Se rencontrer et se comprendre [PV Ezekiel]

8 février. C’est aujourd’hui que Auden Mallow doit être tué, d’un meurtre qu’il a lui-même commandité. Retranché dans son bureau, situé dans les sous-sols, Ezekiel contemple son téléphone portable en accolant la pulpe de ses doigts les unes contre les autres, formant une petite coupole contre laquelle son front vient s’appuyer durant quelques secondes ; il est en train de basculer, il le sait. Il ne prend même plus la peine de régler ses différends à l’amiable, mais se contente de faire intervenir ses mercenaires pour faire disparaître le problème ; Hector étant celui en qui il a aveuglément confiance, il est naturel qu’il ait été désigné pour éliminer le politicien ayant tenté de le faire plier, en plus d’avoir harcelé l’une de ses plus proches amies.

Après quelques minutes de silence et de solitude, il attrape son téléphone, qu’il glisse dans la poche arrière de son jean, se saisissant de sa canne avant de se téléporter à l’étage au-dessus ; Hector le contactera lorsque la tâche sanglante sera accomplie, il n’a donc pas besoin de garder les yeux rivés sur son téléphone en attendant tout seul. Le Devil’s n’a pas encore ouvert ses portes aux fêtards infatigables, de ce fait, les rares clients sont des privilégiés, pour lesquels l’établissement est toujours disposé recevoir. Des membres de la Pègre jouent aux cartes dans une table en hauteur, entourés par des escorts très peu vêtues qui sont assises sur un coin de fauteuil, tandis que d’autres personnes, une dizaine tout au plus, sirotent des verres en fumant allègrement des cigares. Au comptoir du bar, derrière lequel s’active un serveur, il n’y a qu’une seule demoiselle, digne, élégante, comme un bijou au milieu des mafieux. « Bella Donna. » dit-il en arrivant à sa hauteur, après qu’ils aient échangé des regards complices durant quelques minutes, le temps qu’il salue ses invités privilégiés. « Je suis content de te voir. » Sincère, il appuie ses deux mains sur sa canne en se positionnant à sa hauteur, attendant quelques secondes avant de pointer, de l’index, le siège à côté du sien. « Je peux ? » Si elle souhaite rester seule, il n’insistera pas ; après tout, elle est une cliente hautement estimée ici, presque une reine en ce royaume tant elle est respectée et admirée de tous.

Lorsqu’il s’approche de la jolie blonde confortablement installée au bar, à cette place qui semble lui appartenir, Ezekiel peut constater qu’elle l’accueille avec un sourire grandement réjoui, qui ricoche sur ses propres lèvres. Malgré les désaccords entretenus avec Remy, le maître des lieux reçoit toujours avec un prompt plaisir celle qui est son épouse. « Bonsoir Ezekiel. C'est une joie pour moi aussi. » Il hoche son menton d’un geste bref puis, après avoir obtenu son accord, il s’installe à ses côtés ; cela peut paraître étrange de demander s’il peut s’asseoir alors qu’il est chez lui, mais il faut cultiver l’art de la séduction, soignant les invités, surtout privilégiés.

« Je peux t'offrir quelques chose? » En déposant son coude sur le comptoir marbré, il ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire qui semble amusé ; c’est bien la première fois qu’on lui fait une telle offre, sans nul doute parce que l’endroit lui appartient et que, de ce fait, lorsqu’il veut boire quelque chose, il se contente de la demander. « Tu es la première à me le proposer. » Sa voix se fait malicieuse lorsqu’il tourne son menton vers les étagères soutenant un nombre incalculable de bouteilles. « Je vais prendre comme toi, pour t’accompagner. » Derrière le comptoir, le serveur s’affaire déjà à exécuter la demande formulée, tandis que le bouclé en revient à la blonde. « Alors, que raconte-tu de beau? » Ses sourcils se haussent car il en aurait, des choses à dire ; il a retrouvé sa soeur jumelle disparue, appris que celle-ci était mère mais en plus mariée à une déesse, il a également appris qu’il avait un frère aîné décédé et la femme de ce dernier a rejoint son club avec son fils. Un début d’année tout ce qu’il y a de plus normal et reposant, en somme. « Beaucoup trop de choses… » Admet-il en prenant le verre qu’on vient de déposer devant lui, en buvant une simple gorgée avant de demander, avec un sourire sincère : « Comment va Remy ? Je ne l’ai plus vu depuis… Trop longtemps. Je ne pourrai même pas dire quand. »

« Il n'y a pas de raison que je n'en fasse pas profiter l'heureux propriétaire des lieux. » La délicate attention de Bella Donna ne peut que le faire sourire avec douceur, car cette femme pleine d’élégance ne cesse de le surprendre, de la meilleure des façons. Il comprend pourquoi elle est la seule — du moins, à sa connaissance, à avoir su gagner le coeur de son ami, aussi frivole que volage, aux conquêtes encore plus nombreuses que les membres de la Cour des Joueurs. « J’apprécie le geste, en tous cas. » Il l’admet sans perdre son sourire et, lorsqu’elle demande un Kir Royal, il hausse brièvement les sourcils car, de lui-même, il n’aurait pas choisi cette boisson mais… Il est trop habitué aux alcools forts pour considérer ce cocktail comme de l’alcool.

Lorsqu’on leur apporte leurs coupes rosées, Bella Donna prend la peine de remercier leur serveur en surélevant son verre mais, lui, s’en saisit plutôt pour le considérer avec intérêt. De son point de vue, c’est plus proche du jus de fruits mais bon, il en boit une gorgée sans rechigner. « C’est pas mauvais. » Ce qui ne veut pas dire qu’il en reprendra ; ça manque cruellement de goût selon lui mais, faisant honneur à sa cliente, il repose calmement sa coupe, gardant sa main à proximité.

Profitant du fait de pouvoir lui en parler calmement, sans être interrompu par les aléas d’une soirée mouvementée au Devil’s, il s’empresse de prendre des nouvelles de Remy ; si les deux hommes ne sont plus aussi proches qu’avant, il reste, dans le coeur du mutant, quelqu’un d’important. « Tout va bien pour lui. Je peux lui transmettre tes amitiés si tu le souhaites. » Haussant ses sourcils, il prend une fine inspiration en redressant quelque peu son torse, comme pour prendre un peu de recul face à la situation. « Je ne sais pas s’il appréciera… » Force est de constater que le silence s’est imposé entre eux ; chacun ayant sans doute ses torts, et il leur faudra crever l’abcès à un moment ou à un autre. « Je doute qu’il apprécie, plutôt. » Reprenant sa coupe, il l’apporte à ses lèvres pour en boire une gorgée, quelque peu amer sur le sujet. « Mais je suis content de savoir qu’il va bien, en tous cas. »

S’il tente poliment de réprimer son rictus quant à l’alcool choisi par Bella Donna, celle-ci remarque aisément que ce n’est pas une sélection qu’il aurait fait de lui-même ; heureusement, elle ne s’en formalise pas outre mesure, avouant même qu’elle apprécie également les alcools de plus grand teneur. Hochant son menton en délivrant son sourire jovial, il considère sa boisson durant quelques secondes avant de se retourner vers la blonde, lui disant alors : « Je n’en doute pas un seul instant. » Bella Donna est une femme élégante, distinguée, qui apparaît dans une beauté froid en toutes circonstances, si bien qu’il est difficile de l’imaginer autrement qu’au travers le prisme du bon goût.

La conversation dévie rapidement sur l’homme qu’ils ont un commun ; époux pour l’un, (ancien?) meilleur ami pour l’autre. Remy avait été plus qu’un ami pour Ezekiel, passant de mentor à frère, et il lui avait toujours alloué une confiance aveugle, jusqu’à ce que l’agression subie au cours de l’été ne vienne altérer cette complicité parfaite. Aussi, lorsque Bella Donna propose de lui transmettre ses amitiés, le mutant ne peut s’empêcher d’être sur la réserve, ne sachant pas tellement si c’est une bonne idée… Peut-être ont-ils besoin de mettre de la distance afin d’apaiser les reproches jamais formulés. « Comment ca? Il s'est passé quelque chose entre vous? » Il hausse ses sourcils, ne sachant pas tellement comment formuler la chose ; pour ainsi dire, le problème étant davantage ce que Remy n’a pas fait plutôt que ce qu’il a fait. « Je crois que nous n’avons pas vécu les derniers évènements de la même façon, tout simplement… » Cela lui semble être un bon compromis puisque, dans les faits, il n’accable pas l’époux de celle qui se tient devant lui, principalement parce qu’il considère qu’elle n’a pas à subir toute la rancoeur qu’il peut éprouver à l’encontre du Joueur. « Ça arrive, parfois, c’est comme ça… Nos vies ont pris des chemins différents. Je le regrette, tu peux me croire mais… » Fataliste, il hausse ses épaules avec résilience avant de reposer son verre vide sur le comptoir, faisant signe à son serveur de venir remplir de nouveaux leurs verres, avec la liqueur choisie par Bella Donna. « Il faudrait qu’on puisse se parler, calmement. Mais je ne suis pas sûre que cette conversation permettrait d’apaiser les choses. Comme je t’ai dit, nous avons deux visions très différentes de la situation. » Malheureusement, pense-t-il.

Faisant écho à l’élégance de son attitude et de son corps, la belle blonde ne fait preuve d’aucune curiosité mal placée à l’égard de cette étrange rupture entre celui qui est son tendre époux, et celui qui est désormais une figure d’amitié entre eux. S’il a longtemps été aux côtés de Remy, lui octroyant aussi bien sa confiance aveugle que sa loyauté pleine, il semblerait que le Joueur ait abandonné aussi bien son titre de bras-droit que son rôle dans la Guilde, non sans en éprouver une certaine tristesse puisque, même les rancoeurs les plus tenaces n’effacent pas les bons sentiments éprouvés. « Je comprends. J'espère que les choses s'arrangerons entre vous. » Il ne sait pas s’il l’espère également car Ezekiel devine aisément que tout ceci, cette nouvelle vie construite, n’aurait pas l’approbation de Remy si ce dernier en apprenait tous les secrets. Sous l’impulsion de cette pensée venue lui enserrer le coeur, il presse alors ses lèvres l’une contre l’autre en faisant machinalement tourner son verre sur la surface lisse du comptoir, observant le liquide tanguer d’un bord à l’autre sans se renverser. « Peut-être un jour, qui sait. » Il ne ferme pas la porte, mais il ne s’attend pas à ce que Remy la franchisse un jour. Il a sûrement mieux à faire, de toute façon.

Comme elle ne perd pas son sourire, il en fait de même : cela le rassure de constater que la mésentente évoquée avec Gambit ne change rien à l’attitude de Bella Donna à son égard. Assurément, Remy avait choisi sa femme pour de très bonnes raisons. « Nous verrons bien. » Il ne sait pas s’il verra quelque chose ou non, car il n’attend plus grand chose, mais cela ne l’empêche pas d’hocher son menton de haut en bas en signe d’approbation silencieuse. « En attendant, sache que quelque soit l'issue, cela ne changera rien entre nous! » « Cela me rassure. » Il l’avoue sans fausseté puisque, sincèrement, il apprécie grandement la compagnie de Bella Donna. « Tu es ici chez toi, comme je t’ai dit. Et ça me fait toujours plaisir de te voir dans les parages. » Elle est ici en son royaume, faisant partie de ceux que les employés reconnaissent et prennent particulièrement soin : dire que le moindre de ses désirs est exécuté serait peu dire. « Tu étais déjà une habituée de l’ancien établissement… » Ce maudit établissement où il a failli perdre la vie ; aujourd’hui, il l’évoque sans que son sourire ne faiblisse, mais faisant coulisser son coude sur le comptoir pour que sa main puisse venir soutenir son visage. « Cela doit te faire bizarre… Même endroit mais tout est différent. Je me trompe ? »