Par décence envers son patient, Rowles ne lui imposa pas un regard insistant tandis qu’il parvenait à laisser aller un petit peu de sa tristesse, se concentrant sur se qu’il restait de son omelette et la dégustant paisiblement. Ce temps de silence était nécessaire. Comme beaucoup d’hommes, l’agent Smith avait du mal à laisser paraître ses véritables sentiments. Un héritage de nos pères, songea le psychologue, sans s’y attarder vraiment. Il laissait parfois tinter ses couverts, non pour presser son patient mais au contraire lui donner la sensation que le monde vivait autour de lui malgré l’absence de clients.
Lorsque, après quelques minutes, l’agent Smith reprit constance et regarda le psychologue, ce dernier reconcentra aussitôt son attention sur lui, le regardant simplement, sans jugement ni expression particulière, l’assurant par cette neutralité qu’il n’avait rien fait de mal. Sa question, prévisible, allait présenter des difficultés, puisqu’il n’existait pas de réponse claire.
« Je n’ai malheureusement pas de réponse clé en main à vous fournir, agent Smith. Ce que je peux vous dire, c’est que ce sera à votre façon. Chaque cas est unique. Vous trouverez sûrement sur internet ou en interrogeant vos proches des indications comme des « phases de deuil » ou « le temps guérit tout », mais la réalité n’est pas aussi stéréotypée.
Je peux vous dire certaines choses cependant. Vous ne les oublierez pas. Elles sont trop chères à votre cœur et vous avez passé trop de bons moments pour les oublier. Je peux vous dire que le temps atténuera votre peine, mais jamais complètement. Imaginez cela comme une blessure profonde, qui guérit avec le temps mais qui parfois, à l’improviste, vous lance à nouveau.
La première étape, dans votre cas, est de vous donner le droit. Le droit d’être triste. Le droit d’être en colère. Le droit d’oublier la douleur. Le droit de penser à autre chose. En somme, le droit de ressentir l’instant présent sans culpabiliser. »
Mettez-vous à l'aise, vous êtes entre de bonnes mains désormais
"La coopération n'est pas l'absence de conflits, mais un moyen de les gérer." Deborah Tannen
Après un moment de pur relâchement sur mes émotions qui se bousculait dans ma tête, j’avais finalement réussit à me reprendre et à formuler ma plus profonde requête. Comment j’étais censé me remettre de ça… Comment une personne est censée se remettre de la perte d’un être cher qui a tant compter dans sa vie…. Comment… J’avais conscience de ne pas poser la plus évidente des questions mais je savais que d’une certaine manière j’aurais une réponse qui m’aiderait.
Je plongeais mes yeux dans le regard assuré du Doc. Et je devais me rendre à l’évidence…. Si je n’étais pas fan du fait de voir un psy pour parler de ma vie personnelle pour me juger apte pour ma vie professionnelle. Et puis j’étais pas tant un grand bavard de mes sentiments, fallait avouer aussi. Et puis là, en face de lui, finalement j’avais réussit à m’ouvrir un peu, à me confier et surtout j’avais une certaine dose de confiance que je lui avais accordé. Alors je n’avais pas trop de doutes sur ses réponses futures mais surtout sur l’aide qu’il pourrait m’apporter. Peut-être que finalement c’était une bonne chose de l’avoir rencontré aujourd’hui. Ouais fallait dire que voir les choses du bon côté c’était plus ou moins mon domaine.
Je l’écoutais alors me répondre à ma question si simple et pourtant si complexe à la fois. Il y avait dans sa voix quelque chose d’apaisant et de réconfortant. Avoir le droit … Le droit de ressentir tout ce tumulte d’émotions et d’enfin les accepter. Avoir le droit de vivre sans culpabiliser… Je reconnaissais bien le fameux syndrome du survivant. C’était un basique pour nos métiers à risques. Je ne devais pas culpabiliser de vivre. Cela je l’entendais. Je le comprenais, je l’écoutais. Il resterait à mettre tout cela en pratique. Mais il était certain que je n’allais pas sortir de ce diners avec des clés en main et des solutions toutes faites. C’était avant tout une question de temps qui passe. Une question d’acceptation de tout ça et cela prend du temps. Je devais comprendre que je mettrais du temps et fallait pas que je me brusque à ce niveau-là.
Tout en songeant à ses paroles, je hochais un peu mécaniquement la tête de haut en bas, acceptant ses paroles docilement et laissant dans un premier temps, le temps à mon cerveau d’assimiler toutes les informations. Mais je devais être honnête. Honnête avec moi-même et également avec le Doc qui me regardait toujours doucement, attendant surement une quelconque réaction de ma part…
« Bon la clé c’est le temps, alors va falloir que je prenne le temps… Mais je sais que si je reste à végéter chez moi ça ne m’aidera pas. C’est p’tet con ce que je vais dire mais mon métier c’est clairement un défouloir à émotions. Et repartir en mission, cela me parait évident aussi pour avancer. Si on m’enlève ça, j’ai clairement plus rien. »
Je réalisais que j’avais l’impression de quémander mon habilitation pour retourner bosser mais je n’voulais pas que le psy le prenne ainsi. Surtout que ce n’était pas mon but premier dans le sens de ma phrase ….
« Enfin je veux dire par là que si je veux tenter de penser à autre chose et tout ça, faire tout ce que vous avez dit. C’est pas en restant chez moi à tourner en rond que je pourrais faire ce genre de choses… profiter de la vie, accepter et tout ça. »
Rowles fut assez étonné de voir son patient accepter sa réponse avec autant de facilité. Il jugea qu’il s’était déjà fait une réflexion semblable avant de venir. Comme le disait l’adage, il y a un monde entre savoir et comprendre. L’agent Smith n’avait probablement pas atteint la compréhension encore, ce qui était bien normal. Mais le fait qu’il accepte sa réponse pour le moins abstraite était déjà un bon point, le signe que leurs séances futures se feraient sous de bons auspices.
Il le laissa parler, ne l’interrompit pas ni ne fit signe de le faire. Son omelette était désormais finie et il poussa l’assiette sur le côté et servit à chacun un verre d’eau. Portant son verre à ses lèvres, il écouta la demande à peine dissimulée de l’agent Smith. Il voulait reprendre du service. C’était un problème récurrent chez ceux qu’on appelait des « super-héros ». Le sens du devoir, le besoin d’être utile. Toutefois, il marquait un point sur le fait qu’il ne devait surtout pas rester enfermé chez lui.
Il reposa tranquillement son verre et s’essuya la bouche. Pour lui, la reprise de service immédiate serait une erreur, mais la retarder trop la serait aussi. Il était nécessaire de trouver un juste milieu, et pour ça, il avait besoin de plus d’informations.
« Dites-moi, Agent Smith, que faites-vous pendant vos congés ? »
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J’ignorais si finalement je répondais bien aux questions du Doc. L’on m’avait dit que dans ce genre de consultations. Il n’y avait pas de bonnes ou de mauvaises réponses et qu’il fallait mieux être honnête parce que les psys arrivent à le voir lorsqu’on ment. Alors c’était ce que j’avais fait, j’avais été honnête et sincère avec lui. Je lui avais dit ce qui allait et ce qui n’allait pas. J’avais posé mes questions, mes doutes, mes interrogations sur mon avenir. Mais je ne pus m’empêcher de reparler de mon habilitation pour le terrain. Parce que si je voulais être honnête jusqu’au bout, j’étais ici pour avoir mon habilitation à retourner sur le terrain.
Le Doc en face de moi resta impassible à mes propos quant au fait que je ne voulais pas tourner en rond chez moi. Je pense qu’il réfléchissait à la meilleure façon de faire mais je ne voulais pas le brusquer dans ses pensées. En attendant un retour de sa part, je terminais à mon tour mon assiette et la repoussa sur le côté de la table pour me concentrer sur ma tasse de café qui était le dernier élément de mon petit déjeuner. Et finalement il reprit la parole pour me demander ce que je faisais durant mes congés. Je relevais alors les yeux vers lui. L’ironie du sort c’était que la dernière fois que j’avais réellement pris des congés datait d’il y a plus de cinq ans, bien avant le snap de Thanos. Je réfléchissais à ma réponse durant quelques précieuses secondes avant de finalement m’exprimer :
« La dernière fois que je suis parti en congés c’était avec Clara et Elena. Tous les trois aimions beaucoup les voyages et avec mon pouvoir de téléportation, les destinations peuvent être variées. Quand je suis revenue parmi les vivants il y a quelques mois, je suis reparti en voyage tout seul. J’avais besoin de prendre l’air et de me vider la tête, d’essayer de comprendre tout ce qu’il avait pu se passer. J’ai dû faire au moins une bonne quinzaine de destinations en quelques mois. Si vous me dites aujourd’hui que je ne retourne pas sur le terrain. Je pense que je repartirai en voyage parce que rester chez moi c’est juste pas possible. Ou alors j’irais sur l’héliporteur pour m’entrainer jusqu’à obtenir ma réhabilitation. Je n’ai plus que ça. Et l’objectif de retrouver ma fille aussi mais pour ça je dois récupérer mes accès également. »
Cela faisait déjà plusieurs mois qu’il voyageait, il avait donc déjà pu souffler un peu. Mais sans aide, il avait peut-être empiré les choses plus qu’il ne les avait améliorées. Intérieurement, le psychologue avait la sensation d’un poignard lui perforant le cœur chaque fois qu’il entendait le nom de « Clara », mais extérieurement, il savait ne plus rien laisser paraître de ses sentiments. Où en était-il ? Ah oui. Sans le savoir, l’agent Smith venait de lui fournir le nécessaire pour aboutir à un compromis. Oubliant son repas, il posa son regard apaisant sur celui de son interlocuteur.
« C’est bien, vous avez déjà commencé le travail. Je pense également que rester chez vous ne serait pas bon. Ceci étant, votre métier comporte bien trop de situations qui susciteraient un débordement émotionnel, je crains que vous ne vous mettiez en danger.
Que diriez-vous d’un compromis ? Je vais vous prescrire un médicament qui va vous aider à vous sentir mieux. Pendant le mois qui vient, vous restez arrêté mais avec recommandation de remise en forme. L’entraînement et le sport seront aussi d’une grande aide. Je transmettrai aussi à vos supérieurs votre volonté de retrouver votre fille, en appuyant sur la nécessité morale qui en découle, afin que vous puissiez participer à l’enquête.
Cependant, si la requête est acceptée, vous devrez être toujours accompagné d’une personne de confiance à qui vous pourrez confier les rennes lorsque l’émotion sera trop difficile à soutenir. Et bien entendu, vous devrez revenir me voir dans deux semaines. Si cette disposition donne des résultats positifs, je pense que vous serez à même de reprendre du service à la fin de votre arrêt de travail.
Qu’en dites-vous ? »
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Quand on m’avait parlé de voir un psy, je devais l’avouer, j’étais clairement pas chaud à cette idée. Et puis finalement après quelques temps de conversation, je me sentais un peu mieux. De là à dire que je pétais le feu, j’en n’étais pas encore là mais cela m’avait fait un peu de bien. J’avais bien compris que malgré mes révélations et ma coopération, je n’allais pas retourner sur le terrain tout de suite. Si cela ne me plaisait pas vraiment, je comprenais la position du Doc quant à mon état. Quand on part en mission, l’on se met en danger et parfois l’on a des vies entre nos mains. Il fallait être apte à se concentrer et ne surtout pas se laisser distraire.
Du coup, lorsqu’il me demanda ce que je faisais en général durant mes vacances, je répondis calmement et docilement à sa question parce que je ne voyais aucune raison de ne pas lui dire ce que j’avais bien pu faire. Et je précisais même ce que j’avais fait en revenant du Blip de Hulk. Ce n’avait p’tet pas été la bonne méthode mais sur le coup c’était ce qui me paraissait le plus facile à faire et j’avais passé de très bons moments, dont certains dans des coins très très reculés du monde.
Et puis le Doc’ reprit la parole me proposant un compromis. Je l’écoutais avec attention et plus ses mots arrivés à mes oreilles, plus ses idées me plaisaient. Un sourire se forma sur mes lèvres parce que je comprenais que je pourrais au moins chercher ma fille. Bon le médoc’ je n’étais clairement pas fan de l’idée mais si c’était ce qu’il fallait faire alors j’obéirais.
« Je suis d’accord Doc’. C’est un bon compromis. Je préfère être honnête, j’suis pas fan de l’idée de prendre des cachets mais je respecterais vos demandes. Et être accompagné ne me gêne pas, j’suis plutôt sociable donc bon ça devrait bien se passer. »
J’avais un sourire franc sur les lèvres. Non pas que je me sentais guérit ou mieux mais je me sentais épaulé et serein à l’idée d’avancer. Je regardais mon interlocuteur en tendant ma main vers lui pour serrer la sienne s’il le voulait :
« En tout cas, j’étais pas hyper optimiste en venant ici ce matin et finalement vous êtes sympa Doc’, c’était agréable de discuter avec vous. »
Ce n’était pas tous les jours que Rowles recevait des compliments dès la première visite. Voire des compliments tout court. En particulier avec des patients victimes de ce genre de traumatisme. La plupart du temps, ses patients espéraient sincèrement ne jamais le revoir, ce qui était cohérent : le revoir signifiait une rechute, ce n’était pas vraiment souhaité. Dans tous les cas, il était heureux de voir que l’agent Smith comptait suivre ses recommandations de son plein gré.
« Je suis ravi que cet entretien vous ait apporté un soutien », dit-il en serrant la main chaleureusement tendue à son attention, « Je vais vous faire les papiers nécessaires immédiatement ».
Il sortit de sa sacoche un document d’arrêt de travail ainsi qu’un papier pré-imprimé d’ordonnance. Il posa quelques questions à son patient quant à ses adresse et numéro de téléphone, ainsi que son éventuelle assurance santé. Rowles inscrivit sur l’ordonnance un unique médicament à prendre tous les matins pendant un mois. Il fut d’ailleurs notable que l’écriture de Rowles, contrairement à de nombreux médecins, était lisible et appliquée, d’une calligraphie très juste sans pour autant être extravagante.
Après quoi, il sortit un nouveau document d’ordonnance de sa sacoche et y écrivit un texte à l’intention des supérieurs de l’agent Smith, indiquant la nécessité d’un entraînement quotidien et celle de participer à l’enquête pour retrouver sa fille. Il inscrivit par ailleurs la nécessité que l’agent Smith soit accompagné par une personne de confiance, qui devra être approuvée par ses supérieurs et lui-même. Il souligna d’ailleurs la dernière partie, désireux que l’agent Smith ait son mot à dire. Après tout, comment faire confiance à un chaperon qu’on ne désire pas ?
Une fois terminé, il tendit tous les documents à l’agent Smith tout en lui précisant lesquels étaient destinés à qui.
« Je corroborerai cette ordonnance par une communication par mail avec vos supérieurs. Concernant notre prochain rendez-vous, je vous enverrai rapidement des dates possibles. Souhaitez-vous tout de même un dessert avant que nous nous quittions ? »
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Visiblement l’entretien touchait à sa fin et même si dans le fond j’avais passé un moment plus ou moins agréable, je ne serais pas mécontent de retrouver un peu d’air après le rendez-vous. Heureusement que l’endroit avait été privatisé, cela m’avait permis de me lâcher un peu et de laisser tomber cette barrière qu’habituellement je conserve tous le temps. Le doc me confirma qu’il était ravi d’entendre de compliments venant de ma part et c’était bien normal. Il fallait le dire aussi quand les choses sont positives.
Je le regardai en silence remplir les documents qui me seraient destinés pour la suite de mon « retour à la normalité » tout en terminant mon café afin de clôturer ce petit déjeuner qui fut copieux et instructif. Une fois les documents en ma possession avec toutes les explications qui vont avec, le Doc me demandent si je souhaite prendre autre chose.
Je regarde mon assiette vide et ma tasse en me rappelant tout ce que je viens d’avaler avec le sourire :
« Non merci Doc, j’ai déjà bien assez mangé pour ce matin. J’attendrais votre mail sans soucis. »
Je pose mes yeux sur les documents en songeant que le rendez-vous se termine et mes pensées se verbalisent sans que j’en prenne totalement conscience :
« Alors suis-je un cas désespéré ou vous pouvez encore me remettre d’aplomb pour la suite ? »
J’avais retrouvé mon sourire légendaire et ma bonne humeur qui me caractérisé tant. Oubliant momentanément mes problèmes qui me hantaient en ce moment, je voulais prendre ces derniers instants de rendez-vous avec positivité.
La dernière question de l’agent Smith était aussi amusante qu’inquiétante. Il jugeait déjà de son état comme désespéré, même s’il le disait sur le ton de l’humour. Cela prouvait que Rowles avait fait le bon choix en décidant de lui faire entamer un traitement contre la dépression. Il lui sourit, mimant d’être amusé par sa blague, avant de répondre :
« Aucun cas n’est désespéré, agent Smith, le vôtre encore moins que d’autres. Vous avez de l’entrain, vous avez un moteur pour avancer et un objectif. Le traitement vous donnera le positivisme nécessaire pour voir la vie du bon côté. Non, vous n’êtes pas un cas désespéré, croyez-moi, et je vous aiderai tant que ce sera nécessaire. »
Il sortit sa carte de visite et la tendit à son patient.
« Si jamais vous avez besoin, que ça ne va pas, n’hésitez pas à m’appeler. Qu’il s’agisse de moi ou de Miss Johnson, ma secrétaire, nous répondrons présent. »
Il le laissa ensuite quitter le diner. Rowles prit encore dix minutes pour terminer son café tout en se repassant mentalement leur entretien. Après quoi, il libéra la table et indiqua à la propriétaire que le diner pouvait rouvrir au public. Il n’était même pas midi. Rowles avait tout le temps pour remplir le dossier de son patient et passer les coups de téléphone nécessaires.
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