[Terminé] Une indienne dans la ville

Pour une personne encore occupée à découvrir les arts mystiques, particulièrement les canalisations permises par le Sanctuaire à son maître, Kayser semble aussi calme que bien installée alors qu’on fait le tour des pièces par déplacement instantané. L’évocation de sa relique est ce qui l’interpelle le plus, d’ailleurs. Ainsi que la présentation du Sanctuaire en ruine datant de neuf millénaires qui se retrouve sous le manoir qui porte le nom de Sanctuaire depuis quelques siècles. C’est un excellent lieu pour méditer, je trouve, mais je n’en dis rien pour l’heure. Je n’ai pas envie qu’elle vienne perturber mes méditations.

De retour à notre point de départ, je m’attarde sur les raisons de l’envoi de Kayser ici. Cela la heurte même si elle tâche de faire face. Visage haut, mains à plat, elle tâche de faire face. Elle a le bon sens de me laisser finir, néanmoins. Elle voit ce que je veux lui dire, voilà qui me fait légèrement plisser les paupières. Elle, elle baisse les yeux. Elle a besoin de se concentrer pour parler ? Qu’elle prenne son temps. Ce n’est pas quelque chose sur laquelle je la juge. Chacun ses difficultés.

Lorsqu’elle parvient à formuler que les raisons du choix de sa relique envers elle sont probablement les mêmes que celle de ma relique envers moi, je ne peux m’empêcher un amusement sarcastique.

« Pauvre de vous.

- Vous n’av-avez pas en-en-envie que je sois vot-votre appr-apprentie.

- Non, réponds-je immédiatement et avec franchise. Pas plus que vous n’avez envie de l’être. »

Je suis ce qu’il y a de pire avec la réussite : quelqu’un qui l’a par le talent comme la capacité à travailler dur et qui sait que cela le place au-dessus des autres. Il y a une raison pour laquelle Wong est bien plus populaire que moi.

« Rien de personnel : je n’ai ni les qualités ni la volonté pour ça. D’où que Wong se charge de la partie pédagogique du Sorcier Suprême, malgré qu’il m’ait rendu mon titre. »

Dommage pour Kayser, elle s’est attirée les foudres de ses mentors à Kamar-Taj et elle a fini ici. Difficile de dire s’il s’agit d’une sanction ou d’une punition. Dans les deux cas, c’est fait.

« Voyez le bon côté, vous êtes mieux installée à défaut d’être mieux entourée. »

Cela étant dit, je me redresse et m’adosse à mon siège.

« Vous êtes également libre de vos horaires, précise-je avec mon parlé rapide. Sachez néanmoins que je suis en étude de 9 à 11AM, que je pratique les mouvements de 1.30 à 3.30PM et que je m’entraine au combat de 4 à 6PM ; si jamais vous voulez participer. »

Dominique n’est jamais présent à l’étude, le Tribunal soit loué, mais il est régulier de le voir à l’entrainement au combat ; deux-trois fois par semaine. Quant à la pratique des mouvements, c’est plus aléatoire. Quant au ménage…

« Les tâches ménagères se font quand et comme je l’ordonne. Toute tentative d’établir un planning n’a aboutie du fait de l’aimable non-participation de Dominique. »

Alors même que l’on peut utiliser les arts mystiques pour nous faciliter le travail. Cela ne devrait pas être compliqué de penser à sortir les poubelles lorsqu’on peut téléporter celles-ci directement de la cuisine à l’extérieur ! Qu’importe.

« Vous êtes évidemment libre de sortir d’ici à loisir. Ne prenez pas la peine de me prévenir d’ailleurs, si j’ai besoin de vous j’ai l’Anneau de Téléportation. »

Bien que les horaires d’apprentissage comme d’entrainement soient identiques à ceux de Kamar-Taj, je ne mène pas de vie monacale au Sanctuaire. Et je n’ai pas à m’occuper du potager, tout en comprenant à quel point cela apporte dans l’approche des arts mystiques par la connexion avec son environnement.

« N’hésitez jamais non plus si vous avez une urgence, précise-je malgré l’anticipation qu’il faille rapidement définir la notion d’urgence. Il me semble que vous maitrisez également les Boucliers des Seraphim, les Vents de Watoomb, les Fouets Eldritch, les Sabres Sacrés des Vishanti, les Sept Soleils de Cinnibus* et les constructions holographiques… »

J’attends la réaction avant de poursuivre.

« Mais que vous n’avez jamais touché à un autre art que l’Eldritch. C’est cela ? »

Kayser se déçoit que l’absence d’envie d’une relation entre nous soit réciproque. Ne devrait-ce pas plutôt être rassurant ? Je peux comprendre ce qu’elle ressent puisque je le partage. A moins que je ne me sois trompé sur ce qu’elle ressent. Je ne pense pas que ça soit le cas. Toujours est-il que l’ajout destiné à rassurer encore plus, à savoir qu’il n’y a rien de personnel dans mon absence d’envie et que c’est plus mon fait que le sien, ne suffit pas à diminuer la déception. Il amène le face à face, ce qui me va aussi. Pour ne pas dire que j’en ai l’habitude. Je le tolère bien mieux que les Maîtres à Kamar-Taj et c’est pour cela qu’ils envoient chez moi les cas difficiles comme Kayser. Ils veulent la confrontation et n’en faire qu’à leur tête ? Parfait, c’est aussi ainsi que je fonctionne. Soyons donc productifs ensemble.

Les horaires sont donnés pour cela. Tout comme l’absence d’obligation aux entrainements. L’acquiescement de Kayser me signifie qu’elle a compris. Participera-t-elle ? Nous verrons. Considérant le profil qu’elle a démontré à Kamar-Taj, elle risque d’être bien plus difficile à convaincre de participer à l’entretien du Sanctuaire qu’à l’accroissement de ses pouvoirs. Sans doute sera-t-elle surprise du soin que je mets à répartir équitablement les tâches ménagères : nous vivons ensemble, en communauté. Je n’en suis pas exempt. C’est néanmoins une découverte pour un autre jour.

Face à la permission d’aller et venir comme on le souhaite, absente de Kamar-Taj lorsqu’on y pense, Kayser croise les bras. A loisir, je ne vais pas me battre pour lui donner plus de droits. Viennent ensuite les énoncés des techniques d’Eldrich qu’elle maitrise et la confirmation de sa limitation à ce seul art.

"Pas encore" est une réponse qui me dessine un sourire en coin. Elle signifie qu’elle le fera dès qu’elle le pourra.

« Signalez-moi les arts qui vous intéressent, conclus-je simplement. Je vous les apprendrais. »

Je suis le meilleur pratiquant de l’art Eldritch sur Terre mais je suis loin d’y être limité. J’ai appris les bases de l’art Astral en quelques mois et non quelques années, continuant de l’étudier afin de pouvoir me protéger des télépathes à défaut de devenir comme eux, et je maitrise l’art Miroir comme l’art Invocatoire avec brio. Les arts Telluriques et Runiques ne me sont pas non plus étrangers même s’il doit y avoir meilleur que moi dans les deux domaines. J’apprends extrêmement rapidement et quotidiennement de toute façon : si un besoin se manifeste, je le comblerai. Il n’y a pas que des désavantages à apprendre à mon côté.

« J’aim-rai m’install-ller, reprend Kayser en se frottant les tempes, me faisant froncer les sourcils de perplexité pour le geste plus que pour le souhait ; un effet secondaire de la visite téléportée ? Dans ma chamb-br-bre.

- A loisir, réponds-je donc immédiatement, faisant un pas sur le côté pour la laisser passer. faites comme chez vous. »

Ce qui ne devrait pas être un problème pour elle et reste à déterminer pour moi. Au moins n’aura-t-elle plus besoin de voler des livres, j’accéderai à toutes ses demandes pour les emprunts classiques et envisagerais même de l’accompagner sur les emprunts réclamant mon accord direct ; ou celui de Wong, je lui fais pleinement confiance. On se prendra la tête lorsque j’aurai autorisé à Kayser un livre qu’elle a auparavant volé parce que Wong lui avait interdit. Je suis le parent con dans notre duo mais je suis con envers tout le monde donc cela a ses avantages aussi pour les enfants.

« On pourr-a en parler plus ta-a-rd, conclut Kayser après s’être reculée.

- Oui, confirme-je simplement. Sachez également que, si je ne serais pas capable de signer pour des raisons évidentes, je peux apprendre le langage des signes afin de vous comprendre. Si c’est plus facile pour vous. »

Mes mains sont trop endommagées pour faire la plupart des signes correctement sans intervention d’une canalisation Eldritch. Cependant, je serais suffisamment dur de manière générale pour pouvoir faciliter la vie de Kayser avec son handicap. Je respecterai son choix : elle peut ne pas vouloir de traitement de faveur sur ce point aussi tout comme elle peut apprécier l’effort d’adaptation à ses particularités. Ainsi que la reconnaissance qu’elle peut m’apprendre quelque chose, elle aussi.

La jeune femme a l’air de partir défaite de notre rencontre. Je ne pense pas avoir été trop dur car j’ai simplement été sincère. Egal à moi-même. Elle a été envoyée ici puisqu’elle était prise de tête à gérer et elle voit ce que l’ordre a de pire dans le domaine : moi. Maintenant, nous apprendrons à travailler ensemble. Je ne m’en inquiète pas. Les mauvaises parties de mon caractère sont les plus faciles à percevoir car les plus difficiles à côtoyer mais à les côtoyer on découvre aussi les bonnes. C’est une question de temps. Je n’ai jamais abandonné Dominique malgré son désir de l’être et le garde ici alors qu’il n’agit en rien pour les Maîtres des Arts Mystiques. Il a besoin de temps et de quelqu’un qui supporte sa chiantise pendant ce délai. Je le fais. Nous verrons ce dont Kayser a besoin et je ne doute pas pouvoir l’être également.