Bronx's Boy
Avertissement - usage de drogue et de poésie. Je suis né dans le Bronx, en tout cas, mes premiers souvenirs se passent dans ses ruelles… Ma tante s’est occupée de moi jusqu’à mes 15 ans. Elle disait ne pas supporter de voir le fils de sa défunte sœur devenir un délinquant. J’ai compris. Et je suis parti. Pour d'autres raisons, aussi. Et mon cousin, son fils, m’accueillit chez lui, c’était prévu depuis notre plus tendre enfance - qu'on vivrait ensemble. Comme vous pouvez l’imaginer, pas pour le tour du monde hein, mais pour guetter l’arrivée de la police dans le quartier. C’était mon premier job, un job silencieux, morne la plupart du temps. Parfois cela devenait intéressant, quand les pigs déboulaient pour essayer d’arrêter un trafic – ça devenait un exercice de style, un enchaînement de cavalcades et de ruses. Je ne faisais pas vraiment parti d’un gang, j’étais payé par ceux qui voulaient grimper à l’échelle, comme nous autres, les petits.
C’était pas que j’étais particulièrement mauvais à l’école, en fait, c’était le contraire. Depuis petit couvert d’éloges par les professeurs, j’apparus très vite différent des autres et ils me le firent bien sentir, mon comportement dût se calquer au leur pour qu’ils me laissent tranquille. Imaginez vous, un gamin aux cheveux tressés, portant des lunettes et un appareil qui avait coûté à ma tante toutes ses économies – déjà à l’époque c’était pas très « street ». Si y avait pas eu Luke Cage pour nous rappeler que notre communauté aussi pouvait servir la justice, nous serions tous restés dans la misère. Mais ce fantasme du rêve américain qui voudrait que le Bronx ait changé, qu’il se soit gentrifié et qu’il ne soit plus achalandé de bordels, de trafics et de peines, ravagé par le crack – ça c’était bien loin de la réalité que nous vivions.
Bon avec les mots, lisant souvent, en cachette, des livres que me conseillaient les professeurs, on m’appelât « Glasses » de la primaire au collège. Avec l’argent de guetteur, je finis par m’acheter des lentilles de contact, mais les potes m’appelaient toujours « Glasses », parce que je continuais à lire, sûrement.
Mon oncle était un ivrogne qui nous battait quand il était trop soûl, mais pas d’rancœur, en vrai, il était plutôt sympa quand il avait pas bu et c’est pourquoi ma tante continuait d’espérer qu'un jour il arrête de boire. Il nous battait pas par méchanceté, non, vraiment pas, c'était pour nous éduquer à la dure, comme si, dans sa tête, le manque et la promiscuité chaleureuse des immeubles du Bronx suffisaient pas à définitivement nous dessiller sur la Nature humaine. Quand je dis « nous », j’veux dire mon cousin, Chester, qui avait 4 ans de plus et moi.
Quand il quitta la maisonnée- l’appartement miteux de ma tante, j’étais le seul à subir le courroux de mon oncle. C’est pourquoi à l’âge de ma majorité légale, je partis sans demander mon reste, lorsque ma tante me fit son long discours sur la mémoire de ma mère. Je passais parfois le weekend manger chez eux.
J’ai donc dû au lycée, travailler en tant que guetteur et en tant que lycéen. Pour aider le couz et m'offrir les sappes, les breloques que je voulais. L’inverse d’un Spider-Man direz-vous. Chester m’accueillit dans un immeuble pas trop loin, à l’inverse de l’ancien appart’ qui avait au moins la décence d’être bien tenu malgré les fuites et le délabrement de certains murs qu'auraient dû être repeints par mon oncle, là, chez Chester, c’était un vrai bordel ! De bouteilles partout jonchées le sol, de la beuh à n’en plus finir circuler de manière ininterrompue, car les membres d’un gang dont je tairais le nom venaient déposer leur matos sous le canapé de Chester. C'était sur ce même canapé que je pionçais. Il était dur d’être un lycéen dans un tel fatras de trafiquants et de soirées défonces. Et Je fumais parfois un peu de Zeb en fin de journée, pour me plonger dans des réflexions qui n’avaient aucun sens au début. C’est sur ce canapé même que se produit pour la première fois un des incidents qui allaient changer ma vie.
Mais Chester n’avait rien d’un débile. Certes, il était prêt à risquer sa vie pour le code, l’honneur et l’argent, mais ce n’était pas une forme d’imbécilité. Au contraire, je l’admirais souvent pour son courage. C’est lui qui, lorsque j’étais très jeune m’avait appris à faire face au danger, plus précisément, à ne jamais reculer devant le danger, à avancer vers lui, même, à supporter la boucle du ceinturon. Il m’avait relooké avant le lycée et avait fait en sorte que mes capacités intellectuelles soient bien vues dans le quartier en m’encourageant à Freestyler parfois avec les outsiders. Les outsiders n'étaient pas un gang, atypiques, plus intéressés par les codes de la street, l’honneur, que par l’argent et qui comptaient percer dans la musique plutôt que la tôle d’une voiture ou le crâne d’un gang rival. C’était des rappeurs en somme, et du fait que j’étais bon avec les mots, je devins bon avec les rîmes très tôt, sûrement l’une des raisons pour lesquelles j’étais cantonné aux postes de guetteurs. Je crois que ça me protégeait. De ce fait, je n’avais dû faire que trois gardes à vues qui n’avaient débouchées sur aucune trace dans mon dossier scolaire. C’était dans cette configuration que la nuit se profilait. Je n’étais au courant de rien. Et les gens, les « porcs » le savaient.
Cynthia dormait dans la chambre, bourrée comme une truie. Les fumerolles de mon bédo s’élevaient au plafond, je sentais déjà des frissons parcourir mon crâne, et j’observais, silencieux, les fumées graviter dans l’air rance de l’habitacle. Par instant, une rime me venait, et une prod style Kendrick tournait en boucle dans mon casque. Une sorte de sample de gospel bien mélancolique agrémenté d’un boom bap bien classique. Tout ce qui me fallait pour m’extirper de la vie quotidienne, de sa saleté et de sa misère. Ce soir là, enfin je crois, j’écrivais sur la page blanche d’un carnet recouvert de cuir noir.:
«♪♪♪♪♪♪♪♪♪
And the worm is gazing at the Star
He ain’t seeing on that ceiling
The black hole glancing back in his being
Growing in his heart like a memoir...
Hoe! On his body it has written a story
And so many scars
Has scattered the black face wi’ bigotry//
Like wheels of a Bugatti
Tearing down the fucking boulevard... »
Le genre de phase qui marcherait jamais dans la rue. Le genre de phase qui étaient tout pour moi. Mais qui ne provoqueraient que rire ou incompréhension. Un peu de Shakespeare, de William Black, et l’asphalte poétique d’un Kendrick. Un mélange fameux. Je tirai une nouvelle taffe sur mon joint et j’allais continuer sur la vanité du ver qui ose poétiser la rue sans les codes du hip hop moderne. Le Hip Hop moderne, l’ayant bouffé depuis ma plus tendre jeunesse était pour moi une terrible méthode de subversion. Quand on essaye de sortir des codes, les codes nous rattrapent.
J’avais la tête baissée sur mon texte que j’essayais de poser sur l’intrus, mes nattes collées tombaient sur le devant de mon crâne tel un rideau dépareillé, j’attrapai mon joint dans le cendar, tirai une nouvelle latte, relevai la tête pour cracher la fumée.
Deux hommes cagoulés me pointaient avec des glocks.
J’écarquillai les yeux. Pas que j’avais jamais vu de glock de ma vie, non, juste pas pointé sur moi. L’un des deux baragouinaient des mots incompréhensibles derrière la musique de mon casque. La porte d’entrée avait été défoncée à grand coup de pied par leurs soins, j’aurais au moins dû entendre ce fracas, mais mon casque tout neuf était très performant, en vrai c’était un coupe bruit dernier cri. Je retirai doucement mon casque tandis que le type me visait toujours en gigotant du bout comme un toxico en plein casse. Merde, qu’est-ce que ces deux crackos pouvaient bien faire ici? Crackos, c’était assuré. Personne serait rentré chez Chester, armé, par la porte d’entrée, avec autant de bruit. Les deux types étaient sûrement désorientés. Leurs voix ne me revenaient pas et en plus ils n’étaient pas des renois. Leurs peaux livides, presque translucides me signalait qu’ils avaient pas beaucoup réfléchi avant de tenter ce coup. Du coup, je répondis pas. « Ne pas flipper, ne pas flipper, ne pas montrer la moindre once de flippendo, gagne du temp, tout est dans le tempo, tout est dans le style » pensai-je en me remémorant tous ce que m’avait appris la rue. Je crachai ma fumée et j’entendais enfin ce que le plus courageux des deux hurlaient comme un taré :
« Où est la came, ou est Chester ?! Putain d’négro, je vais te fumer ! »
Ah, merde,en plus raciste, me dis-je. J’étais probablement foutu. J’avais pas vécu grand-chose du haut de mes 17 ans. Mais je connaissais les codes, et dans cette situation, je savais pas si ça suffirait. En vrai, j’me chiais dessus. On montre pas à une bête désorientée sa peur, c’est le meilleur moyen de se faire mordre. Les coups de ceinture me l’avaient largement fait comprendre plus tôt. Je le regardai droit dans les yeux, je vis un éclair passait dans son regard, je flairais aussi sa peur, sauf que la mienne était presque imperceptible, je sentais mes sourcils se froncer dans une expression de défi, qui en réalité, n’était qu’une expression de peur endimanché en affront. Son glock tremblait comme une feuille. Ce con même si il voulait tirer, avait une chance de me rater. Je pensais à tout ça, ouai, en quelques secondes, et c’est alors que Cynthia débarqua en furie. Quand je dis Furie, je parle de la ghetto booty qui essaye de protéger ceux qu’elle aime, et vous avez sûrement jamais vu un truc aussi flippant, les gun à côté, c’était rien. Toute mon attention se porta sur elle qui arriva en trombe en les insultant de lâche, corroborant son propos de noms d’oiseaux bien sentis avec la verve d’une diablesse. Je savais qu’elle était chiante, mais pas que c’était une vraie meuf. Une sensation bizarre planait dans l’atmosphère. Évidemment le mec qui menaçait perdit son aplomb, derrière sa cagoule on le sentait pisser dans sa croûte, mais l’autre, qui n’avait rien dit jusqu’à maintenant… L’autre était pas pareil, j’eus un mouvement de recul, mes yeux s’écarquillèrent à nouveau ; l’autre, avec un sang froid abominable fit voler la cervelle de Cynthia.
« Oh… Merde... »
La détonation avait fait un bruit étouffé, le type avait en plus de ça, un putain de silencieux! Bordel ! J’étais foutu ! Il braqua le flingue sur moi, je vis tout au ralenti, littéralement, mon cœur qui s’était emballé, l’adrenaline, j’sais pas, kekchose. Et je mens pas quand j’vous dis que j’ai vu la balle sortir du pistolet, s’avancer dans les airs comme l’aurait fait une putain de Tortue lutte. Je voyais même les flammes de la déflagration. C’était mystique. Je voyais tout venir à l’avance, mais impossible de bouger, tétanisé par la peur. La balle traversa le salon passa au dessus de la petite table carrée recouverte de pochon de weed, j’étais foutu ! J’aurais voulu crier à l’aide, mais quitte à vivre comme un ghetto youth, autant crever fièrement. Ma tête recula vers l’arrière. La balle allait rentrer dans mon crâne, me fissurer le front, s’engouffrer, ratatouiller mon cerveau embrumé par les drogues douces et la poésie. Et tout se fit noir dans la salle.J’me rappelais pas avoir fermé les yeux. C’était pas le contre coup de la lumière du gun, non, c’était autre chose. Je me sentis happé, aspiré en arrière. C’était une sensation toute nouvelle pour moi.
Je me retrouvai « là bas ». J’étais mort ? C’était ça la vie après la mort ? Tout était terriblement noir et froid, et je flottais. Y avait pas de sol, mais y avait des rochers qui gravitaient dans l’espace comme les ballons de baudruche d’une quincenieras ! J’dois l’avouer j’étais troublé. C’était quoi? Le purgatoire ?
Une voix rauque vibra dans ce qui semblait être de l’air, deux yeux gigantesques s’ouvrirent en plein milieu du néant. Leur couleur était boréale, profondément déstabilisante, leur forme, protéiforme. Je vis une putain de lumière blanche. Aussi lumineuse que les ténèbres apparus dans l’appart’ de Chester étaient sombres. J’me sentais à nouveau tiré en arrière, comme si la gravité tout à coup reprenait son sens newtonien. Et la Bim ! J’étais en bas de l’immeuble. Je vis la balle d’il y a quelques secondes traverser la fenêtre, la balle qui m’était destinée. Une fumée noire filtrait au travers de la vitre. J’entendais les mecs en haut tousser et des nouvelles balles traversèrent la fenêtre, ils paniquaient. D’un coup, je vis une tête cagoulée sortir par la fenêtre. Les mecs me cherchaient en toussant comme deux gros foncedars. Ils me captèrent, moi qu’étais couché sur le sol à demi dans les vappes. Il visa vers moi, j’avais à peine le temps de faire un « fuck » et de partir en courant. J’suis parti comme un dératé. J’avais déjà couru pour ma vie, enfin pour la vie de mon cursus scolaire, là, c’était différent. C'était comme courir
Les jours suivants je flippais à donf dans les rues du Bronx, j’avais tellement peur que les gens m’aient vu, qu’ils aient vu ce dont j’étais capable que j’osais pas rentrer. Chester finit par m’appeler, sorti de ses élucubrations du week-end. J’avais dormi dans la rue, pas à même le sol, on trouve toujours un coin tranquille quand on connaît les entrepôts et les coins de deal. Il avait retrouvé sa donzelle morte sur le sol, les porcs avaient rappliqué, mais elle était morte depuis déjà deux jours. J’suis allé chez ma tante le temps que ça se tasse. J’lui expliquais ce qui s’était passé, avec mes mots, en long en large, m’attendant à ce qu’elle me vire et qu’elle foute une bonne trempe. Mais rien, elle demeura silencieuse et porta sur moi des yeux compatissants. Elle me parla d’un institut, d’un certain Charles Xavier, de mutation, j’y bitais rien… A mes 17 ans, lorsque les dossiers d’admission étaient remplis, je reçus une lettre qui me proposât d’étudier dans ce même institut, avec photos et programmes de cours à l’appui. J’acceptai, ce qui me plût dans la brochure c’était qu’ils avaient un studio de musique. Pour être sincère, je savais pas, le moins du monde, où je mettais les pieds… Ma tante m'a juste dit que ma mère y avait étudié étant jeune. ça me fait une belle jambe...
C’était pas que j’étais particulièrement mauvais à l’école, en fait, c’était le contraire. Depuis petit couvert d’éloges par les professeurs, j’apparus très vite différent des autres et ils me le firent bien sentir, mon comportement dût se calquer au leur pour qu’ils me laissent tranquille. Imaginez vous, un gamin aux cheveux tressés, portant des lunettes et un appareil qui avait coûté à ma tante toutes ses économies – déjà à l’époque c’était pas très « street ». Si y avait pas eu Luke Cage pour nous rappeler que notre communauté aussi pouvait servir la justice, nous serions tous restés dans la misère. Mais ce fantasme du rêve américain qui voudrait que le Bronx ait changé, qu’il se soit gentrifié et qu’il ne soit plus achalandé de bordels, de trafics et de peines, ravagé par le crack – ça c’était bien loin de la réalité que nous vivions.
Bon avec les mots, lisant souvent, en cachette, des livres que me conseillaient les professeurs, on m’appelât « Glasses » de la primaire au collège. Avec l’argent de guetteur, je finis par m’acheter des lentilles de contact, mais les potes m’appelaient toujours « Glasses », parce que je continuais à lire, sûrement.
Mon oncle était un ivrogne qui nous battait quand il était trop soûl, mais pas d’rancœur, en vrai, il était plutôt sympa quand il avait pas bu et c’est pourquoi ma tante continuait d’espérer qu'un jour il arrête de boire. Il nous battait pas par méchanceté, non, vraiment pas, c'était pour nous éduquer à la dure, comme si, dans sa tête, le manque et la promiscuité chaleureuse des immeubles du Bronx suffisaient pas à définitivement nous dessiller sur la Nature humaine. Quand je dis « nous », j’veux dire mon cousin, Chester, qui avait 4 ans de plus et moi.
Quand il quitta la maisonnée- l’appartement miteux de ma tante, j’étais le seul à subir le courroux de mon oncle. C’est pourquoi à l’âge de ma majorité légale, je partis sans demander mon reste, lorsque ma tante me fit son long discours sur la mémoire de ma mère. Je passais parfois le weekend manger chez eux.
J’ai donc dû au lycée, travailler en tant que guetteur et en tant que lycéen. Pour aider le couz et m'offrir les sappes, les breloques que je voulais. L’inverse d’un Spider-Man direz-vous. Chester m’accueillit dans un immeuble pas trop loin, à l’inverse de l’ancien appart’ qui avait au moins la décence d’être bien tenu malgré les fuites et le délabrement de certains murs qu'auraient dû être repeints par mon oncle, là, chez Chester, c’était un vrai bordel ! De bouteilles partout jonchées le sol, de la beuh à n’en plus finir circuler de manière ininterrompue, car les membres d’un gang dont je tairais le nom venaient déposer leur matos sous le canapé de Chester. C'était sur ce même canapé que je pionçais. Il était dur d’être un lycéen dans un tel fatras de trafiquants et de soirées défonces. Et Je fumais parfois un peu de Zeb en fin de journée, pour me plonger dans des réflexions qui n’avaient aucun sens au début. C’est sur ce canapé même que se produit pour la première fois un des incidents qui allaient changer ma vie.
I finesse
C’était une nuit calme de prime abord. Et c’est bien rare que les engueulades, les cris d’enfants et les rires sinistres des gars d’en bas ne se fassent pas entendre. J’étais rentré du lycée vers les coups de 18h, après avoir pris le bus. Pour que vous compreniez un peu l’étrangeté vécue, il faut que je décrive plus avant l’appart’ de Chester et la situation dans laquelle nous vivions alors. C’était un deux pièce, une cuisine faisait partie du salon où le canapé délabré me servait de lit. À droite, il y avait la chambre de mon cousin qui d’une certaine manière débordait sur le reste de l’appartement, avant, il ramenait des filles, mais depuis quelques temps, une seule meuf antipathique se réservait le droit d’y résider. Elle était particulièrement chiante, du fait qu’elle n’avait pas fait d’études elle se permettait des remontrances bien déplacées à mon encontre quand elle me voyait rouler un ter’ avant d’m’endormir. « ça te nique le cerveau, tu deviendras débile comme Chester »Mais Chester n’avait rien d’un débile. Certes, il était prêt à risquer sa vie pour le code, l’honneur et l’argent, mais ce n’était pas une forme d’imbécilité. Au contraire, je l’admirais souvent pour son courage. C’est lui qui, lorsque j’étais très jeune m’avait appris à faire face au danger, plus précisément, à ne jamais reculer devant le danger, à avancer vers lui, même, à supporter la boucle du ceinturon. Il m’avait relooké avant le lycée et avait fait en sorte que mes capacités intellectuelles soient bien vues dans le quartier en m’encourageant à Freestyler parfois avec les outsiders. Les outsiders n'étaient pas un gang, atypiques, plus intéressés par les codes de la street, l’honneur, que par l’argent et qui comptaient percer dans la musique plutôt que la tôle d’une voiture ou le crâne d’un gang rival. C’était des rappeurs en somme, et du fait que j’étais bon avec les mots, je devins bon avec les rîmes très tôt, sûrement l’une des raisons pour lesquelles j’étais cantonné aux postes de guetteurs. Je crois que ça me protégeait. De ce fait, je n’avais dû faire que trois gardes à vues qui n’avaient débouchées sur aucune trace dans mon dossier scolaire. C’était dans cette configuration que la nuit se profilait. Je n’étais au courant de rien. Et les gens, les « porcs » le savaient.
Cynthia dormait dans la chambre, bourrée comme une truie. Les fumerolles de mon bédo s’élevaient au plafond, je sentais déjà des frissons parcourir mon crâne, et j’observais, silencieux, les fumées graviter dans l’air rance de l’habitacle. Par instant, une rime me venait, et une prod style Kendrick tournait en boucle dans mon casque. Une sorte de sample de gospel bien mélancolique agrémenté d’un boom bap bien classique. Tout ce qui me fallait pour m’extirper de la vie quotidienne, de sa saleté et de sa misère. Ce soir là, enfin je crois, j’écrivais sur la page blanche d’un carnet recouvert de cuir noir.:
«♪♪♪♪♪♪♪♪♪
And the worm is gazing at the Star
He ain’t seeing on that ceiling
The black hole glancing back in his being
Growing in his heart like a memoir...
Hoe! On his body it has written a story
And so many scars
Has scattered the black face wi’ bigotry//
Like wheels of a Bugatti
Tearing down the fucking boulevard... »
Le genre de phase qui marcherait jamais dans la rue. Le genre de phase qui étaient tout pour moi. Mais qui ne provoqueraient que rire ou incompréhension. Un peu de Shakespeare, de William Black, et l’asphalte poétique d’un Kendrick. Un mélange fameux. Je tirai une nouvelle taffe sur mon joint et j’allais continuer sur la vanité du ver qui ose poétiser la rue sans les codes du hip hop moderne. Le Hip Hop moderne, l’ayant bouffé depuis ma plus tendre jeunesse était pour moi une terrible méthode de subversion. Quand on essaye de sortir des codes, les codes nous rattrapent.
Black Fog
J’avais la tête baissée sur mon texte que j’essayais de poser sur l’intrus, mes nattes collées tombaient sur le devant de mon crâne tel un rideau dépareillé, j’attrapai mon joint dans le cendar, tirai une nouvelle latte, relevai la tête pour cracher la fumée.
Deux hommes cagoulés me pointaient avec des glocks.
J’écarquillai les yeux. Pas que j’avais jamais vu de glock de ma vie, non, juste pas pointé sur moi. L’un des deux baragouinaient des mots incompréhensibles derrière la musique de mon casque. La porte d’entrée avait été défoncée à grand coup de pied par leurs soins, j’aurais au moins dû entendre ce fracas, mais mon casque tout neuf était très performant, en vrai c’était un coupe bruit dernier cri. Je retirai doucement mon casque tandis que le type me visait toujours en gigotant du bout comme un toxico en plein casse. Merde, qu’est-ce que ces deux crackos pouvaient bien faire ici? Crackos, c’était assuré. Personne serait rentré chez Chester, armé, par la porte d’entrée, avec autant de bruit. Les deux types étaient sûrement désorientés. Leurs voix ne me revenaient pas et en plus ils n’étaient pas des renois. Leurs peaux livides, presque translucides me signalait qu’ils avaient pas beaucoup réfléchi avant de tenter ce coup. Du coup, je répondis pas. « Ne pas flipper, ne pas flipper, ne pas montrer la moindre once de flippendo, gagne du temp, tout est dans le tempo, tout est dans le style » pensai-je en me remémorant tous ce que m’avait appris la rue. Je crachai ma fumée et j’entendais enfin ce que le plus courageux des deux hurlaient comme un taré :
« Où est la came, ou est Chester ?! Putain d’négro, je vais te fumer ! »
Ah, merde,en plus raciste, me dis-je. J’étais probablement foutu. J’avais pas vécu grand-chose du haut de mes 17 ans. Mais je connaissais les codes, et dans cette situation, je savais pas si ça suffirait. En vrai, j’me chiais dessus. On montre pas à une bête désorientée sa peur, c’est le meilleur moyen de se faire mordre. Les coups de ceinture me l’avaient largement fait comprendre plus tôt. Je le regardai droit dans les yeux, je vis un éclair passait dans son regard, je flairais aussi sa peur, sauf que la mienne était presque imperceptible, je sentais mes sourcils se froncer dans une expression de défi, qui en réalité, n’était qu’une expression de peur endimanché en affront. Son glock tremblait comme une feuille. Ce con même si il voulait tirer, avait une chance de me rater. Je pensais à tout ça, ouai, en quelques secondes, et c’est alors que Cynthia débarqua en furie. Quand je dis Furie, je parle de la ghetto booty qui essaye de protéger ceux qu’elle aime, et vous avez sûrement jamais vu un truc aussi flippant, les gun à côté, c’était rien. Toute mon attention se porta sur elle qui arriva en trombe en les insultant de lâche, corroborant son propos de noms d’oiseaux bien sentis avec la verve d’une diablesse. Je savais qu’elle était chiante, mais pas que c’était une vraie meuf. Une sensation bizarre planait dans l’atmosphère. Évidemment le mec qui menaçait perdit son aplomb, derrière sa cagoule on le sentait pisser dans sa croûte, mais l’autre, qui n’avait rien dit jusqu’à maintenant… L’autre était pas pareil, j’eus un mouvement de recul, mes yeux s’écarquillèrent à nouveau ; l’autre, avec un sang froid abominable fit voler la cervelle de Cynthia.
« Oh… Merde... »
La détonation avait fait un bruit étouffé, le type avait en plus de ça, un putain de silencieux! Bordel ! J’étais foutu ! Il braqua le flingue sur moi, je vis tout au ralenti, littéralement, mon cœur qui s’était emballé, l’adrenaline, j’sais pas, kekchose. Et je mens pas quand j’vous dis que j’ai vu la balle sortir du pistolet, s’avancer dans les airs comme l’aurait fait une putain de Tortue lutte. Je voyais même les flammes de la déflagration. C’était mystique. Je voyais tout venir à l’avance, mais impossible de bouger, tétanisé par la peur. La balle traversa le salon passa au dessus de la petite table carrée recouverte de pochon de weed, j’étais foutu ! J’aurais voulu crier à l’aide, mais quitte à vivre comme un ghetto youth, autant crever fièrement. Ma tête recula vers l’arrière. La balle allait rentrer dans mon crâne, me fissurer le front, s’engouffrer, ratatouiller mon cerveau embrumé par les drogues douces et la poésie. Et tout se fit noir dans la salle.J’me rappelais pas avoir fermé les yeux. C’était pas le contre coup de la lumière du gun, non, c’était autre chose. Je me sentis happé, aspiré en arrière. C’était une sensation toute nouvelle pour moi.
Je me retrouvai « là bas ». J’étais mort ? C’était ça la vie après la mort ? Tout était terriblement noir et froid, et je flottais. Y avait pas de sol, mais y avait des rochers qui gravitaient dans l’espace comme les ballons de baudruche d’une quincenieras ! J’dois l’avouer j’étais troublé. C’était quoi? Le purgatoire ?
Une voix rauque vibra dans ce qui semblait être de l’air, deux yeux gigantesques s’ouvrirent en plein milieu du néant. Leur couleur était boréale, profondément déstabilisante, leur forme, protéiforme. Je vis une putain de lumière blanche. Aussi lumineuse que les ténèbres apparus dans l’appart’ de Chester étaient sombres. J’me sentais à nouveau tiré en arrière, comme si la gravité tout à coup reprenait son sens newtonien. Et la Bim ! J’étais en bas de l’immeuble. Je vis la balle d’il y a quelques secondes traverser la fenêtre, la balle qui m’était destinée. Une fumée noire filtrait au travers de la vitre. J’entendais les mecs en haut tousser et des nouvelles balles traversèrent la fenêtre, ils paniquaient. D’un coup, je vis une tête cagoulée sortir par la fenêtre. Les mecs me cherchaient en toussant comme deux gros foncedars. Ils me captèrent, moi qu’étais couché sur le sol à demi dans les vappes. Il visa vers moi, j’avais à peine le temps de faire un « fuck » et de partir en courant. J’suis parti comme un dératé. J’avais déjà couru pour ma vie, enfin pour la vie de mon cursus scolaire, là, c’était différent. C'était comme courir
Les jours suivants je flippais à donf dans les rues du Bronx, j’avais tellement peur que les gens m’aient vu, qu’ils aient vu ce dont j’étais capable que j’osais pas rentrer. Chester finit par m’appeler, sorti de ses élucubrations du week-end. J’avais dormi dans la rue, pas à même le sol, on trouve toujours un coin tranquille quand on connaît les entrepôts et les coins de deal. Il avait retrouvé sa donzelle morte sur le sol, les porcs avaient rappliqué, mais elle était morte depuis déjà deux jours. J’suis allé chez ma tante le temps que ça se tasse. J’lui expliquais ce qui s’était passé, avec mes mots, en long en large, m’attendant à ce qu’elle me vire et qu’elle foute une bonne trempe. Mais rien, elle demeura silencieuse et porta sur moi des yeux compatissants. Elle me parla d’un institut, d’un certain Charles Xavier, de mutation, j’y bitais rien… A mes 17 ans, lorsque les dossiers d’admission étaient remplis, je reçus une lettre qui me proposât d’étudier dans ce même institut, avec photos et programmes de cours à l’appui. J’acceptai, ce qui me plût dans la brochure c’était qu’ils avaient un studio de musique. Pour être sincère, je savais pas, le moins du monde, où je mettais les pieds… Ma tante m'a juste dit que ma mère y avait étudié étant jeune. ça me fait une belle jambe...