[Terminé] Kentovka

Malgré ses erreurs et ses errances, il n’est pas totalement idiot, Ezekiel, et il n’espère aucunement que son mystérieux interlocuteur lui livre tous ses secrets bien gardés dans un endroit aussi miteux, autour d’un café qui n’en porte même pas le nom. Aussi, lorsque le « Touché. » tombe comme un couperet sans gravité, il n’est ni surpris ni satisfait de la réponse qu’on lui donne : l’homme à l’accent londonien confirme seulement quelque chose qu’il savait déjà. « Tu cherches peut-être trop loin, Ezekiel. Peut-être que ce n’est pas le club qui m’intéresse le plus. » - « Si tu me disais ce qui t’intéresse le plus, on gagnerait du temps. » La réponse s’est précipitée sur ses lèvres sans attendre la correction de son cerveau, qui n’a guère eu le temps de se suggérer la moindre hypothèse concernant la véracité de cette déclaration, et encore moins sur les possibles raisons poussant Caïn à témoigner un tel intérêt à l’établissement : pour lui, le Club est indissociable des gens qui le fréquentent, et il n’est pas assez naïf pour croire que celui qui sert les italiens ne voit pas, dans cette place privilégiée, une glorieuse façon de briller auprès des siens. « Encore des menaces, à ce que je vois. Que crains-tu réellement face à moi ? » Un soupir gonfle son buste avant d’être expié par ses lippes entrouvertes, et il se rapproche finalement de la table — et de son interlocuteur, en croisant ses avant-bras sur cette dernière, plantant ses iris émeraudes dans les siens pour avouer, d’une voix sobre et sans l’ombre d’une quelconque réserve : « C’est exactement la question que je me pose. » La lucidité de son ignorance sur la question ne l’empêche pas d’accéder à la requête qui n’a pas été formulée, mais qu’il a su discerner ; il lui manque bien trop de candeur pour croire que cette invitation n’avait pas pour but de l’attendrir et le convaincre d’ouvrir de nouveau la porte tant convoitée. Maintenant que c’est chose faîte, le russe ne peut s’empêcher de se demander s’il ne va pas rapidement regretter ce soudain élan de clémence. « Tu me vois ravie de cette décision, même si j’ai l’impression qu’elle ne t’enchante pas plus que ça… » Davantage que les mots qu’il prononce, c’est l’air suffisant de Caïn qui fait lever les yeux d’Ezekiel, en même temps qu’il décale son menton sur la gauche afin de zieuter vers l’extérieur, la pointe de sa langue s’étant logée auprès de ses dents du fond. « Ça te surprend ? » Pure rhétorique qui n’attend aucune riposte, puisqu’il reporte rapidement son regard sur le brun afin de poursuivre son élocution, sans décroiser ses bras et sans s’éloigner de son bord de table. « Disons que je n’ai pas prévu d’adopter tous les italiens qui traînent. » Il se garde bien de préciser que le premier le gonfle suffisamment pour deux, si bien qu’il regrette presque d’avoir empêché son père de le tuer. Maintenant, il a envie de le faire lui-même.

Baissant les yeux sur sa tasse entamée et qu’il ne compte pas finir, il s’apprête à jeter un coup d’oeil à l’horloge trônant derrière le comptoir lorsque les mots de Caïn le happent. « Je note quand même que tu trouves que j’ai une belle gueule. » lui fait brièvement froncer les sourcils tandis que ses lèvres se séparent pour qu’un bref rire se fasse entendre, apparaissant comme visiblement surpris d’entendre ce commentaire, quand « Pour un homme avare en compliments, tu viens de m’en donner deux en l’espace de quelques minutes…je suis flatté. » lui fait hausser les sourcils en secouant légèrement son menton de gauche à droite, sans qu’il ne perde l’amusement qui rehausse ses traits gracieux. « Je ne suis pas avare en compliments, il faut les mériter, nuance. » Pour mettre une emphase sur son affirmation, il lève légèrement ses sourcils en pressant ses lèvres l’une contre l’autre, sans le quitter des yeux une seule seconde ; le russe ne rougit nullement du compliment qu’il vient de lui faire, puisque c’est un fait dont il est conscient depuis leur rencontre, et qu’il n’a jamais nié malgré l’inimitié établie entre eux. Cette conviction ne l’empêche pas de laisser son regard, presque caressant, parcourir le paysage de son beau visage durant quelques secondes (de trop), se perdant peut-être (sûrement) dans cette contemplation doucereuse avant de se rappeler à l’ordre. Il détourne les yeux en secouant légèrement son menton comme pour défaire les pensées nées dans le secret de son esprit, affichant néanmoins un sourire quiet, à présent. « Tu as eu ce que tu voulais… Je vais donc te laisser. » Cela sonne comme un possible reproche, une énième rebuffade dont il serait l’auteur mais il n’en est rien : la preuve que même lorsqu’il essaye d’être affable, il est maladroit.