Il semblait que leur conversation, leur débat, avait atteint ce point où la plupart des débats aux opinions disparates aboutissait : la guerre de position. Chacun gardait sa tranchée avec la conviction qu'elle était bien plus valable que celle d'en face. C'était logique, bien entendu, on ne remettait pas en question une façon de penser par une simple conversation. De plus, Rowles avait la ferme conviction qu'un débat n'avait pas pour but de convaincre, mais de faire réfléchir. Et en cela, il avait réussi.
Le discours que lui opposa sa partenaire était sans nul doute porté par sa pensée réelle, pas seulement des belles phrases. Elle croyait parfaitement à ce qu'elle disait. Et une partie était d'ailleurs pleinement fondé. Cependant, il était évident qu'elle confondait diversité de vision et diversité de discipline. Ou plutôt, elle ne saisissait pas les limites humaines à apprendre et comprendre. Nul ne pouvait, même avec un intellect surdéveloppé, assimiler tout en profondeur.
C'était amusant de se voir qualifier "d'universitaire", cette appellation renforçait l'idée qu'il s'était fait d'elle concernant son implication dans le monde scientifique : si elle en saisissait les difficultés financières, elle n'en comprenait pas le fonctionnement interne. Ce qui était cohérent, puisqu'il ne s'agissait pas du domaine dans lequel elle évoluait, malgré son désir de le faire. Et c'était encore plus prouvé lorsqu'elle suggérait qu'il soit son mentor pour relire ses spectacles.
"Je ne doute pas, Miss Orchent, que vous puissiez être une excellente mécène capable d'entendre les raisonnements de scientifiques ayant besoin de budget, pas plus que je ne doute de votre capacité à tenir une, voire plusieurs entreprises. De ce point de vue, vos compétences excèdent les miennes, et de loin. D'ailleurs, vous avez déjà le bagage nécessaire pour faire un mécénat qui serait juste et approprié.
Ce que vous devez comprendre, cependant, c'est que les suggestions que je vous fait ne sont pas issues de la philosophie et ne prêtent pas sujet à débat : elles sont simplement le reflet de la réalité. Pour pouvoir vous faire entendre, vous devez être reconnue. Pour être reconnue, du moins pour l'être sans simplement glisser la main au portefeuille, vous devez être appuyée par des sommités. Pour être appuyée, vous devez soit avoir un diplôme attestant de vos compétences, soit soutenue par un mentor reconnu.
Libre à vous, bien sûr, de tenter cette approche sur plusieurs fronts. Je vous mets simplement en garde sur le fait qu'à vouloir trop en faire, on ne fait plus rien, et qu'à tout vouloir maîtriser, on finit par être moyen en tout, et bon en rien. Tenir compte ou non de cette mise en garde n'appartient qu'à vous.
Et pour répondre à votre question, non, je n'ai pas l'intention de devenir votre mentor. Je n'ai hélas pas le loisir de former qui que ce soit à l'exception de Miss Johnson qui travaille actuellement avec moi.
Toutefois, si vous souhaitez faire vos preuves dans les domaines de la recherche biologique et de la biologie mutante, qui sont mes disciplines secondaires, je devrais pouvoir vous faire entrer dans les laboratoires que je dirige. Ce pourrait être un point de départ pour votre ambition."
Rowles avait certes coupé court au débat en établissant une notion de "réalité", ne souhaitant pas débattre d'un fonctionnement qui, même s'il était loin d'être parfait, était celui en place. En revanche, il ne voulait pas pour autant que le potentiel de Miss Orchent demeure inexploité simplement parce qu'elle ne saisissait pas cet aspect. Et s'il parlait autant de mentorat et preuve de soi, il eût été inadéquat de ne pas lui proposer une opportunité pour entrer dans le monde très fermé de la recherche scientifique.
Mettez-vous à l'aise, vous êtes entre de bonnes mains désormais
Lorsque Joseph commence par me complimenter sur mes capacités héréditaires, faisant preuve d’humilité sur les siennes puisqu’il a monté sa propre entreprise et reconstitué sa fortune de son côté également, je me demande s’il va me faire la technique du sandwich. Une tranche de bien, la composition de trucs à digérer puis une autre tranche de bien. Miam.
"Ce que vous devez comprendre", j’y souris avec amusement. "Les suggestions qu’il me fait ne sont pas issues de la philosophie et ne prêtent pas sujet à débat". Je cligne doucement des yeux. Contrairement à l’appréhension, ce n’est pas avec l’exercice de multiplication des points de vue que j’ai mis les pieds dans le plat. C’est avec l’expression de ma pensée. Soit. La partie des diverses solutions restent valables et, sans doute, j’aurai du m’y arrêter. La partie philosophique amène à comprendre pourquoi je tenterai d’en employer plusieurs plutôt qu’une seule.
« Pour pouvoir vous faire entendre, vous devez être reconnue. Pour être reconnue, du moins pour l'être sans simplement glisser la main au portefeuille, vous devez être appuyée par des sommités. »
Nous sommes en accord sur ce point. Nous sommes en accord également que, pour être appuyée, il faut soit un mentor soit de l’argent ; pour le diplôme, en revanche… Combien de jeunes doctorants doivent se reformer parce qu’ils n’ont pas la possibilité de trouver du travail dans leur spécialisation ? Considération économique, possiblement de mauvaise foi également et dont je ne parlerais pas. Joseph tache de me conseiller et je ne pense pas être en opposition avec lui, malgré nos perceptions différentes du monde. La preuve en est : "libre à moi". Indiscutablement.
Je comprends la mise en garde et il a raison sur moi.
"A trop vouloir en faire, on ne fait plus rien". Pour cela que je ne fais qu’un spectacle à la fois, même si chaque spectacle implique des heures et des heures de recherche puis de préparation. D’apprentissages et de mise en pratiques. Quant à mes inventions… les @robeez de première génération sont là. Le FGS est en cours. Je ne travaille pas d’autres projets à côté.
"A tout vouloir maîtriser, on finit par être moyen en tout, et bon en rien". Pour cela que je ne veux pas me spécialiser. Certains me verrons exceptionnelle en tout, d’autres mauvaise en tout. Tant que je suis suffisamment moyenne pour comprendre ce que disent les gens qui sont bons, ça me va. Était-ce noyé dans mon flot de paroles qu’il y ait complémentarité entre les bons en quelque chose, les spécialistes, et les moyens en tout, les généralistes ?
« Et pour répondre à votre question, non, je n'ai pas l'intention de devenir votre mentor, déclare-t-il, me faisant arrêter de mâcher et perdre mon sourire ; même s’il était déjà pas mal vacillant de doute. Je n'ai hélas pas le loisir de former qui que ce soit à l'exception de Miss Johnson qui travaille actuellement avec moi. »
J’acquiesce avec douceur en plissant les lèvres, comprenant pleinement. J’ai essayé, j’ai échoué, maintenant je vais tenter de trouver une autre approche pour garder le contact. Ce qui est à moi est à moi, ce qui est aux autres est négociable. Après, je n’ai pas l’intention de prendre la tête de Joseph pour obtenir ce que je veux ; enfin, pas version guerre d’usure. Sans être mon mentor, peut-être pourra-t-il néanmoins être un lecteur de mes prochaines vulgarisations.
"Toutefois", voilà qui attire mon attention en un suspens de courte durée. Mais de durée quand même : Joseph déclare avoir fait ses preuves dans la recherche biologique et la biologie "mutante", qui me semblent aussi vastes pour la première que pour la seconde mais c’est sans doute par l’approche biomimétique et les connaissances biologiques dirigées vers l’anatomie, la physiologie, la biologie cellulaire, la biochimie, la biophysique, la génétique et la morphologie principalement ; choses qui devraient m’aider à plutôt bien approcher les différentes mutations, lequelles altèrent aléatoirement les systèmes biologiques préexistants et dont une "méta-biologie" doit être la future révolution scientifique menée par le Professeur Rowles.
Je m’immobilise à la suite, lorsque l’information principale est enfin donnée.
Fixant Joseph, j’avale la pilule. C’est pas un sandwich en fait, j’ai tout aimé. Ou alors j’ai un problème. Avec le sandwich. Tout aimer n’est pas un problème. Et j’ai d’autres problèmes que cela.
« Sachez-m’en honorée, docteur Rowles, dis-je avec une grande maitrise de moi tout en déposant mes couverts à leurs place. Je ne sais pas comment je pourrais vous remercier. »
Enfin si, j’ai des idées car j’ai toujours des idées, après j’ai un truc qui presse à faire avant. Truc qui passe par la récupération de mon carnet et l’ouverture d’une nouvelle page. Accompagné du critérium, je tends ma propriété à Joseph.
« Pourriez-vous me le certifier sur l’honneur et signer, s’il-vous-plait ? »
Réflexe de businesswoman, dira-t-on. La parole et les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Les attestations sur l’honneur engagent l’honneur, qui s’implique également dans les promesses pour certains, mais sont surtout une preuve juridique. Après, je suis capable de rajouter la date et le lieu toute seule. Ensuite je photographierai cela sur mon téléphone, pour avoir la copie numérique au plus tôt, et plastifierai la page, lorsque je passerai me rappeler aux bons souvenirs de Vincent van Saar ; directeur de l’OBIF de New York et "gestionnaire des caprices de la Chieuse" concernant son établissement.
Est-ce que je vais vérifier que le papier est en ordre ? Un peu, beaucoup, passionnément, ah la folle ! Je pourrais même le dicter :
"Fait le Vendredi 13 Septembre à New York City.
Je, soussigné Joseph Rowles, autorise mademoiselle Lucy Innocente Amanda Orchent à entrer dans les laboratoires que je dirige afin de faire mumuse ses preuves dans la recherche biologique et la biologie mutante.
Pour faire valoir ce que de droit.
Signature."
QUI A DIT QUE LE VENDREDI 13 PORTAIT MALHEUR ? Tous les gens à qui il le fait pour qu’il puisse me porter bonheur à moi ? Euh… Miaou.
J’aimerai bien plaisanter que Joseph a trouvé la technique pour me gérer, qui peut se résumer au jeu de la bombe : on essaie de me faire passer à quelqu’un d’autre en priant pour que je ne sois pas de retour trop vite. Après, je ne dis rien de plus.
J’attends qu’il s’engage réellement avant d’essayer d’obtenir quoi que ce soit d’autre. Là aussi, j’ai des idées. Elles commencent par la visite des locaux !
Il fut assez amusant pour Rowles de voir la succession d'expression qui s'afficha sur le visage de Miss Orchent. La déception face à son refus de mentorat, puis la surprise, et enfin un pétillement de joie qu'elle avait toutes les peines du monde à contenir. En fait, elle ne tenait pas en place. Le psychologue n'aurait pas cru que cette simple fleur suffirait à susciter autant de joie. Ça devait faire vraiment longtemps qu'elle cherchait un moyen d'entrer dans ce milieu. Raison de plus pour l'encourager : la persévérance est une vertu dans ce domaine.
Elle en vint même à lui demander un serment d'honneur, ce qui était autant signe qu'elle savait comment ce monde marchait, en particulier en ce qui concerne la parole donnée, mais aussi qu'elle craignait que cette chance lui échappe. Ça ne coûtait rien à Rowles de signer un engagement pour un parole qu'il comptait de toutes manières tenir, d'autant plus qu'il avait toujours une préférence pour le format papier par rapport au format numérique. Et cela pouvait rassurer la jeune femme, c'était tout aussi bien.
Il refusa poliment le critérium pour un stylo de la poche intérieure de sa veste : ce genre de document devait être fait à l'encre pour être valide. Prenant tranquillement le carnet, il commença à écrire les mots suivants :
"Fait le Vendredi 13 Septembre à New York City.
Je, soussigné Joseph D. Rowles, m'engage à autoriser l'accès aux laboratoires de recherche sous ma direction à Lucy I. Orchent, ce en qualité d'observatrice afin de se construire une expérience dans le domaine de la recherche biologique et génétique, principalement autour de la biologie mutante et le gène X.
Pour faire valoir ce que de droit.
Joseph D. Rowles"
Sa petite rédaction terminée, Rowles reboucha son stylo et tendit le carnet à Miss Orchent avec un sourire.
"Cette formalité étant faite, je transmettrai à Miss Johnson, ma secrétaire, les informations nécessaires pour établir vos droits d'accès ainsi qu'un contrat en bonne et due forme. C'est probablement elle qui sera en contact avec vous.
Vos possibilités seront limitées dans un premier temps. Vous ne ferez qu'observer et discuter avec les chercheurs. Ce sont leurs retours quant à votre attitude et les connaissances que vous accumulerez qui feront foi. Si j'ai de bons retours de leur part, je ferai en sorte que vous puissiez entrer comme apprentie. En étant adapté à vos disponibilités, bien entendu."
Rowles profita pour manger encore un peu ce repas qui durait désormais trop longtemps pour lui, mais ce n'était pas si important comparé à la jeune découverte qu'il avait faite. Il espérait sincèrement voir cet esprit fébrile bourgeonner au contact du monde scientifique. Il lui avait offert une porte d'entrée, le reste dépendrait d'elle.
Mettez-vous à l'aise, vous êtes entre de bonnes mains désormais
Mes carnets étant pour la prise de note et le dessin, ce sont de critériums qu’ils sont accompagnés. Avais-je mieux à proposer ? Oui. Le truc étant que l’autre stylo est effaçable également. Quand on est une habituée de l’essai-erreur, comme c’est mon cas, on n’apprécie guère ce qui ne s’efface pas. Ou ce qui implique des tâches de blanco. Après, si j’ai généralement stylo et critérium à portée de main lorsque je porte ma veste, je dois avouer que ma présente robe est courte ; en poche comme tout court. Joseph est néanmoins quelqu’un du monde et dispose de son propre matériel, comme il se doit. C’est donc avec son propre stylo qu’il rédige sur mon carnet. Stylo qu’il rebouche d’abord, majestueusement, avant de rendre ledit carnet. Est-ce que je vérifie son engagement sur l’honneur ? Oui.
Il est intéressant de noter qu’il a retenu l’existence de seconds prénoms me concernant ; là où le sien m’est passé complètement au-dehors de la tête. Après, il sait donc que je suis Innocente. C’est parfait. C’est également intéressant : il a fait ses recherches, au moins jusqu’à Wikipédia. Je me répète, oui, tout comme lui. La recherche biologique inclut la recherche génétique, sans même passer par de l’interdisciplinarité. Quant au "principalement autour de la biologie mutante et le Gène X", le mot le plus important est le premier : principalement. Dans une moindre mesure, je suis donc autorisée à m’intéresser à d’autres choses. Les différents aspects de la biologie m’ont toujours plus parlé que les autres sciences dures de part la possibilité de les dessiner plus facilement. La chimie est également modélisable ainsi mais c’est déjà plus conceptuel ; plutôt qu’observable. Quant à la physique, c’est la plus dure des trois… pour moi.
"Cette formalité étant faite", voilà qui m’amène à relever les yeux, et juste les yeux, vers Joseph. Beaucoup de validité d’actes civils, judiciaires et administratifs nécessitent obligatoirement une formalité pour être effectives. Les formalités sont donc importantes. Le contrat "en bonne et due forme" est une formalité également ; d’où la seconde partie de l’expression. Contrat qu’Enzo, avocat et ami, étudiera de son côté. Il n’aura sans doute rien à négocier puisqu’il s’agit là d’une œuvre de générosité mais il aura la même attention particulière qu’à chaque fois pour les bombes à retardement qui se trouvent généralement entre les lignes. Son boulot, pas le mien, même si je tâche également de comprendre les règles du jeu pour m’en servir.
Mes possibilités seront limitées dans un premier temps. Evidemment. J’acquiesce. Les laboratoires de Rowles sont dans une position similaire à ceux de Diego, à Florence. "Observer", quand je suis sur place, et "discuter avec les chercheurs", où que je sois. Des lecteurs potentiels pour mon prochain spectacle en plus de sources d’apprentissage analogues à leur patron ; le déjeuner de luxe en moins. Même si j’écoute avec attention, je ne réagis pas réellement au-delà de ma concentration.
Ce sont les retours quant à mon attitude et les connaissances que j’accumulerai qui feront foi. Autant dire que je vais devoir me faire plaisir pour compenser l’attitude. Ça tombe bien, c’est au programme !
"Si Joseph a de bons retours", voilà qui me fait finalement sourire. Sourire bref puisque, au fait d’entrer comme apprentie, je doute. Impossible pour moi de prétendre à l’équivalence d’un doctorat de biologie, qu’importe la spécialisation, mais j’espère bien que l’apprentissage n’a pas vocation à me bloquer dans un contrat d’apprentissage ; qu’il soit en alternance ou pas. Je ne connais pas encore les rouages de son entreprise mais c’est une collaboration qui m’intéresse, comme avec Tec-Novita. Outre mon lien avec son fils, Diego sait qu’il a à gagner à me laisser faire mon chat. Reste à réussir cela avec une entreprise qui n’appartient pas à mon empire familial. La solution banquière étant d’invertir, il va falloir que je me tourne vers Vincent pour voir s’il est intéressant de mobiliser de mes fonds héréditaires et de mes rentes ou s’il est préférable de me tourner vers ma mère pour impliquer Orchent Enterprises directement. Je vais avoir des études à faire sur les statuts légaux et les financements des propriétés de Joseph ce soir, moi.
« Mes temps d’apprentissage sont basés sur les rythmes chronobiologiques, souris-je tranquillement. Je saurais trouver du temps de 08AM à 11AM et de 03PM à 05PM. »
Selon la nature du contrat et les négociations que je pourrais entreprendre avec Diego, sans doute que les chercheurs de Joseph pourront faire progresser la recherche sur le Facteur Guérisseur Synthétique. Contrairement à Tec-Novita, ils doivent avoir accès à des mutants pour les prélèvements nécessaires aux tentatives de rétroingénierie de leurs pouvoirs. Voilà qui m’offrait l’occasion de shifter de l’ingénierie génétique sur le virus à une autre forme de génie biologique afin d’essayer de créer un accélérateur de guérison. Les mutants peuvent changer le monde, moins en tant que super-héros qu’en tant qu’éléments faisant progresser la Science et la Technologie.
« La dernière représentation de mon spectacle est le 20, dis-je avant de m’interrompre, réalisant qu’il ne me reste que six soirées en comptant aujourd’hui ; chose qui me fait étrange. Je contacterais surement votre assistante pour programmer des matinées après cette date. Ou plutôt le correspondant que vous m’aurez donné au sein de votre entreprise. »
Comme il l’a dit précédemment, mademoiselle Johnson est peut-être sa secrétaire mais également son apprentie. Que cela soit en psychologie, en biologie ou en secrétariat. Dans tous les cas, ce n’est sans doute pas la meilleure placée pour négocier avec moi mes accès aux laboratoires et à leur personnel. Le FGS a besoin de biologistes meilleurs que moi en génétique, biophysique et biologie cellulaire ; sans compter les ingénieurs mais, cela, c’est Tec-Novita qui me fournira. Comme avec l’agent Carthew, ils sont habitués à ce que je ramène des "souris" d’une nature ou d’une autre. Reste à réussir à les attraper dans le labo de Joseph mais ça c’est ma partie. Espionnage industriel ? Seulement si je n’arrive pas à négocier le droit de garder mes liens préexistants avec Tec-Novita, chose qu’Enzo se chargera de faire ajouter au contrat à signer. Au moment de le signer. Mon petit doigt et mon bon sens me disent qu’il vaut mieux éviter d’en parler maintenant. Sinon, je devrais me contenter du papier signé et pas du coup de fil… ce qui aurait certains avantages mais partirait mal niveau "attitude". Tout comme gâcherait la plaisante discussion autour du repas gastronomique.
Joseph est-il fatigué ? Même si j’en suis au minimum poli de deux diners mondains par semaine, ou plutôt par weekend plus exactement, je reste à mon aise dans le marathon de quatre heures qu’est notre repas. Lui, néanmoins, me laisse un peu plus perplexe. Observatrice.
« Histoire d’éviter d’avoir à embêter mademoiselle Johnson, reprends-je finalement avec douceur en entreprenant de découper le dernier met apporté devant moi, puis-je vous demander un moyen de vous joindre directement ? »
Téléphone et mail me conviennent, notamment car il est souvent possible d’obtenir le premier à l’aide du second et vice-versa. Je peux également obtenir les deux à l’aide du registre des entreprises mais je préfère demander directement avant d’aller chercher. Mon propre numéro de téléphone est connu de Joseph, ou au minimum de sa secrétaire, depuis que j’ai voulu le rencontrer. Je n’ai pas laissé celui d’Enzo, puisqu’il ne s’agissait pas d’une rencontre liée à The Lucky One.
« Si vous le souhaitez, dis-je en piquant ce que je viens de découper, je peux essayer de vous trouvez des places pour A Princess Story. Promis, il n’y a pas de vulgarisation. »
J’ai un ricanement espiègle en guise de ponctuation.
Une fois de plus la jeune femme s'était perdu dans des soubresauts de pensée tels qu'il était difficile de voir le lien qu'elle faisait entre l'opportunité qui venait de lui être offerte et l'éventuelle présence de Rowles à son spectacle. Probablement la notion d'horaire l'avait-elle égarée. Ce n'était pas bien grave, le psychologue commençait à s'habituer à la façon de penser de Miss Orchent et abordait ses écarts désormais en filtrant les informations inutiles.
"Je vous remercie pour l'invitation", répondit-il à sa dernière proposition tout en lui tendant sa carte de visite, "Mais je crains de ne pas être vraiment votre public-cible. Tout comme il est inutile d'offrir à bon vin à quelqu'un qui n'a pas de palais, il est fort peu probable que je puisse être affecté par l'humour de vos spectacles. Mais je transmettrai à Miss Johnson, je suis certain qu'y assister lui plairait beaucoup."
"Concernant cette carte", continua-t-il en indiquant la carte de visite, "Elle contient mes coordonnées personnelles. Préférez le mail si possible, je n'ai que rarement le loisir de répondre à mon téléphone, notamment en séance. Ah, et Miss Johnson répond régulièrement à mes mails à ma place, n'en soyez pas surprise. Elle fait vraiment son possible pour m'obliger à avoir au moins huit heures de sommeil et deux heures pour mes loisirs par jour. Bref, pour faire court, vous aurez malgré tout plus souvent à discuter avec elle qu'avec moi en fonction de mon emploi du temps."
Il but ensuite tranquillement un verre d'eau, avant de regarder son assiette d'un air dubitatif. Il n'avait plus vraiment faim et n'avait pas cœur à la gourmandise. Même si cette rencontre s'était avérée bien plus enrichissante qu'il ne l'avait estimé au départ, il voyait désormais la longueur démesurée de ce repas et se demandait comment il allait continuer durant le temps qu'il leur restait encore à rester ensemble.
Parler de nouveau de psychologie n'apporterait que peu de bénéfices : il fallait que la jeune femme intègre et réfléchisse sur tout ce qu'ils avaient échangé, sans compter que son enthousiasme concernant son entrée en laboratoire avait très probablement effacé certaines parties de leur échange. Rowles n'avait aussi que faire des banalités et des lieux communs, qui étaient pour lui d'un ennui mortel dépourvu du moindre intérêt. Peut-être le sujet de la biologie ? Ou simplement n'avait-il qu'à suivre l'esprit erratique de la jeune femme qui apporterait probablement son lot de questions, de détours et autres surprenants sursauts.
Mettez-vous à l'aise, vous êtes entre de bonnes mains désormais
Joseph me remercie pour l’invitation et je sens bien que c’est dans les deux sens du terme. Je récupère sa carte de visite, qui contient j’espère son numéro et son mail personnel comme demandé plutôt qu’une diversion vers ceux que mademoiselle Johnson filtre, tandis qu’il me confirme "craindre ne pas être mon public-cible". Comme je m’adresse à tous ceux qui pourraient sourire et rire à mon spectacle, oublier pendant une heure trente leurs soucis du quotidien, il n’y a qu’un moyen de savoir !
« Tout comme il est inutile d'offrir à bon vin à quelqu'un qui n'a pas de palais, il est fort peu probable que je puisse être affecté par l'humour de vos spectacles. »
Voilà qui explique pourquoi il a tant de problème avec le TEDx. Cela étant, A Princess Story n’est pas humoristique ! Il est musical. Surtout. Après, je trouve toujours très drôle de faire chanter au prince charmant à la voix de basse "Let It Go" de la Reine des Neiges. A défaut de s’accorder le bénéfice du doute, Joseph fait suivre l’invitation à mademoiselle Johnson. J’acquiesce donc à sa certitude, attendant pour négocier plus avant.
Bon réflexe, puisqu’il en vient sur sa carte de visite ; Joseph, pas le réflexe. Je l’ai toujours en main, pour ne pas dire entre les deux parce que maintenant qu’il me l’a donnée elle est à moi. Réflexe, là encore. Et coordonnées personnelles ! Victoire ! Je souris à pleines dents. Bon, il faut préférer le mail mais c’est déjà bien d’avoir le sien et non le faux sien. Rarement loisir de répondre à son téléphone ? Ce n’est guère étonnant, surtout quand on a des personnes pour s’en charger pour nous.
« Ah, et Miss Johnson répond régulièrement à mes mails à ma place, n'en soyez pas surprise. »
Je plisse les yeux et le nez à cette information, ayant sentie venir l’entourloupe et m’étant faite eue. Donc même le mail est en réalité professionnel et non personnel ; ou même le personnel est géré par la secrétaire qui en devient donc assistante. Faut que je parle de cette histoire à Enzo, qu’il en prenne de la graine ! Quant à avoir mademoiselle Johnson pour veiller sur Joseph, cela me fait acquiescer. Guère plus de sourire, juste de la compréhension. L’horaire du Professeur Rowles est chargé, cela se comprend aisément, et que la relation avec son assistante ne se limite pas au professionnel est également logique : il est son mentor sur beaucoup de points et, en bon mentor qu’il est, il sait qu’il a aussi à apprendre de son élève.
"Bref, pour faire court"… comment pourrais-je ne pas sourire à cette déclaration ? C’est avec une douceur espiègle et non moqueuse mais c’est là quand même. Quand au fait de discuter plus souvent avec mademoiselle Johnson qu’avec Joseph… ça me va, elle aura surement des choses intéressantes à dire et je pourrais embêter Enzo à les mettre en relation tous les deux à cause de leurs rôles d’assistants pour après le réembêter sur ce qu’il pense d’elle. Nathan m’aidera surement au second troll, d’ailleurs, mais il ne faut pas que Mia l’apprenne. J’ignore comment elle prendrait la blague.
« Bon courage pour celui-ci, réponds-je doucement en parlant de l’emploi du temps, et merci pour tout. »
Comme craint, Joseph commence à être fatigué. Non de la blague, même si je pense qu’il le sera vite lorsqu’il l’aura comprise, mais du repas. Un verre d’eau puis le rappel que le repas gastronomique compense ses petites quantités dans l’assiette par la qualité et la quantité d’assiettes. Combien de courses déjà ? Dix-huit ? Un regard rapide à la carte et je vois que c’est neuf. Comme le dit ma mauvaise foi : j’avais raison. Neuf chacun ça fait dix-huit. Sachant que le repas dure quatre heures, on a environ deux courses à l’heure soit une trentaine de minutes pour chaque course. Tiens, ça sent le déjà-vu ; ce qui ne fait pas sens, d’ailleurs, de sentir la vision. A vue de nez du moins. En parlant d’à vue de nez, il faudra voir combien de temps il nous reste ; je dois avouer ne pas avoir vu passé celui jusqu’ici et pouvoir continuer ainsi jusqu’à ce qu’on me dise d’arrêter ! Je ne suis pas certaine que Joseph réussirait à m’ennuyer mais je suis certaine que je réussirai à l’ennuyer lui, pour peu que ça ne soit pas déjà fait. Ce qui m’ennuierait beaucoup. Ce qui va dans le sens de mon hypothèse : Joseph ne réussirait pas à m’ennuyer mais je m’ennuierai pour lui en plus de l’ennuyer lui. Ce qui, j’en conviens parfaitement, est ennuyant. Pour tout le monde.
Cela étant considéré, le meilleur moyen de ne pas ennuyer et de ne pas s’ennuyer restent de discuter d’intérêts communs !
« Niveau de votre horaire, vous passer du temps à étudier la biologie mutante également, demande-je en espérant réintéresser Joseph et le revitaliser un peu. Après, je dois avouer que je suis aussi curieuse de comment vos employés font pour convaincre des individus avec le Gène X de le laisser étudier. C’est lié à vos patients ? »
J’imagine parfaitement Joseph avoir une entreprise secondaire dédiée à essayer de comprendre ses patients à un niveau biologique comme lui-même le fait à un niveau psychologique. Cela étant, l’entreprise ne serait alors pas viable économiquement. Ce qui nous amène à un point peut-être plus important encore :
« Votre entreprise se limite à la recherche ou elle fait dans le développement ? Concrètement, chaque détenteur du Gène X est une piste d’avancement de la Science et, si l’on arrive à répliquer son pouvoir, peut permettre des avancées technologiques révolutionnaires. »
Je me permets un instant de réflexion ambivalent à cette constatation. D’une part, difficile de me faire croire qu’une entreprise n’étudie des individus à pouvoirs que pour qu’ils se sentent mieux dans leur peau : outre que c’est la partie psychologique qui permettrait cela, créer des contre-mesures pour leur permettre de vivre normalement ne permettrait pas à l’entreprise d’être rentable ainsi donc devrait-elle vivre sous perfusion de fonds ; chose qui ne me déplairait pas pour me mêler de ce qui ne me regarde pas, cf. solution banquière. D’autre part, les révolutions technologiques résolvent toujours des problèmes pour en créer de nouveau ainsi peuvent-elles être une bonne chose comme une mauvaise ; sans doute seront-elles les deux, d’ailleurs. Pour moi, la plus grande invention de notre temps est le réacteur Arc, Stark Industries ayant pu dominer le marché de l’énergie avec une électricité propre et potentiellement infinie. Sans les difficultés posées par les lobbies et les lois anti-monopoles, on aurait pu assurer la transition énergétique et une partie de la transition écologique. Il faut simplement attendre que la transition financière se fasse. Sachant que le domaine financier sera probablement le dernier à être impacté pas des capacités surhumaines : les algorithmes et les intelligences artificielles peuvent déjà compter comme surhumains.
« La médecine avec les régénérateurs, le transport avec les téléporteurs, les arts du spectacle avec ceux ayant des capacités physiques surhumaines ou les illusionnistes, les inhibiteurs de Gène X pour ceux dont les pouvoirs sont un problème insoluble… les possibilités sont aussi nombreuses que diversifiées et malheureusement trop souvent limitées à l’utilisation sécuritaire ou paramilitaire. Après, ce n’est qu’une question de temps avant que le milieu super-héroïque ne se structure comme une nouvelle industrie, probablement nommée "super-sécurité", ou ne soit happé par les considérations paramilitaires ; chose rendue plus complexe avec le démantèlement des Accords de Sokovie, malgré quelques points qui continuent d’être utilisés indépendamment afin de permettre au SHIELD et aux Etats de se protéger des surhumains de façon plus ou moins liberticide. Je pourrais également vous parler des possibilités de réadaptation de conventions fictionnelles, notamment les archétypes des Five Men Bands et les deux types de Power Trio qui en découlent, pour structurer les équipes d’intervention de super-héros mais je pense qu’aborder la chose sous le point de vue de la dynamique de groupe vous parlerait plus. Cela me permettrait même de rebondir sur mon point philosophique sur la complémentarité, possiblement en mode tape-taupe, or mon but n’est pas de vous taper sur le système mais de vous en faire parler ; de votre système. Enfin Bref… »
Mon sourire m’amène à pencher la tête sur le côté, témoignant moins du fait que je sois désolée et plus de celui que j’espère avoir amusé mon interlocuteur. Il est ainsi libre de profiter de mon arborescence pour s’en aller sur une interdisciplinarité mêlant la psychologie de groupe à la tactique de loisir en passant par de la législation, de la sociologie et de l’industrie ou de répondre sur son entreprise s’il le souhaite. Ce qui l’intéresse le plus.
Non, je n’y ai pas pensé avant. Les choses vont, viennent et repartent dans ma tête. C’est ce qui m’a amené à dévier du cours et de la prise de notes l’accompagnant ; que je ferais peut-être bien de reprendre. J’ai encore beaucoup trop de questions de mon côté, cela ne surprendra personne, et je devrais peut-être noter quelques réponses ; ne serait-ce que pour éviter de les poser deux fois. Genre j’aimerai savoir ce qui a amené Joseph à vouloir faire de la psychologie mais je pense l’avoir déjà demandé… chose qui ne signifie pas qu’il m’ait répondu ! La biologie sera à aborder, tant sur pourquoi est-ce qu’elle l’intéresse que pourquoi est-ce qu’elle m’intéresse et que les diverses matières en elles-mêmes. Sachant que l’étude des mutations implique au minimum la biophysique, pour comprendre comment les pouvoirs interagissent avec l’environnement, et généralement la biochimie, la biomécanique, l’anatomie, la physiologie voire la biologie cellulaire et la génétique pour comprendre comment l’individu fonctionne, on a moyen d’en parler très longtemps ; surtout que la dernière spécialité a été évoquée. Est-ce que je pourrais par là même ramener mon point sur la complémentarité spécialiste-généraliste, puisque le spécialiste en psychologie qu’est le Professeur Rowles se généralise dans le second sujet qu’est la biologie afin d’en comprendre les recherches faites par ses spécialistes du domaine ? Totalement ! Est-ce que c’est une bonne idée ? Euh… miaou ?
A cette considération philosophique s’ajoute une considération personnelle : la passion de Joseph pour le Gène X au-delà des autres formes de pouvoirs surhumains n’impliquerait-elle pas qu’il en ait un lui-même ? Ou que ses proches soient concernés ?
En dix-huit cent mots commençants, et non comme en cent, je tâche d’animer la conversation sur le restant du repas en espérant que la nourriture gastronomique soit la seule chose dont le Professeur Rowles risque de faire indigestion ! Après, c’est comme pour les courses : 18 à deux ça fait 9 chacun donc je ne parle ni ne pense pas trop… si ?
Comme attendu, Rowles n'eut pas besoin d'apporter d'eau au moulin de Miss Orchent qui tournait déjà à pleine vitesse. Il vit avec un sourire poli la jeune femme enchaîner les questions et les conjectures sans discontinuer. Non que ce qu'elle citât là ne fut pertinent, mais elle semblait avoir oublié que pour avoir une discussion construite, il est important de laisser un temps de parole adéquat à son partenaire. Ce n'était pas vraiment grave, puisque les sujets qu'elle abordait n'auraient de toutes façons pas pu se résumer en quelques heures de discussion.
Lorsque la dernière question tomba et qu'enfin le silence se fit, Rowles prit quelques secondes à prendre la parole, tant pour profiter de ce calme bienvenu que pour s'assurer qu'elle n'allait pas de nouveau enchaîner sur son flux de pensées incessant. S'essuyant la bouche tranquillement, il répondit alors :
"Je ne possède pas d'entreprise, Miss Orchent. Je possède des laboratoires de recherche. Financés par des fonds publics et privés. Les impératifs de rentabilité ne sont pas vraiment les mêmes qu'au sein d'une entreprise."
Bien sûr, même s'il n'avait pas d'entreprise nominative à l'exception de son cabinet, Rowles avait su tirer une part de sa fortune de placements boursiers minutieusement réfléchis et de divers brevets issus de ses recherches personnelles ou de celles issues de ses laboratoires. Mais il ne tenait pas à donner tant de détails, principalement pour éviter d'être trop questionné sur le sujet.
"Nous y étudions en effet le gêne X, mais contrairement à ce que vous semblez croire, nous ne sanglons pas de mutants à des tables de dissection ni ne les faisons effectuer des tâches à la façon d'un singe savant. Nous étudions des tissus, des prélèvements de fluides, des cultures, à l'aide de prélèvements effectués sur la base du volontariat. Après tout, les mutants aussi sont curieux de leur propre nature, ce n'est pas le privilège des non-mutants. Je dirais même qu'ils sont plus concernés.
Quant à la nature des recherches, elles sont sous le sceau de la confidentialité, je ne peux en discuter ici, mais vous en saurez plus lorsque vous irez vous-même aux laboratoires. Après avoir signé une clause de confidentialité, bien entendu."
Nul doute que la curiosité de Miss Orchent allait être encore plus aiguisée après ça et qu'elle monologuerait encore assez longtemps pour qu'il puisse manger encore un peu, même si très franchement, il n'en avait plus vraiment envie. Pour autant, il restait très attentif à ce qu'elle disait, continuant d'analyser son comportement pour définir la meilleure approche pour la canaliser, approche qu'il lui faudrait sans doute communiquer aux personnes qui seraient en charge de son suivi.
Mettez-vous à l'aise, vous êtes entre de bonnes mains désormais
Monsieur Rowles ne "possède pas d’entreprise". Il "possède des laboratoires de recherche". Seraient-ils donc associatifs et à but non-lucratifs ? Cela serait effectivement plus intelligent : plutôt que de chercher à faire du profit, Joseph pourrait faire défiscaliser ses dons et cultiver son image publique. Il ne me semble cependant ne rien avoir vu à ce sujet. Cela étant, se servir des fonds publics pour son association tout en faisant défiscaliser les fonds privés qu’on y investi est un double usage de l’argent des autres que je ne peux qu’approuver. C’est mon côté banquière. Si les impôts des autres peuvent nous aider à ne pas payer d’impôt nous-même en plus de partiellement financer ce qui nous permet de ne pas payer d’impôt, pourquoi se priver ? Les règles du jeu sont faites pour être utilisées après tout. C’est normal.
« Nous y étudions en effet le gêne X, continue-t-il avant que je ne puisse continuer sur le sujet qui fait tourner le monde, mais contrairement à ce que vous semblez croire, nous ne sanglons pas de mutants à des tables de dissection ni ne les faisons effectuer des tâches à la façon d'un singe savant. »
Voilà qui me surprend et m’interrompt. Si je peux plaider coupable à l’envie de m’amuser avec les pouvoirs des autres même si je ne serais pas aller jusqu’à qualifier cela de "singe savant", c’est la première fois que le Professeur Rowles se trompe autant me concernant. Ainsi que ce que j’ai voulu dire. Je sais comment se passent des biopsies, tout comme j’en vois la limite dans le cadre d’une capacité mutante. Plus important encore, il n’était pas question de dissection même si ça serait un bon moyen d’étudier le tout. Il était question de trouver les volontaires. De l’expérience directe et des retours indirects que j’en ai, très peu de mutants sont enchantés à l’idée qu’on essaie de dupliquer leurs pouvoirs. Peut-être est-ce une question de mentalité : les américains seraient alors plus disposés à vendre des bouts de leurs corps "pour la science" que les européens ; à minima les newyorkais vis-à-vis des florentins. La curiosité sur sa nature n’implique pas forcément de vendre celle-ci, dans mon optique. Après, je sens que c’est un sujet sensible. J’ai déjà mis les pieds dans le plat, n’allons pas sauter à pieds joints dans celui-ci.
Faire parler Joseph de son système est pour le moins infructueux. Quand à celui de son association, il établit clairement qu’on ne parlera pas du contenu ; même s’il délaie ma curiosité au sujet de celui-ci et fait un rappel qui me fait sourire : la close de confidentialité. Parlerais-je trop ? L’euphémisme est rhétorique. Au moins me fait-il légèrement sourire.
« Bien entendu. »
C’est dit sur un air entendu ; voire bien entendu. Grâce à Tec-Novita, j’ai plus d’expérience dans les entreprises de recherche et l’accès à leurs laboratoires que ce que je peux paraitre. Après, je n’y suis pas allée depuis des années et c’est désormais surtout de la correspondance. J’agis avec eux comme une ingénieure et non une technicienne ainsi je ne manipule pas directement les échantillons. Je manipule les données. J’interrogerai bien sur le rôle qu’on me donnera lorsque j’aurais fait mes preuves pour ne plus seulement être belle et me taire autant que j’y arrive, même si je sais que je ne serais jamais une employée. Le laboratoire de Joseph pourrait être décisif dans le développement d’un Facteur Guérisseur Synthétique. Oui, le brevet de la première version est entre les mains de TN mais, si l’on peut convaincre un régénérateur de nous laisser étudier ses mécanismes de guérison, on aurait alors un procédé différent. La seule chose commune entre les deux brevets, ça serait moi ! Diego n’appréciera surement pas que je fasse mumuse chez les concurrences, sous réserve que ladite concurrence apprécie que je fasse mumuse avec elle. Après, peut-être que Joseph et ses employés travaillent déjà à cela. Il faudra que je vois depuis combien de temps ils sont sur la rétroingénierie de capacités mutantes et pourquoi ils n’ont pas encore eu des prix Nobel pour des inventions qu’ils en tireraient. Il faudra que je vois aussi si on me laisse m’intéresser aux projets que je veux où si l’on me tient la main tout du long. Dans le doute, je ne parlerais pas de ma collaboration avec TN dans les détails. De toute façon, c’est aussi confidentiel.
J’ai beaucoup à penser et encore plus à filtrer pour trouver comment continuer une conversation qui a déjà connue une conclusion. Le truc c’est que je suis persuadée que j’avais d’autres idées et sujets à aborder mais, sur le coup, rien ne me vient. Alors un ange passe, autant qu’un restaurant peut être silencieux. Tout en mangeant tranquillement, je jette un œil à mes notes. Sur les cinq étapes, ou problématiques, que j’ai dégagé de ses dires, j’ai tenu la première avant de partir en live. J’en ai un soupire d’aise. Si j’ai revu et conscientisé des choses que je savais déjà, j’ai aussi beaucoup appris avec cette rencontre. Après, je sais que ma capacité à apprendre décroit au-delà de l’heure de concentration et qu’il faut faire une micro-sieste pour mieux fixer les informations emmagasinées ; deux choses complexifiées par le lieu. Je ne m’en alarme pas cependant.
Lorsque la course est terminée, la discussion est reprise.
Lorsque les courses sont terminées, la discussion est close.
« Merci beaucoup pour cette rencontre, monsieur Rowles, déclare-je en introduction de ma conclusion, le contentement n’ayant pas disparu. Je vous promets également que, lors de ma prochaine préparation de présentation, je demanderai des retours à des personnes de votre qualité. »
Malgré tout ce qu’on a pu se dire, je n’ai pas oublié la problématique qui a amené Joseph à venir me parler. A Mutant Story a été préparé à la hâte, en dix jours, afin de gérer, par la recherche et l’humour, la peur que m’a causé Luke Hunt. C’était vulgarisé à l’extrême et, à la réflexion, le Professeur Rowles n’était pas le public cible de ce spectacle-ci non plus. Quoi qu’il en soit, ses retours sont pertinents. Trop d’innocence et de bienpensance ne m’ont pas permis de voir l’interprétation négative entre les mutants et les Pokémons, puisqu’en définitive je comparais l’entièreté de l’Humanité à des Pokémons. Elle était là, cependant. D’après les évaluations, elle était là chez une personne sur trois. Est-ce que Joseph fait parti de ceux qui ont laissé un pouce rouge ? Est-ce qu’il pense, comme Raven, que des mutants pourraient essayer de m’assassiner suite à mon TEDx ? Je ne le saurais probablement jamais. Raven est confidentielle et, malgré ce que l’on peut penser de moi, je sais garder un secret. Comme un tour de magie : regardez là où je vous montre, pas là où les choses se passent réellement.
« Se serre-t-on la main ou acceptez-vous la bise, demande-je avec espièglerie lorsque je me suis levée. J’accepte aussi les baise-mains en guise de compromis. »
Le repas et la conversation touchaient à leur fin. C'était plutôt une bonne chose, car autant de temps de discussions et de débats étaient fatigants, d'autant plus avec la personnalité aventureuse de son interlocutrice. Il nota cependant les quelques tics très discrets de la jeune femme à l'évocation de certains sujets. La vision des singes savants l'avait dérangée. Et une fois la clause de confidentialité abordée, elle resta globalement silencieuse, visiblement perdue dans ses réflexions. Une inquiétude peut-être ? Le psychologue ce demanda de quoi il pouvait bien s'agir, mais il n'était pas en consultation, il n'avait donc pas à creuser le sujet.
Lorsque les derniers plats furent débarrassés et que les salutations étaient de rigueur, soulignées par la fausse espièglerie de Miss Orchent, Rowles s'essuya une dernière fois les mains et serra délicatement celle que sa compagne lui tendait.
"Ce fut un plaisir de faire votre rencontre, Miss Orchent. Et ce sera un plaisir que de vous rencontrer de nouveau, peut-être en laboratoire, qui sait ?"
Après cette salutation, il la raccompagna comme il se doit jusqu'à l'entrée du restaurant, après quoi, leurs routes se séparèrent : Rowles prit un taxi pour retourner à son cabinet, afin d'y compulser ce qu'il avait appris de cette échange et instruire Miss Johnson des détails de leur accords, afin qu'elle produise les documents officiels. La jeune femme lui avait fait forte impression et il espérait la voir progresser rapidement pour avoir l'approbation des chercheurs de son laboratoire, et ainsi pouvoir, au moins à temps partiel, travailler elle aussi sur les projets de recherche.
Mettez-vous à l'aise, vous êtes entre de bonnes mains désormais
Accueil
