Elle me prend au sérieux. Elle sait que je n'éprouverai aucun remords à ordonner la mort de son ami. Elle doit même supposer que ça me fera plaisir. Pas vraiment. C'est un humain. Je l'aurais tué si j'en avais eu l'occasion, mais uniquement parce qu'il le fallait. Mais s'il y avait quelqu'un à tuer, ce serait plutôt cet enfoiré de téléporteur qui me l'a pris sous le nez au moment où j'allais m'en débarrasser. Celui-là, si je le retrouve…
Elle réfléchit. Je sens que ça vient… Enfin, je vais enfin avoir la réponse à ma question, j'aurai enfin une petite victoire dans cette affaire. Mon superviseur nous écoute, il va pouvoir constater que je maîtrise la situation. Je jubile intérieurement, j'esquisse même un léger sourire.
J'écoute les mots de la mutante. Je serre les dents. Mon sourire s'évanouit. Je me contrôle pour ne pas laisser éclater ma colère et ma frustration. Je serre le poing autour du manche du marteau, à en avoir les phalanges qui blanchissent.
Elle ne sait rien.
Elle ne me ment pas. Je le vois, je le sens. Elle ne sait rien. Nous avons fait tout ça pour rien. Elle ne saura pas non plus où se trouve son chef. Elle le croit mort. C'est un nouvel échec. Mon bras commence à trembler. Ma respiration se fait plus forte alors que je tente de maîtriser ma colère. Elle rit. Elle se moque de moi ? Mon regard s'emplit de haine. Je lève lentement le bras qui tient le marteau. Je vais lui faire passer l'envie de rire. Je prends une grande inspiration. Le coup va tomber. J'arme mon bras.
« JOSHUA, NON ! »
La voix est féminine, autoritaire. J'entends derrière moi le clic caractéristique d'une arme à feu qui se charge. Je me fige, le bras en l'air, arrêté dans mon mouvement. Je tourne la tête vers Valentina qui s'est levée et est sortie de l'ombre. Elle pointe un revolver sur moi. Je la fixe quelques instants, immobile. Puis je lance le marteau violemment contre le mur, en poussant un bref et puissant hurlement de rage qui résonne dans la salle.
« AAAAAH !!! »
Je fais quelques pas dans la pièce, des pas rapides et lourds. Je dois contrôler ma colère. Ma colère ne doit pas me contrôler. Je dois poursuivre la mission. Je ne contrôle pas la situation. Je n'ai pas mon mot à dire. J'ai envie de hurler à nouveau. Je porte la main à mon oreillette. Ma voix tente d'être calme mais la rage que je contiens la fait légèrement trembler.
« Elle ne sait rien. »
Il me dit qu'il l'avait compris. Il me demande des explications sur ce qu'il vient d'entendre. Je serre la mâchoire. Il me dit que ça se réglera plus tard. La peur se mêle à la colère. Plus tard. Plus tard. Je dois me concentrer sur le moment présent. Mon petit moineau.
« Permission de tuer la cible ? »
Permission refusée. J'accuse le coup. Je tourne le dos à la mutante pour ne pas qu'elle voie ma faiblesse, la déception dans mon regard, l'envie dévorante de lui éclater la cervelle et qu'on ne me permet pas d'assouvir. Je fixe Valentina. Elle remet son arme à sa ceinture et recule de nouveau pour retourner dans l'ombre. Inutile. Comme Kath'. Comme moi.
So let me fall, let me break Under everything unsaid Just let me die 'cause I can't take Living with what's in my head If I surrender, surrender To the monsters in me If I surrender, surrender To the monsters in me Will it set me free?
Dans la nuit du 28 au 29 septembre Entrepôt de Ridgewalk
J’ai mal… En fait, je n’arrive même plus à dire à quel point j’ai mal. Mes tempes sont brûlées ainsi qu’à tous les endroits où ils ont posé une électrode sur moi. Le peu de sang qu’il me reste me semble… frapper violemment à mes tympans à chaque battement de cœur. J’ai mal. Je tremble de froid, mon bouclier thermique n’étant toujours pas revenu et étant toujours trempée. J’ai si peu d’énergie que je n’arrive pas à me réchauffer, je commence même à me demander si la première chose qui va me tuer ne serait pas l’hypothermie… Ma jambe me lance toujours, je sens la chair déchiquetée. Le pansement de fortune ne sert à presque rien, juste à éviter que je me vide trop vite de mon sang, que je puisse répondre à leurs questions, que je leur serve assez longtemps.
Et pourtant, je ne sers à rien. Car à cet instant, je ne pouvais ni aider qui que ce soit. Et là, là maintenant, je craignais qu’une chose : que Samuel ne meure par ma faute. Et ça, je le refuse, je ne peux pas l’accepter. Je ne veux plus de victime supplémentaire, je ne veux pas ajouter son nom sur la liste des gens que j’ai perdu. C’est trop, je ne le supporterai pas.
Alors je tente de rassembler mes pensées, je me fais violence, mon corps et mon esprit meurtri le sont plus encore tandis que je vais au-delà encore, que je puisse dans mes forces ou ce qu’il en reste… Et je finis par répondre, le cœur battant à tout rompre. J’ai peur, j’ai terriblement peur qu’il ne décide de le tuer, qu’il décide malgré tout d’en finir, pensant que je mentais… Et il écoute. Il écoute avec attention. Il n’y a qu’un grand silence après mes mots. Silence durant lequel son sourire disparaît. Mes yeux glissent vers sa main, je vois qu’il serre plus encore sa main sur son marteau. Est-ce qu’il va finir par l'utiliser ? Il semble… différent en tout cas. Je le fixe, ma vision est de plus en plus floue mais…. Au milieu de cette contemplation de qui me paraît être une… perte de contrôle de sa part, je lâche le mien. J’éclate de rire. Un rire de désespoir face à ce que je viens de dire, à son attitude, à … tout. J’ai envie de perdre le contrôle, je ne veux plus me battre.
Je le fixe alors. Je crois que je l’affronte même du regard. Est-ce qu’il oserait ? Je suis face à lui, sans défense, sans la moindre possibilité de répliquer. Est-ce qu’il serait aussi lâche et déshonorable que cela ? Je le vois trembler. Je le vois devenir un monstre, sa respiration se fait plus profonde. Je continue à le fixer, sans rajouter un mot, mais je le lâche pas ses yeux. Son bras se lève dans l’air, sans un mot. Il a pris sa décision. Je ne peux pas bouger, je crois que je ne chercherai même pas à l’éviter. Je l’observe faire. Nos respirations se synchronisent un instant. Cela me paraît étrange sur l’instant, mais au final, c’est aussi un homme. Un monstre mais un homme. Je fixe le marteau dans les airs, sentant qu’il est sur le point de frapper, qu’il va abattre sa colère sur moi, sur tout ce que je représente à ses yeux. Et justement je remonte le regard à nouveau sur ses yeux. Cela va bientôt se finir. Pourvu qu’il vise bien, que je ne sente plus rien, que je sois enfin libre. Je ferme les yeux et intérieurement, je soupire de soulagement, attendant que la foudre tombe.
« JOSHUA, NON ! »
Et la foudre ne tombe pas. Le coup ne vient pas. J’ai entendu, je crois comme une sorte de claquement. Une arme ? Je rouvre les yeux uniquement sur lui, sur son visage blanc et ses yeux de glace. Il s’est arrêté, comme si c’était lui qui avait pris l’éclair. Qu’est-ce qu’il fout ? À quoi il joue ? On fait pas un “1, 2, 3, soleil” là… Mais la voix qui a dit ça, qui a hurlé un nom… son nom, celui de l’Archer ? Il s’est arrêté alors oui, probablement. Je n’ai jamais réellement considéré qu’il puisse avoir un nom. Cela l’aurait rendu trop humain à mes yeux. Pourtant, ça y est, je connaissais son nom. Joshua. Mais je finis par tourner la tête, pour voir que l’ombre du coin a finalement décidé de sortir des ténèbres. Et elle tient en respect l’Archer. Elle le tient en joue. Qu’est-ce que je donnerais pour être à sa place, pour tenir cette arme braquée sur Lui. Joshua la fixe également. A quoi les deux jouent ? Ou c’est moi qui aie freezer ?
« AAAAAH !!! »
Mais non, le temps reprend son cours quand l’autre décide de laisser sa colère enfin explosé, autant par la voix que par un lancer de marteau dans le mur qui aurait été très douloureux si je l’avais pris en pleine tête vu la marque que cela a laissée. Et lui n’a pas fini visiblement, on dirait qu’il devient fou, qu’il est à deux doigts d’imploser. Qu’est-ce qu’il l’en empêche ? L’arme braquée sur lui ? Mon corps se laisse encore une fois tomber contre le fauteuil, ma tête contre le bois. Ma respiration se fait bien plus profonde, bien plus rauque. J’ai l’impression d’avoir à nouveau les côtes brisées. Putain j’ai envie de lâcher prise, enfin… …
« Elle ne sait rien. »
J’ai fermé les yeux un instant, et les rouvres brutalement en entendant sa voix. Je le fixe à nouveau. Et l’autre a toujours son arme braquée sur lui. J’ai juste fermé les yeux. Et j’ai toujours mal. J’ai dû loupé que quelques secondes seulement. Rien de plus … Juste le silence. Mais ils vont faire quoi ? Elle ne l’a pas encore tué en tout cas…
« Permission de tuer la cible ? »
Et un nouveau silence répond à sa question. Je ne lâche pas ses yeux. Est-ce qu’il va vraiment le faire ? Je crois que je le défie à nouveau du regard. Mais rien, Non, il se retourne. Pourquoi, à quoi il joue ?! Qu’est-ce qu’il va encore faire pour me briser, pour me torturer ? Et l’autre aussi recule et retourne dans son coin. Elle aussi à une oreillette ? Putain je veux savoir, je veux savoir ce qu’ils ont décidé !
-Alors les dés sont jetés, tu vas pouvoir enfin finir ce que tu as commencé ? Ou tu vas suivre les ordres comme le bon petit chien que tu es ?
Est-ce que je cherche à le rendre fou ? Oui je crois. Je veux qu’une fois pour toute, j’arrête de souffrir. Je veux qu’il se concentre sur moi, sur moi uniquement. Qu’il défoule toute sa rage et qu’il en finisse. De toute façon, je ne leur sert visiblement à rien, et tout ce que j’ai jamais protégé ces derniers mois n’était que du vent. Ou alors je n'étais pas assez confiance pour savoir ce qu’il y avait à protéger, à vraiment protéger. Je crois que c’est ce point qui me brise le plus à cet instant. Je pensais que Nathaniel n’avait pas ou peu de secret pour moi ou en tout cas pas quelque chose d’aussi … grand, visiblement noir même, quelque chose d’assez immense pour que cela engendre le massacre de la Loge.
Putain Oscar, par pitié, fais ce qu’il faut, et protège les nôtres. Protège ceux qui vivent encore, moi je ne suis qu’une morte en sursis … -Tu préfères que je t’appelle l’Archer ou Joshua … J…O…S…H…U…A …
Je sais pas ce qu’il me prends. Mon esprit part en lambeau. Je le provoque. Je crois que j’ai envie de le voir devenir un monstre car il ne peut être humain à mes yeux.
Les Héritiers sont toute ma vie. Je suis pour eux un excellent soldat. Je ne discute jamais les ordres, je ne rechigne jamais à accomplir les plus basses besognes, j'accepte que l'on dirige ma vie sans jamais me rebeller. Pourquoi le ferais-je ? Je suis à ma place. S'il m'arrive parfois, en de très rares occasions, d'être en désaccord avec les demandes de mes supérieurs, je ferme ma gueule et les écoute envers et contre tout. Je n'ai jamais été tenté de désobéir à un ordre direct…
Jusqu'à aujourd'hui.
Cette fille m'obsède, je dois le reconnaître. Elle est la seule qui ait jamais réussi à m'échapper. Elle, et son précieux chef, que nous traquons également… Mais lui, on ne l'a pas encore retrouvé. Alors qu'elle, elle est à ma portée. Je n'ai qu'un geste à faire… Pourquoi me refuse-t-on le droit de l'achever ? C'est grâce à moi si elle est là ce soir ! Je la traque depuis des jours, des semaines, des mois ! Et on me refuse un privilège qui me revient de droit ?!
Je l'entends qui me parle. Elle se moque de moi, une fois de plus. Une fois de trop ? Non. Ses mots ont l'effet inverse de celui qu'elle doit espérer. Oui, je vais suivre les ordres. Je suis incapable de faire autrement. Elle ne peut pas comprendre la force de notre organisation. J'adresse un hochement de tête à Valentina, pour lui faire comprendre que je vais obéir. Comme toujours. Elle n'a pas à en douter. Puis je me retourne vivement vers la mutante et la saisis à la gorge. Je commence à serrer la main autour de son cou, avec un sourire sadique.
« Ne me tente pas… »
Son regard croise le mien. Je vois alors dans ses yeux une expression que je connais. Qui fait écho à un sentiment que j'ai moi-même ressenti, il y a bien des années… Elle veut mourir. Elle ne supporte plus la douleur, elle veut que ça s'arrête. Mon sourire s'agrandit. Je ne lui ferai pas ce plaisir. Je la lâche et recule de deux pas, la contemplant.
Sa provocation glisse sur moi. La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe. Qu'est-ce que j'en ai à foutre, après tout, qu'elle connaisse mon prénom, qu'elle connaisse mon visage ? Elle n'est qu'une morte en sursis. Elle veut que je la tue. C'est pour ça que je ne dois pas le faire. Je l'accepte, à présent.
« Tu penses que tu as tout perdu, n'est-ce pas ? Tous tes proches sont morts… ou vont bientôt mourir… Et pourtant… »
Je me rapproche de la table où sont posés les carnets, en prends un, l'ouvre et le feuillette nonchalamment. Puis je reprends la parole.
« Si tu ne sais pas comment décrypter ces carnets, lui le saura forcément. Il est toujours en vie. Cet enfoiré a survécu. Il se terre quelque part… Nous le traquons depuis des mois, comme toi. Sauf qu'il a eu l'intelligence de rester caché jusque là. Mais… le restera-t-il, lorsqu'il apprendra que nous t'avons capturée ? »
C'est peut-être pour ça que mes supérieurs veulent garder mon petit moineau en vie. Pour servir d'appât. Elle n'est pas inutile, en fin de compte. Dans l'éventualité où ils n'y auraient pas pensé, je leur offre cette idée bien volontiers. Elle peut nous conduire à Nathaniel, ou conduire Nathaniel jusqu'à nous. Je veux qu'elle le sache. Elle causera sa perte.
Des rafales de fusil d'assaut se font soudainement entendre. Les bruits sont proches, beaucoup trop proches. Je referme le carnet et le jette sur la table, avant de me tourner vers la porte de la salle, le corps sous tension. Les assaillants ont réussi à pénétrer dans le bunker. Impossible de dissimuler leur attaque, à présent. Par réflexe, je prends à ma ceinture le couteau qui ne me quitte jamais. Il est pourtant hors de question que je quitte la salle, que je laisse ma proie à d'autres. Je regarde les deux hommes de main dont j'avais presque oublié la présence tant ils savent se montrer discrets.
« Allez voir ce qui se passe. »
Je vois bien que l'un d'eux hésite, mais son camarade lui met une tape sur l'épaule, ils acquiescent alors tous deux et sortent de la pièce pour se diriger vers les dortoirs, pistolets en main. J'échange un regard avec Valentina. Je sers mon couteau fétiche dans ma main, comme un enfant étreindrait son doudou. Je ne peux qu'espérer que les fusils et les lance-flammes viennent à bout de nos assaillants, qui qu'ils soient. Sinon, je devrai utiliser le couteau… sur Kath', puis sur moi.
So let me fall, let me break Under everything unsaid Just let me die 'cause I can't take Living with what's in my head If I surrender, surrender To the monsters in me If I surrender, surrender To the monsters in me Will it set me free?
Dans la nuit du 28 au 29 septembre Entrepôt de Ridgewalk
Mon instinct de survie s’est fait la malle, depuis que j’ai accepté de me faire prendre, de monter dans ce camion pour protéger encore une fois quelqu’un, pour ne pas ajouter à ma triste liste de personnes que je ne reverrais plus jamais. Pour le protéger, j’ai accepté de me sacrifier. J’ai accepté de renoncer. Et je sombre enfin dans la folie, je me laisse enfin aller, sachant que mon temps m’est compté, et ne dépend que de leur bon vouloir. Pas celui de Joshua visiblement mais celui de ses supérieurs… Est-ce à lui ou à la Mort elle-même que je fais cette complainte ? Je ne sais pas vraiment… probablement plus à la Mort ou qui que ce soit qui se cache derrière le voile. Lui reste droit, tout d’abord. Il réfléchit ? J’en sais rien, son visage est clos. Je le vois juste hocher la tête face à l’autre. C’est elle sa supérieure immédiate ? Mais très vite, il se remet à bouger et c’est ma gorge qu’il attrape avec force. Je m’étrangle à moitié, essayant d’aspirer un semblant d’air avant qu’il ne serre ses doigts, me coupant la possibilité de respirer. Je le fixe avec intensité alors que lui me sourit, de ce sourire digne des prédateurs.
« Ne me tente pas… »
Ne pas le tenter ? C’est justement ce que je veux. Il n’est pas humain, ni mutant, juste un monstre pour moi. Qu’il m’achève, je le défie même du regard de le faire, ne lâchant pas un instant ses yeux…
-Tu n’oseras … pas. Tu n’es qu’un… chien.
Aucun de nous deux ne baisse les yeux, pas un instant. Je crois que nous ne clignons même pas une seule fois. L’air commence à me manquer mais je résiste. Au moins pour cela. Car je n’ai pas peur de mourir maintenant, je n’ai plus peur depuis que j’ai pris cet accord. Depuis que j’ai pris cette balle, je sais que je suis foutue. Un moineau qui ne peut plus voler, plus encore depuis que je ne peux plus utiliser mes pouvoirs. Je veux que ça s’arrête mais jamais, jamais je ne le supplierai. Je commence à manquer d’air, ma gorge se tend espérant pouvoir bientôt reprendre une respiration. Je m’attends à ce qu’il resserre sa poigne mais non, il me relâche, tout en reculant même. Si j’avais pu, j’aurais adoré tenter de lui exploser le nez… d’ailleurs, je remarque juste un instant avant qu’il ne s’éloigne qu’il a l’air … un peu amoché. Il a pris un coup ? Peut être avant. Alors, je ne m'arrête pas, et continue, laissant ma folie s’exprimer. Je ne réfléchis même plus. Mon esprit tourne alors que l’air revient, provoquant une certaine ivresse. J’ai même un nouvel éclat de rire que je retiens, laissant juste apparaître un sourire sur mes lèvres
« Tu penses que tu as tout perdu, n'est-ce pas ? Tous tes proches sont morts… ou vont bientôt mourir… Et pourtant… »
Non, personne d’autre ne va mourir. Charles et Jean sont en sécurité, Oscar aussi quant à Samuel… Ne reparle pas de Samuel, oublie-le et concentre toi sur moi, c’est moi que tu hais, personne d’autre. Je le vois se rapprocher de la table, s’approcher des carnets … les carnets de Nathaniels.
-N’y touches pas, je grogne lorsqu’il en saisit un.
Ses carnets sont tout ce qu’il me reste et je ne peux les atteindre. Je ne peux l’empêcher, je ne peux rien faire. Et je le vois en train de l’ouvrir, de poser ses mains qui ont baigné dans le sang sur les page, et le feuilleter comme si de rien n’était : -Repose-le tout de suite !
Je me redresse, essayant d’aller vers l’avant pour m’approcher, autant que je peux. Chaque centimètre compte à cet instant. Je tente encore, plus par automatisme, de forcer sur les attaches. Je veux le lui reprendre.
« Si tu ne sais pas comment décrypter ces carnets, lui le saura forcément. Il est toujours en vie. »
… Quoi ? Il n’a pas fini sa phrase mais mon esprit explose à cet instant. Les mots me frappent plus fort que personne ne l’a jamais fait. Plus fort que tous les coups que lui ou d’autres ont pu me donner, plus fort que les balles ou les flèches qui ont traversé mon corps de part en part.Tout cela, ce n’est rien, face à l’impact que cette nouvelle a sur moi là tout de suite…
-Non… Ma voix n’est qu’un murmure alors qu’il continue.
« Cet enfoiré a survécu. Il se terre quelque part… Nous le traquons depuis des mois, comme toi. »
-Tu mens…, je murmure, d’une voix froide alors que tout mon corps semble se glacer, que mon sang me paraît même geler dans mes veines. Il ment, ça ne peut pas être vrai. Cela ne se peut… et il poursuit encore et toujours, sans s’arrêter.
« Sauf qu'il a eu l'intelligence de rester caché jusque-là. Mais… le restera-t-il, lorsqu'il apprendra que nous t'avons capturée ? » -Tu mens, tu mens, tu mens !! Tu l’as tué, tu lui as transpercé le cœur devant moi ! Il est mort, Nathaniel est mort et c’est toi qui l’a tué !!
Tout se mélange dans ma tête, mon cœur bat bien plus fort, tellement fort que je l’entends frapper mes tempes. ça ne peut pas être possible… Il est mort… Il ne peut pas être en vie, il aurait tenté de me retrouver, il m’aurait laissé un signe, n’importe quoi. Au moins un signe qu’il vivait toujours. Il ne m’aurait pas laissé seule. Il ne m’aurait abandonné, il …
-C’est faux … il est mort …
Je me débats à nouveau. S’il faut que je me brise les poignets pour me libérer, je le ferai. Je veux lui reprendre le carnet, je veux lui reprendre cela et surtout je veux lui faire mal, comme il est en train de le faire en me mentant. Mes poignets saignent et le sang continue à couler du bandage qui est désormais entièrement maculé de pourpre. Je veux me libérer, il le faut, parce que je refuse l’idée que je puisse servir d’appât mais cela n’est pas possible, cela ne se peut pas ! Car il n’est plus de ce monde… Je ne peux pas l’accepter.
Je relève la tête quand j’entends d’un coup des bruits. Des armes, c’est des armes, et on ne parle pas d’un petit calibre. Je reconnais ses bruits. Ils ne peuvent plus faire semblant, il y a bien un problème. Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais tout ce que je comprends à ce moment-là, c’est que ça ne sent pas bon pour eux, vraiment pas. Qui ça peut être ? Pitié que Oscar ne soit pas là, je ne lui ai pas permis de fuir pour qu’il revienne mourir ici. Mais ça ne se peut pas, cela n’est pas possible. J’ai été emmené il y a … quelques heures à peine, du moins, c’est ce que je crois et compris… Oscar ne peut pas être là et c’est tant mieux. Je regarde Joshua au moment où il balance le carnet sur la table, ce qui m’arrache un cri de révolte, et je continue à me débattre. Je veux me libérer, je ne peux pas rester en place. Surtout que … je ne sais pas si c’est un ennemi ou un allié qui se présente presque à la porte. En tout cas, pour Joshua, c’est un ennemi et il commence déjà à sortir les armes, notamment un couteau. « Allez voir ce qui se passe. »
Les deux hommes sortent, et il ne reste que nous trois dans la salle. Et je ne peux m’empêcher de lui lâcher : -Toujours un simple dysfonctionnement électrique ?
Je ne sais pas ce que me réserve ceux qui les attaquent, peut-être qu’ils en profiteront pour me tuer également. J’espère juste avoir le temps, ou au moins la possibilité de me défendre mais … comment ?
En tout cas, lui est tendu maintenant, il tient son couteau fermement dans sa main, je sens qu’il n’est plus serein. Là, il va être difficile pour lui de sourire. Moi, je me débats encore, j’arrive même à soulever presque un peu le fauteuil au pire d’un effort qui m’arrache un cri de rage et de douleur avant que je ne me laisse retomber, à bout de souffle, à bout tout court. Si j’arrive à peine à faire ça, ça va être compliqué… Je respire doucement avant de les observer, l’un après l’autre, et finir par lâcher :
-Tu as perdu tes flèches ou c’est le fait de devenir la proie qui te fait lâcher l’arc… ?
Je lui dis ça alors que je commence à sentir… j’ai l’impression de sentir l’un de mes poignets se desserrer. L’impression est fausse, mais la blessure que je me suis faite, et le sang qui en coule maintenant détend la lanière de cuir qui se gorge du liquide pourpre. J’ai un léger espoir, durant quelques instants, de pouvoir au moins libérer cette main, au moins une. Que si je dois me battre, que je puisse le faire. Je n’ai plus peur de la mort mais s’il y a une chance, juste une, qu’il puisse y avoir un espoir, alors je vais me battre encore. Au mouais encore un peu …
Sa réaction est parfaite, que ce soit lorsque je me saisis d'un de ses précieux carnets, ou lorsque je lui révèle la survie de son chef. Oui, je préfère définitivement la torture psychologique à la torture physique. C'est bien plus fin, bien plus satisfaisant. Elle ne me croit pas, ou ne veut pas me croire. Et pourtant… Autant je bluffais pour son pote le pompier, autant là je dis la triste vérité.
« On peut survivre d'une flèche dans la poitrine. Cette enflure est plus coriace qu'un cafard. Il nous a filé entre les doigts. Mais maintenant que nous t'avons… »
Et voilà qu'elle se remet à gigoter… Elle va finir par faire tomber le fauteuil si elle continue, et se faire encore plus mal. Elle se calme, un peu. Elle fait peine à voir. Trempée par l'eau et la sueur, les yeux rougis par ses larmes, la lèvre enflée, brûlée au niveau des tempes, du bras et du thorax à cause des électrodes. Elle perd pas mal de sang, au niveau des poignets qu'elle a fini par s'entailler toute seule, au niveau de sa cuisse blessée lors de sa capture. Son état n'est pas alarmant, cependant : tout cela l'affaiblit, mais ne la tuera pas.
J'ignore sa remarque sarcastique sur le dysfonctionnement électrique et tends l'oreille. L'affrontement a lieu tout près. Si la salle dans laquelle nous nous trouvons comportait des fenêtres, je pourrais sans doute voir ce qui se passe. Ca sent le roussi, au sens propre comme au figuré. L'odeur de chair brûlée est désagréable, et j'espère que ce sont les cadavres de nos ennemis que je sens. Cela paraîtrait logique, c'est nous qui avons les lance-flammes.
Je suis tiré de mes observations sensorielles par la voix de mon petit moineau qui me provoque à nouveau. Je me tourne vers elle, m'approche d'un pas décidé et lui rétorque :
« Le couteau n'est pas pour eux. Mais tu as raison… »
Je retire la flèche plantée dans le bois du fauteuil près de son visage et, sans prévenir, la lui plante violemment dans la main gauche. Ca lui passera peut-être l'envie de gigoter et puis je le lui avais promis. Je suis un homme de parole, elle devrait l'avoir compris pourtant. Ce n'est certes pas aussi impressionnant qu'avec un clou, mais au moins elle l'a sa symétrie.
« Je peux encore utiliser mes flèches. »
Je replace le couteau à ma ceinture pour prendre mon arc d'une main, saisir le carquois de l'autre et le placer près de l'entrée de la salle. J'encoche une flèche et m'apprête à entrouvrir doucement la porte, histoire de profiter du chaos ambiant pour placer quelques flèches discrètes et mortelles, lorsque des coups frappés sur la porte me font bondir…
So let me fall, let me break Under everything unsaid Just let me die 'cause I can't take Living with what's in my head If I surrender, surrender To the monsters in me If I surrender, surrender To the monsters in me Will it set me free?
Dans la nuit du 28 au 29 septembre Entrepôt de Ridgewalk
« On peut survivre d'une flèche dans la poitrine. Cette enflure est plus coriace qu'un cafard. Il nous a filé entre les doigts. Mais maintenant que nous t'avons… »
Il ment. Il ne fait que mentir. C’est un monstre qui veut me détruire, de n’importe quelle manière.
J’ai envie de hurler, de lui dire que je vais le buter, que je vais moi-même lui planter une flèche dans la poitrine pour voir s’il survivrait mais je tiens ma langue, manquant de me la mordre même. Nathaniel n’aurait pas apprécié cela. Le credo de la loge était de ne pas faire de victime. Et il ne reste rien de la Loge, pas un seul d’entre nous car je le sais, je suis une morte en sursis… Comment pourrais-je lui pardonner tout cela et le laisser en vie ?! Il a détruit mon monde sans sourciller, tué homme, femme, enfant. Il a fait du mal à Samuel, les Héritiers ont aussi failli s’en prendre à Oscar. Et surtout il a tué Nathaniel …
Car Nathaniel ne peut pas être en vie. Je ne veux pas y croire … ça ne peut pas être vrai …
Alors je me démène, tire sur les sangles, me débattant contre les entraves. Si je continue je vais faire danser le fauteuil sur lui-même ou me vautrer par terre. J’ai mal. Si je continue, c’est bien un os que je risque de briser. J’ai mal à mes bras et surtout à mes poignets. J’imagine déjà le craquement sinistre qui risque de résonner sous peu.
Mais il se passe quelque chose. Je l’entends aussi et je finis même par le sentir. Surtout cela, l’odeur commence à… emplir l’air. Une odeur que j’ai souvent senti, une odeur âcre qui prend le nez et sature les poumons, donnant souvent vite la nausée et plus encore … Une odeur qu’il n’est pas possible d’oublier. Celle du feu mais essentiellement celle de la chair dévorée par le feu. Si je n’ai jamais tué quiconque par le feu, j’ai déjà blessé et j’ai déjà dû utiliser mon feu, rien que sur moi, le jour de la tuerie, pour cautériser ma main. Cette odeur est atroce, synonyme de souffrances et d’horreurs. Et là, j’en suis sûre, de morts…
Qu’est-ce qu’il se passe au dehors …? Clairement, il se passe quelque chose de grave. Je lui balance une pique, puis essaye de me concentrer pour réfléchir sur qui ou quoi pouvait bien s’en prendre à eux … et si je risquais d’y passer aussi dans la foulée. Alors je tente, encore une fois, au moins une fois encore, une dernière lutte acharnée qui se termine dans un cri de rage. Je me laisse retomber sur le sol, sans force, face à mes bourreaux. Face à elle dans son coin avec le flingue et lui qui joue avec son couteau comme on martyriserait une balle anti-stress… Mais ma nouvelle pique fait pour le détourner un peu son attention a plutôt l’effet de l’irriter visiblement alors qu’il vient face à moi, s’approchant jusqu’à être face à moi. Son visage…son visage est si froid. Je sens monter la colère, une colère brûlante malgré le froid que je ressens.
« Le couteau n'est pas pour eux. Mais tu as raison… »
De quoi il parle ce con ? Je le fixe, fais un nouveau mouvement d’épaule pour tenter de lui mettre un coup mais il est trop loin. Mais lui, lui, s’approche encore pour au final saisir la flèche à côté de mon visage et … Non … il ne va pas oser… Et La flèche traverse ma main. Je me mets à hurler, hurler si fort que je sens mes cordes vocales non plus vibrer mais être sur le point de se rompre. Je hurle autant à cause de la violence de la douleur que la violence du geste, de ce que ça me rappelle… Je l’ai défié tout à l’heure de le faire et il l’a fait. « Je peux encore utiliser mes flèches. »
Dans mes cris, des insultes se mélangent à moitié. Je tente de me libérer mais je hurle de nouveau, plus fort encore. Je ne peux pas me libérer comme la dernière fois, je ne peux pas le faire. Et j’ai mal, bien plus. La dernière fois, il n’avait touché ni nerfs ni rien. Il n’a pas eu la même amabilité, y allant ce coup-ci à la manière d’un boucher. Il ne reste pas face à moi, il s’en fait presque aussitôt, près au combat, me laissant là, clouée au fauteuil. Je me jure un jours que je lui ferais aussi mal qu’il ne l’a fait, un jours, ce sera moi qui le fera hurler. Mais pour cela, je dois survivre.
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