[Terminé] Convalescence oui, mais pas que!

Le fait de voir Rocket essayer de marcher sans ses béquilles est encourageant, de mon point de vue. De celui de Leon, c’est surtout inquiétant. Mon maître de maison veille donc au grain, ce qui me laisse l’occasion de ne pas le faire et de me concentrer sur mes travaux. Lorsque j’annonce la fin de ceux-ci, Rocket les continue encore un peu en fredonnant un air qu’il ne me faut guère de temps pour reconnaitre. Ça me fait beaucoup sourire et m’amène à une décision : le Roi Lion dans le cinéma d’en bas, je-sais-pas-quand-parce-que-j’ai-bien-surchargé-l’horaire-déjà. Plus important encore, il y a moyen de faire quelque chose de la voix de Rocket ; j’en suis certaine. Pas forcément participer à mon spectacle d’Halloween car il ne tiendra pas le rythme de préparation et d’exécution, pas avec des béquilles ou son caractère aisément gêné devant un public, mais de façon plus personnelle… plan en cours de création, revenez plus tard.

Lorsque je m’assieds à son côté comme à distance suffisante pour limiter mon stress quant à mon odeur corporelle, il me répond simplement. Il préfère monter les gargouilles, même si c’est chiant, plutôt que ne rien faire.

« D'ailleurs, j'ai fini a l'instant, continue-t-il avec un fierté croissante. Le clan des gargouilles est au complet ! »

Après une seconde de bug, j’entreprends effectivement de compter les gargouilles qu’il a montées et alignées. Il y en avait 22 à faire et, si le minimum d’en faire 1,1 par jour était effectivement très bas, je ne m’attendais pas à ce qu’il me fasse tout en un seul après-midi ! Le compte est bon et la comtesse n’est pas mal non plus, même si elle est un peu sur le cul et qu’elle se demande ce qu’elle va faire faire à son invité à présent. Il faut néanmoins examiner chacune des créations afin qu’elle corresponde à mes critères ; même s’il s’agit d’une décoration de fenêtre qu’aucun invité n’approchera de trop prêt.

« Et ben, dis-je après avoir fini de compté et avant de me relever pour aller vérifier, tandis que lui s’étire. Bravo, t’a vraiment été productif. »

Je contourne l’atelier improvisé alors que lui s’en va et je passe la vingtaine de minutes suivante à prendre charque gargouille et à tout vérifier ; depuis les points de colle jusqu’aux enceintes. La confiance n’empêche pas le contrôle et je suis sacrément chiante quand je bosse. Pire que quand je bosse pas. Je ne veux que le meilleur. Je veux que tout le monde fasse les choses à son maximum, comme je les fais. J’autorise les erreurs afin d’en apprendre et je n’ai aucun souci à ce qu’il faille de nombreux essais. Commencer, échouer. Recommencer, échouer encore. Echouer mieux.  Les gens et moi-même recommenceront jusqu’à ma satisfaction.

Mon retard est encore accru par la volonté de me doucher avant le repas et celui-ci commence donc aux 22 heures. C’est, mine de rien, plus tôt que lorsque j’en étais encore avec mon spectacle A Princess Story puisque cet horaire me voyait rencontrer le spectateur au numéro chance. Après, c’est aussi trop tard pour Rocket qui est parti se coucher sans manger. Erreur faite, maintenant il me faut en apprendre pour m’améliorer.


J’ai trouvé quelques trucs à redire sur quelques gargouilles afin que Rocket puisse le reprendre puis je lui ai fait par d’une idée. C’est Halloween, c’est là pour faire peur même si on va être là pour s’amuser alors pourquoi ne pas s’amuser à faire peur à un moment ? J’ai commandé douze animatroniques histoire de servir de statues à la pause modulable… mais peut-être qu’il pourrait m’automatiser un peu plus les trucs pour qu’ils puisent agir de façon télécommandée ? Même si je n’ai rien dit concernant Simone, je sais que c’est possible même si ça reste plus compliqué lorsque l’électronique est rajoutée après et non sur les plans. Après je demande pas non plus que les animatroniques puissent participer à la danse. Je veux juste un gros jumpscare pour mes invités ! Comment ça, c’est stupide considérant qu’ils auront probablement des verres et/ou de la nourriture en main voire des talons hauts aux pieds ? Chut, ne me gâchez pas mon plaisir par anticipation.

L’ayant laissé travailler sur ça toute la matinée, je me suis concentrée sur mes réalisations artistiques. Et dire que les gens vont juste passer devant sans se rendre compte des détails faits sur mes stucs, ainsi que des heures passées à faire lesdits détails. Tant pis, tant que je m’amuse moi en les faisant. Sachant qu’emmerder mes amis fait parti de mon amusement, j’ai double ration !

Lorsque les onze heures arrivent, il est temps pour Rocket et moi de retourner à la plage pendant que les autres font leurs vies. J’ai bien quelques questions de Tarja lorsque je demande à Nathan d’embarquer le chevalet et à Enzo d’en faire de même avec le matériel de dessin mais tout se passe pour le mieux dans mon meilleur des mondes ; même si ma paire de deux s’en retourne à ses activités après. Oseront-ils nous laisser tout remballer par nous-mêmes ? Ils vont se faire remballer aussi si c’est le cas ! Après, je me doute que Nathan a d’autres Sarah-Louise à fouetter. Quant à Enzo, je sais pas. Il faut que je lui vole son téléphone pour savoir où il en est avec Maya Johnson, désormais qu’ils ne sont plus adversaires dans la négociation d’accord amiable afin d’éviter un procès civil. Comme je lui ai déjà dit, il fallait qu’il tombe sur une Maya alors que j’ai nommé la seconde ruche d’@robeez Maya, en rapport à Maya l’abeille. C’est un signe et non un cygne même s’il est question de chant !

Aujourd’hui, j’ai passé une veste aussi ample que légère par-dessus mon maillot de bain rouge et j’ai accompagné le tout de lunettes de soleil. On n’est pas sensé allé dans l’eau alors je me contente d’accompagner Rocket dans son appropriation de ma plage privée. Nous allons à son rythme, pas au mien, et il est inversement proportionnel à celui de manufacture. Comme je l’ai anticipé, la volonté de réussir le dessin comme la familiarisation avec le lieu permis par cette activité amène Rocket à s’approcher de cette eau qu’il craint. Je le regarde faire avec un sourire et de la distance.

Je n’ai rien à dire et beaucoup à sourire. Oui, cela n’a duré que quelques minutes mais Rocket a fait face à sa peur et a même mis les pieds dedans. Comment vainc-t-on sa peur ? En lui mettant les pieds dessus !

Lorsqu’il revient, je suis toujours allongée sur un transat mis ici spécialement pour moi et par moi, expliquant que j’étais trop prise pour pouvoir tout porter toute seule. Installée à côté de son chevalet, je reprends la bronzette tout en murmurant une chanson que l’on répétera tout à l’heure comme on l’a fait, tous les deux, hier.

« So prepare for the coup of the century.
Be prepared for the murkiest scam.
Meticulous planning,
Tenacity spanning… »

Oh que non, ce n’est pas chantonné par hasard. Peut-être que cela aidera Rocket à retrouver un peu de l’assurance qu’il avait en faisant les gargouilles. Peut-être que cela l’amènera à chantonner à son tour. Peut-être même qu’il parlera du chant. Peut-être un peu de tout ou un peu trop de rien. On verra bien.

***

Rocket me fait rire lorsqu’il me dit qu’il n’a jamais envisagé "ça" sur de la technologie terrienne. On a beaucoup de technologies télécommandées, y compris des animatroniques, juste pas ceux-là ! J’ai pas pensé à prendre la gamme au-dessus. Avoir un déclencheur à rebours plutôt qu’à télécommande me laisse perplexe : pourquoi se mettre un timer quand on peut juste appuyer sur un bouton ? Au moins a-t-il l’idée : la dernière musique s’arrête, on fait semblant de vaquer à nos vies pour que la soirée continue normalement et paf, ça fait bouh ! Après, si on peut éviter d’avoir à relier tout le système électrique de la Maison des Jardins à cette surprise ça m’arrange bien. J’ai une réputation à tenir et j’anticipe les problèmes. Surtout que les monstres seront pas dans des niches mais en guise de statue parce que j’ai besoin de certains d’entre eux pour une chanson. Puis s’il y a des mutants, faut éviter l’explosion de pouvoir incontrôlé. J’ai déjà donné dans une histoire comme ça et j’en suis sortie avec des fractures. Timer ou télécommande, à voir, tout faire sauter, à éviter !

Quant au fait que Rocket finisse tout ça en plus des gargouilles en une matinée, je suis encore une fois épatée par sa vitesse de travail. Comment je vais faire pour qu’il continue de participer durant les dix-neuf prochains jours ? Je vais avoir de nouvelles tâches à trouver ou sinon il nous regardera seulement faire. Il faut être deux pour monter les treillis et il faut avoir des capacités en sculpture pour suivre mes indications sur comment faire les stucs qui sont mis sur lesdits treillis… Je verrais plus tard.


Le fait que Rocket continue de chantonner après moi agrandit mon sourire. Mon plan a marché comme sur des béquilles, ce qui est plus efficace que marcher comme sur des roulettes puisque les roulettes sont faites pour rouler et que toute personne ayant essayé de marcher avec des rollers sait que cela ne marche pas. Enfin Bref, on continue la chanson jusqu’à la fin et je pense avoir une piste pour occuper Rocket sans ma supervision : qu’il s’entraine à chanter. Je sais pas pourquoi mais je l’imagine bien jouer de la guitare en même temps. Il a une tête de guitariste. De raton-laveur guitariste mais de guitariste quand même. De Raton Rocker ? Il faut que je lui apprenne du Johnny Halliday. Pourquoi ? J’en sais rien. Comme ça.

« Lucy, m’interpelle-t-il à l’interrogative et me faisant sortir de ma rêverie pour le regarder, faut que je te parle d'un truc, je voulais éviter, mais ça me turlupine. Ça concerne le scanner… tu as vu quoi exactement ? »

Mon "je ne suis pas un héros" se transforme en "je ne suis pas un véto" et je me décompose pas mal. Ce qui passe par le visage puis par le fait que je me recouche sur le transat pour réfléchir. D’un côté, je cherche les souvenirs. De l’autre, je cherche un moyen pas trop violent de parler de cela.

« Les implants, finis-je par répondre. Tous. »

Je me redresse et lève les jambes afin de pivoter sur mes fesses et de m’assoir face à Rocket. De la main droite, je l’invite en tapotant à en faire de même à mon côté ; s’assoir. Je tâcherai bien de me tenir en femme du monde, avec une dignité cavalière, mais la nature du sujet m’amène à courber l’échine et à appuyer mes avant-bras sur mes cuisses écartées.

« J’ai vu qu’ils ont altéré ta structure osseuse naturelle pour la rendre plus humanoïde, lui dis-je avec amertume alors que je fais rouler mon avant-bras sur mon genou afin de présenter ma main à Rocket, si jamais il a besoin de la serrer. Modifications des jointures de la queue et des jambes avec le bassin, des genoux, des omoplates et des épaules avec le thorax, et de la nuque comme de la tête. »

Avec des implants. Naturellement, les os sont tenus entre eux par les muscles ; qui les actionnent. Chez Rocket, il y a la plupart des endroits où s’est altéré par des implants comme celui qui a été endommagés. Il a donc fallu retirer les muscles naturels pour faire accéder aux os puis faire l’espace dans les articulations de ceux-ci afin de mettre les "correcteurs" et de rendre le tout plus humain. Il a ensuite fallu remettre des muscles, sans doute artificiels et adaptés à la nouvelle anatomie, pour actionner le tout. Cela explique la force et la résistance accrues de Rocket. Cela explique aussi qu’il a été littéralement démonté, comme les animatroniques de ce matin.

« Remplacement des pieds et des mains… ainsi que d’une partie de la cage thoracique et de la colonne vertébrale… »

Avec des implants toujours, qui sont d’ailleurs visibles puisque Rocket ne porte qu’un maillot de bain. Cela dépasse sur son torse, deux boutons au travers de sa fourrure que je crains destinés à ouvrir plus facilement la cage thoracique pour accéder aux organes vitaux. Cela dépasse de son dos, des bouts de colonne vertébrale mécanique ainsi que des points de liaisons avec des omoplates toutes aussi cybernétiques. J’imagine sans peine que la partie centrale, qui semble pouvoir se brancher à quelque chose, aille de paire avec une table opératoire afin d’empêcher le système nerveux altérer de Rocket de bouger alors qu’on lui fait… le reste.

Je plisse les yeux et serre la gorge. Cela m’écœure. Et je suis des plus à l’aise avec les dissections et les opérations. Je serre sa main aussi, pour lui prouver que je suis là. Je ne peux pas avoir de l’empathie avec ce qu’il a subit car je ne suis pas capable d’imaginer la douleur, sous réserve qu’il n’ait pas été sous anesthésie, ni comment on peut vouloir infliger cela à une créature vivante. Par contre, il a toute ma compassion.

« J’ai aussi vu la marque des implants. OrgoCorp. »

Sont-ils seulement les producteurs des implants ou aussi les malades qui les ont utilisés sur Rocket ? Je l’ignore et ne le demande pas.

« Et j’ai également vu le mécanisme de mise à mort lié à ton cœur, ajoute-je en tournant un visage désolé vers mon ami. Comme nous avons pratiqué des opérations… disons "similaires" à ce qui t’a été fait…. on n’a rien déclenché. Mais c’est là. »

Je me tourne des fesses et du buste pour amener mes jambes contre celles de Rocket et lui poser ma main libre sur le torse. Sur le cœur.

Rocket acquiesce comme il encaisse : résigné. En serrant ma main comme je serre la sienne. Migre-t-il vers l’apathie ? Je n’en sais rien. Je sais que, si c’est le cas, cette apathie serait surement dérivée du déni. Ou pas. Je n’en sais rien non plus. C’est le genre de moment où l’on se rend compte que la réalité n’a aucune limite à la cruauté des actions que l’on peut y accomplir. Tant que l’on respecte les lois de la physique, les lois de l’univers, on peut tout faire. Sans jugement. Sans obstacle autre que la causalité. Je suis sensible à ce sujet. Il me retenait de faire mes inventions de peur qu’elles ne deviennent des armes. Il me retient toujours, même si la moins dangereuse d’entre elle est terminée. Je veux faire sourire et rire. Je veux faire rêver et aimer. Je veux prévenir et, à défaut, guérir. Comment guéri-t-on de quelque chose comme ce qui est arrivé à Rocket ?

Souris-moi, mon ami. Je le fais aussi. Chez toi, c’est forcé. Chez moi aussi. Est-ce cela qui te fait lâcher un pouffement nerveux ? Je n’ai pas la mimétique pour lui, désolée. Surtout que, sans surprise, tu savais. Qui d’autres ? Qui sont ceux dans la confidence et qui sont ceux dans l’ignorance ?

Vous l’avez tous ; qui, vous ? Greasy est un indice. C’est le seul autre "comme toi" que je connaisse. Enfin, presque. Je le connais presque car il n’a pas aussi bien guéri que toi et il ne veut pas me rencontrer ; même pour être payé plus. Je comprends pourquoi à présent. Encore plus qu’autrefois. Quand au déclenchement… Je te regarde avec une question sur les sourcils relevés car elle n’atteindra jamais mes lèvres : qui essais-tu de convaincre, Roro ? Est-ce moi ou est-ce toi-même qui doit emmurer le doute derrière la certitude qu’il n’y a aucune raison que ça se déclenche ? Plus important encore : comment veux-tu essayer de convaincre qui que ce soit lorsque tu n’arrives pas à te convaincre toi-même. Défibrillateur. Tir à bout portant. Roro, t’es mignon mais t’es un peu breton sur ce coup-là : les tirs font parti de ton métier tandis que les défibrillateurs de ceux qui essayeront de te sauver si tu es blessé ! Il n’y a aucune autre raison que le système se déclenche autre que le temps. Cette constatation me fait détourner le visage de toi, fermant les yeux. J’entends ton cœur battre sous la paume de ma main, derrière les cotes artificielles et enserré dans l’éteindre d’une machinerie encore pire. J’imagine la cage de fer et le serpent prêt à mordre, Rocket.

Puis tu m’achèves.

« N'en parle pas. »

Trois mots qui comptent comme une déclaration à mort. Je rouvre les yeux pour te faire face. C’est froid. Tu continues tes explications. Qui. Pourquoi. Pour eux. Pour toi. Je soupire. Je sais quoi répondre mais j’attends que tu finisses.

« Pour en être débarrassé, il faudrait aller la bas pour retrouver notre créateur et obtenir les codes nécessaires, déclares-tu sans me surprendre le moins du monde, même si je remercie silencieusement ma Chance de ne pas avoir essayé de désamorcer le truc durant les opérations que tu as eu au début du mois. J'ai pas envie de retrouver cette enflure. Je lui ai refait le portrait, c'était pas beau à voir. »

Mes lèvres se pincent. Je continue de te fixer. Je compte jusqu’à trois secondes.

« Je ne leur dirais pas, promets-je avec une voix douce et basse, car tu le feras toi. »

Je lâche ton cœur et ta main, Rocket, afin d’user de mes mains comme appuis. Je recule mes fesses sur mon transat puis lève mes jambes et tâche de te les mettre dessus. Tu as bien lu : dessus. Si tu te laisses faire, tu auras mes mollets sur le torse. Si tu résistes, tu auras mes mollets sur les cuisses. Dans tous les cas, miaou.

« Si t’es pas sous la cloche c’est que tu l’es toi-même, dis-je avec une voix un peu plus forte et un parlé un peu plus rapide, insistant encore un peu des jambes. Tu trouves pas que mon manoir est une cloche ? Moi je trouve que s’en est une à mon échelle. »

Un peu d’humour pour essayer de faire passer la pilule comme la chatterie ; c’est comme une ânerie mais en plus chat. Et je parle de mes jambes, pas de ma déclaration ! Quoi qu’elle aussi est bien moi, ma déclaration. Tout sonne bien. Comme les cloches, évidemment !

« Tu trouves que flipper parce que le moindre coup de feu a deux fois plus de chance d’être mortel pour toi que pour quelqu’un c’est cloche ? Ou que le fait d’essayer de te sauver puisse te tuer c’est cloche ? »

Lorsque je sais où mes jambes sont posées, je relâche mes appuis manuels et m’allonge sur le dossier de mon transat. Je pose les mains sur mon ventre avant de me rappeler que c’est pas la bonne position pour bronzer et les ramènent sur la toile (du transat) à côté de moi. Je te parle en regardant le ciel.

« Si oui, à Pâques prochain on se chargera de la livraison. Et je sais que t’as pas les références pour comprendre les images que j’ai dit… mais je vais garder mes jambes sur toi jusqu’à ce que t’ais le sens. »

Ou que l’horaire nous rattrape mais chut c’est un secret de Polichinelle et il n’est pas là.

« Je comprends que t’ais pas envie de le retrouver. Ton boucher. Tu es ton propre créateur. Enfin Bref : je comprends que t’ais pas envie de le retrouver. Que t’ait peur de ce que tu peux lui faire. De ce qu’il peut encore te faire. »

Sous les lunettes de soleil, je ferme les yeux. J’aimerai pouvoir me concentrer suffisamment sur mon toucher pour sentir ton cœur battre contre mes mollets mais ça n’arrivera pas. Même si j’ai les mollets sur ton torse.

« Maintenant, réfléchis à ceux que tu aimes. Réfléchis à ce qu’ils ressentiront lorsqu’ils découvriront la rose que tu caches sous la cloche. Lorsqu’ils découvriront qu’ils ne peuvent pas te soigner ou, pire, qu’ils t’ont tué en essayant. »

Bon, en plus du Roi Lion il va falloir que je te montre la Belle et la Bête. Et la Petite Sirène. Et Shrek 2. Et Monster High. Et Hocus Pocus. Et que je t’explique les cloches de pâques. Sinon tu vas jamais comprendre toutes les références que je fais. Remarque, si t’arrêtes de bosser avec nous, ça t’occupera les après-midis d’au moins trois jours toute cette histoire. Ces histoires. Revenons-en à la tienne, je ne t’oublie pas.

« Je ne leur dirais pas car c’est à toi de leur faire. Sinon tu les auras trahis. Donc je refuse de pousser mes jambes de sur toi tant que tu ne me promets pas que tu leur diras. Une vraie promesse : si tu ne tiens pas la tienne, je tiendrais la mienne et le leur dirais. Deal ? »

« Hey, commence-t-il a protester lorsque je commence à essayer de lui mettre mes jambes dessus, sans me faire ralentir le moins du monde. Qu'est-ce que tu fabrique ? »

Si ça ne le fait pas encore, cela ne va pas tarder à se voir !

« Arrête, c'est pas réglo ça ! »

Miaou. Votre argument est invalide.

Est-ce que je crains un instant qu’il me griffe les chevilles ? Plusieurs même ! Mais je prends le risque. Je me permets cette marque d’amitié qui m’est très personnelle. Tant le fait de littéralement m’allonger sur lui que de lui faire un deal qui pourrait ressembler à du chantage. Rocket finit par se laisser faire et j’en suis pleinement satisfaite. Dégager mes jambes n’est pas difficile, elles ne sont pas bien lourdes, mais c’est une question d’acceptation plus que de force. Dégager mes jambes c’est refuser que je sois là comme je désire l’être. Rocket l’accepte.

Il trouve que la Maison des Jardins ressemblent plus à un cocon. C’est pas faux : il est arrivé chenille, à défaut d’avoir le plâtre en guise de cocon, et il repartira papillon, à défaut d’avoir un jet-pack en guise d’aile. L’image me va. Je ne peux retenir un sourire amer lorsqu’il parle de s’être habitué à "mon monde". Ce n’est pas mon monde. Mon monde est d’interconnexions et d’influences, un lieu où ma vie est majoritairement tracée avant ma naissance et où des personnes de deux fois mon âge ont tout droit d’exprimer leurs avis sur la manière dont je la mène. La Maison des Jardins me permet de fuir ma vie afin de me ressourcer et c’est bien pour cela que j’ai proposé à Rocket d’en faire de même. Après, je préfère clairement ma vie à la sienne : j’ai mes antagonismes et mes conflits mais ils sont moins douloureux que les siens et ils portent plus facilement des fruits. Merci ma Chance, toujours. Encore après, impossible de fuir à jamais. Il faut faire face et c’est quelque chose auquel je suis habituée ; il faut bien, je suis une femme du monde.

« Ouais, ça c'est cloche. Je dirais même que c'est ballot, continue-t-il en me faisant avoir envie de lui demander "de paille ?", mais c'est comme ça. Je ne l'ai pas choisi et je dois vivre avec, pas le choix. »

Je pourrais répondre qu’il a le choix d’essayer de s’en débarrasser mais je préfère passer par la compréhension de pourquoi il fait le choix de ne pas essayer. C’est plus constructif. Je ne vois pas son expression puisque j’ai les yeux tournés vers le ciel puis les paupières clauses. Il n’a pas peur de lui ? Alors pourquoi est-il dans le déni sur le fait que son boucher peut encore lui faire des choses ? Une raison simple du refus de le retrouver est la peur d’être recapturé et réexpérimenté. Est-ce encore une question d’éviter la faiblesse à tout prix, comme avec l’omission sur le mécanisme de mise à mort ?

Rocket "sait très bien ce que ça implique". Qu’est-ce que je veux qu’il leur dise ?

« "Hey ! Salut les amis, au fait, je vous l'ai jamais dit mais je risque de clamser en mission si je prends un mauvais coup. A part ça, tout roule ?" »

Il me fait sourire avec son sarcasme et je me retiens de répondre que, non, je ne voudrais pas qu’il dise cela : tout le monde risque de "clamser en mission s’il prend un mauvais coup". C’est le principe d’un métier dangereux. Rocket a juste des prédispositions pour cela. Quant à la "grosse ambiance en prévision", elle me fait soupirer. Mon monde est plein de ce genre de "grosse ambiance" et mon simili-procès par ma famille après les attentats en était un. Ce n’est pas une mauvaise chose. Ça veut dire que c’est important.

« Et en admettant que je le dise, ça changera quoi, me demande Rocket en me faisant rouvrir les yeux et les baisser vers lui, sourcils relevés d’une désagréable perplexité. Ils pourrons rien faire de plus, hormis me garder en confinement jusqu'à nouvel ordre. »

Eh ben, c’est là toute la foi qu’il a en ses amis ? Après, il les connait mieux que moi et l’option "protéger le temps de trouver la solution" est parfaitement sensée. Juste que ce n’est pas ainsi qu’il en parle. Le fait qu’il se soit évadé de vingt-trois prisons me met mal à l’aise, me ramenant au fait qu’avant d’être un héros il était un criminel et qu’il est probablement toujours recherché dans plus de planètes que celles où il ne l’est pas.

Son espérance de vie "est ce qu’elle est", réduite et inférieure à celle d’un humain, mais "il ne se sent pas encore prêt pour la retraite". Mon optimisme me dit d’être satisfaite du progrès : il y a deux semaines, il se pensait incapable d’échapper à la retraite forcée par sa blessure. Maintenant, il se refuse à ainsi baisser les bras. Mon accompagnement amical marche !

« Dis-le comme ça vient, dis-je comme ça vient aussi, même si c’est chez moi une habitude un peu chaotique. Comme ce que tu viens de me dire. Que tu n’as pas envie qu’on te cocoone pour ça. Que tu as besoin de leur aide pour changer les choses. »

Je recule mes coudes et mes avant-bras afin de redresser ma tête pour fixer Rocket. Je fais même l’effort d’équilibre de relever une main pour en fait de même avec mes lunettes de soleil et le regarder dans les yeux sans rien entre nous.

« Tu parles de mon monde, dis-je avec douceur, sans reproche.  Sache que, après une nuit blanche et une journée à parcourir les hôpitaux ainsi qu’une nuit guère plus colorée à m’inquiéter pour toi et une journée à superviser ton opération, mes parents m’ont convoquée à la demande de deux de leurs employés pour sanctionner mon comportement. "Grosse ambiance" là aussi. Productive, cependant. »

La pause dans mes mots s’accompagne d’un sourire dont l’amertume se teint de contentement.

« S’ils étaient là à me faire des reproches et à me proposer des pistes d’amélioration, c’étaient car cela leur importait. Je ne crains pas le conflit. Je crains la stérilité. La stagnation. »

S’améliorer et améliorer les choses est une quête éternelle. Beaucoup, pour des raisons toutes aussi nombreuses, l’ont abandonnée. Ils se contentent de rester à leur niveau sans trouver que s’améliorer vaille le coup. Il n’est pas dur de me faire me remettre en question car j’ai besoin de faire le tri des critiques qui me sont faites afin de trouver les pertinentes et les constructives. M’entourer de personnes qui me tirent vers le haut est primordial pour cela. Je suis née parmi des personnes de ce genre. J’ai grandi parmi des personnes de ce genre. J’en suis reconnaissante à ma Chance.

« Je comprends que tu ne sois pas encore prêt, dis-je à Rocket avant de me rallonger et de remettre mes lunettes. Tu dois comprendre qu’il faut que tu te prépares, de ton côté. D’autant que monsieur Barton a lu les rapports médicaux te concernant. Il sait. »

Reste à déterminer qui sait, à présent. Je n’ai pas la moindre idée d’à qui Hawkeye l'a dit ; tous les Avengers me semblent concernés de même que les Gardiens de la Galaxie mais je ne sais pas à quel point les deux groupes échangent. La disparition des Gardiens durant les Années Sombres et l’intégration de Rocket et de Nebula au sein des Avengers me dit qu’ils doivent être plutôt ouverts mais c’est une supposition. Renforcée par le fait qu’un vaisseau des Gardiens continue d’être utilisé par les Avengers, même lorsque les Gardiens eux-mêmes ont été reformés et que plusieurs sont repartis dans la Galaxie. En plus de cette double allégeance de Rocket se trouve celle de l’agent Barton, entre Avengers et SHIELD. Peut-être que le SHIELD est au courant et, si c’est le cas, il faut voir quels agents le sont. J’ignore les fonctionnements de tout cela mais je suis habituée à raisonner en système comme à rendre des comptes. Ou qu’on m’en demande.

« Je peux t’aider à te préparer, Roro, promets-je avec cette même douceur qui accompagne la "grosse ambiance" que l’on a créé ici. A être prêt. A parler aux autres… même si c’est pas forcément une bonne idée. A préparer vos retrouvailles avec ton boucher pour qu’il te libère le cœur. De préférence de façon légale mais je suppose que ça sera compliqué. »

Très franchement, s’il y a un moyen de "racheter" Rocket, je suis prête à le faire. J’ai aussi conscience que le droit intergalactique doit être encore moins structuré que le droit international et qu’on s’en va vers la première crise interplanétaire de la Terre dans cette histoire. Mon grand père a démontré son génie en participant à une guerre. Je risque d’avoir à en faire de même. Les @robeez ne seront pas suffisantes pour cela et mon cœur se serre d’inquiétude alors que mon cerveau sait déjà quelles armes je peux créer pour participer en essayant de minimiser les pertes des deux côtés. Litière…

Rocket ne répond pas tout de suite alors je reste là à le regarder, menton contre le buste et bras en équerre pour me tenir sur le transat. Lorsqu’il finit par le faire, ses dires me surprennent d’abord et m’attristent ensuite. Il y a tellement de colère de classe et de mépris dans ses paroles que j’en relève la tête et la laisse tomber en arrière. Je ne cherchais pas à passer pour la victime. Tâcher de voir l’attachement qu’il a envers moi au sein de cette haine qu’il développe pour les miens ne m’empêche pas d’être triste pour sa vision et ses préjugés. Il y a des points qui sont vrais si on les nuance : le sort des inconnus ne nous concerne pas forcément. On ne combat pas la pauvreté. Personne ne peut réellement combattre tous les maux du monde. Se le faire reprocher est cependant aussi contreproductif que blessant ; et hypocrite de la part de ceux qui le font.

« Ils peuvent dire tout ce qu'ils veulent, pour moi c'est toi qui a eu raison, me dit-il en me faisant grimacer de malaise et de tristesse, puisqu’il y avait des raisons et des torts des deux côtés. Et je ne pense pas que tous ceux que tu as aidé dirons le contraire. »

Il y en aura toujours, parmi ceux que j’ai aidé comme parmi ceux que je n’ai pas aidé voire qui n’ont aidé personne et trouvent que me critiquer moi est une manière d’aider mieux que moi, pour y voir mon intérêt personnel. Rien n’est tout blanc ou tout noir : j’ai aidé les gens et j’en ai retiré quelque chose. De la bonne presse. Je n’ai pas agi primairement pour cela mais parce que je me sentais impliquée dans cette affaire. J’ai néanmoins gagné le fait d’être une philanthrope et confirmé ma position de pro-mutante, deux points qui sont utiles à me faire de la publicité. J’ai proposé le FGS aux victimes pour qu’elles guérissent plus vite et pour qu’on puisse expérimenter celui-ci. Gagnant-gagnant. Il est facile d’adopter une vision tunnel et de laisser ses préjugés combler le noir. C’est ce que Rocket fait actuellement. Il est aussi facile d’adopter une vision tunnel sur les mots qu’il dit et de perdre l’attachement qui le motive à ainsi me défendre. Un attachement qui me fait sourire, accompagnant la tristesse d’un peu de joie, et me fait relever la tête vers Rocket. J’ai fait de bonnes choses comme j’en ai fait de mauvaises et j’en ai faites de bonnes d’une mauvaise façon comme j’en ai faites de mauvaises d’une bonne façon. Plus on se renseigne sur un sujet et plus on découvre qu’on en sait peu : tout est toujours plus compliqué qu’il n’y parait. J’ai gagné quelque chose à aider les autres, comme dit, et on peut considérer que je gagne sa loyauté à l’aider lui. Je l’ai rencontré de la mauvaise façon mais cela a abouti sur une bonne chose. Reste à savoir si je lui parle de tout cela.

« Tu es une héroïne toi aussi, me dit-il avec l’un des plus beaux sourires qu’il m’ait fait et qui augmente mon propre sourire, à ta façon. »

"A ma façon". Pourquoi est-ce que j’ai l’impression d’être un chat qui vient de sauter en étant persuadé qu’il atterrirait sur le meuble en face de lui et qui a découvert la gravité en tombant à pique ? "A ma façon". Forcément ! Je suis Moi. Je fais tout à ma façon. C’est parfois un problème d’ailleurs. Je change de sujet. Pas par fausse modestie ou par gêne mais parce qu’il me faut du temps pour réfléchir à casser ou non cette admiration que je cherche tant. Et parce qu’il faut que Rocket comprenne aussi qu’il peut prendre le temps de réfléchir et de se préparer. Je ne fais pas un hors sujet, juste une tangente. A ma façon.

Cela détruit le sourire de Rocket. Cela détruit le moment de contentement qu’il a réussit à se créer. J’en perds mon sourire aussi. Je propose mon aide. Il imagine qu’il n’a pas vraiment le choix. On a déjà abordé ce point ou alors c’est juste moi ? Quant à taper un scandale jusqu’à libération lorsqu’on se trouve devant une porte fermée, j’approuve avec un doux sourire et un miaulement mental convaincu. Bonne technique. Le chat en moi approuve totalement.

« De façon légale… Lucy, au cas où tu ne le saurais pas, je suis le fruit d'expériences illégales, insiste-t-il pour faire à nouveau disparaitre mon sourire au profit d’une tristesse accompagnée d’une certaine résolution froide ; il insiste sur un point, j’en vois un autre. Ça veut dire que mon existence elle-même n'est pas légale. Je sais que tu veux bien faire, mais sur ce coup-là ça va forcément coincer pour des raisons évidentes.

- Ton appartenance à une société est une question de légalité, réponds-je avec douceur même si la froideur reste là : ce que je dis n’a pas à être discuté. Ton existence, non. Tu appartiens à la société humaine. Si d’autres n’en veulent pas, qu’importe tant que tu ne vas pas sur leurs territoires. »

Commençant à avoir mal au bas du dos, je replis les jambes puis pousse sur celles-ci afin de me redresser et de m’assoir. Rocket a désormais un petit chapiteau de mes cuisses et mollets qui ne le retient plus vraiment. Mais moi je m’étire. Puis le surplombe.

« Si tu es le fruit d’expériences illégales, elles entrent donc en conflit avec une autorité légale, lui dis-je avec un petit sourire satisfait. On peut donc les arrêter légalement en aidant cette autorité. »

L’expérimentation sur les animaux est légale dans la plupart des pays de la Terre, ainsi n’est-il pas possible d’empêcher les expérimentateurs d’agir ou de leur nuire légalement. Si Rocket est le fruit d’expériences illégales, on peut agir légalement. S’il était le fruit d’expériences légales, on aurait dû entrer dans l’illégalité pour pouvoir les arrêter. Je peux donc bien faire. Merci ma Chance.

« Je ne veux pas toujours bien faire et je ne fais pas toujours bien, signale-je en posant un bras sur mes genoux, laissant la main pendre au-dessus du visage de Rocket. Je veux être dans la légalité car elle protège. C’est comme avec les jeux : si on essaie de tricher, on n’est pas sûr de gagner mais on est sûr de perdre si ça ce sait. »

J’hausse les épaules en accompagnement de ma démonstration de l’évidence par comparaison.

« Il vaut mieux de pas tricher, du coup. Il faut étudier les règles pour comprendre comment maximiser ses chances de gagner. Comme avec l’ingénierie : tu étudies comment ça fonctionne pour maximiser les chances que ça fonctionne. »

Même si tu te retrouves souvent avec des trucs qui devraient marcher mais qui ne marchent pas ! Ou, moins souvent, avec des trucs qui ne devraient pas marcher mais qui sont pas au courant et marchent quand même. Ça arrive aussi. La grande majorité du temps, tout le monde va dans le bon sens ainsi ce qui marche marche et ce qui ne marche pas ne le fait pas. Reste à déterminer si mon cerveau marche ou pas. Le jury débat et le cerveau aussi, avec possiblement un "se" devant.

« Maintenant, si tu n’as pas le droit d’exister dans la société de l’autorité qui considère les actions de ton boucher comme illégales… il faut voir comment tu peux obtenir ce droit d’exister afin de pouvoir aider à apporter la Justice aux actions illégales. »

Je lève l’index qui se trouve au-dessus du visage de Rocket, avant-bras sur mes genoux, afin d’attirer son attention. Parallèlement, j’approche l’autre main afin de la pauser sur son épaule sans qu’il le voie. C’est un tour de magie improbable de marcher mais qui ne tente rien n’a rien.

« Encore maintenant, ce qui est après le maintenant précédent mais toujours maintenant grâce à l’unicité du présent, il me faut beaucoup plus d’informations sur le fonctionnement de la société impliquée et je n’ai aucun souci à attendre que tu sois prêt à en parler. Comme pour la nage : je serais avec toi pour quand tu essaieras mais je ne te forcerais pas à essayer. »