[Terminé] Keep calm and... Oh shit !

La mention du père Noël et des petits enfants sages semble faire sourire Thomas ce qui, par un curieux ricochet, fait également sourire Ezekiel ; il sait que cette dose en barre troque un peu de la morne réalité pour un apaisement illusoire, un soulagement factice qui, bien trop rapidement, prendra fin et il faudra recommencer, de plus en plus souvent, avec des doses de plus en plus fortes mais… Il est trop mal placé pour questionner ses choix de vie, lui-même ayant emprunté ce chemin et ne cessant d’y creuser sa tombe.

Une ombre de tristesse passe sur le visage de Thomas, trop tôt pour que la drogue ait déjà cessé d’alimenter l’euphorie de sa gaieté retrouvée, alors Ezekiel fronce de nouveau les sourcils en observant son ami, pour lequel il noue une véritable inquiétude muette, qu’il ne formule pas, autant par pudeur que par respect pour la dignité du tatoué — qui l’est plus que lui. « Ça va ? » demande-t-il en le voyant secouer son visage de gauche à droite, sans retenir le moindre geste ou mot de plus, montrant simplement, d’une manière un peu trop discrète, peut-être, pour être compris ainsi, qu’il est là, pour lui.

La discussion dévie sur la jambe estropiée du patron, et le malentendu provoqué ne parvient pas à la conscience de celui-ci ; non, ce n’est pas un scientifique fou qui l’a charcuté. En un sens, c’est presque lui-même. « Au moins, il ne te fera plus rien. Il aurait dû t’achever, s’il tenait à la vie. » Le sourire cruel de Thomas aurait dû le surprendre mais, connaissant bien la nature de l’homme qui se tient face à lui, il se contente de lui répondre avec un fin rictus, mauvais à souhait, songeant à l’homme qui avait cru le tuer et qui, finalement, avait perdu la vie de ses mains. « Il m’a sous-estimé. Comme beaucoup. » Encore, en ces lieux, certains membres de la Pègre doivent douter de sa légitimité au sommet… Il le sait, mais il ne dit rien ; pas encore. Les Échecs lui ont au moins appris à connaître son adversaire avant d’attaquer.

« Pourquoi il faisait ça, tu le sais ? Il voulait…je sais pas…te remodeler ? Comme les supers soldats là, à la télé. » Hein ? Un peu perplexe, il fronce brièvement ses sourcils avant de secouer de nouveau son menton de gauche à droite, reprenant la parole pour dire, accompagnant ainsi son expression : « Pas du tout. Celui qui m’a agressé possédait ce club, avant. Je le fréquentais beaucoup, d’ailleurs… Un soir, je suis sortie pour prendre l’air, et je l’ai entendu au téléphone. Je ne sais pas exactement ce qu’il disait mais il ne fallait pas qu’on l’entende, alors, il m’a attaqué par surprise. Il a cru que j’étais mort. » Il en parle sans trembler, sans même sursauter ni frémir. Aujourd’hui, il n’a plus peur, il n’est plus une victime. Il est le bourreau. Mains croisées contre son ventre, regard fixe, il poursuit : « J’ai été retrouvé par une amie infirmière, transporté à l’hôpital, réanimation, pronostic vital engagé… Tout le monde a dû penser que j’allai crever. Mais j’ai survécu. » Un sourire vient éclore sur ses lèvres et il se rapproche de son bureau tout en disant, gardant son sourire : « J’ai survécu et je l’ai traqué, ce fils de pute. Je l’ai traqué, je l’ai trouvé et je l’ai saigné comme un porc. » Retombant dans sa chaise, il étend alors ses bras d’un air victorieux, un grand sourire flirtant sur sa bouche : « Et ce club est à moi, maintenant. Voilà, tu connais toute l’histoire. Et toi, des cadavres dans le placard ? »

Le récit relatant la mise à mort d’un homme — quand bien même Ezekiel ne lui louerait pas un tel titre, ne semble pas effleurer la sensibilité de l’homme qui se tient en face de lui, qui n’a que trop peu de réactions physiques face à l’aveu qui lui est fait. Peu de personnes sont au courant de l’engrenage dans lequel il est tombé ; l’incompréhension, l’amnésie, la douleur, la solitude, la honte, la diminution physique puis, la colère, la haine, la vengeance.

Celle-ci s’était imposée avec un naturel déconcertant dans son esprit, car il n’avait pas simplement songé à le traîner en justice, vu l’incapacité des forces de l’ordre à lui mettre la main dessus, mais à l’abattre sans aucune autre forme de procès. Il ne voulait pas la justice. Il voulait sa revanche. Et il l’a eue. « Au moins, t’as envoyé un message à qui que ce soit qui tente de te faire un coup de pute. » Pas vraiment puisque presque personne ne sait ce qu’il a fait ; enfin, Thomas le sait maintenant. « C’est un bon plan. Ils savent que t’as de la ressource, et que t’es assez hargneux pour te venger. S’ils attaquent le club…c’est qu’ils ont un grain dans le cerveau. » « Les italiens ont le Sahara dans le crâne, alors. » Ces bouffeurs de spaghettis qui tentent de lui voler ce qui lui appartient le poussent à parler d’une voix venimeuse ; si le père Gallo continue à tirer sur sa patience, nul doute qu’il finira au même endroit que Charlie : au cimetière.

Mais assez parlé de lui : la question est retournée à Thomas, qui semble réfléchir à la réponse qu’il peut fournir. Très peu patient, le bouclé rehausse ses sourcils d’un air curieux, sans perdre le sourire qui orne ses lèvres. « J’ai…peut-être quelques cadavres derrière moi. Involontaires, plus ou moins. » Involontaires, plus ou moins… Donc volontaires mais ne voulant pas l’avouer ? « Mais d’autres à venir, certainement. » Il est à la fois défaitiste et réaliste. « Des fois, je sais pas si c’est la came ou si je suis juste complètement fucked up, mais j’ai des burst de colère. » « Non, sérieux ? » Mimant une fausse surprise, il presse ses lèvres l’une contre l’autre en clignant plusieurs fois des cils. « Je ne m’en étais pas rendu compte. » « Le mois dernier…ah. J’ai dû taffer pour mes chers amis, encore. Tout seul cette fois. Et…je sais que ce que j’ai fait a dû buter des gens au passage. Mais je les ai pas vus, tu vois ? Donc…je sais pas. » « Hm hm. » Le déni. C’est confortable de rester dans l’ignorance, cette entre-deux de culpabilité et d’innocence, comme un funambule marchant au-dessus du vide.

Il doit le savoir puisqu’il retombe dans son fauteuil en affichant une mine dépitée, ce qui pousse son interlocuteur à le regarder avec une curieuse tendresse, mêlée d’amusement. « Je sais pas ce que ça fait de tuer de ses propres mains. » A-t-il envie de savoir ? « Quand je suis parti du labo…j’ai étranglé un mec, mais quelque chose m’a arrêté avant que je le bute. C’est le seul type que j’ai failli tuer de mes mains. Depuis, je me bastonne avec les gens, mais jamais jusqu’à les tuer. Peut-être que je suis une couille molle, en fait… » Thomas s’est adonné à cet excès de violence pour se défendre en quelque sorte, pour sortir du laboratoire et retrouver sa liberté ; qui peut l’en blâmer ? Pas Ezekiel, en tous cas. « Il t’aurait laissé partir sans rien dire, si tu ne l’avais pas fait ? C’est l’instinct de survie qui a parlé, je crois. » demande-t-il en redressant sa nuque, appuyant davantage l’arrière de son crâne contre son fauteuil. « Tu as encore une part d’humanité… Tu devrais t’en réjouir après tout ce que tu as vécu. Ils ne t’ont pas totalement brisé, il te reste au moins ça. » Une petite part d’étincelle qui survit, quelque part, parmi les ombres qui sévissent dans son esprit ; est-elle à abattre ou à protéger ?

Lui, a fait son choix. Quand on devient insensible au fait de tuer ses semblables, il n’y a plus de retour en arrière possible et il le sait. Il n’a aucune difficulté à désigner ses cibles à Hector, et aucune hésitation à appuyer lui-même sur la gâchette quand c’est nécessaire ; son étincelle, il y a bien longtemps, s’est éteinte. « Je crois que je vais rentrer… » Il passe une main sur son visage aux traits froissés, qui a bien besoin de sommeil, avant de poser de nouveau ses yeux sur Thomas. « Tu as ce qu’il faut pour tenir jusqu’à demain, c’est bon ? » Bon, de toute façon, il sait où la came est stockée ; c’est même étonnant qu’il ne se soit pas encore servi de lui-même.