[Terminé] Quand le cauchemar devient réalité [pv Charles, Jean, Wanda et Lynda]

Quand le cauchemar devient réalité

Les choses s’étaient enchaînées à une vitesse folle. Vite. Trop vite. Si bien qu’elle n’avait pas véritablement eu le temps de comprendre tout ce qui s’était passé ; elle était dans l’esprit de Wanda, en compagnie de la douce Sorcière Rouge, lui insufflant de la force et du courage pour lutter contre son double et, l’instant d’après, elle était de retour dans le bureau de Charles, en ayant l’impression d’être à bout de souffle. Elle venait d’être projetée en dehors de l’esprit de l’ancienne héroïne, et bien que cet issue était plus que prévisible et attendu, elle eut brièvement l’impression de ne pas avoir eu assez de temps en sa compagnie.

Une brûlure dans son front, une sensation de chute, une grimace sur son visage, elle avait vacillé en reculant de quelques pas, se retenant de justesse au grand meuble derrière elle ; une fois stabilisée, elle avait apporté ses deux mains froides contre son visage bouillant, fronçant vaguement ses sourcils en entendant les paroles de Wanda… Charles… Des mensonges ? De quoi parlait-elle ? C’est elle qui mentait ! Mais ses pensées étaient encore trop vagues et trop confus pour qu’elle puisse s’y retrouver. Alors, le regard de Jean avait lentement dévié vers Charles, non pas à la recherche d’une quelconque réponse mais plutôt d’un appui prouvant que la Sorcière mentait, parce qu’elle ne pouvait que mentir, n’est-ce pas…

« Jean… Jean, je t'en prie, ne l'écoute pas… »

Elle n’avait pas envie de l’écouter, mais avait-elle réellement le choix ? Les yeux braqués sur son mentor, Jean n’avait pas vu que leur adversaire s’était présentée à elle, si bien qu’elle avait pu planter ses yeux bleus dans les siens juste avant qu’elle ne pose sa main sur sa joue ; enhardie par ce contact nébuleux, véritable clef enclenchant la serrure d’une prison gardée secrète durant bien trop longtemps, Jean s’était figée comme une statue en marbre, les yeux exorbités et braqués sur le plafond, sa nuque renversée vers l’arrière.


Renvoyée dans les confins de son propre esprit découpé, Jean est prostrée à l’intérieur d’elle-même : le lien s’établit entre les deux entités contenues dans son corps, étreignant une toile invisible entre les deux reflets du miroir brisé. Mais  dans ce vacarme silencieux, dans ce sentiment d’insécurité étrange, elle entrevoit enfin les contours de l’Ombre insaisissable rôdant si souvent dans ses pensées ; contre toute attente, c’est une petite fille qui ne paraît point effrayante, avec ses cheveux roux tirés en arrière, soigneusement peignés, ses tâches de rousseur parsemant sa peau et sa moue quelque peu boudeuse. Qui es-tu ? Lui demande Jean tout bas. Qui suis-je ? Mais je suis toi ! L’enfant penche la tête sur le côté, Jean l’imite par instinct. L’enfant a l’air triste, du moins, elle ne paraît pas heureuse, et Jean a l’impression d’en connaître les raisons mais elle ne se l’explique pas.
Elles sont à l’intérieur d’une voiture qui roule à travers un chemin de campagne. Tout cela lui semble si étrange, mais si familier… La radio crépite, grésille, et ça l’agace : ne peut-on donc pas éteindre cette mélodie distordue, irritante, qui emplit ses oreilles d’un bourdonnement désagréable ? Les sourcils froncés, elle pose enfin les yeux sur les deux adultes à l’avant ; ils discutent sans se soucier d’elle(s), mais Jean ne perçoit pas encore leurs visages, et ne sait guère de quoi ils parlent. Elle leur demande de couper la radio une première fois : ils ne répondent pas. Ils ne se quittent que rarement du regard, et rient ensemble sans l’entendre. Font-ils exprès de ne pas l’entendre ? Elle parle plus fort, leur demandant une nouvelle fois d’éteindre la radio, mais ils éclatent de rire. Jean ne comprend pas, mais l’enfant s’énerve en silence, elle le sent… Qu’est-ce qui se passe ? Où est-elle ? Qu’est-ce qu’elle fait là ?

À la surface, Jean ne reste figée ainsi que durant quelques secondes, semblant contenir un cri de douleur au fond de sa gorge ; le temps que la peau de son visage commence à se couvrir de petites fissures dorées, partant de ses tempes et de ses joues, gagnant son front, son menton et même ses mains crispées vers le bas de son corps, avant qu’une rafale ne vienne balayer le décor autour d’elle, renversant une pile de dossiers posée sur le bureau et même un lampadaire qui se brisent en mille morceaux sur le sol.


La Sorcière Sombre peut encore décider de le renfermer dans sa cage psychique, ou le laisser déployer ses ailes de feu et s'extirper de sa prison...

Quand le cauchemar devient réalité

Assise à l’arrière de la voiture filant paisiblement sur une route verdoyante, caressée par le soleil chaud d’un début d’après-midi, Jean fronce légèrement ses sourcils en regardant autour d’elle, ne distinguant, d’abord, qu’une voix féminine et précieuse lui assurant qu’il lui ment. Qui ? Qui lui ment ? Sans comprendre ce qui se passe, elle s’approche de la fenêtre pour observer le paysage, d’abord : les champs de fleurs et d’herbes hautes se soulèvent sous les feuillages épais, dont les branches sont calmement pliées par le vent. À côté d’elle, la petite fille ne bouge pas. Mirage du passé, elle occulte encore une culpabilité trop lourde à porter, oubliée, effacée… niée. « Où sommes-nous ? » lui demande Jean en revenant auprès d’elle, tandis que les deux adultes à l’avant du véhicule continuent de rire ensemble, sans qu’elle ne puisse vraiment discerner leurs visages. Ils ne font pas attention à elles, ils échangent des regards tendres, s’adressent des sourires mielleux et…

« Il a provoqué cet accident pour t’avoir. »

La voix se superpose au décor et Jean n’a pas d’autres choix que de tourner son visage vers le pare-brise, y discernant avec effroi la silhouette de son mentor, positionné dans son fauteuil au bout du chemin goudronné ; il est plus jeune, le visage crispé, les cheveux mi-longs et la main tendue vers la voiture, comme s’il souhaitait l’arrêter. Qu’est-ce qu’il… Non… C’est impossible…Pas lui… Il… Un sillon grave se creusant en son coeur, la mutante s’avance à l’arrière de la voiture pour poser ses mains sur le rebord des deux fauteuils, au moment même où les deux adultes se tournent l’un vers l’autre, dévoilant enfin leurs visages et… Elle les reconnaît. Elle se fige, le menton légèrement reculé et la respiration interrompue, tandis qu’elle fixe le visage de sa mère en sentant sa vue se brouiller sous l’émotion. Les larmes défient la pente de ses joues, ses mains ont agrippé la mousse des sièges et elle observe ses parents en sentant son estomac se tordre. Ils sont là. Ils…

Elle relève un instant les yeux vers Charles, un frêle sourire radieux aux lèvres, un sourire presque enfantin, celui de l’innocence, celui de l’enfant qui retrouve enfin ses parents après tant d’années, avant que sa vue ne se brouille totalement. Elle entend un grincement macabre, des gémissements de douleur et de surprise, le choc dur et froid de la taule griffant le sol sur plusieurs mètres avant de s’interrompre enfin, dans un silence mortuaire.
Sans savoir comment, elle se retrouve debout à côté de Wanda, mais ne peut se maintenir sur ses jambes ; elle tombe misérablement sur ses genoux en hoquetant de tristesse, les larmes déformant son visage.

Le chagrin, le vrai.
Son coeur bat vite et pourtant elle a l’impression qu’il a cessé de fonctionner.
Elle a tellement mal qu’elle voudrait se l’arracher.

Pourquoi… Elle venait juste de les retrouver…

« Il a fait cela pour te contrôler, de manipuler et t’avoir dans son équipe. »

Elle ne peut pas le croire, d’abord. Ensuite, elle ne veut pas le croire. Cet homme qui l’a recueillie quand elle n’avait plus rien et qui l’a élevée comme si elle avait été sa fille, qui lui a tout donné, qui lui a tant offert…
Reniflant légèrement dans un sursaut nerveux, Jean veut se retourner vers Charles pour le confronter, lui demander pourquoi il a fait ça, pourquoi il l’a privée de ses parents, mais l’explosion du moteur l’oblige à se retourner vers la voiture, à présent dévorée par les flammes. Murmurant des « non » frénétiques, Jean se lève subitement et se dirige d’un pas inégal en direction de la taule noircie, ne discernant même plus les silhouettes de ses parents qu’elle devine bloqués à l’intérieur. Les flammes orangées et rougeâtres s’échappaient par les fenêtres brisées, et une épaisse fumée grisâtre s’élevait du toit ; ils sont morts, elle le sait, elle le sent. Elle n’a même pas eu le temps de leur dire qu’elle était là. Ils n’ont pas eu le temps de lui parler. Elle n’a même pas eu le temps de leur parler. Est-ce qu’elle se souvient de leurs voix ? Elle ne s’en souvient pas…

Elle n’ose pas s’approcher mais, en larmes et tremblante, elle contourne l’avant de la voiture sans trop savoir quoi faire, n’ayant plus tout à fait conscience de qui elle est. Elle n’est plus Jean, elle n’est plus le Phoenix. Elle n’est qu’une enfant qui vient de perdre ses parents. Pour la seconde fois.

C’est alors qu’un grincement se fait entendre, lorsque la portière arrière s’ouvre et se retrouve projetée au milieu de la route : l’enfant en sort, calmement, lentement. Apercevant ses cheveux roux à travers les flammes, Jean accourt en sa direction mais se fige finalement en la voyant, car elle n’a plus rien d’une enfant. Les yeux dorés, le visage recouvert de fissures brûlantes et une expression curieusement placide, elle est effrayante, léchée sans blessure aucune par les flammes qui l’entourent.

« Tel le Phœnix, tu renais de tes cendres… Te voilà libéré »

Ce n’est pas le bon souvenir et ce ne sont pas les bonnes images, mais qu’importe. La symbolique est là : les barreaux de la cage psychique viennent de céder et le feu commence à rougir de colère, grandissant à l’intérieur de son esprit, de son corps, de ses veines et…

Enfin.
Le Phoenix est libre.


Libre. Libre. Libre. Libre.
(Libre !)
Et ce mot se répercuta, vénéneux et grondant, dans sa tête. Que le mot était grisant ! Et que la sensation était belle.

À la surface, Jean avait été libérée de l’emprise de la Sorcière Sombre et avait aussitôt apporté ses mains à ses tempes en se repliant contre elle-même, son front contre ses genoux, courbée pour former une carapace, qui s’était brisée en quelques secondes à peine. Un hurlement de douleur avait alors franchi ses lèvres tandis qu’elle ouvrait grand les bras en levant le menton vers le plafond, les yeux écarquillés. Traversée par une intense sensation de fièvre, celle-ci formant des vagues de puissance et de feu se relayant de son ventre à sa gorge et de ses bras à ses jambes, la peau de la rouquine s’était parée de mille striures dorées, luisantes et brillantes, avant de reprendre leur teinte de porcelaine.

« Qu’est-ce que tu as fait… ? »

Demanda-t-elle d’une voix d’abord pénible, en semblant reprendre une apparence ordinaire, le bout de ses doigts enfoncés dans la naissance de ses cheveux. Ses mains cachaient son visage des yeux du Charles, et il n’avait guère eu le temps de formuler la moindre phrase qu’elle avait réitéré, criant d’une voix forte mais brisée par le chagrin et la colère :

« QU’EST-CE QUE TU AS FAIT ! »

Il ne s’agissait plus de questionner mais d’accuser. Je sais ce que tu as fait, disait-elle. Je le sais parce qu’elle me l’a montrée. Il l’avait trahie… Il lui avait menti. Il l’avait rendue orpheline. La douleur était telle qu’il avait pu l’entendre pleurer, s’étouffant presque dans ses sanglots de désillusion tandis que ses mains se crispèrent sur ses cheveux roux, les tenant si fermement qu’elle donnait l’impression de vouloir se les arracher.

Puis, tout à coup, elle avait lentement retiré ses mains de son crâne pour pouvoir tourner son regard vers Charles, qui ne pouvait toujours pas bouger, déposant des yeux véritablement glaçants sur ce dernier. Ses yeux rougis, larmoyant, presque déshumanisés, qui ne reflétaient d’ordinaire que la douceur et la bienveillance, brillaient en cet instant d’une flamme de reproche féroce. Il y avait tant de douleur en elle… Tant de douleur et de colère…

« Tu étais comme un père pour moi… Tu étais mon père... Je...Je te faisais confiance... »

Sa voix, faible, tenue dans un souffle fragile qui témoignait de l’extrême détresse qu’elle portait, avait été éparpillé dans le bruit de ses pas lorsqu’elle s’était rapprochée de lui, pleurant silencieusement. Comment avait-il pu… Oh, comment avait-il pu lui faire ça… Toutes ces années à avoir peur de le décevoir, à vouloir le rendre fier… Comment…

Au-dessus de lui, le menton légèrement incliné vers le bas, elle l’avait observé quelques secondes avant de parler, lui soufflant dans l’esprit ces quelques mots qui sonnaient à la fois comme une menace, mais aussi comme une promesse :

« Tu m’as enseignée la paix, Charles. Mais j’espère que tu es prêt pour la guerre. »

Quand bien même elle sentait une nouvelle puissance dans ses paumes, elle n’avait plus la force de parler, ni de se battre. Pas maintenant. Une expression nerveuse ayant un instant soulevé sa bouche avec écoeurement, car la simple vision de Charles la dégoûtait profondément, Jean l’avait enjambé pour se diriger vers la fenêtre, qui fut brisée en mille morceaux sans qu’elle n’ait besoin de lever la main ; passant au travers, elle s’était ainsi envolée, sans se retourner, sans un mot, sans un bruit. Comme le vent s’enfuit, elle avait disparu.