[Terminé] when two strangers have more in common than expected ft Ezekiel Ranevskaia

Comme il ne boit pas ses paroles comme un breuvage de vérité absolue, la gamine s’énerve ou s’impatiente (ou les deux) ; le bleu lui monte aux yeux mais il n’en frissonne guère, se contentant de l’observer avec un sourcil arqué, comme pour jauger de son caractère indiscipliné. Elle lui ressemblait presque, tiens.

Mais n’ayant pas — encore, le coeur et l’esprit suffisamment ouverts pour accueillir cette nouvelle avec sérénité, il s’engouffre dans l’élan de colère, cette brèche de fuite qu’elle vient de lui offrir, sans rechigner : « Eh bien, quand je vais annoncer à quelqu’un que sa soeur morte depuis quinze ans est en réalité vivante, je me charge de lui balancer la nouvelle avec un peu plus qu’une pauvre photo à l’appui, ouais. » Narquois, il secoue son menton de gauche à droite en plissant légèrement ses paupières, imposant par la suite quelques secondes de silence, lui donnant le temps de se calmer.

Elle se calme, donc, et semble réfléchir à la situation ; il en profite pour s’éloigner de quelques pas, ne pouvant pas se permettre de rester debout très longtemps à cause de sa jambe, quand bien même a-t-il une canne pour s’aider. Balayant le paysage du regard, il se téléporte brièvement pour récupérer une chaise abandonnée à un stand, revenant assis sur celle-ci.

Croisant les jambes, il appuie sa canne contre sa cuisse avant de soupirer, mais soupirer, il n’en a même pas le temps car elle revient aussitôt à la charge en lui présentant des objets, qu’il prend sans trop s’en rendre compte. Bon, finalement elle a quand même des trucs à lui montrer…

Un papier attestant de son adoption (est-ce qu’elle se balade tout le temps avec ?) ainsi qu’un collier qu’il reconnait, et qu’il observe longuement. Cela ne lui rappelle pas de bons souvenirs, et il referme une poigne presse nerveuse sur le bijou. Après quelques secondes, il prend une fine inspiration par le nez avant de répondre, enfin, faisant un pas en son sens même s’il est minime : « Très bien. Admettons que je te crois, qu’est-ce que tu attends de moi ? » Lui dit-il en lui rendant ses objets, visiblement plus calme.

pauvre imbécile, lui balance-t-elle au visage avec un air suffisant, le poussant à froncer son petit nez droit tout en pressant ses lèvres d’un air presque ahuri, ne sachant pas tellement s’il doit rire de son insolence ou s’énerver. Quelque part, il trouve qu’elle lui ressemblerait presque, étonnant quand on sait qu’elle n’est que supposément la fille adoptive de sa jumelle, et non pas son enfant biologique. Pourtant, plus il l’observe, plus il a l’impression qu’ils ont des points communs : le premier étant, bien entendu, le mauvais caractère.

« Pas la peine de t’énerver. » dit-il d’un air presque surpris, comme s’il ne venait pas de passer les vingt dernières minutes à remettre en question toutes ses prises de parole. Secouant légèrement son menton, il appuie son coude sur le dossier de sa chaise tout en passant instinctivement la pointe de sa langue sur ses lèvres finement dessinées, songeant à tout ce qui venait d’être dit. Trop de choses, ostensiblement. Il a besoin de digérer, de réfléchir calmement à la situation.

Il n’a peut-être pas la réaction qu’on attend d’un frère apprenant que sa soeur, disparue depuis des lustres, est vivante, mais il compose comme il peut avec cette nouvelle qui remet beaucoup de choses en perspective. “Tu ne veux pas connaître ta nièce?” Il lève un regard interpellé vers elle, remarquant les larmes qui font encore briller ses yeux. Prenant quelques secondes de silence, pour ne pas se précipiter dans une réponse qui’l pourrait regretter, il avait finalement décidé de jouer la carte de l’honnêteté : « Si, bien sûr. » Baissant son menton de quelques degrés, il remue légèrement ses doigts avant de poursuivre, d’un même ton apaisé : « Mais c’est un peu beaucoup, pour moi, tu comprends… J’ai toujours pensé que ma soeur était morte. J’ai dû faire mon deuil, ça n’a pas été simple. C’est pourquoi… » Se levant de sa chaise, il se dirige vers Emma pour la regarder dans les yeux, un air sincère mais contrit au visage. « Je te demande de ne rien dire à ta mère, pour l’instant. Laisse-moi le temps de digérer, de me faire à cette idée. » C’est une demande légitime, propre à son caractère et à ses défenses mais, pour ne pas qu’elle pense qu’il lui ferme la porte, il s’empresse de sortir un stylo de sa poche, qu’il avait conservé pour noter les coups de sa précédente partie d’échecs, griffonnant à l’intérieur de la paume d’Emma, son numéro de téléphone. « Contacte-moi quand tu veux qu’on se voit. Je serai ravi d’apprendre à te connaître. »