[Civil] Rajeev Myers - Mixed and proud

Interview d’Ashanti, à propos de son petit-fils
“Je remercie les dieux de nous avoir apporté ce cadeau. Mon petit-fils, mon joyau. Même si je n’ai pas vécu à ses côtés, j’ai pu le voir souvent. Ma fierté. Une boule de vie, un enchantement de chaque instant. J’ai pu lui inculquer un peu de nos traditions, notre cuisine et notre culture. Je ne voulais pas cependant le mêler à notre quotidien. L’Inde est ce qu’elle est. Il n’aurait pas pu s’épanouir ici de toute façon et ma fille avait quitté le pays depuis bien longtemps. Lors de ses vacances j’emmenais Rajeev découvrir ses racines, lui parler de son grand-père qu’il n’a pas connu, le faire rencontrer ses cousins,etc. Tous les petits garçons ne peuvent pas se targuer d’être la quintessence de deux cultures aussi éloignées. Je peux dire qu’il a toujours eu cette curiosité et cette ouverture d’esprit. Il est devenu aujourd’hui mon bonheur, un bel homme sûr de lui et conscient du monde.”

Vidéo de Lucas, ami de longue date
“Joyeux anniversaire mon pote ! Hum, ça filme ? Hum ouais on dirait bien! Naïf comme t’es, t’as sûrement pas vu venir ce petit anniversaire surprise hein?! Encore une idée de Mel! Apparemment je dois te faire une belle déclaration d’amitié alors... Allons-y ! Toi et moi on se connaît depuis le bac à sable non? Une paie quoi ! Tu sais que je suis pas trop confiant comme gars, je voulais juste te répéter ce que tu sais déjà: t’es un mec formidable. On a quand même fait les 400 coups avec la bande ! Tu te souviens des tags sur la devanture du magasin de vélos parce qu’il voulait pas nous en prêter un ou deux? T’as toujours été un peu le ciment de notre groupe, celui qui sait nous parler à tous et qui n’a pas peur de se mouiller pour les autres. Comme quand tu t’es pris trois heures de retenue pour Mel... Ouais un pote en or, bon je suis pas très objectif tu me diras. Prends pas la grosse tête hein !! Surtout t’oublies pas de passer de temps en temps à San Francisco, c’est un peu mort sans toi par ici. Bon, encore happy birthday Raj’ et profite bien de ta surprise !!”

Note vocale de Lawrence Fox, employeur
“Si vous me demandez mon avis sur mon chef de la sécurité? Je vous dirais simplement que je peux dormir sur mes deux oreilles le sachant avec nous. Ce jeune homme a pris place avec douceur dans notre famille. Loin d’être un employé lambda, il contribue à notre unité et à notre sécurité. Il a su rebondir lors des terribles événements d’il y a cinq ans ... Rajeev a su nous porter. C’est un homme de confiance et intègre. Egoïstement je souhaiterais qu’il reste avec nous encore de longues années, c’est tout de même un travail très prenant. Mais voir un être aussi doué et aussi vivant, je lui souhaite au-delà de l’aspect professionnel, un épanouissement personnel.”

Recueil de pensées de Rajeev Myers
“La vie est un jeu. Autant ne pas la prendre trop au sérieux, ça fait devenir vieux. Et ça rime.

Je suis né d'un père américaine et d'une mère indienne. Lui travaillant dans la sécurité privée, et elle infirmière. Mariés depuis longtemps, ils ont vécus la majeure partie de leur vie commune aux Etats-Unis, du côté de San Francisco. Petite surprise un matin de janvier 1995, lors d’un séjour dans la famille de ma mère. En effet, je suis arrivé quelques semaines avant la date prévue et elle a dû accoucher à Cochin dans une des trop rares cliniques privées. Nous avons eu le luxe de pouvoir y retourner presque régulièrement, afin que je puisse connaître et grandir auprès de ma famille maternelle. J'ai toujours aimé aller là-bas même si parfois ils me bassinaient un peu trop avec les croyances du pays. Croyances que j'ai appris à comprendre et à apprécier plus tard, pour en faire une partie de mon héritage. C’est une vraie part de moi-même sans laquelle je ne serais pas complet. Une double identité dont je suis fier.

Après une enfance banale -et oui ça arrive- avec un primaire et un secondaire des plus normaux, vint l’adolescence avec son premier lot de changements. C’est à cette période-là que mon père commença à être moins présent. Oh non, ni mari infidèle, ni père disparu. Il était à ce moment chef de la sécurité pour un officiel. Toujours sur le terrain, rarement sur mon terrain. Toujours dans la moralité, rarement dans ma normalité. Cependant, je ne peux pas dire qu’on ait eu une relation conflictuelle. Mais après tout, l’adolescence ne s’explique pas forcément. J’avais parfois besoin d’un exutoire, les parents absents ont toujours tort. On se met dans des petits coups, on devient un jeune homme bien portant, drôle, avec un caractère bien trempé, juste en marge de ce fameux cercle des populaires qui fascine tant. J'avais ma bande, ça me suffisait amplement.

Un seul truc me chiffonnait: au départ, je me suis dit que c’était simplement la puberté puis je me suis vite rendu compte que c’était complètement autre chose. Une semaine terrible où j’avais un peu cumulé: grippe carabinée, devoirs, hormones, prise de bec avec mon père; un cocktail explosif à cet âge. Je me souviens d’être dans ma chambre, avec l’impression de ne plus maîtriser grand-chose, sueur, sensation de chaleur, puis de grand froid, j’étais comme en plein délire sur mon lit d’ado. C’est là où j’ai vu ma peau devenir mes draps ou mes draps devenir ma peau. J’ai cru que je virai pour de bon et je me suis ramassé par terre en paniquant. Refusant de croire ce que je venais de voir, mes jambes nues empêtrées dans les draps -qui étaient les draps ?!-, mes mains raclant le parquet. Devenaient le parquet. What? Ma peau se recouvrant des stries vernies du bois, dure comme ce dernier. Je pouvais le sentir. Pendant un instant j’ai cru tourner de l’oeil. Je crois que j’ai tourné de l’oeil à ce moment en fait. Je me suis réveillé le lendemain matin, par terre, épuisé.
Cela s’est reproduit plusieurs fois au cours de mon adolescence, plus intense lorsque j’étais malade ou sous l’influence d’émotions fortes. Puis de façon plus récurrente jusqu’à apprendre à vivre avec, à le développer. J’était un mutant, ou je ne savais pas comment le dire autrement. C’est au lycée où j’en ai vraiment pris la pleine conscience. J’avais cette capacité hors du commun et à ce moment-là je ne l'ai pas dit tout de suite à mes parents. A vrai dire je ne ressentais pas le besoin d'en parler. Puis à quoi bon ? Je ne savais pas vraiment le faire sur commande après tout. Ils étaient tous les deux des mutants. Mon père pouvait se recouvrir d'une peau diamant et modifier la forme de son épiderme. Excellent atout quand on doit protéger des biens et des personnes. Ma  mère, elle, était capable d'absorber n'importe quelle substance toxique et de la restituer par contact, bien pratique dans son métier au coeur des urgences. J'avais peur de les décevoir au départ. Puis une fois la chose mise sur la table, ils furent soulagés de savoir si j’étais comme eux ou non, et m'apprirent ce qu'ils savaient pour exploiter mon potentiel. J'ai hérité de leur vision de la mutation: utiliser ses capacités pour faire le bien autour de soi, ne pas risquer sa vie inutilement et ne jamais le faire à des fins futiles.

Ma vie au lycée continuait à se dérouler, tantôt j’en étais l’acteur principal, tantôt je la voyais défiler devant mes yeux, simple spectateur.
Je continuais de grandir, de faire évoluer l'adulte en devenir. Autour de moi, ça s'agitait. Le regard de mes conscrits sur ma personne. Certes, je détonnais un peu: peau mate, yeux en amande, le cheveu d'un noir sans équivoque. Ce qui pour moi était normal, relevait de la beauté exotique à dévorer ou à exploiter pour d'autres. Les affres de la sexualité ne me titillaient pas encore tout à fait. C'est à ce moment-là que j'ai commencé les tatouages, piercing et autre coloration. Montrer aux autres ce dont je pouvais être capable. Une pointe de provocation déjà maîtrisée.

J'étais encore en France, terminant mon adolescence, lors de l'invasion Shirauti, en 2012. J'avais à peine achevé ma scolarité. Un moment très effrayant même à des milliers de kilomètres. Ce paradoxe entre le sentiment d'être vulnérable et celui de pouvoir et vouloir aider ceux qui oeuvrent pour la paix. Je me demandais alors comment j'aurais réagi si ça c'etait passé près de chez moi.

L’heure des choix, des orientations de toute sorte, arrivait à grands pas. Je savais déjà que je suivrais les voies de mes chers parents. Je leur vouais d'une part une grande admiration. Ils étaient constamment au service des autres chacun à leur manière. Je crois qu'ils m'ont transmis cela. Et d'autre part cela correspondait à mes valeurs. Pourquoi ne pas tenter les deux ? J'étais jeune, bon élève et motivé. Mon père, qui ne voulait pas laisser sa part au lion, avait déjà entrepris de m’apprendre les rudiments du métier d’agent de sécurité en m’initiant notamment à l’aïkido depuis quelques années, discipline pour laquelle j’ai eu très vite, une véritable révélation. Cela contribua au développement de mon corps et de mon esprit.

Le diplôme du lycée en poche en 2013, j’ai décroché l’entrée à l’école d’infirmier. Au-delà du modèle maternel, j’ai tout de suite su que je voulais me rendre utile et sinon sauver, au moins améliorer la vie des gens. Puis j’ai enchaîné sur la formation de mon père. Il avait suivi une formation dans un centre de sécurité privée, reconnu dans le monde entier. Cette école était spécialisée dans la protection “de luxe”: homme d’affaires, riches propriétaires, officiels politiques et autres magnats. Le centre ne faisait pas de discrimination. J’étais six mois en entraînement intensif, chaque année, pendant cinq ans, dans un pays différent. Les autres six mois, j’étais en apprentissage dans un premier temps puis au service d’une famille ou d’un quelconque industriel à protéger. C’était une formation vraiment complète avec des matières telles que la philosophie, la diplomatie, le droit ou la littérature, mais aussi la technologie, le renseignement, les arts martiaux, la maîtrise des armes ou encore la cuisine et les premiers secours. Je devais être au service du protégé, corps et âme. Côtoyer les grands de ce monde requérait une abnégation totale.

À 24 ans j'étais l'union parfaite de mes parents. Avec mon propre caractère bien sûr.
Puis mon père fut muté à New-York, pour devenir chef de la sécurité pour un riche industriel dans le domaine paramédical. Il accompagnait surtout le père dans ses déplacements, donc plus souvent à l'étranger ou parcourant le pays. Mon père avait besoin d'un associé, d'un coéquipier, et me proposa de travailler avec lui juste après ma certification. A vrai dire il voulait que ça soit moi, une personne de confiance et savait que j’en étais capable. Voilà qui était pour moi l'occasion de faire mes preuves. C'est comme ça que j'ai été engagé comme garde du corps des deux enfants jumeaux du couple. Ne vous emballez pas; c’était un boulot presque de confort. Ils n’étaient la cible d’aucun mafieux ou fou furieux -du moins pas tous les jours. On était quand même pas dans un film de science-fiction – enfin ....- ! Juste dans une ville disons ... cosmopolite où tout était possible, le meilleur comme le pire. J'ai appris à apprécier ce travail, mes employeurs et à y trouver mon compte. J’ai bien malgré moi, développé une relation bien plus que professionnelle avec ces enfants. Une sorte de grand frère si on devait la décrire. Une situation à double tranchant, dans la mesure où, au quotidien, je devais prendre les meilleures décisions objectives pour ne leur faire courir aucun risque. Jugement souvent altéré par leurs bouilles et notre belle entente.

J’ai commencé ce travail quelques mois avant le snap de Thanos et les événements terribles qui s’y produisirent. Mon père disparut tout comme la mère de mes protégés. Enfin, de ma protégée. Malheureusement, son frère jumeau disparut également. Un vrai choc pour tout le monde. Dans l’immédiateté de la situation j’ai été promu chef de la sécurité. Les mois et les années qui suivirent forcèrent le deuil et la reconstruction. Ma mère était accaparée par la congestion du système hospitalier et le nombre fulgurant de blessés et de convalescents. Elle se lança à corps perdu dans ses fonctions pour gérer à sa façon la perte de son cher époux. La première année fut très éprouvante pour tous. Je n’ai pas fait exception à la règle. Pourtant, au milieu de toute cette confusion, je devais garder un certain cap. Faire face tous les jours. Pour eux, pour ma mère. M’oubliant peut-être un peu dans cette histoire qui était aussi la mienne. Plus de place pour mes sentiments, plus de place pour ma vie à moi.

Aujourd'hui, cinq années plus tard, tout cela semble déjà loin. Nos disparus sont miraculeusement revenus et la vie a repris ses droits et bien que l'humain soit toujours dans l'attente d'un nouveau conflit, j’ai aussi repris, je pense, le cours la mienne. Tout ce travail, ce chaos, ce deuil, m’a fait grandir, m’a rendu plus fort, mais peut-être aussi plus solitaire en quelque sorte. Chacun doit réapprendre à vivre avec années difficiles. Mon père a décidé de se retirer pour quelque temps et est reparti avec ma mère en Inde, pour se ressourcer. Je suis vraiment ravi de le savoir de nouveau parmi nous. Il sait qu’il peut me faire confiance et a vu le chemin que j’ai parcouru. Plus stable que jamais, j’ai l’envie d’écrire la suite de mon histoire personnelle.