Lorsque l’on arrive au Morgan Stanley Building, on se retrouve au pied d’un gratte-ciel de 42 niveaux. La base de la tour est un large complexe d’une dizaine d’étages. Les extérieurs pénètrent forcément par un accès piéton puis font face à un accueil. Sept hommes dont six avec fusil d’assaut montent la garde. L’hôte ou l’hôtesse demande aux arrivants leur identité puis leur motif de visite. Les choses peuvent prendre un peu plus de temps pour les visites imprévues que pour les prévues. Ces dernières voient simplement l’agent d’accueil vérifier le motif puis transmettre un badge invité. Ensuite, les extérieurs doivent passer par un check-in. Ils commencent par se délester de leurs effets personnels dans une bannette puis passent sous un détecteur de métal tandis que lesdits effets sont scannés ; comme dans un aéroport. Un test Trask attend au niveau de la récupération des affaires, signalant la présence d’un être aux ondes mentales différentes des humains ; comme un mutant, qu’il soit artificiel ou naturel. Si le détecteur signale un individu à pouvoirs, l’agent en charge du scanner lui demande de mettre un collier anti-pouvoirs et l’avertit que toute utilisation volontaire entrainera une impulsion électrique incapacitante ; comme un pistolet Taser.

Luke Hunt est attendu. En plus de son badge invité puis de son collier anti-pouvoirs, l’hôtesse d’accueil l’averti qu’un agent va l’accompagner. Petite d’un mètre cinquante environ, l’agent Fondsec semble être une adolescente avec une tignasse de cheveux châtains. Elle sort de sa veste de tailleur une plaque d’identification du SHIELD en guise de bonjour puis la tend au-dessus de sa propre tête pour que l’homme de prêt d’un mètre quatre-vingt-dix puisse la lire.

« Chu vôtre guide, déclare-t-elle avec un fort accent québécois. Vous m’suivez sans rien dzire. »

Le check-in passé, on arrive dans un grand hall agencé autour d’une statue avec le symbole du SHIELD. Des panneaux guident vers les bureaux d’interview, pour les civils, ainsi que la cafétéria, l’infirmerie ou les laboratoires. De nouveaux gardes sont présents ici, notamment au niveau des points permettant d’accéder aux ascenseurs et escaliers. L’agent Fonsec utilise son badge pour appeler l’un des premiers avant d’attendre son arrivée en posture de repos militaire. Posture qu’elle garde une fois à l’intérieur.

« Lôborôtoères. »

L’ordinateur de bord confirme la demande, une fois la voix identifiée. Il monte ensuite de quelques étages, pas suffisamment pour aller dans la tour, puis ouvre ses portes sur un petit vestibule d’où partent plusieurs couloirs. Il faut attendre un instant que la caméra analyse le visage de l’agente pour que les double-portes vitrées et coulissantes devant l’un des couloirs s’ouvrent. Il n’y a aucune fenêtre ici tandis que toutes les portes sont vitrées afin de permettre aux patrouilles armées de jeter des coups d’œil aisément. Si les premières pièces se révèlent ainsi être des salles médicales, les plus éloignées sont des bureaux. Sur l’une des portes est marqué, à la verticale, "C. Orchent Ph.D., R&D".

Il s’agit d’une pièce en L, avec la porte donnant sur la petite partie. Deux fenêtres newyorkaises éclairent un environnement étonnamment chaleureux : planché et mobilier de bois, incluant un large bureau avec ordinateur intégré et deux armoires à portes vitrées remplies de dossiers papiers. J’attends sur le siège de cuir clair à haut dossier, penchée vers l’écran d’ordinateur qui se trouve dans mon bureau et relisant les informations disponibles sur Luke Hunt une dernière fois.

Comme précédemment, mes cheveux sont réunis en un chignon bas aussi serré que strict. Mon tailleur noir à pantalon s’accompagne d’une chemise blanche boutonnée jusqu’en haut. Mon visage est maquillé avec fond de teint, rouge à lèvre et eyeliner. Devant moi, le plan de travail est rangé. Seuls s’y tiennent la lampe de chevet éteinte et le téléphone filaire obligatoire.

« Entrez, réponds-je après que l’on ait frappé à ma porte vitrée tout en me levant pour accueillir celui qui est à l’heure. Agent Fondsec, vous pouvez disposer. Monsieur Hunt, bonjour. »

Deux chaises sont disponibles dans mon bureau, simplement alignée sur le mur intérieur.

« Prenez une chaise et installez-vous, dis-je sobrement même si c’est plus un ordre qu’une demande. J’étais en train de consulter la synthèse de votre entretien psychologique préliminaire avec le docteur Jeremy Emerson. »

Le suivi de Luke Hunt se fait en trois rendez-vous hebdomadaires : Lundi, 09AM, scientifique. Mercredi, 09AM, psychologique. Vendredi, 09AM, suivi général. Son arrestation ayant eu lieu lundi dernier, il a pu déjà bénéficier de l’analyse psychologique mercredi dans le bureau d’Emerson, ici même.

« Le praticien vous convient-il ou faut-il vous en affecter un nouveau ? »

Les soucis déclenchés par Emy Carthew et Lucy Orchent lors de l’arrestation de Luke Hunt nous empêchent pour l’heure l’accès à la consultance de Joseph Rowles, premier choix pour un suivi psychologique considérant sa spécialisation en méta-humain.

« Nous sommes ici pour faire le point sur votre semaine, explique-je une fois la réponse d’Hunt notée sur mon compte-rendu de suivi, le clavier de l’ordinateur se trouvant dans mon bureau également. Pour cette séance, nous devrons également clarifier vos attentes tant vis-à-vis du suivi psychologique que du suivi scientifique. Par quoi souhaitez-vous commencer ? »

Je pianote sur le clavier tactile intégré à la vitre qui surplombe l’écran de mon bureau pour noter la réponse d’Hunt concernant les prestations du docteur Emerson. C’est superflu puisque le rendez-vous dispose d’un enregistrement audio mais je préfère le faire également. C’est plus aisé pour souligner des points importants et des récurrences.

Voici bien longtemps que je n’ai plus besoin de regarder mon clavier pour en connaitre les touches. Cela ne m’empêche pas de regarder à travers le verre pour voir les notes et éliminer les fautes. J’arrive à écouter, lire et prendre des notes en même temps. Même lorsque l’écoute et la lecture sont sur deux sujets différents.

Hunt me remercie de lui laisser le choix. Il préfère le suivi scientifique. "Le psychologique est assez clair pour l’instant". La phrase suivante m’interrompt dans mes trois activités pour me faire serrer la gorge et grisper le buste. J’ai déjà écouté les enregistrements audios utilisés via la mise sur écoute de mon fantôme. J’ai déjà payer le prix d’ainsi m’exposer à mon trauma. J’encaisse aujourd’hui encore. Je dois somatiser le temps de pouvoir canaliser mon autodestruction de façon productive.

Je me recule dans mon siège. Je m’adosse en tâchant de rompre mon apnée et de me concentrer sur la quête de pouvoir qui, selon Hunt, m’intéresserait beaucoup. Je le fixe. Je suis blasée.

« Le pouvoir, songe-je avec apathie avant de croiser mes doigts devant moi. Vous attendez de la SHIELD qu’elle augmente votre pouvoir mutant. »

Modifier l’ADN d’un humain, d’un mutant naturel ou d’un mutant artificiel n’importe pas ; même s’il est des individus plus adaptés à l’expérimentation. L’un des projets où s’emploie mes compétences d’ingénierie est celui de Pouvoirs de Synthèse. Cela combine les connaissances en modification génétique avec les travaux sur le Supgen et ceux sur le Sérum H. La SHIELD sera capable de doter ses agents de pouvoirs prédéterminés et temporaires si le programme vient à terme. Réussir à transplanter le Gène X définitivement est plus aisé que cela. Cependant on fait face au problème d’apprendre à l’organisme à le recréer par lui-même et non de développer des cancers. Un facteur guérisseur est utile pour combattre l’apparition desdits cancers et c’est surement pourquoi une chimère génétique humaine-jaguar se retrouve avec cette capacité sans aucun rapport avec l’animal avec lequel l’humain a été croisé.

« Soit. »

Je ne comprends pas pourquoi Hunt veut améliorer sa mutation alors que c’est son pouvoir le plus faible.
Je ne comprends pas pourquoi il passe par la SHIELD alors que son pouvoir monétaire lui permettrait de financer recherches et expérimentations.

« Mon intérêt est plus porté vers la maîtrise optimisée des capacités possédées. L’entrainement. L’équipement. »

Les animaux sont sans conteste des sources d’inspiration au-delà de l’imagination. Je considère néanmoins que les armes à feu et les explosifs disposent d’un plus grand potentiel destructeur. J’admets la grande utilité de pouvoirs comme le facteur guérisseur et la métamorphose. Ou la téléportation. Cependant les capacités de nature psychique sont plus dangereuses et utilitaires.

« Ma… sœur vous exposera les données découvertes sur votre mutation. Elle ne fera aucune expérience sur vous. Est-ce bien clair ? »

D’autant qu’elle ne manipulera que des données numériques ou papiers. L’échantillon a été prélevé grâce au laboratoire de Joseph Rowles. L’ADN pourra être séquencé indépendamment par Rowles et Tec-Novita sous réserve que le litige entre le premier et la SHIELD soit résolu. Cela peut prendre le temps de trouver un accord à l’amiable pour éviter un procès civil ou les années que durera ledit procès. Malheureusement, Rowles veut négocier des réparations avec mon fantôme tandis que celui-ci engage la responsabilité de la SHIELD car elle a agi en tant que consultante de l’organisation et à la "demande" de l’agent Carthew. Une preuve de plus de l’incompétence de "Emy" même si mon fantôme aurait dû demander l’utilisation des laboratoires de la SHIELD plutôt que d’impliquer ceux de Rowles. La protection dont bénéficie l’agent Carthew signifie que les deux fautives ne seront pas licenciées pour faute grave et donc qu’il ne sera pas possible d’engager leurs responsabilités personnelles. Cela signifie que la négociation va rester entre Rowles et la SHIELD. Hors l’organisation n'a aucun intérêt à payer les réparations demandées pour que mon fantôme puisse autoriser Tec-Novita à continuer d’utiliser le génome d’Hunt dans ses travaux sur le Facteur Guérisseur Synthétique. Il n’y a pas de vice de procédure dans l’arrestation de Luke Hunt tant que les suivis sont faits. Sachant qu’un vice de procédure verrait sortir les droits successeurs des Accords de Sokovie qu’on résumera à "les Droits de l’Homme ne s’appliquent pas à un individu avec des pouvoirs surhumains". Cela ne changerait donc rien. D’autant que nous ne nous gênons déjà pas pour étudier ledit génome et que nous pourront fournir les informations à mon fantôme même si elle ne peut pas les utiliser au-dehors de l’aide de Luke Hunt. Quel bordel.

« L’étude de vos capacités et l’éventuelle optimisation de celles-ci nécessitera du matériel, reprends-je tant de la voix que de la prise de note. Vous disposerez des installations présentes dans cette aile afin de le faire. »

Ce qui peut être qualifié de "laboratoire appartenant à mon fantôme" se trouve en Italie et elle n’y a des accès que part notre lignée comme un accord plus poussé que celui qu’elle a probablement détruit auprès de Joseph Rowles. Inutile d’enchainer les déplacements pour tout résumer ensuite à la SHIELD qui supervise les suivis de Luke Hunt. Impliquer directement nos installations et agents permet de gagner du temps et de rappeler notre surveillance constante. De tous les partis impliqués.

« Désormais que le point scientifique est fait, passons au point psychologique. Quels sont vos objectifs concernant ce suivi ? »

Il ne nous restera que le suivi lié à la réinsertion pour conclure cette séance. J’ai cependant besoin de ses objectifs dans les autres suivis pour faire ledit point.

Il est aussi clair que compris qu’il n’y aura pas d’expériences visant à altérer le génome de Luke Hunt. Bien. Celui-ci sera séquencé d’ici à son rendez-vous médical de lundi prochain. Il permettra d’effectuer les comparaisons adéquates et d’essayer de comprendre quels sont les résultats des expériences pratiqué sur lui. Mes suppositions s’approchent de celles de mon fantôme même si notre approche de la biologie est différente. Il suffit d’attendre pour voir où nous avons raisons et torts. Jusque-là, tout se déroule comme prévu et me laisse dans une apathie professionnelle.

Puis vient une proposition qui me fait relever les yeux et fixer Hunt sans la moindre expression. Il sera "honoré" s’il peut "apporter une aide financière ou autre". A l’exception de l’expertise des praticiens, il peut se payer les suivis psychologiques et scientifiques dans le civil sans le moindre souci. Il peut même se payer le développement de gadgets probablement équivalents à des pouvoirs. Je ne suis pas aussi riche que lui mais j’ai les ressources nécessaires, qu’il s’agisse de l’argent ou des connaissances tant au niveau des savoirs que des personnes, pour avoir fait fabriquer une armure en un matériau composite capable d’encaisser des coups de Hulk. A défaut que je ne sois capable de le faire à l’intérieur de ladite armure. Armure que je continue d’essayer d’améliorer. J’ai une approche défensive mais il serait aisé d’optimiser offensivement pour équivaloir à des capacités physiques surhumaines. C’est le principe des exosquelettes. La supériorité de la technologie sur la nature : on contrôle l’évolution.

« La SHIELD n’accepte pas les financements privés, réponds-je avec indifférence. Payer correctement vos impôts et cela contribuera à nous financer. »

C’est très terre-à-terre comme réponse mais je suis familière de l’investissement dans l’art. Il y a l’aspect spéculatif : acheter une pièce un certain prix et essayer de la revendre plus chère. Il y a aussi l’aspect réduction d’impôt : prêter les pièces que l’on possède à des musées nationaux. Cela peut passer par la location comme avec une collection privée. Cela peut cependant passer par une déduction d’impôt à hauteur des prix de location. C’est ce qui fait que la vie d’une œuvre privée se résume souvent à l’achat, la location le temps que l’inflation fasse augmenter son prix puis la revente afin de doubler les bénéfices. C’est hors sujet cependant.

« Par "esprit compliqué", répète-je après qu’il ait fini de me répondre au sujet du suivi psychologique, vous parler de la suspicion de trouble de la personnalité multiple ? »

J’attends une réponse simple à cette question simple avant de poursuivre.

« Les animaux tuent pour se nourrir. Ils n’ont pas une propension à la haine, contrairement aux humains. Ils peuvent cependant développer des troubles mentaux. »

Je marque une pause et croise les doigts devant moi. Cela me permet de manifester mon attention pleine, entière et exclusive pour Hunt.

« Je ne suis pas psychologue. Ce que je sais de vous m’amène cependant à penser à une tentative d’extériorisation de vos pulsions meurtrières. Auparavant, vous les travestissiez avec un fantasme de justice. »

Une pause alors que je regarde si des explications sont nécessaires.

« Avant : les gens à qui vous faisiez du mal méritaient ce mal. Maintenant : vous n’êtes pas comme les gens faisant du mal car ce n’est pas réellement vous. C’est plutôt le jaguar qui fait du mal. Qui veut faire du mal. »

J’observe Hunt avec attention, cherchant à voir la moindre expression de son visage et du haut de son buste. Il est un système comme le reste. Comprendre comment il fonctionne revient à faire le puzzle.

« Je laisse au docteur Emerson le soin de vous faire raconter votre histoire. Il est plus à même que moi d’en identifier les événements traumatiques et de diagnostiquer les traumas. N’hésitez pas à m’en parler s’il vous faut un second avis ou une approche féminine. »

Le point de la satisfaction de la première consultation avec le docteur Emerson a déjà été clôturé. Inutile de s’attarder au-delà de la proposition. Sachant que je peux me baser sur les travaux du professionnel pour m’adapter aux besoins d’Hunt. La solution de facilité n’est pas disponible : le facteur guérisseur d’Hunt empêche toute médication. Il faut donc forcément en passer par l’évolution psychologique.

« Nous avons tous nos fantômes et nos manières de réagir. Il faut tâcher qu’elles soient constructives. »

J’énonce cela comme une évidence même si je sens la pointe de personnel qui émerge en moi. J’estime être parfaitement cohérente avec mon conseil : j’utilise mon trauma comme moteur professionnel. Ce qui m’amène à ne pas vouloir changer. C’est un symptôme d’évitement et d’autodestruction : j’évite la guérison pour ne pas avoir à faire face aux points à guérir ainsi fais-je face auxdits points pour me motiver à éviter la guérison.

« Le suivi de réinsertion que nous faisons aujourd’hui ne se limite pas à votre synthèse des deux autres, dis-je en repositionnant mes mains sur le clavier tactile. J’aimerai également savoir comment vous avez vécu votre vie civile durant cette semaine. »

Une pause.

« Les interventions des troubles psychologiques et des capacités inhumaines sont à évoquer. Sachez-vous cependant libre d’évoquer tout ce qui vous semble pertinent, monsieur Hunt. »

La thèse de Luke Hunt sur son trouble psychologique est l’incapacité à gérer l’instinct de chasseur du jaguar. Cela implique que ledit instinct amène à s’attaquer à des congénères ; ce qui ne me semble pas être le cas chez cette espèce. Aucune de mes lectures ne contenait d’informations sur un comportement cannibale et c’est un comportement que Luke lui-même ne présente pas. Il y a peut-être un instinct territorial et certainement un instinct de reproduction mais pas de chasse de ses semblables. Il faut un élément traumatique pour diriger cet instinct sur les humains. Elément qui peut parfaitement être l’évasion du laboratoire dans lequel Luke a subi les expériences. On serait plus proche de l’instinct de conservation que de prédation dans ce cas ainsi n’est-ce probablement pas ce trauma. Je n’en sais rien pour l’heure.

« Vous avez beau ne pas être psychologue, vous avez visé juste. »

Je m’abstiens de répondre les trois pensées qui se côtoient : d’une part, je sais que je vise juste. D’autre part, c’est étrange de considérer que je vise juste après avoir voulu me contredire ; si ce n’est par tentative de flagornerie. D’une troisième part, le fait qu’il s’exprime l’amène à remettre en question ses propres propos énoncés. Je les considère également. Les nouveaux éléments apportés sur la hantise me dirigent plutôt vers un trouble du stress post-traumatique complexe. La hantise des souvenirs correspond au symptôme d’intrusion tandis que le fait de considérer les humains comme des proies pourrait être un symptôme d’évitement complexifié : on cherche à recréer la situation traumatique afin d’éviter le sentiment d’impuissance dans celle-ci plutôt que de l’éviter toute entière. Je suis familière de cela. Le symptôme d’évitement m’a amenée à rompre le contact avec ma famille et mes amis pour me concentrer sur mes travaux durant les Années Sombres. Sa complexification me fait alterner entre cet état de base et une exposition autodestructrice depuis que j’ai été forcée de recroiser ma défunte sœur. J’arrive généralement à maîtriser ces situations. J’entre en crise lorsque ce n’est pas le cas. C’est analogue au syndrome d’hypervigilance. Syndrome absent de chez Luke Hunt. Tout comme l’altération de la régulation des émotions. Pour les relations interpersonnelles perturbées… il faudra l’espionner mieux que ce qui a déjà été fait pour le savoir. J’ignore si le fait de tuer des gens entre dans cette catégorie ou dans une autre. Je le saurais dès ce soir : j’apprends constamment. Mes douze heures de travail ne m’empêchent pas de pratiquer quotidiennement une heure d’apprentissage ni d’aller à la salle de sport répéter mes katas ou poncer le tapis de course. Seuls les diners mondains le peuvent puisqu’il faut que je continue de pratiquer mes compétences sociales. Tout comme il faut laisser au Docteur Emerson la prévalence sur l’aspect psychologique puisqu’il s’agit de sa formation.

Je fais de la parapsychologie au mieux. Cela a néanmoins son effet positif : Luke se sent compris. Je peux comprendre s’il s’agit effectivement d’un trouble de stress post-traumatique complexe. Je dirais bien que je peux avoir de l’empathie mais un symptôme du trouble est justement la dérégulation des émotions. L’addition entre le TSPT et le Haut Potentiel Intellectuel chez moi m’a amenée à des émotions émoussées à l’exception de la peur. Celle-ci a été encore accrue avec le symptôme d’hypervigilance. Le constat est presque suffisant à me faire soupirer de lassitude mais ce n’est pas le cas. Je me perds dans mon égocentrisme avant de m’en rendre compte et de le balayer d’un sursaut de volonté. Je suis ici pour Luke.

« Ça faisait du bien de retrouver sa vie, pas que je vous en veuille pour mon arrestation j’en ai accepté les conséquences mais ça faisait du bien et retrouver mon expo, me dit-il sans me faire avoir la moindre expression ou émotion ; son arrestation a été faite avec les talents combinés de "Emy" et de sa consultante mais la relaxe d’Hunt n’a pris guère de temps une fois l’obstacle "Emy" sorti de l’équation. D’ailleurs vous êtes la bienvenue si vous passez, sans idée derrière la tête ou de cadeau pour un chef. »

J’ai un courtier pour les affaires de spéculation artistique et il est plus responsable de la décoration de mon appartement que moi-même. Je ne réponds rien à Hunt cependant. L’apprentissage du fait que le cadeau peut être qualifié de tentative de corruption voire de corruption s’il est accepté a été fait. Je n’ai besoin de nul cadeau pour m’offrir ce que je souhaite même si je suis moins riche que lui.

J’acquiesce sérieusement lorsque Luke Hunt me dit que je n’ai pas à m’inquiéter car je serais "la première au courant s’il y a quelque chose" dans sa vie. Je serais sur le podium, qu’il le veuille ou non. Il sera le premier au courant et je pourrais briguer la seconde place s’il me le dit ou bien la troisième s’il ne me le dit pas. Il a une épée de Damoclès au-dessus de la tête et elle offre une nouvelle signification à la SWORD. Je ne saurais exclure qu’il ne me dit présentement rien malgré sa promesse.


Les attentats de samedi ont causé beaucoup de problèmes. Je ne fais pas parti des membres du personnel à avoir eu le droit à une 24 voire une 36 ; les désignations lorsqu’on travaille 24 ou 36 heures d’affilée pour les besoins de nos missions. Ce sont surtout les agents d’Opération qui ont le droit à ce genre de réquisition. Ils ne quittent pas le travail tant que l’opération n’est pas terminée. Les agents en civil pour surveiller l’évènement pro-mutant à Juniper Valley Park sont morts. Certains ont dû l’être dans les attaques à la bombe. La majorité l’a été par l’embuscade de snipers alors qu’ils tentaient de porter secours et de coordonner. Aucun, à ma connaissance, n’a péri à cause du White Rabbit Hole. Le club pro-mutants a toujours été pertinent pour collecter les ADN des surhumains qui le laissaient trainer partout ; notamment via la salive qu’ils laissaient sur leurs verres. J’ai toujours envisagé que chaque mutant étant passé par cet établissement ait pu alimenter un réseau secret de laboratoires et possiblement voire ses pouvoirs dupliqués. La SHIELD ne faisait pas cela. L’Hydra aurait pu. Sachant que créer des armes pour essayer de conquérir le monde est la fondation de leur organisation ; même si pas la méthode plus efficace. Leurs capacités d’infiltration ont toujours été beaucoup plus problématique que leur course à l’armement : le système sociétal humain est fait pour être dominé, reste simplement à définir qui le domine. Être élu président d’un pays est bien plus aisé que de le devenir en ayant mené une révolution et c’est là que l’Hydra peut être réellement dangereuse. Il ne faut pas néanmoins exclure la menace de création de télépathes qui pourraient alors porter les capacités d’infiltration à un niveau impossible à arrêter ; via le contrôle mental. Il est statistiquement improbable qu’il n’y ait eu aucun télépathe pour passer par le WRH ainsi suis-je pleinement satisfait de sa destruction. Je ne me fais aucune illusion sur le fait que les mutants antihumains trouveront un autre repaire pour être entre eux et donc se rendre vulnérable à la collecte de leurs ADN. J’aimerai d’ailleurs que la SHIELD fasse cela mais je ne me fais pas d’illusions quant à l’approbation d’un tel projet. L’Hydra et d’autres sont beaucoup plus efficaces que nous sur ce genre d’activité. Sachant que le plus efficace est simplement d’envoyer un agent sous couverture servir de barman ou de plongeur pour récupérer les salives. Pas besoin de tout financer. Cette affaire me fait pleinement sentir ma frustration de n’être que de Niveau d’Accréditation 7 : je n'ai pas le droit de mener un projet. Même la SWORD n’est pas mienne alors qu’elle est motivée par ma volonté et dépend de mes actions. SWORD qui a raté sa première occasion d’intervenir même si les Masques ne correspondent pas réellement à nos cibles. Masques qui m’énervent tant leurs actions vont causer un élan de solidarité envers les mutants et de défiance envers les humains jugés "anti-mutants" ; comme les Amis de l’Humanité. Est-ce que j’ai passé mon seul jour de repos de la semaine à travailler ? Oui. Juste pas pour la SHIELD. J’avais suffisamment d’informations pour anticiper ce qui allait m’arriver à mon retour aujourd’hui. Dès 7AM, j’ai dû gérer l’impossibilité de tenir ses engagements de ma défunte sœur.

L’agent Fondsec accueille Luke Hunt après le check-in du bâtiment, comme la dernière fois. Elle l’amène à mon bureau, comme la dernière fois. Je suis vêtue d’un tailleur à pantalon noir et chemise blanche, comme la dernière fois.

Je me lève à l’entrée de Luke Hunt pour planter mes yeux vert d’eau dans les siens.

« Bonjour monsieur Hunt, salue-je sobrement. Je tiens à vous présenter les excuses de la SHIELD. Notre consultante en charge de votre suivi scientifique est indisponible. »

Suivre les actualités concernant ma défunte sœur permet aisément de savoir qu’elle a passé la nuit de samedi à dimanche à parcourir les hôpitaux afin de prépayer les soins médicaux des victimes. Certains ont même noté qu’elle a passé les trois quart de dimanche à retourner dans lesdits hôpitaux rencontrer certaines desdites victimes afin de leur proposer d’être des sujets de test pour l’accélérateur de guérison que Luke Hunt a permis en donnant son ADN ; désormais que la négociation entre Joseph Rowles et la SHIELD au sujet dudit ADN s’est terminé par capitulation de ma défunte sœur face aux conditions de Rowles. Je n’ai pas à gérer ce bordel et cela me convient. J’en subis tout de même les conséquences avec le remplacement au pied levé.

« Si vous l’acceptez, je me chargerais de vous communiquer les résultats et d’effectuer cette première séance, continue-je en me rasseyant. L’étude de vos capacités est effectuée et offre des pistes d’optimisation tel que demandé. »

Sur l’écran de mon ordinateur s’affiche la synthèse faites par l’équipe de techniciens de la SHIELD, non celle de Tec-Novita ou du laboratoire Rowles.

« Etes-vous disposé à accepter cette entorse à notre accord ou préférez-vous décaler ce rendez-vous à la semaine prochaine afin de respecter nos termes, monsieur Hunt ? »

L’absence de surprise, ou de quelconque sentiment, est totale lorsqu’il est question que mon remplacement ne dérange pas. Les secondes et les paroles se déroulent comme je m’y attends. Ou presque.

« Vous et moi on sait que ma consultante a mieux à faire que de s'occuper d’un vieux hybride qui a bien le temps contrairement aux victimes de l’attentat. »

L’espérance énoncée ensuite n’est pas surprenante non plus même si elle risque de ne jamais être satisfaite. Cependant, la considération de la consultante de "Emy" comme appartenant à Luke Hunt est notée. C’est un dominant : les gens sont avant tous des éléments qu’il utilise, même s’ils ne sont pas forcément traités comme des pions. Je suis dans ce cas également : je considère les caractéristiques et les capacités afin de voir quelle plus-value on peut en tirer dans le cadre d’un projet. Que ce soit chez les autres ou chez moi-même : mon traumatisme m’est utile professionnellement.

« Vos capacités ne peuvent protéger les autres de bombes et de gaz de combat, monsieur Hunt, réponds-je à son espoir de pouvoir éviter des morts s’il intervient. Néamoins, lorsque les entrainements commenceront, je verrais à vous proposer le rôle de protecteur de votre trinôme. »

Il ne me reste plus qu’à réussir à réunir ledit trinôme. Ce qui prend du temps. Celui de trouver les candidats intéressants. Puis celui de créer une méthodologie de recrutement et d’amélioration. Puis celui de convaincre mon N+1 de l’intérêt du dossier comme de l’efficacité de ma méthode. Puis celui de travailler les individus conformément à ladite méthode. Enfin seulement pourra-t-on envisager les entrainements nécessaires à ce que l’équipe soit plus que la somme de ses individualités. Les déploiements pourront commencer lorsque les entrainements seront concluants. Je n’envoie pas les gens à la mort.

« Le séquençage de votre ADN a été effectué depuis sa récolte et comparé à une base de données génétiques, reprends-je en énonçant des faits. Les logiciels ont trouvé des points de correspondance. »

Jusque-là, il doit me suivre.

« Comme supposé, l’absence de cicatrices provient des séquences répétées présentes dans les régions non codantes de votre génome. »

Là, j’ai dû le perdre.

« Tout votre ADN n’est pas traduit en protéines, tout comme toutes vos mémoires long-termes ne sont pas constamment présentes dans votre mémoire court-terme. »

L’ai-je retrouvé ?

« Cependant, les séquences répétées de viennent pas de l’implantation de plusieurs génomes humains. Elles viennent de plusieurs génomes de mammifères. Pas seulement le jaguar. »

Je suis assise sur mon siège. Mes avant-bras s’appuient sur le plan de travail à mesure que je me penche en avant. Mes doigts sont croisés. Je fais une explication qui m’intéresse à défaut de me plaire ou de me déplaire.

« Un autre génome incomplet a été identifié. Diaemus youngi, la chauve-souris vampire à ailes blanches. »

La chauve-souris est présente sur les mêmes aires de répartition que le jaguar. L’implication de trafique d’animaux exotique afin de mener des expériences dessus était déjà confirmée. Le choix des animaux n’est pas anodin : le jaguar apporte la puissance et la résistance des félins tandis que la chauve-souris apporte la résistance à la maladie et aux greffes ; en plus de ses capacités propres.

« Les capacités notables de cette chauve-souris sont son système immunitaire, sa perception des ultrasons afin de communiquer et de pratiquer l’écholocalisation, sa perception du champ magnétique terrestre afin de s’orienter, sa vision nocturne excellente qui s’accompagne d’une mauvaise vision diurne, sa capacité à cracher une odeur nauséabonde et sa salive anticoagulante. La nuance vient au vol et à la possibilité de disposer d’une musculature capable de soulever vos 90kg. »

Je n’ai pas beaucoup de comparaisons à faire ici face au point précédent. Les sens surhumains sont différents et la morsure d’un danger moindre mais plus vicieux. Les faiblesses me semblent plus facilement exploitables également.

« Une étude épigénétique sur vos transformations en jaguar devrait nous permettre de favoriser les mécanismes réversibles de l’expression génétique. Il faudra néanmoins vous attendre à ce qu’il n’y ait pas de possibilité d’activation "douce" à l’instar des mutants naturels. Exposez-moi les conditions d’apparition du jaguar afin que je puisse savoir si l’empirisme m’aidera ou non dans ma conception méthodologique. »

Je m’attends à ce que l’apparition du jaguar ait été déclenchée par un événement traumatique. La SHIELD ne mènera pas d’expérience sur Hunt. Rien ne l’empêche de mener les expériences de son côté mais il serait plus sécurisé de trouver un moyen de faire une apparition in situ. Je vais encore avoir du travail supplémentaire. C’était inévitable.