Confiance

Darkhölme mange en désapprouvant le niveau d’intrusion que la sécurité implique désormais. Que penserait-elle d’un ordinateur quantique relié à des héliporteurs stratosphériques afin de bombarder avec des canons d’artillerie des cibles avant qu’elles ne commentent des crimes ? La réponse du SHIELD à l’invasion Shitauri, détournée par l’Hydra à l’époque pour essayer d’éliminer toutes les menaces potentielles envers l’organisation. Sachant que l’ordinateur avait réussi à prévoir que Stephen Strange deviendrait un danger deux ans avant qu’il ne commence à emprunter le chemin des Maîtres des Arts Mystiques.

Le ricanement de Fury est approuvé par Mystique, sans doute avec la même ironie. Ce n’est qu’après la supposition aisée, l’avalement de la nourriture et l’essuyage digne de ses lèvres qu’elle répond. La dignité reste là, malgré la difficulté qui pourrait se présenter à la maintenir. Aucune tentation de céder à la facilité.

Les inventions de McCoy équivalaient à celles d’Howard Stark et d’Anton Vanko, au moins dans le domaine de l’énergie. Soit soixante ans d’avance, peut-être plus. Etaient-elles aussi instrusives dans la vie des membres de l’Institution Charles Xavier à l’époque de sa première incarnation ? Probablement pas : il a fallu plusieurs mois à Darkhölme pour accepter le téléphone portable. Fury a un sourire compréhensif. "Peut-être n’aurait-elle pas dû pour…", il acquiesce plusieurs fois avec connivence.

« Mais j’ai fini par craquer comme tout le monde, conclue-t-elle avec une nonchalance partagée par son interlocuteur. Je suppose que c’est une obligation par les temps dans lesquels nous vivons.

- S’adapter à son environnement pour y survivre voire s’y épanouir, conclu à son tour le Directeur du SHIELD, prenant son verre afin d’imiter son interlocutrice. Au final, n’est-ce pas le point fondamental de toute vie ? »

Le monde évolue par des actions et des inactions collectives et plus rarement individuelles. Il faut s’y adapter pour y vivre du mieux possible. Les choses ne sont pas plus compliquées que cela dans la théorie. Dans la pratique, à chacun de voir à quel point lui-même et tous, ceux autour de lui comme ceux qu’il ne connait pas, complexifient la vie de tout le monde. Les points de vue, notamment celui de Fury, n’importent donc pas sur les choses ; point paradoxal puisqu’ils sont le premier médium à travers lequel on analyse son environnement et sa complexité.

Le point de vue de Darkhölme sur le SHIELD était très négatif, lorsqu’elle est arrivée ici. Elle l’a déclaré elle-même : "Vous pouvez autant me faire confiance que ce que je vous fais confiance. Je vous laisse en déduire ce qu’il se doit.". En quoi se plaçait-elle du point de vue d’un Fury ayant déjà géré l’arrivée d’une déesse bannie de son panthéon, pour ses actions manipulatrices, et le recrutement d’une super-héroïne devant permettre d’éviter des raids aliens sur la Terre ?

Pas en alliée, puisqu’il avait fallu au Directeur du SHIELD de nouveaux efforts et de nouvelles promesses en plus des actions déjà accomplies envers les X-Men, incluant leur recréation et leurs implications dans plusieurs affaires, pour espérer prendre cette position. Là où les X-Men n’avaient guère concédés, au final. Alors qu’ils n’étaient pas plus dignes de confiance que le SHIELD, selon les propres mots de leur cheffe.

Cheffe devant s’adapter au SHIELD comme au reste de l’époque.

A celle de la fondation des X-Men par la CIA, le SHIELD n’était pas intervenu du fait de l’implication des USA et de l’URSS dans la Crise de Cuba. Son mandat par les Nations Unies, où les deux protagonistes manipulés par le Club des Damnés avaient un siège permanent au Conseil de Sécurité et le droit de véto l’accompagnant, liait les mains de l’organisation. Par la suite, elle n’avait pas participé à la task force de la CIA, de l’US Army et de l’Arme Plus car ne considérait pas la Confrérie des Mutants comme une menace mondiale ; chose prouvée par sa rapide "neutralisation".

A l’époque de la montée des Sentinelles et de Trask Industries, le SHIELD était resté neutre sur la question du "problème mutant" là où les USA avaient monté le Federal Council on Mutant Activities. Pas de chasse aux sorcières à l’échelle du monde mais bien la surveillance que les chasseurs de sorcière ne créent pas de dangers plus grands encore. Les Sentinelles n’en auraient officiellement pas été un si elles n’avaient été détournées par Magneto, permettant à Mystique et aux X-Men de devenir des héros en sauvant Nixon. Héros laissés tranquille par la CIA, l’US Army et l’Arme Plus malgré que la première les ait fondés avant l’effacement de mémoire collectif signé Professeur Xavier, que l’US Army soit héritière du général Edwin Partridge martyrisé par la Confrérie et que l’Arme Plus regroupe les informations sur les mutants et tâche d’en faire des armes au service de l’OTAN. Était-ce la peur qui avait tenue les autorités qui poursuivraient par la suite Hulk à l’écart… ou autre chose ?

Après la disparition des X-Men et la menace de génocide mondiale par Magneto et Apocalypse, les Sentinelles n’auraient-elles pas dû réapparaitre ? Le SHIELD était désormais pleinement impliqué dans la menace et aurait pu faire usage de ces technologies. Tout comme il aurait pu participer aux récupérations de mutants à des fins de recherches scientifiques comme l’Arme Plus et la task forcce de la CIA le pratiquaient. L’organisation avait choisi une autre approche. Traiter individuellement les cas d’êtres à pouvoirs apparaissant ; qu’ils soient mutants, inhumains, extraterrestres… ou même des génies technologiques avec des armures étant, somme toute, des modèles réduit de Sentinelles.

L’histoire du SHIELD avait peut-être été ternie du fait de son infiltration par l’Hydra et la chute en ayant résulté. L’Histoire des mutants aurait pu être bien pire si le SHIELD avait agi différemment. Face aux menaces toujours plus nombreuses et imprévisibles, avec les avancées toujours plus nombreuses et imprévisibles, le SHIELD avait toujours plus de possibilités d’agir pour instaurer la tyrannie. Même lorsqu’une moitié de ses membres avaient été corrompue par la recherche de celle-ci, l’autre moitié avait refusé de se soumettre et mise sa vie en ligne de mire pour éviter cela.

"Je crois encore aux héros", avait dit Fury à Tony Stark et Steve Rogers. Que l’homme le plus paranoïaque du monde, celui qui n’accordait sa confiance à personne, conserve cette croyance malgré tout ce qu’il avait vécu et tout ce dont il n’était plus sensé se souvenir disait quelque chose. Il fallait des gens pour entretenir cette croyance. Des gens qu’il avait fallu trouver. Des gens qu’il avait fallu recruter. C’était ainsi que le nouveau SHIELD s’était monté. C’était pour cela que les agents avaient décidé de voler l’Héliporteur 64 des chantiers de réparation, avant que le nouveau SHIELD ne soit autorisé, afin de pouvoir venir en aide aux victimes de Novi Grad, en Sokovie. C’était pour cela que le SHIELD avait autorisé le retour des X-Men sans chercher à les contrôler et qu’il envoyait des jeunes mutants dans le besoin à l’Institut Xavier.

Le SHIELD avait évolué avec le monde et, à défaut de lui faire confiance, on pouvait lui laisser le bénéfice du doute quand au fait qu’il cherchait à bien faire. A avoir un monde meilleur, malgré sa mission de simplement éviter le pire.

Fury ne fait pas confiance au SHIELD. Il a déjà failli par le passé et il risque de faillir encore. Fury ne fait confiance à personne, de toute façon. La dernière fois qu’il a fait confiance, cela lui a coûté un œil. Ce n’est pas une question de confiance. C’est une question de croyance. Croire dans les héros. Être prêt au pire mais tout de même espérer, et essayer d’atteindre, le meilleur.

La confiance n’est pas le business de Fury. Le business de Fury, c’est la préparation. Quelle meilleure préparation pour éviter de créer de nouvelles menaces que de leur offrir une chance de s’adapter dans leur environnement ? De participer à sa protection voire à son épanouissement ?

Peut-être que cela changera quand Fury ne sera plus de ce monde. Il ne le pense pas. Il n’est pas initiateur de cette ligne de conduite dans l’organisation et il a fait renaitre celle-ci de ses cendres en sélectionnant des gens qu’il considère dignes. Pas de sa confiance, non, mais de pouvoir se déclarer comme des gens bien. Et si cela changeait un jour, il activerait des moyens de saboter le SHIELD comme il l’a déjà fait au côté de Captain America.

Ce n’est pas une question de confiance. C’est une question de laisser l’occasion voire d’encourager les gens à faire de leur mieux, à agir pour le meilleur, en étant prêt à les protéger de ceux qui choisiront de ne pas le faire, d’agir pour le pire. Protéger pour protéger est dénué de sens. Protéger pour faire grandir est une vocation. Sans doute paternaliste, parentale, mais une vocation que Raven Darkhölme devrait sans doute comprendre.

« Ne faites pas confiance, Professeure Darkhölme, est la conclusion du Directeur Fury lorsque le repas est terminé. Observez les actions d’autrui et jugez si ce qu’il tente de faire peut amener à l’amélioration ou, au minimum, ne nuit pas. Cela me semble un bon mode de vie. »

Fury regarde Darkhölme s’éloigné en restant debout au milieu du restaurant, bras croisés dans le dos. Lorsqu’elle est définitivement hors de son champ de vision et de celui de ses agents, ces derniers reprennent leurs apparences véritables.

« Tu aurais pu t’arrêter à lui dire qu’elle devait s’adapter au SHIELD comme au téléphone, se moque une serveuse dont la voix change alors qu’elle vient poser ses deux mains vertes et son menton strié sur l’épaule du directeur. Qu’elle n’avait pas le choix. Mais je suis contente que tu ne l’ais pas fait. »

Fury tourne son œil en levant son sourcil.

« Maintenant, en plus d’un restaurant, ma jalousie te réclame un discourt passionné. »

Après un sourire, Fury appose ses lèvres sur celles de la Skrull.