Bon, par où commencer… Je vous préviens de suite, je n'ai pas eu une vie trépidante ou emplie de drames à n'en plus finir. Elle est plutôt bien remplie, mais y'a pas de quoi l'adapter en roman quoi.

Je suis née peu de temps avant le fameux "bug de l'an 2000", même si en soi mes parents en avaient pas grand chose à foutre. Ben tiens, parlons d'eux justement. Ma mère est irlandaise à la base, elle a grandi là-bas avant de partir faire des études d'archéologie aux USA. C'est là qu'elle a rencontré mon père, américain et texan pure souche, propriétaire d'un ranch dans un coin paumé qui ne porte même pas le nom de village, situé à une bonne heure de route de toute ville digne de ce nom. Je suis la dernière d'une fratrie de six enfants, et je suis la seule fille. Vous comprenez peut-être mieux pourquoi j'ai un caractère bien trempé. J'ai pas vraiment eu le choix.

J'ai eu une enfance heureuse et sans histoire. En dehors d'une mauvaise blague de mes frangins qui m'ont enfermée dans la grange à foin quand j'avais quatre ans et qui m'a probablement valu ma claustrophobie, j'ai pas grand chose de notable à raconter.
Vu qu'on vivait un peu isolés du monde, on faisait l'école à la maison et on aidait au ranch. J'aimais beaucoup m'occuper des chevaux. La "civilisation" ne m'a jamais vraiment attirée, même si j'avais quand même, déjà petite, envie de voir du pays. Ce qu'on faisait d'ailleurs, chaque été, quand nos parents nous envoyaient en camps de vacances un peu partout dans le pays, histoire de nous sociabiliser un peu et de voir autre chose. On avait aussi l'occasion d'aller en Irlande un noël sur deux pour voir la famille de ma mère. Oubliez donc le cliché des rednecks racistes, conservateurs, enfermés sur eux-mêmes et un peu ploucs. On était juste des marginaux qui aimions vivre au calme dans notre petit coin de nature.

Bon, en réalité c'était pas tout rose tout rose. Mon père avait pas mal de dettes. J'étais trop jeune pour comprendre ce qui se passait à l'époque, mais il semblerait qu'il ait déconné avec des gens avec qui il fallait pas déconner. Ca a fini par causer des problèmes à toute la famille, à tel point que ma mère a fini par le quitter. J'étais encore jeune à l'époque, à peine treize ans, et ma mère m'a embarquée avec elle, ainsi que mon plus jeune frère qui avait trois ans de plus que moi. Les deux du milieu sont restés au ranch avec le paternel, et les deux plus âgés avaient déjà pris leur indépendance. Bref, on déménage à Dallas, et je découvre la grande ville… Joie.

Dans les premiers temps j'étais vraiment pas fan. Trop de gens, trop de bruits, trop d'odeurs désagréables. Heureusement, on avait pu embarquer ma chienne que j'adorais et que je chouchoutais dès que j'avais un moment de libre. Je restais très peu dans notre appartement, préférant passer mon temps dehors à promener ma chienne, même si le décor urbain n'avait rien à voir avec la tranquillité de notre ranch. Est arrivé ce qui devait arriver : en petite ado innocente de la campagne, je me suis fait emmerder par des petits caïds de merde qui ont voulu me "piquer mon fric". Bon, j'avais rien de valeur sur moi, mais ces couillons m'ont pas crue et l'un d'eux a sorti un couteau. J'ai paniqué. Ma chienne a paniqué. Elle a aboyé. J'ai aboyé. Ils se sont barrés en courant. Il m'a fallu un moment pour réaliser que je m'étais transformée en chienne, copie conforme de ma louloute. J'en ai pas parlé tout de suite à ma mère. A ma connaissance, personne n'était mutant dans la famille. J'ai appris bien plus tard qu'en fait, la tante excentrique du côté de ma mère avait une espèce de don de prémonition et était une mutante. Mais c'était pas un truc dont on parlait beaucoup aux réunions de famille.

J'étais pourtant très fière de ce pouvoir incroyable. J'en ai passé des heures, enfermée dans ma chambre avec ma chienne, à m'entraîner à me transformer ! J'adorais le sentiment de liberté et de puissance que ça me donnait. Avec le temps, je me suis rendue compte que ça ne se limitait pas à ça, que je pouvais prendre la forme d'autres animaux. Et alors là, ça a été le carnaval. Je passais tout mon temps libre à chercher des animaux pour prendre leur forme, à tester mes limites, à m'éclater à découvrir toutes les possibilités que ça m'offrait. Je me souviendrais toute ma vie de la première fois que j'ai volé dans les airs. C'était juste extraordinaire.
C'est au cours de ces transformations que je me suis aussi rendue compte que non seulement je comprenais les autres animaux de mon espèce, mais qu'ils me comprenaient aussi, et qu'en plus ils m'écoutaient quand je leur proposais de faire des choses ! Je n'en ai jamais abusé, je ne cherche pas à "contrôler" les animaux ce serait stupide, mais c'est parfois bien pratique quand j'ai besoin d'un petit coup de patte.
Bref, à force de me transformer si souvent, ma mère a fini par me griller, évidemment. Mais elle ne l'a pas mal pris. Elle était juste inquiète pour moi, mais elle voyait aussi combien ça me rendait heureuse.

Quelques mois avant mes dix-huit ans, ma mère et moi avons à nouveau déménagé, laissant mon frère à Dallas. Direction New York, où elle a été embauchée dans une grande boîte lui permettant en même temps de diriger des expéditions un peu partout dans le monde. Et pendant ce temps, je me retrouvais à vivre dans une ville immense - on multiplie quand même la population de Dallas par huit - et très cosmopolite.
C'est là qu'est survenu Thanos, une sorte de super-vilain violet débarqué d'une autre planète, qui a éliminé la moitié des gens en claquant des doigts. Sacrée puissance dans le pouce et le majeur ce type. Par chance, ma mère et moi n'avons pas été effacées. Un de mes frères a disparu, ainsi que mon père, mais je ne les voyais déjà plus beaucoup à cette époque-là, vu la distance. J'ai donc fait partie des personnes qui n'ont pas mal vécu la diminution drastique de la population, bien au contraire, moins il y a de gens, mieux je me porte.

Naturellement je me suis lancée dans des études pour devenir vétérinaire, mais le système scolaire n'était vraiment pas fait pour moi… Après deux premières années, j'ai fini par laisser tomber et ai enchaîné les petits boulots de merde tout en devenant bénévole dans un refuge pour animaux, refuge qui a fini par me prendre comme salariée au bout de deux ans. Une vie normale, je vous l'avais dit.

Quand tout le monde est réapparu, ça n'a pas changé mon existence. Les Avengers ne m'intéressaient pas vraiment, je n'ai jamais envisagé de devenir une super-héroïne. Par contre, je n'ai jamais caché non plus ma nature mutante et ma fierté d'être différente. Ca aurait d'ailleurs pu me jouer des tours, surtout quand un psychopathe a commencé à kidnapper des mutants pour les disséquer. J'ai suivi l'affaire dans les journaux, comme tout le monde. Puis il y a eu le Jour des Héros, auquel je n'ai pas assisté. Jouer les groupies pour les super-héros, très peu pour moi. Ce jour-là j'étais au refuge, et j'ai vu ce qui se passait à la télévision de la salle de pause où les collègues médusés étaient scotchés devant la chaîne d'infos locales. Tout ce bordel n'a pas aidé la cause mutante. C'est après ça que j'ai rejoint un petit groupe de mutants. Au départ, c'étaient juste des réunions tranquilles, où on parlait de nos pouvoirs, on faisait des petites démonstrations. Puis on a commencé des petites actions toutes simples, genre coller des affiches prônant la tolérance vis-à-vis des mutants, ce genre de trucs. Puis sont arrivés les héritiers. Encore des psychopathes, mais bien organisés et nombreux, qui ont fait plusieurs attentats mutophobes. On a perdu plusieurs centaines de frères et sœurs en une seule putain de nuit. Le onze septembre version mutant. A la suite de ça, j'ai voulu agir, lutter réellement contre ces connards qui nous pourrissaient la vie alors qu'on avait rien demandé. Mais qu'est-ce qu'une petite texane de 25 ans pouvait bien faire ? Mon groupe de mutants n'était pas très motivé pour prendre des risques. Notre plus grande action d'éclat a été de tagguer des phrases pas très sympas sur la devanture d'un bar réservé aux humains. Ouah. Ben on allait pas changer le monde avec ça. Il s'est bien passé quelques petits trucs. Des manifestants anti-mutants se sont fait chier dessus par une horde de pigeons. Un politicien qui voulait proposer un texte de loi pour rendre obligatoire le recensement de tous les mutants de l'état de New York s'est fait attaquer par un chien en rentrant chez lui et a perdu un œil. C'est peut-être pas grand chose, mais c'est mieux que rien. Comme le colibri dans l'histoire de l'incendie de la forêt, "je fais ma part". Si seulement je pouvais faire plus…