Y'a pas de lézard !

Je lui servis ma plus belle expression dubitative, quand Illyana se défendit d’avoir eu des pensées déplacées. « Ouais j’ai dit que tu t’astiquais le manche, c’était pas cool, mais c’est le seul truc que j’ai dit. » Il fallait croire que c’était suffisant pour qu’elle remette en cause son propre argumentaire. « … et que j’étais un vieux pervers. » Complétai-je. Elle avait la mémoire courte, non ?

Elle se calma un peu, au moins. Et sa façon de dire que c’était pas cool ressemblait presque à des excuses… sauf qu’elle venait encore de me traiter de papy. « Et j’ai que vingt-sept ans. Ok, pour les mineurs, c’est peut-être le bout du monde… mais c’est pas vieux ! » Bordel, on dirait moi quand j’avais seize ans. J’aurais tenu le même discours insupportable.

« Tu me fais confiance ? » Je m’interrompis net. C’était une question piège, peut-être ? Elle venait de m’avouer qu’elle était également une mutante. Partant de là, je pouvais m’attendre à ce que des griffes lui sortent des doigts pour le prouver. Non, ça devait être plutôt quelque chose qui risquait de me faire avoir une syncope, vu comment elle en parlait. « Bien sûr que je te fais confiance ! Je te connais depuis à peine trente minutes, après tout. » Enfin ça faisait combien de temps qu'on parlait exactement ? Je soufflai avec ironie, avant d’attraper sa main avec nonchalance. J’aimais bien vivre dangereusement.

« Oh put- ! » Je n’avais même pas fermé les yeux. Pourtant, on se trouvait subitement sur le haut d’un building. Un simple regard en contrebas m’informa que le parc était juste à nos pieds, mais bien des mètres plus bas. « T’es comme Kurt ?! » M’exclamai-je, en me retournant vers elle. J’aurais sans doute dû être plus prudent dans mes paroles, mais j’étais encore un peu sur le coup de la surprise. Heureusement, en vérité, que j’avais l’habitude de me faire téléporter. Ça m’avait précisément évité une syncope.

Je croisai les bras ensuite à la regarder marcher le long du vide, sans chercher à l’en dissuader. Elle lui ressemblait un peu dans ses manies. Quand on avait la capacité de se téléporter, on se moquait pas mal de se tenir au bord du vide. « Passer par la maison ? Comment ça ? » Elle était encore plus difficile à suivre que moi. Mais sa façon de cultiver le mystère la rendait intéressante… même si elle avait vraiment un grain. Au moins, ici, personne ne pourrait nous détailler bizarrement.

J’imaginais que je lui devais bien quelques réponses, maintenant qu’elle avait joué le jeu. « Non, je peux pas voyager dans le temps… mais je l’ai fait. C’était juste indépendant de ma volonté. J’ai fait un bond de trente-cinq ans dans le futur. » Ça aurait paru invraisemblable à n’importe qui quelques années en arrière, mais ce n’était plus vraiment le cas depuis le snap. On pouvait commencer à croire aux aliens tout comme aux voyages dans le temps. « Je suis juste super-rapide. C’est pas aussi cool. » Je m’assis au bord de l’immeuble, les jambes pendant dans le vide. D’ici, le quotidien agité de New York paraissait bien plus lointain et insignifiant. « Et j’ai le super-pouvoir de gagner tous les jeux d’alcool aussi. » Lui confiai-je, avec un sourire en coin. « C’est quoi l’autre secret ? »

Je cligne des yeux en le fixant, sans perdre ma magnifique grimace pour autant. Ah ouais. « C’est toi qui me traite de gamine. » Je secoue la tête, chassant tout ça d’un geste de la main. Il va vraiment reprendre chaque mot que j’utilise ? Il n’a pas fini de se vexer à ce train-là. Je devrais peut-être le prévenir ? Non, ce serait vachement moins drôle. Je laisse filer un sifflement en le regardant. « Vingt-sept ? Ah ouais, quand même... » Une seconde de sérieux, avant de souffler un rire. « Je déconne, c’est bon ! Et encore une fois, c’est toi qui me traites de gamine, viens pas pleurer que je te traite de vieux ! » C’est vrai quoi, c’est hyper logique pourtant ! « C’est pas si vieux que ça. » Même s’il est presque trentenaire quoi ! Et s’il vient vraiment des années 80, il devrait être grabataire… Remarque du coup, il est bien conservé pour son âge… Ouais, on va éviter de lui dire ça.

Et je fais même mieux qu’éviter d’être déplaisante, je me montre carrément sympa en le faisant profiter d’une téléportation. Enfin, de lui proposer. Sans le dire. Il ne m’a pas demandé non plus avant de me ramener ici façon Speedy Gonzalès. Je lui offre un immense sourire, amusée qu’il souffle qu’on se connaît depuis hyper longtemps, surtout alors qu’il attrape ma main.

« Kurt ? C’est qui ? Tu connais un téléporteur ? » Les sourcils haussés, je secoue malgré tout la tête. « Non, je doute qu’il soit comme moi. Je suis unique. » En toute modestie évidemment. Je dois reconnaître que je suis un peu déçue – pas qu’il connaisse quelqu’un d’autre pouvant se téléporter, ça pourrait même être cool ça ! - mais il n’a même pas de nausée ou autre. C’est nul.

Les talons en équilibre dans le vide, je hausse les épaules, attendant qu’il réponde à mes questions. S’il ne veut pas dire ses secrets sans contrepartie, ça vaut pour moi aussi. Et je ne peux cacher une moue déçue quand il reprend la parole. « Oh. » Mais ça ne m’en laisse pas moins curieuse. « Comment ça se fait ? Comment t’as atterri ici ? » Je le dévisage de nouveau de haut en bas, fronçant les sourcils. « Autant le snap et tout, ça se comprend… Enfin non, mais c’est explicable on va dire. Mais vache 35 ans… » Ne demande pas. Quoi ? Si toute sa famille est morte et ses potes de vieux ronchons qui font pipi dans leur lit médicalisé ? Ce ne serait pas très sympa j’avoue.

Je le suis des yeux quand il s’assoie sur le rebord. « Ouais, voyager dans le temps, volontairement, ça serait TROP classe. » En m’entraînant – sérieusement – je pourrais peut-être y arriver. Ou peut-être que c’est que dans ma tête. Je ricane en l’entendant, me laissant tomber en tailleur à côté de lui. « Parce que l’alcool n’a pas le temps de faire effet sur toi ? ça veut dire que tu guéris super vite aussi ? C’est plutôt cool ça. T’arrives à courir sur l’eau ? Genre comme Jésus ? » Je passe ma main sur la tête de Lockheed, avec un sourire enfantin collé sur le visage. « Il est vivant. » Je jette un coup d’œil à Peter, Lockheed tournant la tête vers lui en même temps que moi. « Bon, ce n’est pas vraiment un secret, je n’arrête pas de le dire, mais vous êtes trop cons pour le voir… »

Tu peux lui montrer. Les autres t’ont accepté telle que tu es, ce ne sera pas les seuls. M’en fous qu’ils m’acceptent ou pas. J’ai besoin de personne d’autre que toi. Ils peuvent bien me prendre tous pour une folle, je suis bien toute seule. Avec toi. Tu essaies pourtant. ... Fait chier.

Je prononce quelques mots et un portail s’ouvre juste devant nous, dans le vide. L’horizon rouge, couvert de nuages tirant sur le pourpre et le bordeaux, se dessine face à nous à travers l’ouverture, laissant apercevoir les pics acérés des monts escarpés, les montagnes et les plaines traversées des rivières d’un bleu électrique.
Il suffirait de sauter pour arriver de l’autre côté.

Et un petit dragon qui pousse un cri et passe devant nous pour s’y faufiler après avoir quitté mon giron. « Tu vois. Il est vivant. »

« Tu sais très bien que c’est pas le vieux qui pose problème dans ta phrase. » Elle faisait toujours preuve d’une mauvaise foi pareille avec tout son entourage ? Je me demandais à quel point c’était plus usant que de la voir parler à sa peluche. Non, en vrai, c’était aussi ce qui faisait tout son charme. Elle était complètement cinglée. Je la poussai de l’épaule, avec un sourire taquin, quand il lui prit soudainement l’envie de me charrier sur mon âge. « Ok. T’as quel âge ? » Si elle me sortait moins de dix-huit ans, je n’allais pas arrêter de la traiter de gamine de sitôt.

Elle avait dégainé à nouveau la mitraillette à questions à peine le prénom de Kurt m’avait échappé. « C’est mon pote. Il sait se téléporter dans un nuage de fumée noire. » Je mimai ladite fumée en agitant mes doigts. « Il pourrait peut-être t’apprendre des choses, qui sait ? Comme, par exemple, comment me défier à la course. » Parce qu’ils n’étaient pas nombreux à pouvoir tenir mon rythme, mais Kurt se débrouillait plutôt pas mal. J’eus un sourire amusé à l’entendre réfuter, persuadée d’être unique. « Ouais… Peut-être que je réagirais comme toi si je tombais sur un autre super-rapide. En tout cas, je me sentirais obligé de vérifier qui va le plus vite. » Alors pourquoi elle ne sautait pas sur l’occasion de vérifier qui sautait le plus loin ?

Je l’observai, suspendue à rien du vide. Qu’elle tombe me faisait aussi peu peur qu’à elle, apparemment. Ça ne m’empêcherait pas de me précipiter pour la rattraper, mais Illyana se serait probablement déjà téléportée en sécurité. On pouvait s’amuser à jouer à ces hauteurs vertigineuses, avec des pouvoirs pareils.

Le problème, avec les secrets… c’était qu’au moment de les révéler, on se rendait rapidement compte qu’ils n’avaient rien de si exceptionnel. Même un bond dans le temps était devenu tristement commun, Illyana phasait plus sur la durée de celui-ci. J’haussai les épaules pour toute réponse. « Je sais pas trop. On a combattu un type qui portait bien son nom… Apocalypse. Il a bien failli en provoquer une. On a réussi à l’arrêter à temps mais… on est techniquement morts en 1983. Sauf qu’une faille spatio-temporelle s’est ouverte juste après sa disparition, et on est arrivé en 2018. Juste eu le temps de dire ouf que j’étais snapé derrière. » Ma vie était devenue un bordel sans nom. Même si, en théorie, elle l’était déjà. Dans toute cette histoire, la bonne nouvelle était que je ne m’étais pas retrouvé seul à être déraciné. Je m’étais senti plus proche que jamais des autres mutants rescapés de l’époque.

Je soufflai ce qui s’apparentait à un rire. Je voyais bien qu’elle était déçue. « Qui sait ? Peut-être qu’un jour, j’irais tellement vite, que je serais capable de remonter le temps. » Même moi, je n’y croyais pas vraiment en le disant. Pour les plus crédules, je le faisais déjà. Ils avaient à peine le temps de cligner des yeux que j’avais réglé les pires situations… mais ça n’avait rien à voir avec la capacité d’ouvrir des portails du passé vers un futur hypothétique. « J’aime bien ce futur, en vrai. Il y a moins de racisme anti-mutant. » Si on excluait que j’avais perdu le lien avec ma famille, c’était le principal bon point à retenir non ?

Et la voilà qui commençait à extrapoler tous mes pouvoirs. Je levai les mains. « Wow, wow, wow… Je métabolise juste super vite aussi. Je suis pas comme Wolverine. » Et, dans son cas, je me demandais toujours à quel point c’était vraiment un avantage… il avait l’air d’avoir traversé tellement de choses moches qu’il valait peut-être mieux être super-rapide pour éviter les emmerdes. « Et j’ai jamais essayé de marcher sur l’eau. » Est-ce que je serais vraiment capable de courir sur l’eau ? Non, aucune chance. « Je cours sur les murs, par contre. » Comme pour lui démontrer, je me laissai retomber du haut de l’immeuble pour le parcourir dans un sens, puis dans l’autre, à toute vitesse. En un clin d’œil, je me retrouvais debout à côté d’elle, juste un peu décoiffé, avec un sourire insupportable et fier de moi. J’essayais peut-être un peu de l’impressionner, en vérité.

Et un secret en conduisait à un autre. « Attends… qui est vivant ? » Elle venait de caresser sa peluche, là ? Je poussai un soupir vaguement amusé. « Je sais. Tu l’as déjà dit. » Pour elle, il l’était en tout cas. Ne jamais contrarier les fous. J’allais faire comme si de rien, au moment où Illyana ouvrit un portail. « Wow ! » C’était là-dedans qu’elle m’avait embarqué pour nous téléporter ensemble ? Je lançai un regard intrigué à l’intérieur. C’était plutôt comme… un monde parallèle. « On dirait… l’enfer ? En tout cas, c’est super métal. » Mais s’il n’y avait eu que ça…

Je me rejetai en arrière quand quelque chose me vola près de l’oreille. Un putain de dragon ?! « C’est quoi ce délire ? » J’ouvris des grands yeux ronds à la remarque d’Illyana, avant de lui désigner l’animal tout droit sorti d’un conte de fées qui venait de nous dépasser. « Tu vas pas me dire que c’était ta peluche, ça ? Et… on se transforme en quoi si on passe là-dedans ? Toi en elfe et moi en troll, peut-être ? » Je n’étais pas certain de vouloir tester, mais ma curiosité me titillait furieusement.

« Ouais, le snap. » Je ne savais pas ce qui était le pire entre se retrouver complètement déraciné de sa vie, avec de grosses difficultés de réintégration, ou vivre pendant cinq ans dans un climat mondial oppressant, en croyant avoir perdu la moitié de ses proches. J’arrivais sans mal à compatir, même si cinq ans ne me paraissaient rien en comparaison des quarante années qui étaient passées en un clin d’œil pour moi. J’avais plus qu’un train de retard, cette fois. J’étais passé à côté de toute ma vie. « T’auras à nouveau vingt-et-un ans bientôt, sois pas si pressée. T’es en vie, c’est déjà bien. » Je soufflai ce qui s’apparentait à un rire, à l’entendre m’affirmer qu’elle n’était pas une gamine, après s’être lamentée sur tout ce qui lui était interdit de faire. « Si tu peux pas picoler, t’es une gamine. » La taquinai-je.

« T’es plus rapide que lui ? » J’haussai une épaule, avec une moue perplexe. « Ça se discute. Ça dépend du terrain. » Kurt était obligé de voir où il sautait, alors il suffisait que la visibilité soit réduite pour que je ne lui laisse aucune chance. « Non, mais en vrai, personne n’est plus rapide que moi. » Et elle n’était pas en reste non plus, en termes d’arrogance. Elle ne le connaissait même pas et s’estimait meilleure que lui. Rien que ça. Pour autant, elle accepta de le rencontrer si l’occasion se présentait. Curieuse quand même ?

Je ne pensais pas lui raconter l’histoire de ma chute dans ce monde avec autant de facilités. Elle n’était surprise que d’une chose : le nom d’Apocalypse. « Tout ce que t’as retenu c’est ça, sérieusement ? » Je ne savais pas si j’étais amusé ou dépité. « Tous ceux sur place ont été absorbés. Ça fait… une demi-douzaine de personnes. » Je n’avais pas envie de parler pour les autres. « Et tu m’en poses des questions, j’ai l’air d’y connaître quelque chose en machine à remonter le temps ? » Je n’avais fait que subir, tout du long. Je serais peut-être mort en prime, sans l’intervention des Avengers pour inverser le cours des choses.

Le nom de Wolverine m’échappa. C’était marrant de voir à quel point je parlais des X-men, comme quelqu’un l’aurait fait de sa propre famille. « C’est un de mes potes mutants aussi, oui. » Et si je cherchais à l’impressionner un peu, elle en demandait plus. Je m’étranglai un peu, quand elle me proposa de tenter la traversée de l’Hudson… en marchant sur l’eau. « Et sinon, tu veux pas commencer par une piscine plutôt ? J’ai peur de chopper un troisième œil au milieu du front si je traverse l’Hudson, en plus de me noyer si je me rate. » Je ne voulais même pas imaginer l’état du fleuve, ma veste allait finir ruinée !

J’en avais assez dit pour qu’elle se confie un peu plus sur la nature de ses pouvoirs. Et, effectivement, elle ne faisait pas que maîtriser la téléportation. Elle ouvrait carrément des portails sur des plans démoniaques ! J’ouvris de grands yeux ahuris, à l’entendre de nouveau me présenter Lockheed. « C’est pas qu’une peluche ? » J’hallucinais. « C’est un dragon ? Une peluche qui se transforme en dragon ? Ou un dragon qui se transforme en peluche ? Attends, ça existe les dragons ? » Je commençais à avoir mille questions qui me venaient à l’esprit. « C’est… chez toi ? T’es à moitié démoniaque ? » J’avais raté le bout de sa queue fourchue qui dépassait ou quoi ? Finalement, elle n’avait plus rien d’une mignonne petite elfe avec son dragon, encore moins avec ses yeux qui s’illuminaient d’une lueur bleutée dérangeante.

J’haussai les épaules, quand elle me proposa de la rejoindre de l’autre côté. « J’ai l’impression de faire un pacte avec une Diablesse. Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? » D’un battement de cils, je me glissai à l’intérieur de ce nouveau plan d’existence. Si je craignais que ma peau me brûle, l’air paraissait parfaitement respirable à l’intérieur. « Wow ! C’est démentiel ici ! » Maintenant que j’avais vaincu ma peur, je ne pouvais pas m’empêcher de visiter à toute vitesse les alentours. Je levai les yeux sur ce ciel pourpre qui n’avait rien à voir avec celui que je connaissais. Je grimpai sur le haut d’une montagne abrupte à la pierre rouge, avant de redescendre dans les plaines pour observer les fleuves qui s’y déversaient, de la même couleur étrange que ses yeux. Puis je revins aussitôt vers elle, après à peine quelques secondes au final. « C’est génial ! Ça va jusqu’où comme ça ? Il y a quoi d’autres à voir ici ? Des dragons ? » Une certaine euphorie s’était emparée de moi, mais je ne perdis pas le Nord pour autant. « Mais ferme pas ce portail, ok ? » Il ne manquerait plus qu’elle m’emprisonne ici, ce serait tellement con de me faire avoir de la sorte par une mutante que je connaissais depuis quelques heures seulement.

Le doigt d’honneur dans ma direction me fit un peu trop plaisir. Elle était enfin à court d’argument ! Mon sourire fier, en réponse, aurait eu de quoi porter sur les nerfs de n’importe qui. « Tu voudras faire la course ? » Lui proposai-je sans détour, vu qu’elle parlait de tester ses limites. Je n’avais pas grand-monde qui pouvait me tenir tête, mais les mutants capables de se téléporter pouvaient me donner du fil à retordre. J’étais curieux de savoir si elle était capable de faire mieux que Kurt… mais j’en doutais un peu. Non pas qu’elle ne soit pas une mutante de premier ordre, mais précisément parce que ses pouvoirs étaient bien plus qu’une simple téléportation. Ça en devenait risible à côté d’être juste… rapide. Enfin Wolverine – ou même Charles – m’avaient déjà appris l’humilité depuis bien longtemps.

« Tu as sauvé le monde. J’ai retenu aussi. Mais si je devais vouer un culte à tous ceux qui l’ont fait, je passerais mon temps à prier. » Je poussai un soupir dépité pour toute réponse, avant de rétorquer avec humour : « Je sais plus quoi faire pour impressionner les filles maintenant. Ça devient tristement banal d’être un héros ! » Mais elle me prit par surprise à se soucier de l’effet qu’aurait eu le bond dans le temps sur moi. S’acclimater à ce nouveau monde n’était pas facile. Même après un an, c’était encore loin d’être parfait. Les technologies avaient évolué à une telle vitesse que je m’étais senti rapidement dépassé. « C’est pas moi qui vais me plaindre que les systèmes informatiques sont plus rapides. » Je soufflai ce qui s’apparentait à un rire, à l’entendre me tacler juste après avoir fait preuve de compassion. Cette fille était un phénomène. « T’es pas capable de dire un mot gentil sans finir par une pique, hein ? Pourquoi les sauts dans le temps t’intéressent autant ? »

L’idée que des branchies me poussent au lieu d’un troisième œil n’était pas plus pour m’enchanter. Illyana se ravisa bien vite, sans doute à voir la gueule que je tirais, pour accepter de s’entraîner ailleurs qu’au-dessus de l’Hudson. « Un lac, sinon ? C’est bien, un lac. » Je venais vraiment de m’engager à la revoir et m’entraîner avec elle ? En vrai, ça me ferait sans doute du bien. Je me reposais un peu trop sur mes acquis. Il serait temps que j’apprenne à repousser mes limites auprès de quelqu’un qui m’incitait à le faire.

Et elle était pleine de surprises. Du haut de ses dix-neuf ans, Illyana me jugeait toujours autant pour mon étroitesse d’esprit. Elle avait littéralement un dragon vivant sur l’épaule et faisait comme si c’était parfaitement normal ! « Les Limbes, c’est comme ça que tu les appelles ? Il vient de là-bas, lui aussi ? Tu l’as… créé aussi alors ? » Je nageai en plein délire. Quand est-ce que j’allais me réveiller exactement ? Est-ce que j’allais bientôt m’apercevoir qu’Illyana n’était qu’une créature née de mon esprit ? J’avais probablement besoin de rendre ces Limbes plus palpables, plus réelles, au point de prendre le risque fou de traverser le portail en sens inverse. J’eus un rire nerveux à entendre la maîtresse des Limbes m’avertir que je ne risquais que mon âme en pénétrant dans son royaume. « Rassure-moi, je suis pas le premier à faire ça ? » Qu’est-ce que j’étais en train de faire là ?

Enfin, une fois passé de l’autre côté, le plus dur était fait. Je ne pouvais soudainement pas m’empêcher de parcourir ces Limbes de fond en comble pour en déterminer exactement les limites. D’après Illyana, elles n’en avaient pas. « Si c’est toi qui les as créées, elles doivent évoluer avec toi, alors… où que porte ton regard, elles existent non ? » Voilà que je me mettais à faire des hypothèses comme si j’étais vraiment érudit sur la question. « Ou sinon je peux tester. » C’était quand même dingue ! Si c’était bien Illyana qui avait créé cette dimension de toutes pièces, qu’est-ce qui l’empêchait de créer ses propres mondes à son image ? Est-ce qu’elle serait même plus puissante que Jean ? Peut-être, par certains côtés. « C’est fou tout ce que tu peux faire ! Tu imagines ? T’as déjà essayé de créer un arbre ou… une autre créature fantastique ? Ça veut dire qu’on est un peu dans ta tête ici, non ? » Et, en le réalisant soudainement, Illyana ferma le portail derrière nous. « Non ! » Je ne courus pas assez vite pour l’atteindre avant qu’il se referme, me retournant vers elle en lui offrant un regard blasé. « T’as peur que je te laisse coincé ici ? » Je la regardais comme si elle se faisait des idées, en me bricolant un sourire. « Non, pas du tout. J’ai peur de rien. » Je soufflai en haussant les épaules avec désinvolture. C’était la panique, putain ! Où était la sortie maintenant ?! Je détestais être enfermé. C’était facile de prétendre avoir le contrôle de la situation, quand on avait toujours une échappatoire à disposition. « T’as conscience que tu viens de m’enfermer dans ta tête ? Ça se trouve, dans quelques minutes, je vais me transformer en peluche géante. » L’angoisse totale.

Je me détendis quelque peu, quand elle prétendit ne pas le faire pour la première fois. Donc… elle savait ce qu’elle faisait au moins ? Je sautai sur l’occasion, quand elle me proposa de choisir notre prochaine destination. « N’importe où, je m’en fiche. Mais ouvre un portail ! » Ok, mon flegme de façade s’était vite envolé.

« Ce n’est pas n’importe quelle fille que j’avais envie d’impressionner. » Lui confiai-je, dans un nouveau sourire, sans la quitter du regard. C’était loin d’être gagné, même si elle m’avait sorti un mot gentil au milieu de ses taquineries incessantes. Illyana ne s’en était même pas rendu compte. « Juste une erreur de parcours, t’inquiètes. Continue. » Lui rétorquai-je dans un haussement d’épaule, avec un sourire amusé. « Je vais faire comme si j’avais rien entendu. »

L’idée de traverser un lac en marchant sur l’eau commençait à faire son chemin. Ça pourrait être amusant, en vrai. « Je sais où on peut trouver des lacs, il y en a plein vers chez moi. Ça veut dire que tu voudras venir ? Enfin… qu’on se revoit ? Remarque, ce serait dommage pour toi de rater le spectacle. » Me regarder tenter de survivre à la noyade à répétition serait certainement une motivation suffisante pour elle. Elle pourrait se moquer de moi pendant encore des heures. Tout ce qu’Illyana semblait aimer.

Elle restait malgré tout une énigme pour moi. La mutante avait la fâcheuse tendance à réagir par l’humour dès que la discussion devenait trop sérieuse et personnelle… ça me rappelait étrangement quelqu’un en vérité : moi. Sauf que si nous étions tous les deux du même bois, nous ne risquions pas d’aller bien loin. Je ne savais toujours pas pourquoi les failles spatio-temporelles l’intéressaient, mais j’avais une petite idée juste à en apprendre davantage sur ses capacités exceptionnelles. « Attends… les Limbes te parlent ? » Peut-être qu’Illyana recherchait encore les limites de ce plan… mais une mutante capable de voyager dans le temps serait encore plus dangereuse qu’Apocalypse lui-même.

Apprendre que ses amis étaient ressortis vivants des Limbes m’arracha un regard abasourdi. « Encore heureux ! » Mais plus elle m’en parlait, et moins ça me paraissait clair. « Elles étaient dans ta tête et… elles sont devenues réelles, c’est ça ? Alors, tu les as créées. » J’imaginais, non ? « Comment tu as réussi à arriver ici, la première fois ? » Peut-être qu’une part des réponses qu’elle cherchait se trouvait à la source même de son pouvoir.

Mais elle mit assez vite fin à ces questions épineuses, les jugeant peu importe, pour me faire une blague de mauvais goût. Je lâchai un rire nerveux, quand elle se moqua de mes angoisses auprès de son dragon, après la fermeture soudaine de ma seule porte de sortie. « T’as fini ? C’était drôle ? » Pourquoi elle me comparait subitement à un cheval tout droit sorti d’un conte de fées ? « Un pégase, à choisir. » Enfin, le portail se rouvrit. Elle s’amusait avec mes nerfs en le refermant presque immédiatement, m’arrachant une mine blasée, avant d’en rouvrir un autre en direction de Central Park. Ni une, ni deux, j’étais dehors. J’avais besoin de sentir le vent sur mon visage et d’entendre la rumeur de New York pour me sentir subitement mieux, plus en contrôle. Mais… j’étais déjà rentré, à peine quelques secondes après. « Personne voit ce portail ? » Je me retournai, encore peu familier du phénomène. « Tu me donnerais pas ton numéro ? » Meilleur endroit, meilleur moment pour le demander. « Je t’enverrais les coordonnées du lac. » Précisai-je, pour me justifier. Elle allait probablement encore me rembarrer sinon.