas-côté donc la diva est forcée de lui témoigner un minimum de reconnaissance si elle ne veut pas se retrouver dans la mouise, même si elle l’est déjà. « Vous deviez me tuer, vous aussi. N’est-ce pas ? » Pas si conne, la blonde. Méfiante, elle prend une fine inspiration en levant le menton pour le regarder, puisqu’il est évidemment bien plus grand qu’elle — comme tout le monde sur cette planète puisqu’elle fait à peine 1m60, elle pince ses lèvres en attendant la réponse… Inutile de lui mentir, elle a déjà compris la vérité. Reste à savoir s’il veut toujours aller au bout de sa mission ou non.

Malgré le fait que ça l’emmerde de venir l’aider autant que ça emmerde Alison d’être aidée, tous deux sont bien obligés de coopérer : elle plus que lui, certes, car il pourrait aisément monter sur sa bécane et abandonner la blonde revêche dans son nid d’ordures en verres, mais pour une raison qui échappe à la chanteuse, il n’en fait rien. Au contraire, même, il démontre une vraie bonne volonté à venir lui porter secours, et s’emploie même à déloger les débris de bouteilles coincées dans son pied, dont la plante est rougie par le sang de ses plaies. Rien de grave, mais tout de même : ça pique !

Une fois confortablement installée à l’arrière de la moto, elle soupire en relâchant toute la pression contenue dans ses épaules, si bien qu’elle enlace ses propres bras pour se protéger du froid, en plissant légèrement ses paupières lorsqu’elle pose son regard sur son sauveur, qui pourrait être à la fois son assaillant… Elle l’évoque, d’ailleurs, incapable de garder sa bouche fermée même lorsque sa vie est menacée : il confirme ses soupçons et la belle se tend immédiatement puisque, même si elle a conscience qu’il aurait eu mille occasions de la tuer, ce n’est pas la réponse qu’elle espérait obtenir. « C’est à vous de répondre à cette question. » dit-elle sans agression dans la voix et sans le quitter des yeux, sans se laisser envahir par l’angoisse : elle a passé ces dernières heures à lutter pour survivre, aussi, elle ne lui fera pas le plaisir de le supplier ou même de pleurer. Si elle doit mourir, ce sera avec dignité. « Vous m’avez sauvée parce que vous ne vouliez pas que quelqu’un d’autre empoche le pactole, c’est ça… Vous allez me tuer, maintenant ? » Elle le demande avec une froideur étonnante, visiblement résolue à affronter le destin qui est le sien. Alison ne cille pas, ne détourne pas le regard et ne démontre aucun tremblement autre que celui provoqué par le froid. S’il veut la tuer, soit, elle essayera de survivre et, avec un peu de chance, elle y arrivera. Sinon, ses parents devront la pleurer une nouvelle fois.

Antoine a bien compris que la blonde avait beau avoir une plastique de rêve, elle n’avait pas le cerveau conçu de la même matière : elle sait qu’il devait, à l’origine, l’éliminer comme les autres en avaient reçu l’ordre, mais maintenant qu’il s’est débarrassé de la concurrence, que va-t-il faire d’elle ? Est-ce qu’il va aller au bout du contrat pour empocher le pactole ? « Je pourrais, c'est vrai… » Bien sûr que c’est vrai : elle vient de le dire. « Mais j'ai des principe et des règles et on les a enfreint. Il n'y a donc plus de contrat pour ce qui me concerne. » Si le discours d’Antoine se veut rassurant, puisqu’il affirme qu’il n’accorde plus aucune importance au contrat réclamant la tête d’Alison, cette dernière ne peut s’empêcher de pouffer de rire en apportant ses mains à son visage, la froideur de ses paumes la faisant frissonner sans qu’elle n’en ait véritablement conscience. Dépassée par la situation, elle écarquille légèrement les yeux en fixant un point invisible en direction de la forêt, les lèvres espacées de quelques degrés ; dire qu’entendre qu’un tueur a des principes lui paraît étrangement ironique serait peu dire, si bien qu’elle ne peut réfréner l’élan amusé de sa bouche. « Ne pas tuer quelqu’un qu’on ne connaît pas devrait être un principe. » S’entend-elle dire en poussant la pulpe de ses doigts dans ses cheveux pour les repousser en arrière et ainsi dégager sa vue de quelques mèches blondes. « Je ne vous ai rien fait. » Presque sûre de n’avoir jamais vu l’homme qui se tient devant elle, Alison lève un regard interrogateur en sa direction, comme si elle souhaitait avoir confirmation. « Comment vous faîtes… Pour tuer comme ça, aussi simplement… » Cela pourrait sonner comme un reproche mais, en réalité, la jeune femme est plutôt résolue à comprendre comment Antoine — et bien d’autres, s’est retrouvé à effectuer une tâche aussi macabre, sans discernement aucun pour la vie humaine. Combien de personnes a-t-il tué ? Elle a envie de savoir tout en redoutant la réponse. « Que comptez-vous faire maintenant ? » Elle voudrait rentrer chez elle, bien sûr, prendre une longue douche et quelques cachets pour dormir, si elle en trouve. « Je voudrais être en sécurité. » Souffrant du froid, elle frotte ses bras en se recroquevillant un peu sur elle-même, avant de demander : « Est-ce que mon domicile est une cible ? Vous savez où j’habite ? » Si oui, elle ne peut décemment pas rentrer chez elle… Elle ira à l’hôtel le temps de trouver une solution, même si elle ne sait pas encore comment gérer cette situation. Tout est flou, tout est complexe, tout l’effraye. « Est-ce qu'on peut quitter cet endroit, déjà ? J'ai peur qu'ils reviennent... »