[Terminé] Visite d'une sombre courtoisie.

Le vieil homme se galvanisant de cette rencontre ne remarque point l’éclat malicieux dans les yeux de son invitée qui, bien qu’ayant le regard tourné vers lui, ne se préoccupe guère de ses dires ; il lui déballe des discours assommants en faisant de grands gestes et, mimant de s’y intéresser avec virtuosité, la rousse hausse de temps en temps ses sourcils avec une fausse curiosité qui est parfaitement dentelée, lui offrant même des sourires gracieux qui l’encouragent à poursuivre son élocution, alors même qu’elle voudrait qu’il se taise. Qu’il est barbant, celui-là ! Mais dans le brouhaha du monologue interminable du superviseur, elle discerne un autre écho, un écho provenant de l’esprit du jeune homme auquel on semble avoir mis une muselière… Mais peut-être pas totalement ? Quelques secondes, elle détourne discrètement le regard pour observer ses lèvres ; immobiles. Il est bien moins fantomatique que les apparences ne le suggèrent, donc.
ㅤㅤPour ne pas attirer les suspicions indésirables du superviseur parlant toujours avec autant d’ardeur, la mutante reprend sa position initiale et offre un énième sourire au vieil homme, tandis qu’elle projette quelques mots dans l’esprit d’Anthony, sa voix fourmillant d’un écho souple et suave :
« Je ne souhaite que la justice. Si je vous enfermais pour vous torturer durant neuf longues années, ne voudriez pas me voir morte ? »
Elle doute grandement du fait qu’il puisse désirer quoique ce soit par lui-même, au vue de sa docilité et de sa soumission à l’organisme mais, peut-être pourra-t-il comprendre ses aspirations vengeresses ? Jusqu’ici, personne n’a compris alors elle n’a pas grand espoir de trouver un interlocuteur compréhensif. Qu’importe, elle n’a pas besoin des autres (faux). Étant encore présente dans l’esprit du Taskmaster, elle l’entend formuler la pensée qu’il lui faudrait évoquer cette discussion secrète auprès de ses supérieurs… Et sans qu’elle ne puisse le retenir, un sourire amusé se met à fleurir sur ses lèvres tandis qu’elle s’efforce de garder les yeux rivés sur le superviseur ennuyeux… Bon dieu, le tueur-silencieux est bien plus que soumis. Il est un parfait petit soldat endoctriné jusqu’à l’os.
« Pourquoi devriez-vous leur en parler, monsieur Master ? »
Quand bien même sa voix avait été malicieuse, le Phoenix était véritablement curieux d’avoir une réponse. ll pouvait comprendre la loyauté mais un tel degré de dévouement lui paraissait inquiétant. Il n’était pas une page blanche certes, mais elle avait la drôle d’impression qu’on avait recouvert son esprit de peinture pour masquer l’ancienne fresque, et qu’il faudrait longuement gratter le masque pour atteindre la racine de son âme.
« Et vous, ne voudriez-vous pas être libre ? »
Ses mots, presque impérieux, venaient de surpasser les dernières syllabes de Klanch, imperturbable dans la gloire de son récit qu’elle n’écoutait plus depuis longtemps. Il l’exaspérait de plus en plus… Sous ce sentiment nerveux, Jean passe rapidement la pointe de sa langue sur ses premières dents tout en parcourant la salle du regard, revenant rapidement sur le vieil homme avant d’échouer sur le plus jeune, ne sachant plus très bien quoi penser de lui.
« Je suis impressionnée, monsieur Klanch. Vraiment. Mais il se fait tard et… »
Désireuse de partir afin de fuir le superviseur au discours assommant, le Phoenix commence à se lever de sa chaise mais le vieil homme l’interrompt dans son mouvement en assurant qu’il n’a pas encore tout raconté, et qu’il peut la convaincre de rejoindre HYDRA. Tiens donc. Rien que ça. Faisant claquer sa langue contre son palais, elle inspire lentement par le nez tout en reprenant sa place, joignant ses deux mains autour de son genou plié tout en écoutant la nouvelle histoire de Klanch, en se demandant si elle a plus envie de l’étriper lui ou Charlie.

LL’échange secret entre leurs deux esprits était bien plus intéressant que la conversation entrevue avec Klanch mais, le Phoenix perçut bien rapidement que le jeune homme éprouvait une certaine incompréhension à son égard, bien que l’Ombre dorée ne s’en formalisât guère. Après tout, peut-être que le Taskmaster ne connaissait pas la Loi du Talion… Oeil pour oeil, dent pour dent. Ce code manque-t-il de justice ? Le Phoenix ne le croyait pas, bien au contraire, mais comme elle n’avait point envie de s’étendre sur un sujet aussi sensible que ses revendications  et ses motivations personnelles, elle ne releva pas cette pensée dans l’esprit d’Anthony. Néanmoins, le sourire qui vint courber les lèvres de l’agent lui fit durement froncer ses sourcils, car la rousse ne savait point comment interpréter ses paroles : un instant, elle eut l’impression qu’il se montrait ouvertement moqueur, et cette suspicion fit éclater un tel mouvement de rage dans son esprit qu’une ampoule, un peu plus loin dans la pièce, avait éclaté sans qu’elle ne puisse le contrôler.
« Vous n’imaginez pas à quel point. »
Lui avait-elle répondu d’une voix curieusement froide, tandis qu’elle détournait les yeux pour observer le vieil homme qui ne remarquait toujours rien, pas même l’ampoule qui avait grillé et qui attirait l’attention des autres agents derrière. Comment avait-il fait pour devenir une figure aussi haut placée dans une organisation si importante, celui-là ? Il continuait invariablement de parler, contant des histoires rocambolesques inventées de toutes pièces, mais elle ne l’écoutait plus depuis longtemps. En cet instant, elle hésitait à donner un petit aperçu au Taskmaster de ce qu’il pourrait endurer entre ses mains mais… Pas devant autant de témoins. Cela serait trop suspicieux. Il fallait attendre le moment opportun et, s’il ne venait pas, il faudrait le provoquer.
ㅤㅤPeut-être était-elle trop impulsive, encore une fois. Peut-être que l’homme qui lui faisait face n’avait jamais eu la volonté de se montrer dédaigneux, mais le Phoenix avait été trop longtemps bafoué et son esprit paranoïaque avait depuis tendance à mal interprété tout ce qu’on lui disait, et à entrevoir la trahison et la douleur derrière une main tendue. Seule, elle était seule. Tout le temps. C’était peut-être pour cette raison qu’elle avait du mal à comprendre la loyauté indéfectible qui liait Anthony à cette organisation, mais elle enviait le (faux) sentiment de sécurité que cette appartenance lui prodiguait. Aussi étrange que cela puisse paraître, il oeuvrait pour quelque chose, lui, il avait ce qui ressemblait à une famille, il savait quoi faire et pourquoi le faire. Il avait un but, un objectif à atteindre. Le Phoenix n’avait rien de tout ça. Elle n’avait que l’élaboration de sa vengeance, misérable château de cartes que le vent pourrait détruire par une simple rafale. Sa liberté semblait peut-être moins enviable, tout à coup.
ㅤㅤPerdue dans ses pensées, elle avait longuement papillonné des cils en redressant machinalement son menton vers les deux hommes qui s’étaient levés dans un même mouvement, mouvement qu’elle avait finalement imité alors que Klanch lui faisait ses salutations, avant que celui-ci ne s’éloigne pour un rendez-vous, la laissant seule avec Anthony. Tous deux s’étaient observé quelques secondes avant que l’homme ne tende la main pour lui indiquer le chemin à suivre, et elle s’était alors avancé d’un pas en cette direction tout en remettant de l’ordre dans ses pensées. Elle aurait pu profiter de ce moment pour lui induire une paralysie mentale, lui insufflant une douleur psychique qui aurait commencé dans son crâne puis qui se serait répandue dans tout son corps mais… Elle n’en fit rien. Plutôt que de la souffrance, elle aurait aimé lui offrir un vrai sentiment de liberté, mais elle craignait de provoquer sa colère et, paradoxalement, il ne lui inspirait rien d’autre qu’une profonde mélancolie. Il était un être effacé, prisonnier d’un endoctrinement qui, contrairement à ce qu’elle avait pu vivre, taisait la souffrance. Il était une arme, une machine de guerre sculptée pour combattre ; et quand bien même avait-elle envie de défaire l’armure construite autour de son esprit, la rousse s’était contentée de lui offrir un sourire suave alors qu’ils étaient sur le point de se séparer.
« Je vous remercie, monsieur Master. »
Elle doutait du fait que leurs chemins se croisent à nouveau un jour, car elle n’avait nullement l’intention de rejoindre HYDRA malgré les bonnes volontés et le discours encourageant de Klanch. Mais peut-être se reverront-ils, qui sait ? L'avenir pourrait les surprendre...