[Terminé] Visite d'une sombre courtoisie.

Lorsqu’elle pose les pieds sur la zone désaffectée où l’attend une voiture élégante — un vieux modèle américain qui donne l’impression de sortir d’un mauvais film noir avec ses deux phares avants allumés dans une teinte jaunâtre, l’obscurité s’accroche à sa silhouette avec la douceur d’un manteau d’étoffes fines. Méfiante, la rousse attend quelques secondes avant de se diriger vers le véhicule à l’arrêt, dont la portière s’ouvre avant même qu’elle ne puisse le faire elle-même : Charlie Swanson, assis à l’arrière, lui offre un sourire de circonstances et l’invite à prendre place à ses côtés, sur la large et confortable banquette en cuir noir.
« Vous êtes parano j’trouve. »
Marmonne-t-elle en s’enfonçant sans élégance aucune dans son siège, les bras croisés et les yeux rivés sur le paysage urbain défilant à travers la vitre, sur laquelle quelques fines gouttes de pluie font la course, ruisselant et dégringolant en se croisant parfois ; ce spectacle, loin d’être attrayant, avait pourtant capturé son attention durant quelques minutes, avant que la voix de Charlie ne se fasse de nouveau entendre dans l’habitacle.
« Hm ? »
Se retournant vers lui en faisant claquer la bulle de son chewing-gum, elle arque l’un de ses sourcils en l’écoutant avec une attention accrue ; il demande à la revoir dès le lendemain, lui faisant miroiter une proposition qu’il vend comme profitable à tous les deux, et largement plus intéressante que tout ce dont elle pouvait espérer. Allons bon. Rien que ça ! Que sait-il de ses espérances, lui ? Largement sceptique sur la véracité du propos, Jean hausse brièvement ses sourcils sans répondre, ne lui renvoyant guère le sourire complice qu’il lui avait lancé pour se montrer agréable, sans doute. Cela n’a pas vraiment eu l’effet escompté. Pour preuve, ils se maintiennent stoïques le reste du trajet, sans se regarder et sans se parler, jusqu’à ce que la voiture s’immobilise enfin, au terme d’un voyage qui lui avait semblé interminable.
ㅤㅤCurieuse, intriguée par toute la sécurité qu’ils avaient dû traverser pour atterrir devant ce bâtiment austère, Jean se retourne sur son siège pour lancer un regard en arrière, un vague sourire amusé aux lèvres. Parano, oui, c’est le mot. Le Phoenix n’est pas craintif face à tout ce dispositif grandiose, mais pas vraiment intéressé non plus : avec une lenteur exécrable, la mutante s’extirpe de la voiture sans remercier Charlie et sans même lui dire au revoir, alors qu’il lui demande si elle viendra à leur rendez-vous prévu le lendemain. Tandis qu’elle referme la portière d’une simple pensée, elle lui lance en restant dos à lui, joueuse :
« Tu verras demain… Ou pas. »

Alors que la voiture de Charlie s’éloigne, la rousse se retrouve seule face à des portes qui, dans un grincement étrange, finissent par s’ouvrir. Sur ses gardes (peut-être est-elle devenue un peu parano aussi ?), elle redresse ses épaules et une clameur dorée s’infiltre dans ses yeux, prête à riposter face à une attaque mais, c’est finalement un seul homme qui se présente, quiet et d’allure paisible. L’inconnu incline respectueusement son visage sans qu’elle ne puisse le voir et, un instant désarçonnée par ce geste qu’elle ne sait comment interpréter, la mutante fronce imperceptiblement ses sourcils, plisse ses paupières et tourne légèrement son menton en l’observant se mouvoir, les vestiges d’un sourire trônant encore sur ses lèvres.
« Bienvenue. Je serais votre guide pour cette visite. »
Elle comprend, sans avoir besoin de sonder son esprit, qu’il n’exécute pas cette tâche de gaieté de coeur et ne peut guère lui en tenir rigueur. Cette pensée lui arrache même un sourire presque amusé alors qu’il relève son visage, dévoilant une figure particulièrement marquée. De ses yeux mordorés, qui ne luisent ni de moquerie ni de méchanceté, Jean parcourt la tapisserie de cicatrices s’étalant sur la peau de l’étranger, voguant visuellement d’une marque à l’autre avant d’effleurer ses iris bruns, s’immobilisant quelques secondes sur cette surface sombre, insondable et secrète, comme un océan profond, avant de détourner le regard pour prendre enfin la parole, d’une voix qui se veut tout aussi neutre que la sienne :
« Je vous suis, dans ce cas. »
L’auréole dorée continuant de briller derrière ses longs cils noirs, la rousse au teint diaphane scrute courtement les alentours avant de revenir sur le jeune homme qui lui fait face, dans l’attente de sa première décision.

Le Fléau tant attendu, décrié comme imprévisible et dangereux, avait l’allure d’une jeune fille baignant encore dans les dorures de l’enfance ; à peine sortie des chemins juvéniles, Jean arborait toujours les traits tendres du premier âge, quoique ces derniers fussent sévèrement entachés par la maigreur surprenante qui creusait jusqu’à ses joues. Belle, sans nul doute l’avait-elle été mais, en cet instant, elle faisait surtout peine à voir : blanche, affichant un teint qui signait une fatigue écrasante, ses paupières enfoncées dans des cernes que l’on devinait aisément. Mais dans la noirceur de la nuit, la lune faisait pâle figure face au soleil qu’elle était : tout mordu par l’épuisement, rompu par une lutte psychique qui rongeait son énergie, le Phoenix était d’une beauté indéniable, dont seuls les vestiges étaient visibles en cet instant.

La visite avait alors commencé, impulsée par les premiers pas de l’étranger qu’elle avait docilement suivi, ses yeux vagabondants de gauche à droite pour découvrir l’endroit mais, également, pour surveiller ce qui se passait autour d’elle. Tout en marchant en restant derrière le brun, la télépathe avait  rapidement scanné les lieux pour s’assurer qu’aucune attaque ne se préparait à son encontre — si elle pouvait la prédire, sans prononcer un seul mot. En silence, donc, ils arrivèrent au sous-sol aménagé en véritable camp de base, dans lequel plusieurs écrans étaient répartis. D’abord curieuse, elle avait quitté les pas de son hôte pour s’approcher de l’un des écrans, penchant son visage sur le côté tout en le parcourant brièvement, n’ayant guère le temps de poser une seule question avant d’être happée par une voix un peu trop joviale. Redressant sa nuque courbée, elle s’était éloignée de l’écran tout en posant ses yeux dorés sur l’homme qui s’approchait d’elle, en lui servant un discours ô combien élogieux, trop pour être honnête d’ailleurs.
ㅤㅤUn soutien indéniable de votre part. Plait-il ? Étonnée, la rousse avait acéré ses paupières tout en fronçant légèrement ses sourcils au-dessus de ses yeux de miel, son menton se tournant sur le côté tandis qu’elle réajustait, d’une voix calme :
« J’ignore ce que monsieur Swanson vous a dit mais, j’hésite encore un peu. Néanmoins, je suis disposée à vous écouter. Qui sait, nous avons sûrement des intérêts communs. »
La gamine, qui n’était que trop peu diplomate d’ailleurs, avait fait l’effort de joindre ses deux mains sur le devant de son corps tout en déclamant un sourire qui se voulait chaleureux mais qui sonnait outrageusement faux ; le bureaucrate à la solde d’HYDRA ne semblait guère plus à l’aise qu’elle, car son front perlé de sueur et son empressement trahissaient une nervosité qu’elle trouvait presqu’amusante. Il n’était pas le seul à être stressé, car le Phoenix ressentait les effluves de l’inconfort que sa simple présence provoquait dans la pièce ; elle eut été tentée de leur dire de se détendre mais, par un élan de lucidité, elle y renonça finalement. Le seul qui ne semblait pas être perturbé était celui qui l’avait accueillie quelques instants plus tôt, et c’est peut-être pour cela qu’elle avait instinctivement levé les yeux vers lui, ses iris d’ambre rougeoyant d’une curiosité brimée.
ㅤㅤAnthony Master. Pas sûre qu’il était maître de quoique ce soit, ici. Pour son impolitesse prétendue, le malheureux se fit même réprimander comme un collégien et, alors que n’importe qui d’autre aurait détourné les yeux pour ne pas l’accabler davantage, Jean l’avait, au contraire, fixé durant quelques secondes, l’observant dans une contemplation silencieuse jusqu’à ce que, dans une rencontre imprévue, leurs regards se croisent telles deux lames qui s’entrechoquent : presque aussitôt, comme un animal sauvage prenant la fuite, elle avait tourné le menton vers le plus âgé. Celui-ci voulait trinquer, n’ayant visiblement pas compris qu’elle ne s’engageait pas encore à leurs côtés… Un soupir de lassitude passant la barrière de ses lèvres charnues, la télépathe avait répondu par un faible haussement d’épaules suivi par un sourire incertain, qui ne fut point interprété comme un refus.
« Je voudrais un thé. »
Par simple esprit de contradiction, elle avait demandé une boisson chaude. Guettant l’expression de son hôte, qui allait peut-être s’agacer, le Phoenix avait penché son menton sur la gauche sans perdre son sourire faussement jovial, avant de lancer un regard succinct sur celui qui était devenu serveur entre temps.
« Admettons que je vous rejoigne, qu'est-ce que vous attendrez de moi, concrètement ? »
Elle eut envie de rajouter qu'elle ne serait jamais aussi obéissante que lui, mais s'était retenue. Il y avait quelque chose qui l'intriguait chez le brun mais elle n'aurait su dire quoi et, de toute façon, ce n'était point l'objet de sa venue. Relevant donc son menton vers le dénommé Klanch, elle avait attendu sa réponse avec un vif intérêt, espérant que celle-ci lui convienne.

Embarrassé par l’annonce de la rousse, le vieil homme avait gratté son front pour occuper ses mains hésitantes, essayant peut-être de rétablir de l’ordre dans son crâne après cette remise en question. Ce fut d’un oeil amusé que Jean l’avait regardé faire, regrettant amèrement de ne pas pouvoir être présente lorsque l’agent Swanson se ferait accablé de reproches pour avoir transmis les mauvaises informations et l’avoir ainsi tourné en ridicule. Une moue taquine s’étant formée sur sa bouche à cette pensée, mais elle avait néanmoins rapidement repris son masque inflexible pour répondre, d’une voix neutre :
« Je n’en doute pas mais, voyez vous… » Marquant une pause, elle avait croisé ses bras contre son buste féminin tout en levant légèrement le menton avant de dire : « Je viens tout juste de retrouver ma liberté. Je ne laisserai personne m’enchainer de nouveau. »
Au moins, les choses étaient dîtes ; quand bien même deviendrait-elle leur alliée, elle garderait sa liberté nouvellement acquise, et si précieuse. Un verre lui revint alors, transmis par la main de l’homme qui l’avait accueillie ; sans un regard pour lui, Jean s’était saisie de sa boisson pour zieuter le contenu du verre en haussant l’un de ses sourcils, perplexe… Qu’est-ce qu’il lui avait apporté, celui-là ? Retenant une grimace d’incertitude, elle avait relevé la boisson jusqu’à son visage pour renifler un coup à sa surface, se rendant rapidement compte qu’il lui avait servi un thé comme elle l’avait demandé, mais que celui-ci était froid. Il n’avait absolument pas compris ce qu’elle avait demandé mais, puisqu’elle n’appréciait guère l’asservissement dont il était l’objet (peut-être parce qu’elle avait été elle-même opprimée durant neuf longues années), elle n’avait pas eu le coeur de lui faire remarquer. Plutôt, elle avait redressé son menton en sa direction et planté ses yeux dorés dans les siens pour lui dire, d’une voix calme :
« Je vous remercie. »
À peine avait-elle eu le temps d’apporter le verre à ses lippes pour en aspirer une fine gorgée que, déjà, son hôte se remettait à parler. Charlie était leur nouveau sujet de conversation et, devant les compliments faits à l’absent, elle n’avait pu s’empêcher de grimacer avant de pencher son visage de gauche à droite, marmonnant alors pour elle-même :
« Son plus grand talent est de vous endormir avec sa conversation. »
Cela vous fait un point en commun, avait-elle eu envie de rajouter.  Devait-elle leur dire qu’elle avait failli le tuer lors de leur première rencontre ? Avec une facilité déconcertante, d’ailleurs. Humectant ses lèvres avec la pointe de sa langue, elle avait légèrement haussé ses sourcils lorsque les capacités d’Anthony, devenu presque muet, furent mentionnées. Ignorant l’éloge qui venait de lui être fait, son regard dérivant un instant vers Anthony, elle avait demandé, sans le quitter des yeux :
« Quelles sont vos capacités, monsieur Master ? »
En ayant un peu marre d’être débout, la jeune fille avait déposé son verre sur le premier meuble qu’elle avait rencontré et, sans demander l’autorisation, avait fait un geste de la main pour qu’une chaise libre traverse la pièce et vienne se poser juste devant elle. Y prenant place en croisant ses jambes de manière élégante, elle avait levé ses grands yeux dorés vers les deux hommes en leur demandant, d’une voix un peu plus aiguë :
« Asseyez-vous, je vous en prie. »
Faites comme chez vous ; voilà ce que voulez dire le sourire mutin qui comblait ses lèvres nacrées. D’une divine insolence, il était difficile de la contrarier néanmoins ; nul doute qu’elle était capable de faire exploser cette base en un seul soulèvement de la pensée. D’ailleurs, le vieil homme n’avait rien trouvé à redire à sa phrase inconvenante, et s’était contenté de lui sourire en lançant un regard entendu à son acolyte muet.
ㅤㅤAppuyant son coude sur le dossier de la chaise, étant bien loin de ces préoccupations, la rousse avait appuyé la pulpe de ses doigts contre sa tempe pour soutenir sa figure, alors même que les deux hommes reprenaient leur discours. L’ordre et la sécurité, pour tous. Il n’avait pas totalement perdu sa voix, lui. Le vieil homme et Jean ayant les yeux posés sur Anthony après son interruption, ce fut la rousse qui lui répondit la première, un vague sourire aux lèvres quand bien même ne pouvait-il point le voir, ayant le menton baissé.
« L’ordre et la sécurité pour tous… C’est une noble quête. La mienne, actuellement, s’apparente davantage à la vengeance. Je veux que celui qui m'a enfermée et torturée paye pour ce qu'il m'a fait : pour lui, il n'y aura ni sécurité, ni ordre. Seulement le châtiment. »
Le poison de la colère se réveillant en sursaut dans ses veines, Jean avait serré les dents en faisant malencontreusement éclaté en mille morceaux le verre qui se trouvait derrière elle, sans même s'en rendre compte. Quelques lignes dorées, comme des veines embrasées par le feu d'un volcan, se dessinèrent sur la peau de son visage alors qu'elle plantait ses iris rougeoyants dans ceux d'Anthony : elle ne mentait pas, son désir de vengeance était plus fort que tout. Et elle comptait bien obtenir sa revanche, quitte à faire sombrer le pays tout entier sous ses flammes.

Seul Hydra compte, avait-il dit… Voilà qui ne répondait en rien à la question qu’elle lui avait posé. Peut-être n’avait-il pas le droit de lui révéler ce dont il était capable ? Bien évidemment, d’un esprit irrévérencieux qui n’admettait point la défaite, cette supposition secrète ne fit qu’accroître sa curiosité, et c’est pourquoi elle avait planté ses premières dents dans le coeur de sa lèvre inférieure tout en fronçant ses sourcils au-dessus de ses yeux cuivrés, hésitant quelques secondes avant de souffler dans son esprit, d’une voix douce qui résonnait comme un faible écho murmuré :
« Je pourrai le savoir en fouillant dans votre esprit, vous savez… Alors, dites-moi. Quelles sont vos capacités, monsieur Master ? »
Déjà, elle savait qu’il ne possédait aucun bouclier télépathique, sinon elle n’aurait pu se propager si facilement dans ses pensées — pensées qu’elle n’avait guère dévoilées d’ailleurs, n’ayant point investi ses souvenirs pour en apprendre davantage sur lui. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait mais… Le Phoenix attendait de voir comment l’homme allait réagir face à cette intrusion indésirable car, la plupart du temps, elle provoquait la fureur en agissant ainsi, ce qui l’amusait assurément. Ses yeux dorés ainsi plongés dans ses orbes sombres, elle attendit quelques secondes avant de détourner le regard, afin de ne pas attirer l’attention sur eux ; si elle devait avoir une conversation en parallèle avec le brun, le plus âgé ne devait rien en savoir.
ㅤㅤLe sujet de sa vengeance ayant résonné dans la conversation, la rousse avait été la proie d’un élan de colère intérieure qu’elle avait tenu silencieux, laissant seulement entrevoir les striures luisantes qui étaient apparues sur sa peau avant de disparaître, alors qu’elle avait les yeux baissés. Evoquer son bourreau lui provoquait toujours de vives réactions… Mais ce n’était pas le moment de se laisser emporter.
ㅤㅤAyant refermé sa main droite en un poing féroce, elle détacha difficilement ses doigts tendus par la nervosité et découvrit que ses ongles avaient laissé leurs empreintes dans sa paume marquée et rougie, laissant entrevoir un court moment de faiblesse : là, les épaules courbées vers l’intérieur comme pour former une carapace visant à la protéger du reste du monde, son pouce venant caresser l’intérieur de sa main comme pour se réconforter, le menton baissé, ses longs cheveux roux ramenés sur son épaule et la bouche silencieuse, le Phoenix semblait vulnérable.
« Un accord. »
Répète-t-elle dans un soupir en redressant finalement sa figure, encore quelque peu troublée par les ruines de la colère et de la douleur qui tournoyaient dans son esprit, sans même voir l’homme qui posait dangereusement sa main sur l’arme qui était accrochée à sa ceinture ; fort heureusement d’ailleurs car la situation aurait gravement dégénéré sinon.
« Qui sont vos opposants ? Charlie est resté très vague à ce sujet. »
Mais comme elle avait fait fuir la Sorcière Sombre, le Phoenix songeait (avec une confiance aveugle et démesurée) que personne ne serait de taille à le défaire. L’homme, quelque peu penaud et nerveux, ne lui inspirait pas forcément confiance mais elle ne s’en méfiait pas non plus ; elle le considérait plutôt comme un être insignifiant, qui ne méritait guère que l’on s’attarde sur lui. Elle manquait cruellement d’expérience, n’était qu’une enfant jetée dans un monde qu’elle ne comprenait pas toujours, et au sein duquel les plus vils esprits se disputaient sa puissance.
« La visite est terminée ? »
Levant ses yeux vers le plafond, elle avait froncé son petit nez avant de se lever de sa chaise pour commencer à se balader dans la pièce, les bras croisés dans son dos... Ce qui ne faisait guère plaisir aux agents installés derrière leurs écrans mais, elle s'en fichait un peu. Beaucoup.

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Tandis que le vieil homme s’élançait dans un discours saupoudré de pensées édulcorées qui ne laissait que trop peu de place à la contradiction, le Phoenix avait scindé son esprit en deux, tout en restant conscient de chaque côté : en apparence, il écoutait attentivement les paroles de Klanch, réagissant même à celles-ci en hochant parfois son menton de haut en bas, lui offrant un sourire conciliant, un bref mouvement d’épaule ou un regard appuyé tandis que, de l’autre, il plongeait dans un souvenir ô combien perturbant mais surtout fascinant…
ㅤㅤLa nuit, aussi opaque qu’un lac d’encre noire, se répandit à ses côtés en même temps que les perles d’une pluie fine qui vinrent s’échouer sur sa rousse chevelure. Le vent, particulièrement frais à cette hauteur, vint s’enfouir dans ses mèches pour les repousser en arrière tandis qu’elle plissait légèrement ses yeux pour tenter de discerner l’étrange silhouette qui se dessinait au loin, se confondant presque avec les ténèbres du crépuscule. C’était un sentiment fort étrange, que celui de voyager à travers les souvenirs d’une vie qui ne lui appartenait pas mais, sans réfléchir, elle avait d’abord voulu s’avancer pour lui accorder quelques mots, cependant, l’altercation naissante entre les deux hommes s’était engagée bien trop rapidement et elle n’avait pu qu’assister, impuissante, au combat singulier qui s’était orchestré.  Orchestré était un mot on ne peut plus adéquat, d’ailleurs.
ㅤㅤPeu à peu, elle avait froncé ses sourcils tout en laissant ses lèvres s’espacer de quelques degrés sous l’ébahissement, car ce qu’elle voyait ne pouvait la laisser indifférente : comme un miroir répercutant les moindres faits et gestes de l’homme, Anthony reproduisait ses manoeuvres de combat avec une rapidité étonnante, si bien qu’il était souvent difficile de discerner qui avait commencé une action. Surprise mais également admirative, Jean l’avait suivi du regard — autant qu’elle le pouvait du moins, laissant un sourire complice envahir la bordure de ses lèvres nacrées. L’homme fut achevé et, sans même lui accorder un regard, elle avait légèrement penché son menton sur le côté sans quitter l’agent d’HYDRA des yeux. Étonnant. Il était décidément étonnant.

Le Phoenix revint à la réalité sans alerter du moindre soupçon ; son voyage allait rester un secret. Ses yeux étaient toujours rivés sur Klanch et elle n’avait pas encore adressé la moindre réaction à Anthony, jusqu’à ce que son supérieur ait achevé sa tirade, enfin. C’est alors que, ayant toujours son coude appuyé sur le dossier de sa chaise, elle lui fit, d’une voix élégante et souple :
« Bien entendu, je comprends. Je vous remercie d’ailleurs de me  recevoir, j’ai bien conscience d’être gratifiée d’un honneur. »
L’homme, semblant s’engorger de plaisir sous ces flatteries qu’elle ne pensait guère, avait de nouveau tamponné son front avec son mouchoir tandis que, faisant lentement dévier ses yeux vers Anthony, elle lui adressa quelques mots qui ne furent partagés qu’entre eux, dans un murmure dispersé dans ses pensées :
« Impressionnant, Taskmaster. »
Un léger sourire au coin des lèvres, elle attendait de voir s’il se montrerait également curieux envers ses propres capacités… Elle songeait qu’il n’oserait pas, quoique le fait qu’il ait partagé ce souvenir avec elle, en toute dissimulation, témoignait peut-être d’une étincelle de rébellion ? Mordillant brièvement le coin de sa lèvre, elle avait reporté toute son attention sur Klanch pour lui demander, faisant mine de s’intéresser à lui avec une fausseté indéchiffrable :
« Racontez-moi donc l’un de vos exploits, j’ai envie d’en apprendre plus sur vous ! »