[Terminé] We are made of what destroys us.

L'esprit retors de Hydra frappait à nouveau.

La mission lui avait semblé être trop simple : une cible, sans arme et dans une ruelle peu passante. C'était un contexte qui aurait dû être idéal un assassinat. Mais ses instructeurs voulaient la tester, vérifier qu'elle était toujours opérationnelle. Alors la cible était au courant de sa venue, les ruelles étaient résidentielles et la police, bien trop proche. Lorsque l'homme - un personnage qui avait trahi Hydra, si insignifiant qu'il n'avait pas été gratifié d'un nom - l'avait aperçu, il s'était mis à hurler à l'aide. Sans hésiter, Kali avait fit partir ses deux couteaux de ses manches, l'un allant dans un premier temps lui trancher les jarrets, tandis que l'autre attendait son inévitable chute pour l'empaler au niveau du cœur. L'homme s'effondra, poussant un cri de douleur qui se finit en un bruit étranglé.

Elle entendit une voix d'homme qui parlait au téléphone. Trop tard pour l'arrêter. Sa fenêtre pour s'échapper venait de se réduire drastiquement. Il fallait qu'elle bouge - vite. Dans un sprint éclair, la jeune mutante fonça aux côtés de sa victime pour vérifier que cette dernière était bien morte. Pas de pouls. Pas de souffle. Parfait. Elle essuyait en hâte ses deux couteaux sur la veste de la victime avant de leur faire regagner leurs manches respectives quand un crissement de pneus la fit sursauter. La police était déjà si proche lors de l'assassinat ? Ca ne pouvait pas être une coïncidence pour elle.

D'un bond, elle se jeta derrière une poubelle, espérant pouvoir les mettre hors de nuire sans avoir à les blesser plus que nécessaire. Pas question d'attirer l'attention sur elle. Hydra détesterait ça. Des éclats de voix retentirent alors, lui ordonnant de se rendre. Comment pouvaient-ils la voir ? Kali tenta un coup d'œil aussi curieux que prudent en direction des policiers, juste à temps pour voir ces derniers et leurs voitures s'envoler tandis qu'une fille qu'elle ne connaissait pas tendait les bras devant elle. Il ne fallut pas longtemps à l'assassin pour en tirer la conclusion qu'elle était une mutante. Et pas des plus faibles.

Une grimace apparut sur le visage de Kali. La présence d'une autre mutante compliquait les choses - il fallait qu'elle intervienne. Pas parce qu'elle tenait à lui sauver la vie, mais parce que c'est ce que Raisel aurait voulu. Alors, lorsque l'inconnue la dépassa en courant , elle lui emboita le pas. Elle avait déjà un plan pour sortir d'ici. Chaque briefing de mission avait une section dédiée à la fuite suivant l'acte. En l'occurrence, elle devait retrouver Hydra dans le parking souterrain d'un Walmart en passant par des ruelles étroites et - uniquement si nécessaire - des égouts. Même si elle devait dévier du trajet, elle saurait retrouver son chemin. Elle accéléra pour se retrouver à la hauteur de l'autre mutante avant de lui glisser d'un ton sans équivoque :

- Suis-moi si tu veux vivre.

Elle courut dans une ruelle, faisant signe de s'arrêter à sa comparse avant une intersection.

- Je sais que tu as des questions et/ou des reproches mais on a heureusement pas le temps pour ça. Ecoute moi bien. Je suis employée de force par Hydra. Je peux te faire éviter un séjour en prison si tu me suis. Cependant...

Une voiture de police passa à toute allure avec ses gyrophares allumés dans la rue voisine, se dirigeant vers le lieu où les autres agents devaient se relever péniblement à l'heure actuelle.

- ...il faudra impérativement que nos chemins se séparent avant la fin de notre trajet. Et surtout que tu ne parles de moi à personne. Sinon tu pourrais bien te retrouver avec ça au cou plus vite que tu ne le crois.

Elle désigna son collier d'un doigt avant de pointer la ruelle d'en face.

- Go.

L'expression de Kali se transforma en un air confus. L'impertinente inconnue pourrait se targuer d'avoir fait chuter la garde de l'assassin, ne serait-ce que pour quelques secondes. Celle-ci était maintenant partagée entre frustration et incompréhension. Elle prit une longue inspiration avant de reprendre :

- A moins que tu sois capable de faire des bonds de plusieurs mètres, on va surtout perdre notre temps sur les toits. Il y a plus d'une façon d'échapper à la police, autant prendre la plus simple.

Elle pointa du doigt la ruelle étroite qui se trouvait devant elle, vide à l'exception d'un rat qui s'intéressait de près au contenu d'une poubelle éventrée. Même pour un meurtre, les policiers avaient tendance à rester à la lumière, persuadés que même un assassin devait sortir des ténèbres de temps en temps. Hélas, Kali n'avait pas ce luxe. Elle fit signe à sa comparse d'avancer et - une fois dans la ruelle, près de l'échelle de secours - lui expliqua l'utilité du collier à voix basse.

- Le collier sert à me traquer et à me paralyser ou me tuer si je désobéis à leurs ordres. Dans ce genre de missions les personnes qui me surveillent sont assez laxes, mais je préfère éviter de leur donner une raison de m'électrocuter en m'éloignant sciemment du meilleur échappatoire.

Elle jeta un nouveau coup d’œil en direction de la ruelle d'où elles venaient, sans apercevoir de poursuivants. Le coup de la voiture renversée devait les avoir perturbés mais la chasse reprendrait pour sûr une fois qu'ils seraient remis de leurs émotions... ou que les renforts seraient arrivés. Elles étaient en train de perdre leur temps.

- Écoute, je ne remets pas en doute ta capacité à survivre dans New-York. Mais là tout de suite, il faut qu'on bouge si l'on ne veut pas au mieux être arrêtées.

Des éclats de voix retentirent non pas de la ruelle derrière elles mais de l'avenue parallèle. On pouvait distinctement entendre un ton autoritaire, même si les mots étaient encore trop assourdis pour être compréhensibles.

La voix de Kali se fit plus pressée, insistante.

- Je vais prendre le chemin que j'ai étudié. Tu es libre de me suivre ou non, mais prends ta décision. Maintenant.

Et sans plus attendre, elle s'élança dans un sprint, la lumière amoindrie faisant ressortir le visage couleur sang qui la caractérisait.

Sa comparse soulevait un bon point : elles ne pouvaient décemment pas courir jusqu’à leur destination. Bien qu’endurante, Kali n’avait certainement pas prévu de courir tout le long.

A voix basse, alors qu’elles s’approchaient toutes deux de la fin de la ruelle, la mutante rousse expliqua son plan pour échapper aux policiers.

- Je n’avais pas prévu de courir jusqu’à mon point de rapatriement. L’idée est de traverser l’avenue qui se trouve en face de nous pour atteindre un parking souterrain. La sortie de l’autre côté nous amène directement à côté de petites ruelles où les policiers osent rarement patrouiller. Si la chance n’est pas de notre côté, on peut toujours emprunter les égouts, même si je préférerais éviter.

Ce n’était pas une question d’odeur - bien qu’elle ne l’appréciait évidemment pas - mais plus une question de repères. Il était aisé de se perdre dans ces labyrinthes dépourvus de signes géographiques évidents, sans compter sur l’absence de lumière qui risquait d’être un problème pour quelqu’un qui n’avait pas sa nyctalopie.

- Tu as des pouvoirs autres que la télékinésie ?

Autant mettre toutes les chances de leur côté en sachant de quoi était capable la mutante. Avec un peu de chance, elle pourrait même l’aider à atteindre sa destination plus rapidement. Néanmoins, il y avait un problème de taille à régler : l’avenue.

- On va traverser l’avenue comme si rien ne s’était passé. Si jamais tu as l’impression qu’on te fixe, tu peux faire usage de tes pouvoirs, mais surtout, ne te mets pas à courir. Nous serions cernées de policiers avant d’avoir pu atteindre le parking.

Remontant son pull pour cacher son collier du mieux qu’elle pouvait, Kali s’approcha de la sortie de la ruelle. L’avenue semblait plutôt calme, preuve que la police n’avait pas encore pu boucler le quartier - ce qui signifiait également que les dommages sur la voiture venue l’arrêter ne devaient pas avoir été trop importants. Si tout se passait bien, elles pourraient probablement s’éclipser sans avoir trop de soucis. Elle se retourna en direction de sa comparse :

- Tu es prête ?

Pour une fois, les deux filles étaient sur la même longueur d'onde. Si Kali pouvait éviter de passer dans les égouts avec ses odeurs pestilentielles et ses gaz qui faisait tourner la tête, elle ne s'en priverait pas. Hélas, ce n'aurait pas été non plus la première fois.

La précision que fit sa comparse lui fut d'une grande utilité : être capable de pousser des objets était très différent de la manipulation qu'elle pouvait faire - bien que le pouvoir de cette mutante semblait bien plus puissant que le sien. Pour ce qui était d'insuffler de la douleur, Kali considérait ce don comme trop imprévisible pour être utilisé de façon efficace dans une mission. Chacun avait sa propre réaction à la douleur et là où certains se recroquevillaient sur le sol, d'autres pouvaient passer dans un état de fureur qui ne faisait que les rendre plus dangereux.

- Je vois. Puisque ça peut être utile, je suis plus agile que la moyenne, nyctalope et télékinésiste. Si tu peux, évite d'utiliser ton don de douleur, il risque de nous apporter plus d'ennuis qu'autre chose.

Je jetais un coup d'oeil rapide à l'avenue - tout semblait calme pour le moment.

- Alors allons-y.

Kali rabattit la capuche de son pull et la serra pour cacher un maximum son collier et sortit de leur cachette d'un pas assuré, les mains dans les poches. Une file de voitures avançait au ralenti, probablement bloquée plus loin par un cordon de sécurité de la police. Autour d'elle, des gens maugréaient, discutaient à vive voix en se demandant ce qui pouvait bien se passer, tandis que d'autres continuaient leur chemin, totalement indifférents à l'agitation ambiante. Mais la mutante rousse n'avait que faire des ses humains qui l'entourait. Ce qui l'importait, c'était les policiers. Et de toute l'avenue, il ne semblait il y en avoir qu'un, qui passait sa hâte à contre-courant des voitures  en regardant sans se presser.

Le parking semblait quant à lui désert, les citoyens semblant plus pressés de quitter les lieux que d'y rester.

Alors qu'elles arrivaient aux trois-quart du passage piéton qui traversait l'avenue, le policier sembla se pencher sur son talkie-walkie pour écouter quelque chose. Kali ne savait pas ce qui était dit exactement, mais les chances pour que leur description soit en train d'être données étaient plus qu'élevées. Elle décida alors de prendre l'initiative, usant de son pouvoir pour faire klaxonner une des voitures à côté du policier. La réaction de celui-ci ne tarda pas à venir : avec de grands gestes colériques, il se pencha en direction de la vitre de la voiture pour vociférer des ordres à son conducteur qui semblait complètement désemparé.

Les mutantes, elles, étaient déjà bien loin quand l'homme reçut sa contravention. Une fois dans le parking, Kali abaissa sa capuche, révélant ses yeux et lèvres rougeoyants qui réagissaient à la lumière faible des lieux. Après un instant pour se resituer, elle pointa du doigt une sortie à peine visible avec la distance :

- On va aller là-bas en essayant d'éviter un maximum les automobilistes du parking. Prête ?

La première partie du parking se passait bien. Trop bien au goût de Kali.

Les deux mutantes ne croisèrent que peu d'automobilistes et, malgré leurs dégaines, ne semblèrent pas attirer les regards. Pas question cependant de relâcher sa vigilance - la tueuse savait pertinemment qu'elle n'aurait le droit de se "détendre" qu'une fois retournée dans sa cage.

Alors que la moitié du premier niveau souterrain fut enfin franchie, un bruit distant la fit s'arrêter brusquement. Un bruit qu'elle ne reconnaissait que trop bien et qui lui fit monter immédiatement son adrénaline. Des sirènes.

Le cri de sa comparse fut superflu : elle avait déjà commencé à courir. Et alors qu'elle s'apprêtait à se retourner pour crever un pneu de la voiture qui leur fonçait dessus, un geste de celle qui la suivait attira son regard et elle ne put que constater l'encastrement de la voiture des policiers dans deux voitures garées. Elle reprit alors sa course, mais se rendit rapidement compte que la fille qui la suivait peinait à avancer après l'usage de son pouvoir.

La situation devenait critique. Elle pouvait toujours la laisser là, à la merci des policiers, qui seraient néanmoins bien plus cléments que Hydra ou bien lui prêter main-forte et risquer la capture, ce qui n'était pas envisageable pour elle - l'échec n'était pas une option chez l'Hydre.

Alors que sa comparse s'effondrait au sol, Kali fit demi-tour. D'un geste rapide, elle passa le bras de cette dernière autour de son cou et cala son épaule contre son aisselle pour lui donner un point de support. Alors qu'elles recommençaient enfin à avancer, elle jeta un rapide coup d'oeil en arrière. Elle ne voyait plus que deux policiers, dont un qui avait sorti son taser en lui sommant de se rendre. Dommage pour lui.

Usant de sa télékinésie, elle appuya sur la gâchette et réorienta les pointes armées d'un fil dans un arc de cercle qui se plantèrent dans le bras du policier. Quasi instantanément, celui-ci s'effondra, tandis que son collègue - peu désireux de continuer la course-poursuite tout seul - fonça vers le tasé et usa de son talkie-walkie pour demander des renforts.

Mais la rousse ne comptait certainement pas se faire prendre. Sans prévenir, elle bifurqua brusquement, en se dirigeant vers un des murs latéraux. Elle l'avait vu dans le plan qu'elle avait étudié pour cette mission qu'une sortie de service existait au deuxième niveau du sous-sol, aboutissant dans une bouche de métro non loin de là. Et comme cette issue avait été prévue en cas d'inaccessibilité des sorties principales ou d'un incendie, les portes n'étaient pas fermées - c'était là ce qu'elle supputait, le plan n'étant pas exactement avare en légendes.

A son grand soulagement, la porte qu'elles finirent par trouver n'était en effet pas verrouillée et c'est en chuchotant qu'elle s'adressa à sa compagne d'infortune :

- On va passer par là. Il y a un petit tunnel qui mène à une bouche de métro pas loin des ruelles. Voilà le plan : on va y aller dans le noir, pour leur faire croire que nous ne sommes pas passées par là. Je vais te servir de guide, alors ne me lâche pas, d'accord ? Une fois arrivées au bout, il est impératif qu'on se sépare. Le moyen le plus simple sera pour toi de prendre le métro je pense. Mon objectif final n'est pas loin d'ici et nous ne pouvons pas être vues ensemble - pas question qu'on esquive les policiers pour que tu finisses chez Hydra.

Et elle serait bien évidemment sévèrement réprimandée pour avoir laissé une civile se mêler à son assassinat.

- Bref, si tu es prête, on descend les escaliers et après ça devrait être tout droit. Accroche toi bien à moi.