[Terminé] it's you, my brother ft Ezekiel Ranevskaia

Sa sortie clandestine de l’hôpital n’avait pas été de tout repos, le trajet ayant été effectué à bord d’une voiture volante rapidement confisquée par deux étranges créatures mais, enfin, il était chez lui depuis deux nuits déjà. Son immense lit moelleux, ses tentures colorées accrochées aux murs, ses peintures horribles qu’il nommait affectueusement « oeuvre d’art » mais que son grand-père appelait plutôt « croute hors de prix », ses innombrables échiquiers répartis dans l’appartement et jusque dans la salle de bain, ses livres russes portant sur les échecs et le bordel perpétuel qui semblait lui convenir à la perfection. Son appartement était un véritable cocon dans lequel il se sentait en sécurité, bien que ce précieux sentiment avait été éraflé depuis son agression. Il vivait dans une véritable forteresse visant à contenir ses angoisses : il vérifiait plusieurs fois par jour (et même la nuit) que la porte et les fenêtres étaient fermées, et il sursautait au moindre bruit suspect provenant du palier. Néanmoins, il se sentait bien mieux chez lui qu’à l’hôpital. Il ne manquait qu’une seule chose dans le décor rassurant de son appartement : Alice.
ㅤㅤSa petite protégée, dont il n’avait plus de nouvelles depuis trop longtemps. Il avait essayé de la contacter mais ses messages n’avaient obtenu aucune réponse, et il avait fini par croire qu’elle ne voulait plus lui parler. Pourquoi ? Il l’ignorait, mais n’avait pas encore la force de chercher physiquement une réponse. Il espérait seulement qu’elle allait bien, et qu’elle avait trouvé des personnes dignes de confiance pour l’aider. Elle ne méritait rien d’autre que d’être protégée.

Ce jour-là, Ezekiel s’était levé sans jeter un regard à l’horloge : ses médecins disaient qu’il avait besoin de repos et c’était vrai, il n’avait jamais autant dormi de toute sa vie. Enfilant un peignoir sombre à la tête, il avait attrapé sa béquille pour se déplacer dans l’appartement sans appuyer sur sa cheville meurtrie, se traînant dans la cuisine pour se préparer un café avant de se figer en entendant le bruit distinctif de la serrure… Quelqu’un était en train de pénétrer dans l’appartement.
ㅤㅤSe mettant à trembler de tout son corps, oubliant le café qui coulait en faisant déborder le contenu de la tasse, Ezekiel avait attrapé un couteau qu’il avait brandi devant lui pour se défendre, en avançant péniblement jusqu’à l’entrée, les oreilles bourdonnant d’une angoisse fiévreuse…
« Alice ! »
Lâchant le couteau qu’il avait tenu dans sa main tremblante, Ezekiel avait souri sans même s’en rendre compte, terriblement soulagé de voir que sa protégée ne l’avait pas oublié. Ses bras s’ouvrirent aussitôt pour l’accueillir et malgré la douleur de sa cheville, il fit un pas vers elle sans perdre son sourire, sincèrement ému de la revoir enfin.
« J’étais inquiet… Viens-là ! »

Il s’en voulait assurément d’avoir braqué un couteau en direction d’Alice mais comment aurait-il pu savoir que sa petite protégée viendrait chez lui, alors qu’il n’avait pas réussi à la contacter depuis des jours ? Fort heureusement, la jeune fille ne semblât point lui en tenir rigueur et fondit dans ses bras à la vitesse de l’éclair, le serrant contre elle avec une force vigoureuse qui eut été douloureuse pour ses côtes malmenées mais, oh, qu’importe, il était bien trop soulagé et heureux de la retrouver pour penser à ses blessures en cet instant. Pas maintenant qu’il venait de la retrouver !
« Tu m’as tellement manquée. »
Lui dit-il en refermant ses bras autour de son corps frêle, qu’il voulait protéger de toutes les cruautés extérieures. Il n’aurait pu se pardonner si quelque chose était arrivé à Alice durant son hospitalisation, et avait bien entendu mille questions à lui poser mais pour l’heure, la jeune fille pleurait dans ses bras, et il s’efforçait de caresser ses cheveux en la serrant tendrement contre lui, la laissant exprimer ses émotions afin qu’elle s’en libère. Lui aussi était sincèrement ému, mais on lui avait bien trop enseigné la retenue pour qu’il puisse exprimer sans contrainte ce qu’il ressentait : il avait eu peur de l’avoir perdue, de ne plus jamais la revoir, d’avoir failli à la promesse qu’il lui avait faite.
ㅤㅤIl l’écouta patiemment parler, sans chercher à l’interrompre ni à réprimer son chagrin ; il voulait qu’elle sache qu’elle pouvait tout partager avec lui. Reculant finalement de quelques degrés pour pouvoir soutenir son regard, Ezekiel avait apporté ses mains sur ses fines épaules tout en lui adressant un sourire suave, avant de lui répondre d’une voix calme :
« Tout d’abord, tu ne dois pas t’en vouloir ; tu n’aurais rien pu faire. Pire encore, tu aurais pu être une cible toi aussi. Crois-moi, c’est mieux ainsi. Et puis ! Je suis coriace. On ne va pas se débarrasser de moi aussi facilement. »
Ses lèvres se fendant d’un sourire plus franc, il usait de ses talents mensongers pour rassurer la jeune femme sur son état, ne voulant point qu’elle souffre de la situation. Replaçant délicatement une mèche de ses cheveux derrière son oreille, le Joueur avait par la suite entrepris d’essuyer ses joues lisses à l’aide de ses pouces pour chasser les traces de larmes, sans se départir de son sourire.
« Je suis là, désormais. Et on ne va plus se quitter. »
Plongeant ses yeux dans les siens pour sceller cette promesse, Ezekiel avait hoché son menton de haut en bas avant de perdre quelque peu son rictus, alors qu’elle abordait l’idée de vengeance. Cette idée, elle l’obsédait déjà. Il voulait retrouver son assaillant et lui faire la peau, mais il n’en avait encore jamais parlé à haute voix, même pas à Remy. Il savait que son ami ne le laisserait pas faire, ne comprendrait pas que cette vengeance lui appartenait à lui et à lui seul, mais voulait-il réellement entraîner Alice dans cette traque meurtrière ? Finalement, Ezekiel avait décidé de s’éloigner pour refermer la porte de son appartement, prenant soin de la verrouiller  consciencieusement avant de revenir vers Alice, ramassant le couteau dans une grimace de douleur et en soutenant ses flancs meurtris de sa main libre, avant de lui lancer, l’air de rien sur un ton plus jovial et léger :
« Tu veux boire ou manger quelque chose ? On a beaucoup de choses à se dire, je crois… »

Lui qui clamait à qui voulait l’entendre qu’il voulait être seul, finalement, retrouvait un grand réconfort en la présence d’Alice. Il n’aurait d’ailleurs voulu personne d’autre pour partager sa convalescence, songeant qu’elle était celle qui pouvait le comprendre le mieux : sur de nombreux points, ils étaient semblables, et cette similitude de caractère lui conférait l’idée rassurante qu’il n’était pas seul.
ㅤㅤAlice était douce, touchante et affectueuse, si bien que le jeune homme avait, un court instant, oublié la rancoeur brûlante qu’il portait. Il avait trop tendance à sous-estimer le pouvoir de l’affection, principalement parce qu’il avait été élevé avec l’idée qu’un homme viril se passe d’affection ; mais en la serrant contre lui, il avait réalisé combien de contact lui faisait du bien.
« Tu es là maintenant, c’est tout ce qui compte. Ne te torture plus avec ça, d’accord ? »
S’attardant encore quelques secondes auprès d’elle pour effacer les traces de larmes sur ses joues, Ezekiel lui avait adressé un dernier sourire avant de s’éloigner pour aller verrouiller la porte d’entrée, ne supportant pas très bien de la voir entrouverte. Revenant auprès d’elle après ceci, Ezekiel avait ramassé le couteau au sol avant de le donner à Alice, se dirigeant ensuite vers la cuisine, suivie par la demoiselle qui facilitait son déplacement à l’aide de ses pouvoirs ; il avait presque oublié qu’elle pouvait faire cela. Un léger sourire amusé aux lèvres, il avait pris place sur la chaise déplacée par sa protégée, s’y laissant tomber avec un certain soulagement. Sa cheville lui faisait moins mal qu’avant mais marcher était toujours pénible… Il en avait encore pour un petit moment.
ㅤㅤPassant sa main sur son front, il avait repoussé quelques mèches bouclées pour dégager sa vue avant de reporter toute son attention sur Alice, un tendre sourire fleurissant de nouveau sur ses lèvres.
« C’est vrai, tu es chez toi ici, tu le sais. »
Elle occupait même la deuxième chambre de cet appartement, et Ezekiel était ravi de savoir qu’elle se sentait ici comme en son foyer ; parce que ça l’était. Après un court moment de silence, et après lui avoir demandé de lui passer sa tasse de café, il avait repris, curieux :
« Tu étais où ces derniers jours ? »

Une fois assis, Ezekiel se tasse légèrement dans sa chaise, appuyant son dos sur le dossier et se calant contre l’accoudoir pour soulager un peu ses douleurs, essayant de trouver une position confortable. Il ne veut pas qu’Alice puisse deviner les douleurs que provoquent ses côtes malmenées et sa cheville fracturée, ainsi que toutes les autres blessures qu’il a pu avoir suite à son agression ; elle est encore jeune, trop jeune et trop sensible pour qu’il l’expose à de telles cruautés. Encore une fois, tout ce qu’il veut est la protéger. « C’est vrai, Gabriela est une belle personne… Elle a toujours été là quand j’avais besoin d’elle. » Ce qui est arrivé très souvent suite aux combats clandestins ; mais la réciproque n’est malheureusement pas vrai. Il n’a jamais été là pour elle, ou presque. Que sait-il réellement de sa vie, au juste ? Pas grand-chose il faut l’admettre, mais il est néanmoins rassuré de savoir qu’Alice était avec elle, se doutant que l’infirmière avait pris soin d’elle avec une douceur sans égale, et c’est tout ce qui lui importait.

Lui adressant un sourire chaleureux, il tend sa main pour attraper sa tasse de café afin d’en boire une gorgée réconfortante, ravi de voir que sa petite protégée mange avec bon appétit. Elle lui avoue alors qu’elle n’a pas toujours été d’un comportement exemplaire en son absence forcée et, pour être honnête, cela ne le surprend qu’à moitié, quelque part, il en est presque fier même ! Il se permet même d’en rire finement pendant quelques secondes, reposant ensuite sa tasse sur la table en gardant sa main autour de celle-ci, lui répondant alors, véritablement amusé : « Tu es allée au Casino, je suppose ? » Le lieu de leur rencontre. Curieux, il poursuit en posant un regard malicieux sur elle : « Qu’est-ce que tu as fait ? Raconte-moi tout. »

Ce petit moment de simplicité et de légèreté fait le plus grand bien à Ezekiel, bien que l’ombre de son agression ne s’éloigne jamais assez loin pour qu’il puisse l’oublier. Il sourit avec tendresse à Alice, s’amuse de ce qu’elle lui raconte, se montre sincère dans son écoute et ses gestes affectueux à son égard mais… Pas lui-même pleinement. Une partie de son esprit vagabonde toujours vers cette nuit mystérieuse, essayant de creuser la terre de son amnésie pour recouvrer la mémoire, retrouver le visage de celui qui l’a attaqué pour pouvoir se venger, en vain. Mais plus pour longtemps, peut-être. Il le sait. Ce n'est qu'une question de temps.

Revenant à sa petite protégée, il tente de chasser ces pensées par une fine inspiration pour profiter de sa présence au maximum car elle lui a beaucoup manqué, ses sourcils se haussant brièvement tandis qu’il tend l’oreille à ce qu’elle lui relate, et qui lui arrache un énième sourire amusé. « Ça ne m’étonne pas de toi… » Taquin, il fronce son nez d'un air espiègle et lance un léger coup de menton en sa direction avant de boire un peu de son café, néanmoins curieux de connaître celui qui a été la victime de sa tornade préférée. « L’ami en question, il s’appelle comment ? » Attrapant un cookie au passage, il mord dedans avec gourmandise en posant de nouveaux ses yeux mordorés sur Alice, dans l’attente d’une réponse. Il est curieux de savoir car, connaissant les Joueurs, cet affrontement n'a pas dû être une mince affaire... Pour les deux camps.