Y'a pas de lézard !

09/12/2024

On pouvait se demander quel intérêt je pouvais avoir à prendre le métro à New York. Pour me déplacer ? Non, vraiment aucun. Par contre, pour faire les poches, c’était un vivier sans fin. Le mieux était de le prendre au niveau de Manhattan là où le brassage de la population était le plus important, et tous les touristes connaissaient New York uniquement pour Manhattan.

Entendre les mises en garde proférées contre les pickpockets me faisait souvent doucement rire. Il me suffisait de passer en coup de vent à une station bondée du métro en faisant les poches des uns et des autres avant de repartir quand la sonnerie annonçant la fermeture des portes résonnait. Ensuite ? Il n’y avait plus qu’à attendre le suivant. C’était assez marrant et peu prise de tête. Pour beaucoup, je n’étais qu’un simple courant d’air passager. Quand j’avais assez de trouvailles accumulées, il ne me restait plus qu’à faire le tri une fois sorti de la bouche du métro. Parfois, j’avais même le temps de vérifier ce qui m’intéressait directement sur place, ce qui m’évitait d’être un peu trop gourmand. Il y avait vraiment de tout et de rien, en vérité.

Je relevai la tête quand un nouveau métro se présenta, pour reprendre mon petit manège. Les portes s’ouvrirent, laissant se déverser hommes d’affaires, étudiants ou simples touristes. J’entrai en hypervitesse, zigzaguant entre eux pour me frayer un chemin à l’intérieur où se serait plus facile de naviguer ensuite. J’avais intérêt à bien choisir mon heure, parce que ce n’était pas toujours aussi évident qu’on pouvait le croire quand il était juste impossible de se déplacer sans bousculer tout le monde. Et là, c’était déjà limite. Ce serait sans doute le dernier métro pour aujourd’hui, surtout que je commençais à m’épuiser et mourir de faim.

J’attrapai une barre chocolatée qu’un gosse allait pour porter à ses lèvres, la dévorant à sa place rapidement. Je m’intéressai ensuite au Dr Pepper d’un étudiant, avant de m’inciter à un peu de sérieux. Ce groupe de touristes en visite était parfait pour me ravitailler. Je pris même le temps de compter les billets et de remettre le portefeuille là où je l’avais pris, avant de me volatiliser plus loin. Je faillis trébucher par inadvertance sur l’anse du sac à dos d’une étudiante fauchée qui l’avait laissé tomber par terre… merde, j’aurais fini dans le décor en un beau roulé-boulé avant de peut-être me casser quelque chose. Je commençais à être un peu distrait là, non ? Je le ramassai rapidement, en me disant qu’il pourrait bien me servir pour toutes mes nouvelles trouvailles amassées. Le mien était déjà plein à craquer.

J’avais atteint la sortie du métro au moment où je l’ouvrais, pour voir… un petit dragon en peluche me détailler. Non, sérieusement ? Je venais de voler le doudou d’une gamine. La barre chocolatée allait encore, mais j’avais des limites à la cruauté non ? Je poussai un soupir avant de faire demi-tour, poussé par un élan de culpabilité. Je m’arrêtai pile face à la petite blonde que j’avais dépassé plus tôt, pour lui remettre son sac. « Hey gamine, c’était tombé. » Je lui offris un bref sourire, venant littéralement d’apparaître devant elle comme par magie en décidant d’enclencher à nouveau la première. La sonnerie du métro annonça qu’il allait repartir, pile au moment où un des touristes s’affolait subitement. « On m’a volé mon argent ! Il y a un pickpocket à bord ! » En fond, un gamin se mettait à pleurer suite à la disparition inopinée de la barre chocolatée qu’il tenait en main, après avoir littéralement failli se mordre le pouce à la place. Oups… « Bon, je descends là ! » Curieusement, les regards suspicieux se tournèrent plutôt vers l’étudiante fauchée que vers moi. Dommage pour elle.

Casque sur les oreilles, musique assez forte pour masquer le bavardage des gens qui m’entourent, je change de voitures après avoir soulager deux hommes d’affaires de leur portefeuille. M’arrêtant un peu plus loin, je regarde le plan et les prochaines destinations. Oh, j’avais raison ! Je commence à bien le retenir ! Et je n’aurais plus besoin de venir dans ce cloaque dégueu. Mais ça pourrait t’être utile. Oui, peut-être. Même si je ne vois pas trop en quoi. On ne sait jamais si j’ai besoin de me téléporter sous terre, vaut mieux que je sache où le faire pour ne pas avoir de problème oui. Mais je ne le ferais pas, tu le sais. Il y a beaucoup de monde. Et je n’aime pas être enfermée. Tu t’en sors très bien, je suis fier de toi. Un sourire idiot se dessine sur mes lèvres. Non, il ne me faut pas grand-chose.

Je sursaute alors qu’un mec se retrouve soudainement planté devant moi. Depuis quand il est là lui ? Pourquoi il a mon sac ? Il était à mes pieds, entre mes jambes et… Je l’attrape avec vivacité et l’ouvre précipitamment pour en sortir Lockheed. « Pardon. Je n’aurais pas dû te mettre là-dedans. » Mais j’avais peur de te perdre avec tous ces gens. Je l’embrasse sur le crâne, avant de le serrer contre moi. Un regard plus que suspicieux envers celui qui me fait face, commençant à le détailler. Je sais que je ne me fonds pas toujours dans la masse, mais même avec mon blouson en cuir et mes boots, je suis petite joueuse à côté de lui.

Sauf que je n’ai pas le temps de me montrer désagréable que des voix s’élèvent. Du mauvais côté. Enfin je veux dire, je ne viens pas de par là, ça devrait pas se plaindre de vol de ce côté… Un gamin se met à chialer et ça commence à râler de plus belle. « Hé gamine ! » Sérieusement ? Je lève les yeux au ciel en soupirant. Forcément c’est à ce moment-là que j’entends peu ou prou le même son de cloche venir de plus loin. Fait chier. « On peut voir ton sac ? » « C’est même plus de délit de sale gueule à ce niveau-là ! Je ne suis même pas allée de votre côté ! » Et il est où le mec aux lunettes de plongée toutes pourries ? Il s’est vraiment barré ? « Bon. Je descends là aussi. Salut ! » La rame repart. Tant mieux ils ne pourront pas me suivre.

Je me retrouve sur le quai à l’instant où le métro part, et j’aperçois cheveux gris juste un peu plus loin. « Attends ! » Je le rattrape en l'attrapant par la manche et me plante devant lui. Je lève Lockheed à côté de moi pour le dévisager. « On se demande : il dit que ce sont des lunettes d’aviateurs, et moi que ce sont des trucs de plongée. T’as pas l’impression que c’est ringard ? Pourquoi t’as ça ? Et plus important encore : comment t’as fait ? » J’ai pas volé ces gens. Enfin pas tous. Et c’est le seul à s’être barré du wagon. Et puis surtout, il avait mon sac entre ses sales pattes. Alors oui, je suis passablement agacée dirons-nous, mais je suis aussi passablement curieuse.

Elle était vraiment occupée à parler à son doudou, là ? Merde. Elle devait bien avoir seize ans, non ? Je ne devrais pas juger, certainement, mais… ce n’était plus vraiment de son âge quand même. C’était sans doute elle-même que la gamine cherchait à rassurer en lui parlant comme elle le faisait. J’avais bien fait de lui ramener. C’était évident qu’elle tenait beaucoup à cette peluche de dragon.

Ma compassion s’arrêtait là. Je ne m’attardai pas plus dans ce wagon après que la sonnerie des portes ait retenti. Je n’avais pas envie de me faire gauler avec un sac plein d’objets volés. Qu’ils prennent la gamine pour cible m’allait bien. Même si elle avait raison : c’était bien du délit de sale gueule. Le raccourci était facile à voir une gamine fauchée dans un métro bondé. Mais ça s’était joué à pas-grand-chose que j’attire plus l’attention qu’elle.

J’étais prêt à retourner chez moi, maintenant que j’avais les poches pleines. On approchait de dix-sept heures et les rames seraient bientôt pleines à craquer. Et si je persistais, ce ne serait pas dans l’anse d’un sac que je risquais de rentrer par inadvertance. « Attends ! » J’étais prêt à entrer en hypervitesse, un pied déjà décollé du sol, quand la voix de la gamine se fit entendre dans mon dos. Elle m’avait suivie ? J’avais l’impression de la voir courir au ralenti dans ma direction. Je restais figé sur place, tout simplement parce que je ne comprenais pas ce qu’elle me voulait exactement. La curiosité l’emportait un peu sur la raison. C’était certainement pour me reprocher d’avoir été accusé à sa place, non ?

Sauf qu’elle se planta simplement devant moi, avec sa peluche violette à hauteur de visage. J’allais avoir le droit à un spectacle de marionnettes ? Je soufflai ce qui s’apparentait à un rire. « Qui ça, on ? » Je ne voyais qu’elle, dans l’immédiat. Je me retournai rapidement pour m’en assurer, regardant également derrière son épaule. Mais je cessai aussitôt mon manège quand elle me traita de ringard sans autre forme de procès. Voleur, ça passait. Mais ringard ? « C’est pas ringard, c’est vintage. Ok ? » J’attrapai mes lunettes pour les retirer et les mettre sur le haut de mon crâne, noyée dans ma chevelure d’argent. « Je préfère dire que ce sont des lunettes d’aviateur. » Des lunettes de plongée ? Je détestais l’eau. Elle me fournissait une résistance supplémentaire que j’avais du mal à appréhender. Une fois, j’étais entré en hypervitesse dans une piscine, je l’avais à moitié vidé sans faire gaffe. « Comment j’ai fait quoi ? » Feignis-je avec innocence. Je pointai sa peluche du doigt ensuite. « Tu comptes garder le bras levé longtemps comme ça ? T’es quoi au juste ? Une comédienne ventriloque peut-être ? »

Depuis le temps, j’ai appris à ignorer les regards que me lancent les personnes qui m’entourent. Qu’ils soient surpris, méprisants ou moqueurs. Ce n’est pas de leur faute après tout s’ils sont trop limités pour voir et comprendre. Et puis, objectivement, je ne peux pas sortir mon épée dès qu’un truc me déplait, il paraît que ça ne se fait pas trop… Tuer tout le monde ferait désordre. Donc j’ignore et me concentre sur ce qui importe. À savoir Lockheed en général.

Qu’on m’accuse de quelque chose que je n’ai pas fait, par contre, j’apprécie moyennement. Ouais, bon, techniquement, j’ai volé des trucs aussi, mais ce n’est pas une raison pour tout me mettre sur le dos ! Et quand bien même serais-je responsable d’une partie des vols, me pointer du doigt sans preuve, c’est minable. Sortie de la rame, je me retourne juste une seconde pour leur adresser un doigt d’honneur avant de chercher et de rejoindre le mec. Je ne vais pas l’accuser, je viens de dire que c’était naze de le faire, je veux juste comprendre.

Hum. Je plisse des yeux à son rire. J’ai dit que j’arrivais à ignorer les regards. Pas les remarques désobligeantes ou le pseudo-manège qu’il me joue en regardant autour de nous. Sans déconner ? « Oh ça on me l’avait jamais fait, je te donne un bon point pour ton in-cro-ya-ble originalité ! » Je roule ostensiblement des yeux, accompagnement le mouvement d’un « Duh » bien sonore. Les humains sont tous nuls.  Mais s’il sait être irritant, je sais aussi être vexante apparemment. Et tant de mauvaise foi me fait sourire. « Les pattes d’eph, c’est vintage. Les motifs écossais moches, c’est vintage. Tes lunettes par contre… » Il a besoin que je redise que c’est ringard ou il a compris ? Je le détaille et pointe du menton son lecteur cd… cassettes ? « Mais ça existe encore ça ?! Tu sors d’où toi ? D’un musée ? » Je le fixe avec de grands yeux. « T’es pas trop au fait de la mode et des tendances hein ? » Peut-être qu’il s’en moque autant que toi. Ouais possible. Je secoue la tête et soupire, moue boudeuse au visage. « T’aurais pu dire que c’était des lunettes de plongée, j’aurais gagné. »

Et le voilà qui non seulement joue les innocents, c’est mon rôle ça d’ordinaire, mais qui reprend de plus belle son foutage de gueule. « J’ai l’air d’une putain de ventriloque ? Il est curieux aussi. » J’échange un regard avec Lockheed. « Je m’en fous de ce que t’as fait, mais t’allais vraiment me laisser me faire accuser ? » Je prends mon plus bel air choqué, sachant que je n’aurais pas hésité une seconde à faire pareil. La seconde suivante, mon regard se fait suspicieux et se durcit un peu. « Tu voulais me voler Lockheed ? » Rien qu’à cette idée, je le ramène un peu contre moi pour le protéger. Il t'a rendu ton sac. Hum. C'est vrai. Oh le sale con ! D’une main, je fouille vivement dans ledit sac et m’arrête en sentant un, puis deux portefeuilles… « T’as même pas pris ce qu’il y avait dedans ? » Il n’a peut-être pas eu le temps ? Mais il m’a tendu mon sac, ça colle pas ! « Comment tu t’es retrouvé avec mon sac dans les bras ? Comment t’as poppé devant moi ? Je ne t'ai pas vu passer. » Tout en parlant, je sors le téléphone que j'ai piqué en dernier pour l'éteindre et le glisser à son tour dans mon sac à dos. J'aurais pu faire mieux s'il n'avait pas été là…

J’haussai un sourcil, profondément perplexe. Mon incroyable originalité ? Hein ? Quoi ? « Tu parles de toi à la troisième personne, en fait ? » Je devais lui donner du on aussi ? Merde ! Les choses avaient évolué très vite ces derniers temps, mais une gamine restait une gamine non ? Elle sortait d’où exactement ?

Et elle se posait visiblement la même question que moi. « Je viens des années quatre-vingt, je viens de te le dire. Donc c’est vintage ! Enfin plutôt quarantage, mais fais pas genre t’avais pas compris. » Et mon lecteur cassette était encore en très bon état, qu’est-ce que lui posait problème avec ? Je l’avais amélioré moi-même, pour permettre à la musique de suivre ma cadence accélérée avec seulement quelques ajustements sur la console. J’en étais plutôt fier.

« La mode ? Les tendances ? Hey, on m’a dit que le cuir était indémodable. Faudrait savoir non ? » Ça me tuait un peu de me faire juger sur ma tenue vestimentaire par une gamine. Des années en arrière, j’étais considéré comme avant-gardiste. Maintenant… et bien, les années étaient passées à toute vitesse sans que je les voies. Ça m’arracha un soupir dépité, qui se transforma en bref rire en sachant qu’elle avait perdu son pari… mais contre qui au juste ?

Puis, subitement, en la voyant se retourner vers son dragon, je compris. « Attends, tu… tu parles à ta peluche ?! » Je devais rire, peut-être ? Soit elle me faisait une blague douteuse, soit elle était vraiment folle. « Tu t’es échappée d’un asile psychiatrique ? Je dois te ramener à qui, au juste ? » Sauf que, ce qui l’intéressait dans l’immédiat, c’était bien entendu ce qui s’était passé dans la rame de métro. J’haussai les épaules avec nonchalance. « T’avais besoin que je te défende ? Non, je crois pas. » Elle essayait simplement de me la faire à l’envers. « Lockheed, c’est ta peluche là ? Je te l’ai rendue, non ? » Elle voulait encore m’accuser d’autre chose ou… ? Cette fille était une vraie mitraillette à questions ! Ça existait vraiment des gens pires que moi ?

Je soufflai ce qui s’apparentait à un rire quand elle s’étonna d’avoir retrouvé tout en place dans son sac. « Et quoi ? J’allais pas te voler. Je suis un mec honnête, moi. » Pff ! Même moi je n’en croyais pas un mot en le disant. « J’ai buté sur l’anse de ton sac, alors je te l’ai remis. Et si tu m’as pas vu passer, c’est juste que t’es pas assez attentive… bon, t’as fini ton interrogatoire ? Je dois y aller, là. » Parce que c’était déjà le second métro qui s’arrêtait dans l’autre sens. Si je traînais trop au même endroit, quelqu’un allait finir par rebrousser chemin pour s’arrêter à cette station, dans l’espoir fou de remettre la main sur ce qu’il avait égaré par mégarde. « Sinon, on discute dehors ! Ok ? »

Je la contournai rapidement pour me diriger  vers la sortie, tout en ayant l’air le plus naturel possible… donc, forcément, le plus lent possible. « Hey toi là ! » Je levai les yeux au ciel. Pas besoin de savoir lire dans les pensées comme Charles pour savoir que ça flairait bon les emmerdes… « Ils étaient dans la même rame que moi, ces deux-là. » Précisa-t-il à son voisin, prêt à nous mettre la main dessus. « Allez on décolle ! » Ni une ni deux, je remis mes lunettes pour entrer de nouveau en hyper-vitesse, juste à temps avant qu’ils n’aperçoivent mon visage.

J’avais déjà quitté la station de métro quand je me rendis compte que j’avais peut-être omis un détail… qu’est-ce que j’avais oublié ? Mon sac plein de frics était là et… « La fille ! » Merde ! Je retournai aussitôt en arrière. Entre temps, les deux mecs avaient à peine fait un pas en avant, ce qui me fit lâcher un bref ricanement. Je rabattis leurs deux casquettes sur leur visage avant de récupérer la petite blonde, plaçant ma seconde main bien derrière sa nuque pour lui éviter un coup du lapin. En un battement de cils, on était dehors. Je n’eus même pas l’occasion d’entendre les exclamations frustrées des deux types depuis le jardin où on se trouvait désormais. Pour eux, on s’était tout simplement volatilisé. « Ça va ? Prends le temps de souffler. On réagit pas toujours super bien, surtout la première fois… » Je lui désignai le banc à côté, où je m’installai nonchalamment sans tarder. Si certains faisaient grand cas de leur mutation, ce n’était clairement pas pareil pour moi. Utiliser ma vitesse me paraissait aussi naturel que de respirer. Mais là, j’avais besoin d’une bonne pause. « T’as pas quelque chose à manger à tout hasard ? » Non, je n’avais vraiment pas fouillé son sac.

Je fronce les sourcils. Il fait exprès de pas comprendre ? Il est peut-être un peu simplet, comme la plupart des mecs. Et les gens ne comprennent pas quand je parle de Lockheed, trop obnubilés par leur nombril et incapables de voir plus loin au-delà des apparences. Alors qu’ils devraient carrément y croire pourtant, avec tout ce qui s’est passé ces dernières années. Je veux dire est-ce que c’est si compliqué de croire aux dragons quand on a vu un extra-terrestre violet ou un espèce de poulpe géant de l’espace ?

Mais lui là, c’est encore une autre dimension. « Hein ? » Je le regarde avec ma plus belle gueule d’incompréhension. « T’as rien dit du tout et tu… Tu viens ? T’as un super chirurgien esthétique ou quoi ? » Même comme ça, je calcule vite fait, mais il peut pas avoir plus de quarante ans, ce n’est pas possible. « Ou genre tu voyages dans le temps ? Si c’est ça c’est hyper stylé – les lunettes restent ringardes – mais ce serait hyper stylé comme capacité. » Je fronce un peu les sourcils en me retenant de dire que je crois pouvoir le faire aussi, sans en être sûre, mettant cette pensée dans un coin de ma tête pour me concentrer sur ce qu’il raconte. « Ton boulon de cuir est cool, j’adore, je valide, mais je parlais du reste, te fais pas plus idiot que tu ne l’es. » Je désigne ses lunettes, son lecteur et… Et c’est déjà pas mal. Oui ce sont des détails, mais quand même, on ne voit que ça. D’accooooord, je ne vois que ça parce que je me suis focalisée dessus, mais quand même bis !

Et cette discussion qui avait déjà mal commencé peut visiblement encore empirer. Je me fige à sa première question, et me crispe aux suivantes. En soit il n’a pas tort. C’est vrai. Je me suis littérallement échappée d’un asile, il a plusieurs années maintenant. Mais… « Je ne suis pas folle. » J’ai parlé très disctintement, malgré ma mâchoire un peu trop serrée. Bien sur que non tu ne l’es pas. Je soupire, haussant les épaules à mon tour. « Je n’ai besoin de personne, mais ce n’est pas la question. Il n’y a pas un code moral ou je ne sais pas quoi chez les voleurs ? » Parce qu’il ne nie même pas cet idiot. « Laisser un innocent être accusé à sa place, c’est moche. » Hum. Chut. « C’est Lockheed. Pas une peluche. Et donc tu me l’avais bien volé ! » ça, ça se fait trop pas ! Même s’il me l’a rendu…

Et même s’il n’a pas volé un seul truc présent dans mon sac. Je le fixe une seconde quand il rit, avant de ricanemer aussi en l’écoutant. Quel ramassis de conneries ! « T’arrive à convaincre des gens quand tu dis ça ? Essaie au moins d’y croire pour être persuasif ! Je suis hyper attentive, et si tu t’étais presque cassé la gueule devant moi, je me serais foutue de toi. » Et je l’aurais incendié, mais passons. Est-ce que j’ai fini ? Je n’en sais rien. J’ai rien de mieux à faire en tout cas. Rien de mieux à faire que quoi ? L’emmerder ? Parce que ça a l’air de marcher étant donné comment il veut se casser. Ah, ou pas. Discuter dehors, c’est une bonne idée, ça fait longtemps que vous êtes là. Ah.

Fait chier. Trop longtemps visiblement vu les boulets qui nous arrivent dessus. Bon, ce n’est pas tout ça, mais on peut s’éclipser et tant pis pour la conversation. Décollons comme il dit si bien.

Sauf que je n’ai pas le temps de cligner des yeux, et de me volatiliser donc, que je me retrouve dehors. Désorientée, la tête qui tourne et légèrement vaseuse. « Putain on dirait mon premier saut trop loin. » Ce n’est pas tout à fait la même sensation, mais ce n’est pas plus agréable. Lockheed ! Ah non, c’est bon, tu es là. Je le serre contre moi. C’est okay, tout va bien.

« Un mutant. » Je dévisage le mec comme si je le voyais pour la première fois. « T’es un mutant. C’est pour ça que je ne t’ai pas vu passer. » Bravo Sherlock. Ce n’est pas pour autant que ça en fait un gentil, enfin, un pas dangereux pour moi, mais je suis capable de me défendre maintenant. Je vais me poser sur le banc en inspirant lentement. Je me tourne vers lui et ramène mes jambes contre moi. « Ce n’était pas une téléportation… Alors quoi ? » Je marque une hésitation, et fouille dans mon sac pour en sortir un paquet de biscuits entamés, que je lui tends. « Le temps ? La vitesse ? » J’attrape un biscuit avant qu’il ne mange tout. « Pourquoi tu m’as emmené avec toi ?Tu n’as pas peur que je hurle ou que je sois anti-mutants ou que… J’en sais rien moi… Que je veuille te casser la gueule ?  » Je pourrais. Être ou faire tout ça. Nouveau silence. « Illyana. Je m’appelle Illyana. Lui, c’est Lockheed, mais tu le sais déjà… T’es qui toi ? »

« Exactement ! J’ai voyagé dans le temps. » Lâchai-je avec un grand sourire. Fut une époque où ça aurait été impossible à croire… sauf que depuis le snap, ce n’était plus vraiment le cas. On avait bien été littéralement rayé de la surface de la Terre pendant cinq années, avant de revenir comme par magie. En comparaison, c’était rien non ?

Sauf que parler de voyager dans le temps n’était même pas suffisant pour détourner un seul instant la gamine de ses questions de mode. « Ok, ok… trouve-moi mieux et on en reparle. » Ça devrait être suffisant pour qu’elle arrête de la ramener. C’était évident qu’elle était complètement fauchée et n’aurait jamais les moyens d’arranger mon look. Je me demandais même si elle ne devait pas dormir sous les ponts, maintenant que tout portait à croire qu’elle s’était enfuie de l’asile psychiatrique le plus proche. Elle s’en défendait pourtant avec hargne. « Pff ! C’est ce que disent tous les fous. » Qu’ils ne le sont pas.

Je soufflai un bref rire, alors qu’elle cherchait à me retourner le cerveau. « Attends… c’est toi l’innocente dans l’affaire ? » J’haussai les épaules avec nonchalance. « Tu m’accuses de quoi au juste ? D’avoir juste l’air moins fauché que toi ? » Mais elle cherchait vraiment à me faire dire ce que je n’avais pas dit. Je pouvais faire l’innocent encore longtemps, c’était ma grande spécialité. « Et t’as des techniques d’arnaqueuse, tu cherches juste à m’embrouiller pour que je te doive quelque chose. Hey, il n’y a rien qui a bougé dans ton sac, je te laisse vérifier. » Ça, c’était vrai. « Et qui irait voler une peluche à une gamine, sérieusement ? »

On aurait pu continuer encore longtemps à en débattre, mais ça restait mieux de le faire ailleurs. J’avais eu le temps de voir une rame de métro passer en sens inverse, et ce qui devait arriver arriva. Certaines victimes avaient rebroussé chemin pour tenter de retrouver ce qu’ils avaient perdu. Ni une, ni deux, j’embarquai la fille avec moi pour nous extraire tous les deux de cette situation épineuse. En un battement de cils, ce n’était plus qu’un vague souvenir. Et il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que, si je ne remontais pas le temps, j’en défiais régulièrement les lois. « Tu comprends vite. » J’étais effectivement un mutant. Pourquoi elle pensait immédiatement à la téléportation en premier lieu ? Ça ne m’avait pas échappé, elle avait parlé de sauter trop loin, non ? « Toi aussi, t’en es une ? » Tant qu’on en était au confidence…

Elle avait beau ne pas être capable d’hypervitesse, son cerveau carburait presque aussi vite que le mien. Elle ne cessait de m’interroger tout en me tendant quelques biscuits, mais j’étais décidément plus intéressé par ce qu’elle avait dans les mains que par ses interrogations incessantes. J’avais la bouche à moitié pleine quand je lui répondis enfin. « Oh… tu peux hurler, si tu veux. » J’haussai à nouveau les épaules, sans me formaliser. « Ou tenter de me casser la gueule, j’ai hâte de voir ça. » Ricanai-je, en manquant de m’étouffer.

Mais elle préféra plutôt se présenter. « T’es vraiment trop bizarre, Illyana. » J’attrapai un autre biscuit avant de me rejeter en arrière. « C’est Peter. » Juste Peter, pour cette fois.

Je ne sais pas trop à quel point il se fout de ma gueule. Enfin je veux dire, oui, bien sur qu’il se fout de ma gueule avec son mood ‘je suis innocent, démerde-toi’, mais concernant le voyage dans le temps, c’est une autre histoire. Je le note dans un coin de ma tête, parce que j’ai encore jamais rencontré de mutant voyageant dans le temps et que ce serait trop la classe si c’en était un. Ou ça le serait potentiellement, vu qu’il est quand même tout autant potentiellement con.

« Ne rien mettre, c’est une sacré option tu sais. Pourquoi t’as besoin de lunettes de pl… d’aviateurs ? » C’est super chelou. Et après il ose me parler de moi et de ma santé mentale ? Les humains sont tellement déçevants quand même, pas un pour rattraper l’autre, pas un qui essaie de réfléchir différemment. « Venant d’un mec qui parle de voyage dans le temps et qui se prend pour un pilote à la Top Gun alors qu’il ne s’astique que son propre manche, je trouve ça carrément ironique. » Je lui fais un doigt d’honneur. C’est plus clair comme ça ?

Je suis peut-être un peu mal placée pour faire la morale sur le vol, ça ne m’empêche pas de le faire. Quoique je ne critique pas le fait de voler en lui-même, mais plus… le reste. « Oui, c’est moi ! Evidemment que c’est moi ! » Je fronce les sourcils. Genre j’ai l’air plus fauchée que lui ? Si c’est le cas, ça craint. « Qui tu traites de gamine vieux pervers ? Et faut que je t’écrive son nom pour que tu le retienne ou c’est trop pour ton petit cerveau de piaf ? » Non mais il s’entraîne tous les matins pour être aussi chiant ? Je suis sûre que oui. C’est bien ma veine d’être tombée sur un emmerdeur qui veut même pas reconnaître ses torts. Et ne crois pas que je ne sois pas consciente de ton silence toi. Et je sais qu’il sourit. Je vous jure, Lockheed sourit !

Toujours est-il que, tout emmerdeur qu’il soit, il m’emmène avec lui, pensant sans doute me sauver des mecs qui nous avaient retrouvés. C’était gentil. Oui, bon l’intention est louable je le reconnais. Et surtout, ça me permet de piger comment il a fait pour passer sans que je ne le vois. Sans que personne ne le voit. Je le dévisage et hoche simplement la tête à sa question somme toute rhétorique. Je ne vois pas trop l’intérêt de le cacher de base, même si je ne vais pas le crier sur les toits non plus. C’est toujours mieux quand on ignore de quoi je suis capable, et ça évite que quelqu’un cherche une nouvelle solution pour m’emprisonner… Mais lui là ? Il y a presque écrit looser sur son front quoi.

C’est sans doute pour ça que je me montre sympa, que je lui donne à manger, que je me présente. Sérieux, il y a quelques années, je n’aurais jamais fait tout ça ! Je ne sais pas trop si c’est une bonne chose ou pas, de devenir plus… sociable. Je n’aime toujours pas les gens, et je n’ai toujours aucune envie de faire partie de ce monde de merde. Mais ça rend les choses plus faciles.

J’ai une moue alors qu’il grignote ce qu’il me reste de gâteaux, me rendant compte qu’effectivement, il n’a pas trop de raison d’avoir peur de moi ou de ce que je pourrais faire. A quoi bon crier et rameuter du monde s’il est parti avant même que je n’ai fini de hurler ? Quant à essayer de lui mettre un coup… J’avoue que ça, par contre, je suis vachement plus tentée d’essayer. Non Illyana, ne commence pas. Mais je suis sûre que je pourrais ! Peut-être, mais… PEUT-ÊTRE ? Je fronce les sourcils en regardant le dragon d’un air outragé. « Je pourrais y arriver! » Je fixe l’autre qui s’étouffe en se moquant, encore, une lueur de défi dans le regard. « Je pourrais carrément te cogner ! »

Je referme la bouche, me renfrognant presque malgré moi. « Je ne suis pas… Et en quoi ce serait mal d’être bizarre ? Tu préfères être ‘normal’ comme tous ces connards ?… Pitié… » Je secoue la tête. « Je ne vois pas l’intérêt. » Je jette un coup d’oeil à Lockheed, posé sur ma jambe parce que je boude, et que je reprends finalement, rapidement, entre mes mains, parce que… Parce que Lockheed. « C’est mon ami. Ma famille. Ce n’est pas si difficile à comprendre quand même. » Je fixe Peter plus durement. « Je ne suis pas folle pour autant. »  

Je me mordille la lèvre avant de reprendre. « Tu peux vraiment voyager dans le temps ? Genre comme Superman quand il remonte le temps ou je ne sais pas quoi ? Ou c'était un autre ? »

« Wow… c’est moi que tu traites de vieux pervers alors que tu ramènes tout au sexe ? » Sérieusement, pourquoi elle était subitement si agressive ? J’avais du mal à la suivre. Elle n’était pas un peu schizophrène ? Elle plaisantait de vouloir me voir nu – ce qui sortait de nulle part – pour me mettre métaphoriquement parlant un coup directement dans les bijoux de famille la seconde d’après. Moi, une réplique de Top Gun qui s’astiquait le manche, sérieusement ? J’haussai un sourcil perplexe, avant de souffler avec ironie. « Tu sais quoi de ma vie privée ? Hey, on vient à peine de se présenter. Tu vas pas un peu vite en affaires ? » Dire que c’était moi qui me retrouvais à dire ça…

De toute évidence, elle avait quelque chose à prouver. Je n’aurais pas cru qu’elle ferait une fixation sur le besoin de me cogner. « Ok, ok… ça devient trop bizarre. » Et si ça lui allait, ou ne me dérangeait pas en temps normal, je n’avais pas envie de passer pour quelqu’un qui harcelait une gamine. Si elle se mettait à crier ou menacer de me cogner, après m’avoir sorti des choses pareilles, j’allais voir les agents des bonnes mœurs débarquer aussitôt à ma porte. Si je n’étais pas le plus connu des X-men, il valait quand même mieux que j’évite de me faire trop remarquer. « Bon, c’était sympa de te rencontrer, mais je vais y aller. » Elle avait pu récupérer sa peluche. Personne ne lui avait mis la main dessus. Je pouvais estimer que c’était un bon moment pour m’éclipser… à une exception près. Je m’étais déjà levé, prêt à repartir, quand je me retournai vers elle. « T’as besoin que je te ramène quelque part ? » On ne pourrait pas me reprocher d’avoir été gentleman jusqu’au bout, non ? Elle serait bien capable de me retrouver pour me reprocher de l’avoir planté sans autre forme de procès.

Elle avait encore des questions, pourtant. Il fallait croire que de se montrer insultante et incisive faisait juste partie du personnage. « Tu m’as pas dit si t’étais une mutante, alors je garde mes secrets aussi. » Je lui en avais déjà bien trop dit en vérité, pour une simple humaine.

Quoi ? « Mais qu’est-ce que tu racontes ?! J’ai rien ramené au sexe ! » J’ai un temps d’arrêt et grimace. « Ouais j’ai dit que tu t’astiquais le manche, c’était pas cool, mais c’est le seul truc que j’ai dit. » Il délire lui, j’ai rien dit d’autre ! Et puis franchement, c’est un truc de mecs ça plutôt non ? Le sexe je veux dire. Bref on s’en cogne, il raconte des conneries. « Un peu vite en… Genre je te vanne et tu prends ça premier degré ? T’es trop bizarre. » Et après, il se fout de moi.

Pour le reste, okay, j’abuse peut-être un peu, je m’emporte peut-être un peu trop toute seule. Mais Lockheed dit jamais peut-être. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, tu ne m’as pas laissé finir ma phrase. [color:9b97=#00ccff « Tu l’as dit. » [/color]Mais faut croire que je vais trop vite trop loin pour lui. Comble de l’ironie quand on y pense je trouve. Il se lève, prêt à se casser, m’abandonnant à mon triste sort, avant de se retourner. Hum. Il est méga chiant en vrai, encore pire que moi. Je fronce les sourcils. « J’ai hoché la tête quand tu m’as demandé ! Faut te dérider un peu, on dirait un papy ! » Je lève les yeux au ciel en soupirant tout en parlant, reprenant aussi vite. « D’accord. Deux secondes. » Je saute sur mes pieds, mettant mon sac en bandoulière, avant de lui tendre la main. « Tu me fais confiance ? » Ce serait terriblement con, mais je vais éviter de le dire aussi. « Ça ne fait pas mal, promis juré. » Pour le coup, ça c’est vrai. C’est même vachement moins gerbant que quand c’est lui qui s’en charge. J’attends qu’il touche ma main, la refermant sur la sienne, et je nous téléporte au sommet du building le plus proche.

« Satisfait ? » Je le relâche et grimpe sur le parapet, commençant à marcher le long du vide, les bras écartés. « Les téléportations sur une courte distance, c’est facile. Sinon, je dois en faire plusieurs ou passer par la maison. » Je me tourne face à lui, le fixant tête penchée sur le côté. « Alors, tu peux voyager dans le temps ? » Non, je ne perds pas le nord. « Peut-être que je te dirais un autre secret. » Parce que j’en ai aussi, des tonnes.