[Terminé] The beast inside

J’avais volontairement éludé la question sur qui était Wilson Fisk. Si Auden Mallow était un amateur à côté de lui, une goutte d’eau dans un océan. Fisk était le type que je voulais absolument faire tomber, celui que je voulais mettre à terre et ne jamais le voir se relever. Malheureusement, je l’avais mis de côté. La colère qui m’habitait, ce besoin de frapper et de ressentir la douleur m’avait fait oublier Fisk. Il devait certainement être heureux de plus avoir Daredevil dans les pattes. Je lui avais mené la vie dure, maintenant ce n’était plus le cas.
L’état de Milena laissait présager qu’elle n’était pas prête, pour le moment du moins, à entendre qui était Fisk, ce qu’il faisait. J’en avais déjà trop dit et c’était mes propos, mon manque de tact qui faisait que la jeune femme suffoquait, submergée par des souvenirs que j’avais fait remonter à la surface. Bien joué Matt.

Alors j’avais tenté de me rattraper, à ma manière. D’une façon qui ne me ressemblait plus mais qui me rappelait qu’il restait tout de même une once d’humanité en moi, qu’il y avait encore de l’espoir. Prendre soin d’elle, l’aidait alors qu’elle était au plus mal, c’était ce que j’étais censé faire, peu importe le costume que je portais.

Je la regardais inspirer et expirer dans ce sac plastique, conscient du mal que j’avais fait. J’aurais dû sentir sa présence dans mon appartement, j’aurais dû être concentré et tout simplement voir. Sauf que je n’en étais plus capable. Pour résumer, mon corps était le vaisseau de ma colère et mon esprit, ma conscience n’était plus vraiment là. J’avais beau porter ce costume, oser penser que ce que je faisais était nécessaire, j’étais devenu quelque chose que je détestais. J’utilisais des méthodes qui n’étaient pas les miennes, des méthodes qui ressemblaient de plus en plus à celles de mes ennemis. Je me haïssais pour ça, pour cette transformation qui m’avait menée sur un terrible chemin.

Perdu dans mes pensées, tête baissée, je ne vis pas cette main se rapprocher de mon visage. Le contact sur ma peau me  fit sursauter, tressaillir. Elle venait de me prendre par ce geste, dénué d’agression et en une fraction de seconde, mon corps entier s’était tendu, braqué, prêt à réagir à que j’avais interprété comme une menace. Mes poings gantés, encore ensanglantés, s’étaient fermés pour faire ce qu’ils faisaient de mieux : frapper.
Puis je compris. Ma mâchoire se contracta, mes dents crissèrent et mes yeux vides se posèrent sur Milena. Ce geste n’était pas anodin, vide de sens. C’était le signe même qu’elle comprenait, qu’elle avait percé ce conflit intérieur qui m’habitait, me dominait. Ma bouche s’entre ouvrit, mais aucun son n’en sorti et je dû lutter contre l’entièreté de mon être pour refouler ces foutus larmes qui envahissaient mes glandes lacrymales. Je n’avais jamais connu la tendresse, la douceur, pas même avec Elektra. Les choses avaient été tellement différentes avec elle, tellement spéciales. Jamais douces.

J’aurais voulu poser ma main sur la sienne, lui faire comprendre que j’appréciais ce geste, que quelque part, c’était salvateur. Mais j’étais incapable de bouger car cette tendresse me rappelait mon père, quand il m’embrassait sur le front avant de partir combattre. Je ne m’étais jamais remis de sa perte, jamais. C’était lui, la seule personne qui m’avait montré de l’affection. Je hochais la tête alors qu’elle se redressait, indiquant qu’elle allait mieux et qu’il était temps d’avancer. Combien de fois avais-je entendu cette phrase dans ma vie ? Avance Matt, il faut avancer.

« Je veux le détruire. », dis-je d’une voix habitée par les images qu’avaient laissés les documents de Milena dans ma tête. « Les types comme lui…les types comme lui se nourrissent de la peur, ils avancent en faisant peur. », continuais-je sur le même ton neutre, monocorde. « Si vous leur montrez que vous avez peur, ils gagnent. », conclus-je en reportant mon regard vide sur la jeune femme.

Je me redressais, prenant lentement conscience de la portée de mes propos, de ce qu’ils impliquaient et je me demandais si Milena était prête pour ça. À ce moment son comportement était différent, elle semblait réellement aller mieux et déterminée à affronter la vérité. Quelque part, cela me rassurait de l’avoir agir ainsi, car je me retrouvais dans son comportement. Je voyais une sorte de reflet de mon âme, sans cesse entrain de lutter contre un passé, contre des émotions, contre moi-même. Je passais une main sur mon visage, lentement, comme pour me donner une certaine contenance, chasser ce conflit intérieur et ce qu’il impliquait.

« L’avocat que je suis pourra le piquer, le pousser un peu, mais ce n’est pas ça qui le fera tomber. », repris-je en acquiesçant. « Je t’aiderai. Pour l’ordonnance de restriction, pour la plainte, pour l’amener devant un juge…mais j’ai peur que ça ne fonctionne pas. », avouais-je dans un soupire.

Je grimaçais même. La teneur de mes propos était décourageante, je le comprenais et j’avais peur qu’une fois, cela blesse Milena, qu’elle craigne de ne jamais obtenir justice pour ce que ce type lui avait fait. Je passais une main dans mes cheveux, nerveux.

« Je n’ai pas les capacités de faire tomber un procureur…enfin, pas dans un costume deux pièces. », ajoutais-je en reportant finalement mes yeux vides sur Milena. « La Loi a des limites que je n’ai pas. », dis-je en tapotant le double D sur mon torse. « Cette fois, je ne le ferai pas sans ton accord. »

Ce geste que l’on pourrait qualifier d’ordinaire, me retourna l’estomac. Cette main tiède tendrement pausée sur ma joue, ce pouce effectuant cette si douce caresse. J’avais un court instant fermé les yeux, abandonnant toute défense, toute réplique face à ce contact débordant d’une volonté non feinte d’apaiser mon âme. Et dans mon esprit, son visage apparu. Cheveux ébouriffés, clairsemés du gris des années qui prenaient le pas sur cette jeunesse si lointaine. Barbe mal rasée, presque que plus grisonnante que dans mes souvenirs. Et ce regard d’un brun presque noir, perçant, habité par le Diable lui-même. Il me manquait tellement, même aujourd’hui je n’arrivais pas à me détacher de cette sentiment d’inachevé, de cette sensation qu’il m’avait été arraché beaucoup trop tôt.
Son sourire, il ne l’avait jamais su, que je pouvais deviner dans ses mots, dans chacun de ses gestes lorsqu’il était avec moi. Mon père n’avait été qu’amour, malgré cette gifle, malgré ce moment d’égarement, je ne lui en avais jamais tenu rigueur. Il avait été tout ce dont un petit garçon aveugle avait besoin. J’aurais tellement voulu lui dire que j’étais fier de lui, que je comprenais qu’il ne pouvait rien faire face à cette corruption qui le rongeait de l’intérieur. Que tout ça, tout ce qu’il subissait pour moi, ce n’était pas nécessaire. Je l’aimais, profondément et j’aurais voulu avoir une chance de lui dire, de lui montrer.

Voilà pourquoi je parlais de cette peur, de cette émotion qui faisait toujours gagner ceux qui l’utilisaient, qui l’instillaient. Je comprenais ce que ressentait Milena face à cet homme, parce que j’avais eu peur. Lorsqu’on avait tué mon père, j’avais eu peur. Je n’étais encore qu’un gosse et on m’avait tout enlevé, tout. Stick m’avait récupéré à ce moment fatidique. Mais cette leçon que j’avais appris sur la peur, c’était uniquement grâce à mon père, pas grâce à cet enfoiré de Stick.
Alors oui, je savais très bien dans quoi je m’embarquais, parce que je n’avais plus peur. J’étais tombé beaucoup trop de fois, j’avais pris trop de coups et été trop souvent blessé, meurtri pour éprouver à nouveau de la peur. J’avais des craintes, des doutes, mais je n’avais plus peur de rien. L’enfance que j’avais vécu auprès de Stick, les amitiés que j’avais perdus, les amours qui m’avaient abandonnés, je n’avais plus de raison d’avoir peur, parce que je n’avais plus rien, plus personne à perdre. Un homme sans peur est un homme sans espoir.

J’avais répondu par la positive lorsqu’elle avait demandé si c’était Daredevil qui se chargerait de cette ordure. Il y avait une énorme part de vérité dans mes propos. En tant qu’avocat, il m’était impossible de faire tomber un homme comme lui, je n’en avais pas les ressources. Il fallait plus, malheureusement plus que le seul et unique témoignage de Milena pour mettre Auden derrière les barreaux. Cela me dégoûtait, me rendait complètement fou de savoir que la Loi permettait à des hommes comme lui de s’échapper. C’était une des raisons pour laquelle Daredevil existait. Pour faire comprendre à des types comme lui qu’il y avait une limite. C’était une énorme part de vérité et, le mensonge résidait en moi.
Le mensonge c’était que j’avais pris du plaisir à frapper cet homme, à sentir la peur transpirer par les pores de sa peau. J’avais pris du plaisir à le voir me craindre, à lui faire comprendre par ma violence que sa vie ne tenait qu’à ma volonté. Cependant je comprenais le raisonnement de Milena, j’avais très bien saisi ce qu’elle avait voulu me faire comprendre à travers ses émotions, sa colère. Concernant cette ordure, je n’agirais pas sans son accord.

« Puisqu’on va devoir collaborer, autant être honnête. ».Mes sourcils se froncèrent alors qu’elle venue se planter en face de moi. « Disons que comme toi, je ne suis pas une simple civile non plus. Je suis une Maître des Arts Mystiques. ».

Ça pour une surprise. Un léger sourire apparu sur mes lèvres à la prononciation de ces mots. Je hochais doucement la tête, parce que je savais ce que cela impliquait et, elle mettait enfin des mots sur ce que j’avais ressenti et été incapable de déterminer un peu plus tôt.

« On dit pas Maîtresse des Arts Mystiques du coup ? Pas très inclusif comme milieu ! ».

J’avais dit cela sur un ton beaucoup plus doux, beaucoup plus calme et dénué de toute nervosité. Les dernières pensées liées à mon père s’effaçaient lentement de mon esprit et je sentais que l’atmosphère se détendait. Sans me départir de ce sourire amusé qui barrait maintenant mon visage, j’allais dans la cuisine afin de faire réchauffer un peu de café dans le vieux micro-ondes que j’avais récupéré quelques semaines plus tôt. Versant le liquide dans deux tasses, je m’appuyais après sur l’espèce de meuble-bar qui faisait office de séparation entre la cuisine et le reste de l’appartement.

« Tu as un nom de scène, toi aussi ? Comme…mmh, Docteur Strange c’est ça ? », demandais-je en reportant mes yeux vides sur la jeune femme.

J’avais dit cela avec un petit rire moqueur, pas pour elle mais pour tous ces soi-disant héros qui travaillaient plus leur nom de scène que leur véritable implication auprès de ceux qui avaient réellement besoin d’eux. Je posais finalement les deux cafés devant moi, intimant d’un geste de la main à Milena qu’elle pouvait se servir.

« Il est dégueulasse, pire que la dernière fois. Du coup tu…tu peux pas…faire un truc de magie ? », demandais-je alors avec un sourire en coin, mimant avec mes mains le fameux lapin que l’on faisait sortir du chapeau.

« Maîtresse contient un sous-entendu équivoque qui n’est pas dans Maître. L’hypersexualisation des femmes, ça te dit quelque chose ? ».

Point taken. Elle avait entièrement raison, je n’avais pas pensé à cela. Heureusement que Milena s’était amusée de ma remarque, sinon j’aurais pu pensé que je l’avais, une fois de plus, blessé. Je haussais les épaules, lâchant un fébrile Eh, qui signifiait simplement que je n’avais rien à ajouter face à cette remarque, que j’avouais mes torts.

Je la suivais de mes sens alors qu’elle s’installait sur la chaise, la questionnant -certes pas de la bonne manière, sur le fait qu’elle ait un pseudonyme ou non. Ma question, encore une fois je l’avouais, était mal tournée. En même temps, à part quelques-uns, j’exécrais ces supposés héros. Je n’éprouvais aucune sympathie pour eux, contrairement à beaucoup, ils ne me donnaient absolument pas envie de lever les yeux et d’espérer. Pour moi, ils étaient juste une bande d’égoïstes en costumes qui se fichaient du commun des mortels.

La réponse de Milena me fit sourire à mon tour, alors que je goûtais ce café répugnant. Rien de surprenant finalement, c’était la sous-marque, de la sous-marque. Mes économies touchaient le fond, mon sens du goût me rappelait que je devais faire quelque chose.

« Pompeux. », répliquais-je avec un sourire malicieux, jetant mon café dans l’évier. « On m’appelle Maitre Murdock et je suis pas magicien pour autant. », ajoutais-je avec un air amusé.

L’air affiché sur mon visage devait faire plaisir à voir, car cette détente soudaine, le fait de pouvoir échanger un peu plus librement avec elle me soulageait. J’avais eu peur de trahir le peu de confiance qu’elle avait pu avoir en moi. Ce n’était pas la première fois que j’agissais de la sorte, que je trahissais la confiance. La liste de mes amis, de femmes avec qui j’avais partagé ma vie, était très longue. Trop.
Pourquoi était une excellente question. La réponse la plus simple était probablement d’avouer que j’étais parfois un connard égocentrique et que je faisais passer les enjeux liés à Daredevil avant qui que ce soit. J’avais perdu Foggy parce que je lui avais caché qui j’étais. J’avais perdu Karen parce que je l’avais mise de côté pour qui j’étais. J’avais perdu Claire parce que j’étais qui j’étais et qu’elle ne le supportait plus. J’avais perdu Elektra parce que j’avais refusé de mettre qui j’étais entre parenthèses, pour elle.

J’acquiesçais à la proposition de Milena et disparu un bref instant dans la seule et unique pièce qui était isolée du reste de l’appartement : la salle de bain. Quelques instants plus tard, j’en ressortais vêtu d’un jean, d’une chemise et d’un foulard noir plutôt léger pour la période.

« C’est le mieux que je puisse faire. », dis-je en passant à côté de la jeune femme afin d’aller déposer mon costume dans la malle prévue à cet effet. « Si je suis pauvre, c’est parce que je prends peu de clients. Et quand j’en prends, comme toi par exemple, j’ai tendance à être trop gentil et à ne pas les faire payer. ».

J’allais également récupérer le masque et les gants que j’avais laissé afin de les mettre avec. Je revins finalement me placer à côté d’elle, après avoir enfilé une vieille veste beige qui trainait, tout en ayant prit soin de prendre ma canne. J’étais aveugle après tout. Croisant son regard, je soufflais un instant sur le verre des lunettes rouges que je sortis de l’une des poches de la veste.

« Ton truc là... », dis-je en mimant le geste qu’ils faisaient tous pour ouvrir le portail. Un truc que Foggy m’avait raconté un jour. « Ca fait pas vomir hein ? ».

« D’ailleurs, pourquoi on vous appelle comme ça ? »

Je levais un sourcil, interloqué par ce questionnement et me fourvoyant par la même occasion. L’espace d’un instant, je m’arrêtais dans l’encadrement de la porte de la salle de bain, comprenant qu’elle ne faisait pas référence à Maitre Murdock, mais à Daredevil. Cette question fit remonter de nombreux souvenirs, comme ceux d’une cours d’école et d’un gosse en particulier : Nate Hackett. Un vrai petit bully à qui j’avais tenu tête, probablement la première victime de mon changement de comportement, de mon vœux de justice après que mon père m’ait giflé. C’était lui qui m’avait surnommé ainsi, parce que j’avais été le seul qui n’avait pas peur de lui et qui, bien que plus petit, lui avais collé une sacrée raclée.

« Pour qu’ils comprennent que je n’ai pas peur, pour qu’elle change de camps. », dis-je après avoir chassé ces images de ma tête.

Quelques instants plus tard, je me retrouvais donc face à ce portail ouvert par Milena. Étrange sensation, car il n’apparaissait pas à travers mes sens. Je pouvais entendre une sorte de crépitement et uniquement deviner une forme, sphérique apparemment. En effet cette-dernière, ce portail était –à mes sens, comme un trou noir au milieu de mon appartement. Je pouvais voir, sentir, entendre ce qu’il émettait depuis son ouverture dans une rue visiblement, mais la chose en elle-même était invisible. Sur ce coup, j’étais réellement aveugle et c’était assez dérangeant. Je savais qu’il y avait quelque chose en face de moi, mais j’étais incapable de le voir. Horrible sensation.

Soudainement peu rassuré par ce que je voyais, par cette magie, je tendais timidement un bras afin de le passer à l’intérieur de ce…ce truc. Pas le temps de justement prendre mon temps, de découvrir à mon rythme comment ça fonctionnait que je sentais Milena attraper ce bras pour me tirer à l’intérieur. D’instinct, je fermais les yeux alors…que rien ne se passait.
À présent, mes sens m’indiquaient que j’étais dans une rue de New-York, je pouvais entendre les passants discuter, rire, crier à plusieurs mètres à la ronde. Le bruit des véhicules, les klaxons qui agressaient mes tympans, l’odeur brûlante et désagréable des gaz d’échappements. J’entendais tout, absolument tout et passer au rapidement du calme de mon appartement à la cacophonie de la rue me désorienta quelque peu. Sans transition, mes sens semblaient surchargés et avaient du mal à m’aider à traiter toutes les informations qu’ils recevaient.

Je ne répondis pas immédiatement à la question de Milena. Non, je n’allais pas vomir, il fallait juste que je me recentre, que je retrouve un certain équilibre interne car mes sens m’envoyaient beaucoup trop d’informations. Je penchais légèrement la tête sur le côté, fermais les yeux derrières mes lunettes rouges et pris une profonde inspiration. Lente, profonde, comme Danny me l’avait appris. Mon rythme cardiaque diminua légèrement, les vibrations dans mes tympans se calmèrent.

« La magie c’est…c’est pas mon truc pour le coup. », avouais-je en relevant la tête afin de diriger mon regard vers Milena. « Pratique pour se déplacer, mais pas mon truc, vraiment. », continuais-je en passant mon bras à celui de Milena et en fixant mes yeux cachés par les verres rouges dans les siens. « Il faut me guider, je suis aveugle. », dis-je en guise de justification à mon geste, le sourire aux lèvres.

Pour autant, j’engageais la marche afin de que nous puissions nous diriger à l’intérieur de ce diner dont les effluves de cafés et de nourritures en tous genres, assaillaient mon odorat. Rejoignant une table au bras de la jeune femme, je m’installais en face d’elle et posais ma canne –toujours pliée, à côté de moi. Je la regardais un instant, le sourire aux lèvres. Si seulement je l’avais connu quelques années plus tôt, Foggy l’aurait adoré.

« J’aimerais savoir, ça marche comment ? », demandais-je finalement.

Quelques petites informations sur la magie ne feraient certainement pas mal et me permettrais de mieux préparer, aiguiser mes sens face à cette pratique. Et puis, c’était une manière plutôt légère de relancer la conversation avant de passer aux choses sérieuses et de revenir sur le sujet.

« Tu crois vraiment que j’vais gober cette connerie ? »

L’espace d’un instant, je doutais qu’avec une telle remarque, elle ne se soit pas déjà éloignée de plusieurs pas. Mais Milena n’en fit rien, elle resta accrochée à mon bras, semblant accepter cette situation que je venais de lui imposer et qui pour moi, était justifiée.

« Toi non, les autres… », répliquais-je sans pour autant être piqué par sa remarque. « J’ai l’impression d’être un de ces chiens qui guident les aveugles. », rétorqua-t-elle en m’emboitant le pas afin d’entrer le diner. Un petit rire m’échappa. « C’est presque ça. Sauf que tu n’as rien d’un chien. Et… ».

Pas besoin d’en dire plus, c’était plutôt clair : je n’avais rien d’un aveugle. Cependant, malgré le fait qu’elle semblait plutôt réticente, au début tout du moins, à jouer son rôle d’accompagnante, elle fit tout de même le nécessaire pour m’aider à m’installer. Ce geste, cette application me soutira un sourire amusé alors que je la regardais s’installer en face de moi. J’avais des tonnes de questions, mais pas le genre de question qu’elle aurait envie d’entendre. Je brûlais d’envie d’en apprendre plus sur ce type, de retourner le voir et potentiellement de briser une bonne partie de ses os, un par un. J’avais envie d’écraser son visage d’enfoiré prétentieux sur son bureau de…j’avais les mains qui tremblaient.
Toujours les mêmes problèmes, toujours cette sourde colère qui prenait lentement, insidieusement le contrôle et dans une certaine mesure, me donnait envie de frapper. Frapper encore et toujours plus. Surtout lorsqu’il s’agit de types dans son genre. J’avais pris du plaisir à le cogner, je ne doutais pas un seul instant que j’en prendrais si je devais y retourner.

« Faut que je te lise la carte, c’est ça ? ».

Pas le temps de répondre qu’elle était déjà entrain de le faire. J’allais pourtant lui répondre qu’il y avait certaines choses que je pouvais faire en public et qui pouvaient passer inaperçu, comme choisir ce que je désirais juste en passant mes doigts sur ce carton plastifié. Je l’écoutais donc dans le plus grand des silences, osant tout de même profiter d’un instant de répit pour m’enquérir de savoir comment fonctionnait ce qu’elle faisait. La réponse fut une fois de plus claire et sans appel. Je comprenais son point de vue. J’étais la seule personne ici capable de faire abstraction de ce qui se passait autour de moi pour me concentrer sur une seule et unique chose. Je levais donc une main, signe apaisé d’une excuse silencieuse.
Comme je le disais, j’étais capable de mettre le monde autour de moi en pause, de me concentrer suffisamment pour le faire taire, ou le rendre moins bruyant tout du moins. Je savais donc que la serveuse était à seulement une table de la notre et qu’elle avait presque fini de prendre la commande de cette mère de famille.

« Tu vas prendre une gaufre. », repris-je calmement sans la quitter des yeux. « Tes narines se sont légèrement dilatées quand tu as senti l’odeur en entrant. Quant à tes pupilles, on aurait dit un gosse devant un jouet. », expliquais-je avec un fin sourire.

Comme je l’avais pressenti, la serveuse venait de finir et se dirigeait maintenant vers nous. Elle s’arrêta à notre table et je grimaçais légèrement en sentant l’odeur agressive de son parfum bon marché. Sa voix était aussi désagréable que le parfum qu’elle dégageait, mais cela ne m’empêcha pas d’afficher un sourire de circonstances lorsqu’elle émit le souhait de prendre notre commande.

« Seulement un café pour moi, merci. », dis-je la quittant du regard, pour revenir à Milena. « Et ? Une gaufre et un café ? ».