Le jeune sujet m'accompagne sans broncher, et ne rechigne pas à suivre mes indications. J'ai remarqué le haut-le-cœur qu'il a eu en voyant les trophées sur les murs, mais il n'a pas vomi. Il est plus résistant et courageux qu'il n'en a l'air. C'est une constante que j'ai retrouvée chez quasiment tous les sujets. Ce courage fait-il partie de leur héritage génétique, ou est-il dû à un phénomène sociologique ? Il faudra que je creuse la question.

Tandis qu'il prend place sur le lit d'hôpital, j'enfile ma blouse blanche, je me désinfecte les mains – il est essentiel en médecine comme en tout temps d'avoir une hygiène irréprochable – puis je mets des gants en latex. Je prends ensuite le temps de stériliser mes instruments – stéthoscope, tensiomètre, aiguilles, thermomètre – tout en jetant très régulièrement des coups d’œil à mon patient. Je ne l'ai pas sanglé : tant qu'il se montre coopératif, je ne vois pas de raison de l'attacher.

Je commence par écouter son cœur. Il bat vite. Rien que de bien normal, vu les circonstances. Puis je prends sa tension : elle est un peu élevée, mais il n'y a rien d'alarmant. J'utilise ensuite le thermomètre frontal pour constater que sa température est normale. Pour le moment, l'examen est très banal. C'en est presque décevant.

" Bien, vous êtes en bonne santé. Je vais prélever un échantillon d'hémoglobine. Quelques tubes, comme lors d'un don du sang. "

Je mets en place le garrot sur son bras gauche, que je serre bien pour faire ressortir les veines. Je pique avec habileté et finesse, ce n'est pas la première fois que je fais cela, loin s'en faut. Tandis que je prélève le précieux liquide vital, je commence à lui poser des questions. Le jeune sujet n'est pas très bavard, mais il est important de le faire parler, pour l'avancée de mes recherches. Je me permets de me montrer un peu plus familier, pour le mettre en confiance.

" Alors, parle-moi de toi. Quand est apparue ta mutation ? Comment se sont déclenchés tes pouvoirs ? Et qu'as-tu ressenti lorsque c'est arrivé ? "

J'écoute attentivement le témoignage de mon nouveau sujet d'expérience. Sa mutation s'était déclenchée lorsque la moitié de la population mondiale avait disparu. Le jeune homme a seize ans à présent, il en avait onze à l'époque. Un schéma se dégage des différents témoignages que j'ai reçus : leurs pouvoirs se sont déclenchés en réaction à un événement traumatisant. L'autre constante est l'âge des sujets au moment de la révélation de leur mutation : sur une période entre dix et seize ans, lors de la puberté. Chez eux, il n'y avait pas que le corps qui évoluait...

De nombreuses questions restent sans réponse. Est-ce qu'un mutant passif qui mène une vie parfaitement calme et paisible n'activera jamais ses pouvoirs ? Leur ADN et leur sang sont-ils déjà différents avant la puberté, peuvent-ils lorsqu'ils sont enfants être confondus avec les vrais êtres humains ? Il faudrait, pour répondre à ces questions, que je puisse mettre la main sur des enfants mutants pas encore révélés. Mais comment les identifier, puisqu'ils sont justement normaux pour le moment ?

J'ai terminé de prélever le sang. J'ai soigneusement bouché les tubes à essais, que j'avais étiquetés au préalable du nombre 19. Je place les échantillons dans un frigidaire, afin de les préserver pour les analyser ce soir. Je sais déjà ce que cela donnera, mais il est essentiel de suivre la procédure pour chaque sujet d'expérience.

" Sais-tu que ta race a un sang différent des gens normaux ? Vous avez un groupe sanguin spécifique, exclusif aux mutants. Comme si la Nature elle-même clamait que vous êtes une espèce à part, que vous ne devez pas vous mêler aux humains... "

Bien, il me reste une dernière analyse médicale à faire pour le moment, puis nous pourrons passer aux exercices pratiques. Celle-ci est plus délicate et bien plus douloureuse que la prise de sang, puisqu'il s'agit d'une ponction de moelle épinière, nécessitant une longue et grosse aiguille pour piquer au cœur de la colonne vertébrale.

" Je vais te demander de te placer sur le côté, j'ai une piqûre à te faire dans le dos. "

J'attends de voir s'il s'exécute docilement, ou s'il commence à protester. Je suis prêt à agir si c'est le cas.

Comme je m'y attendais, le sujet 19 émet des réticences à se faire piquer dans le dos. Il commence à poser des questions, à remettre en doute mes méthodes. Ce n'est qu'un gamin, il n'a aucune idée de ce que j'accomplis ici. Une ponction dans le bras... quelle idée absurde. Mais comme il tente seulement de marchander verbalement, je reste calme et lui explique :

" La ponction de moelle osseuse se fait sur l'os iliaque, au niveau du bassin. Donc non, jeune homme, on ne peut pas "la faire sur le bras". "

Habituellement, cette pratique médicale se fait sous anesthésie locale. Je me passe cependant de ce processus, car l'expérimentation de la souffrance chez les mutants est très intéressante à observer. Certes, cette méthode comporte des risques, mais elle est la plus efficace et la plus directe pour voir les manifestations de leurs pouvoirs, et constater jusqu'à quel point de douleur ils peuvent se contrôler.
Cependant, alors que je m'apprête à positionner le sujet correctement, je suis interrompu par un signal sonore d'alerte provenant de ma tablette.

" Qu'est-ce que... ? "

Je saisis la tablette, qui est reliée à tous les systèmes de sécurité du bunker. L'alarme signifie qu'un système a été forcé. Je pianote sur l'appareil pour avoir accès à l'origine du problème, et constate qu'il provient de la salle de stockage des mutants. Je passe sur les écrans de surveillance et écarquille les yeux. On y voit distinctement Aaron Smith, une sorte de longue barre de fer à la main, sortir de sa cellule après avoir forcé la serrure de sa cage.

" Merde ! "

Devant réagir vite, j'attache les poignets du sujet 19 avec les sangles du lit médical sur lequel il est allongé, avant de quitter la pièce à la hâte. Dans la précipitation, je laisse la tablette sur la table près de lui. Il ne peut certes pas s'en saisir, mais il peut voir et entendre ce qui se passe dans la salle des mutants.

Lorsque j'arrive dans les cellules, Aaron est en train de donner de grands coups de barre de fer dans la serrure de la cage d'Earwen Baskerville. J'actionne immédiatement son collier électrique. Hors de question de le laisser faire. La moindre tentative de rébellion doit être immédiatement stoppée. La jeune demi-elfe proteste en voyant son oncle souffrir, alors j'actionne son collier également. Les deux êtres hurlent et tombent au sol, secoués de tremblements de douleur incontrôlables. Livide de rage, je n'arrête leur punition que lorsqu'ils sombrent dans l'inconscience.

Je peux alors examiner l'arme improvisée de Aaron et constater qu'il s'agit d'une partie de l'armature de son lit de camp. Il a dû la dévisser avec une fourchette pendant leur pause repas. Cet agent est plus malin que je ne le pensais.
Le dernier mutant conscient de la salle, l'ancien combattant névrosé, se met à crier en frappant sa grille, me hurlant toutes sortes d'insultes. Sans hésitation, je lui fais subir le même sort qu'à ses camarades.

La situation a bien failli m'échapper, et il ne faut pas que cela recommence. J'aurais dû tuer Aaron à la sortie de ce bar, au lieu de l'emmener avec moi. Il devient trop dangereux.
Je le saisis par le col et traîne son corps inerte jusqu'à la salle d'expérimentation.

Je sens que les nerfs montent et je n’aime pas ça. Je sais d’expérience que lorsqu’un homme est en colère il fait des erreurs et je n’ai pas le droit à l’erreur. Prendre Aaron comme otage fut une première erreur. Cela ne doit pas se reproduire. Je décide alors de sévir. Je traîne le corps inerte de Smith jusqu’à la salle d’expérimentation. Il m’a énervé. Je vais devoir lui faire comprendre qu’il va devoir se calmer. Je pourrais le tuer dès maintenant mais il est tout de même utile en terme de génétique alors je vais faire autrement.
Lorsque j’arrive à la salle d’expérimentation, je ne remarque même pas que je n’avais pas réactivé le brouilleur. Ce dernier reste donc inactif. En entrant je sermonne tout de même Peace qui essaye de se détacher.

“Je ne ferais pas ça si j’étais toi où je te fait la même chose que je m’apprête à lui faire.”
Clairement je suis en colère et cela se voit. Mon visage est dur et le ton de ma voix est glacial. Je pose tant bien que mal le corps encore inerte d’Aaron un autre lit d’hôpital et le sangle le plus serré possible. Le pouvoir d’Aaron est la téléportation. Il sait que s’il tente de s’enfuir, je tue Earwen. C’est la seule et unique raison pour laquelle il reste. Je jette un regard méchant à Peace alors que j’ai l’impression qu’il chuchote.

“Qu’est-ce que tu marmonnes? Ce n’est pas le moment de me mettre en colère je te préviens.”

J’attrape vivement le chalumeau à gaz et l’allume. Il était prévu pour monsieur Jones qui est un mutant qui maîtrise l’élément de l’eau. Je me tourne vers Peace et montre que dans l’autre main je tiens la télécommande du collier électrique.

“Je n’hésiterais pas à m’en servir alors tu restes tranquille.”

D’un coup sec, je déchire le t-shirt d’Aaron et grave une marque dont il se souviendra toute sa vie. La douleur le réveille et il hurle de douleur alors que le chalumeau lui brûle la peau. La lettre M pour Mutant ou Monstre est à présent marqué sur son épiderme. Une brûlure qui n’est pas prête de cicatriser. Je croise son regard emplis de haine mais je lui inflige un autre courant électrique via le collier qui l'assomme à nouveau. Une seconde fois, j’entends Charlie chuchoter. Je me retourne et éteint mon chalumeau. Je me rends alors compte que le champ magnétique est inactif. Le menaçant de la télécommande, je lui hurle dessus:

“A qui est-ce que tu parles? Réponds-moi tout de suite.”