New York City. La Grosse Pomme, la Ville qui ne dort jamais. Une destination idéale pour beaucoup de touristes, une ville que tant d'américains et d'étrangers rêvent de visiter…
Pas moi.
J'arpente les rues crasses de cette ville immonde, j'en respire les relents pollués depuis plusieurs jours, et je suis déjà atteint d'un sérieux mal du pays. Mais je n'ai pas le choix. Un petit moineau m'a échappé, et je dois le retrouver. Après plusieurs mois de recherches, elle a enfin été repérée dans le Bronx, le pire arrondissement de New York. On m'a indiqué un nightclub réservé aux non-humains. C'est une première piste. C'est une nouvelle épreuve.
Je suis vêtu sobrement, comme à mon habitude : pantalon noir, Dr Martens noires, chemise noire à manches longues pour dissimuler mon avant-bras orné du tatouage "HUMAN RULES" qui ferait tâche dans le décor. Tant pis pour la chaleur étouffante de ce mois d'août, je la supporterai, tout comme je supporte tout le reste. Vivement qu'on mette la main sur cette pétasse, que je puisse rentrer dans mon pays.
On ne me laisse pas entrer dans la boîte sans avoir vérifié que je suis bien un non-humain. Je hausse les épaules avec nonchalance avant d'effectuer un sobre moulinet du poignet. Le talkie-walkie du vigile se décroche de sa ceinture et vient se loger en douceur dans la paume de ma main. Ne ressentant pas le besoin de faire le moindre commentaire, je le lui rends avec un simple haussement de sourcils. Il me laisse entrer.
La décoration criarde, le boucan infernal, les odeurs de sueur et d'alcool, tout me donne envie de vomir. Le plus insupportable étant bien évidemment la présence de dizaines, voire de centaines de monstres se trémoussant sur la piste de danse et faisant la fête en toute impunité. Je ne suis pas là pour eux. Une seule mutante m'intéresse. J'ai l'avantage de savoir précisément à quoi elle ressemble tandis qu'elle n'a jamais vu mon visage. Il sera plus simple de la chercher.
J'avance lentement dans la grande salle, me frayant un chemin entre les danseurs et les buveurs, sans grande difficulté : l'avantage de mesurer une bonne tête de plus que la moyenne. Je parcours les lieux du regard, mais ils sont trop bondés pour espérer repérer qui que ce soit. Si je reste trop longtemps seul à ne rien faire, je risque d'attirer l'attention. Je me rends donc au comptoir, accroche le regard d'une barmaid et lui demande :
« Une bière. Blonde. S'il-vous-plaît. »
Je me suis fait violence pour ajouter la formule de politesse, sachant bien comme je peux paraître froid au premier abord. Je n'ai en revanche pas cherché à masquer mon accent britannique. Bien au contraire, il pourrait potentiellement m'être bien utile.
Le travail à Hydra m’avait été refusé ces derniers temps. Depuis mon lynchage, je n’avais pas eu l’autorisation de remettre les pieds là-bas. L’on m’avait prévenu, si je rentrais dans cette base, je n’en ressortirais plus. Je crois que Charlie tente de me protéger à sa manière mais je dois avouer que j’ai de plus en plus de mal à le suivre. Mais ce soir je me dois de penser à autre chose. Ce soir je travaille dans mon boulot de couverture qui par moment me fait dire que j’ai une vie presque normale. Il est vrai qu’elle ne l’est pas tant que cela quand on voit le White Rabbit Hole mais cela me permet d’avoir une occupation qui m’empêche de trop réfléchir. A mon arrivée pour le service du soir, l’on m’a demandé à ce que je sois derrière le bar. Cela me convient très bien, je n’ai pas encore totalement cicatrisé de mes blessures et même si la douleur n’est plus là, je dois avouer que je n’ai pas vraiment envie de voir à nouveau des points de suture sauter (même s’il y a très peu de chance que cela arrive). Alors être au bar me permets de ne pas avoir à remuer mes fesses dans la salle et surtout cela me garde à bonne distances des potentiels pervers. Nous sommes deux ce soir car il y a du monde, comme tous les samedis soirs et je dois avouer que plus la nuit avance plus il y a de clients et de travail. C’est parfait. Je suis à fond dans mon travail et cela m’aide à ne pas réfléchir.
J’enchaîne alors les services, les prises de commandes et les encaissements. Je fais beaucoup d’aller-retour mais cela me plait et finalement la soirée s’annonce active et productive. Pour une fois j’ai le sourire un peu plus facile que d’ordinaire. Pour autant, cela reste compliqué pour moi de faire la conversation à qui que ce soit dans le sens où beaucoup n’ont pas de dialogues très productif et intéressant.
Alors que la nuit bats son plein et que le club se rempli de plus en plus, je croise le regard de quelqu’un qui s’assoit au bar. Il semble impassible et déterminé mais surtout je ressens un léger malaise. Il n’est pas content d’être là. Ce ne sont que des sensations et je les fais taire bien rapidement avant de me diriger vers lui pour prendre sa commande. En entendant ses paroles, je lui souris avec douceur pour lui répondre :
« Britannique ? Puis-je alors vous souhaiter la bienvenue à New-York ? »
Peut-être qu’il vit ici depuis longtemps mais cela me permet peut-être de lui faire plaisir, lui qui semble être … dégouté ? Alors que je me dirige vers le comptoir pour lui préparer son verre, je ne le quitte pas des yeux afin d’entendre sa réponse et de voir si, peut-être, je peux rendre service en plus de faire mon métier de barmaid.
La barmaid me sourit, elle semble gentille. En même temps, elle fait un boulot dans lequel on est forcé de se montrer aimable et heureux en permanence, même si l'on a envie d'étrangler tout le monde. Je tâche de jouer le jeu néanmoins et me force à étirer mes lèvres en une très légère et factice démonstration de joie. Je ne la tiens pas longtemps, juste le temps qu'elle l'ait remarqué.
Elle me souhaite la bienvenue… Cela se voit-il tant que ça que je suis arrivé récemment ? Je n'ai donc pas le profil type de l'émigré bien intégré ? Comme c'est surprenant… La formulation de la serveuse est étonnante, néanmoins. Elle me pose une question, comme si elle me demandait la permission d'être sympathique avec moi. En un sens, c'est élégant comme approche, et appréciable.
« Vous pouvez… Malheureusement je ne suis pas ici de gaieté de cœur. »
Le temps qu'elle serve la bière, mon regard se promène dans la salle, pour une partie de Où Est Charlie en mode expert. Comment repérer quelqu'un dans une foule remuante sous une lumière de boîte de nuit ? Le petit moineau pourrait se trouver à quelques mètres de moi que je ne m'en rendrais pas compte. J'ai plus de chances de la voir en restant au comptoir. Tout le monde finit par avoir soif, tous les clients passent par le bar à un moment ou l'autre.
La barmaid pose une bière devant moi, dans un petit verre. Ah oui... Les américains servent des demi-portions par rapport aux anglais qui distribuent de base des pintes. Bon, ce n'est pas bien grave. Je sors mon portefeuille et quelques dollars pour payer ma consommation dès à présent, histoire d'être en règle.
« Vous travaillez ici souvent ? Vous pourriez peut-être me renseigner. »
Ça ne coûte rien d'essayer. Je me vois mal interroger tous les clients éméchés et délurés, cela manquerait cruellement de discrétion et d'efficacité, en plus de me donner potentiellement des envies de massacre. S'il y a une personne à questionner ici, c'est bien une membre du personnel du club, qui avec un peu de chance est suffisamment physionomiste pour se souvenir de certains clients.
Si mes mains sont occupées à préparer la commande du client mes yeux quant à eux étaient tournés vers lui afin d’entendre sa réponse. La première réaction fut d’être désolée pour lui. Il n’était pas là de son plein gré. Peut-être était-ce pour cela que je ressentais autant de dégoût pour cet endroit venant de lui. Si c’était là son état d’esprit général, en effet, il ne devait pas être le plus à l’aise qui soit cependant j’espérais lui faire plaisir en lui apportant une bière :
« Navrée de l’apprendre. J’espère que vous pourrez bientôt rentrer chez vous si c’est votre souhait. »
La bienveillance ce n’était pas vraiment ma spécialité car dans le fond je n’avais jamais été entrainée pour ça mais il me faisait véritablement de la peine d’être aussi mal à l’aise dans notre pays et dans ce lieu. S’il avait pu entrer c’est qu’il savait la teneur de l’établissement mais peut-être était-il là pour une raison particulière après tout. L’idée partie aussi vite de mon esprit après qu’elle fut arrivée alors que je vis une très légère déception en regardant la bière. Mes maigres connaissances me firent alors tilt et je renchérie en espérant décrocher un sourire, même si cela semblait loin d’être une tâche aisée :
« Nous n’avons pas de pintes, je suis désolée. Pour compenser, la prochaine sera pour moi. »
Alors que je me redresse pour partir m’occuper d’un autre client. Je l’entends qu’il me parle et me retourne rapidement vers lui pour l’écouter. Il n’est donc pas là par hasard. Je lui réponds rapidement.
« Depuis un certain temps. Je m’occupe de ce client et j’arrive. »
Un regard plus assuré de pouvoir me sentir plus utile que de simplement servir des cocktails et des bières. Je me retourne alors le temps de servir le client pour son énième commande. Il semble déjà bien éméché mais la règle ici stipule que l’on peut les servir jusqu’au bout de la nuit. Néanmoins, je me hasarde à lui demander s’il rentre en voiture ou à pied. L’homme y comprend une allusion déplacée et me fait des avances, que je refuse avec politesse dans la foulée. Il est déçu et pourtant les clients réguliers me connaissent bien je refuse les avances de tout le monde. Des personnes comme Eze ou même Remy en avaient fait les frais avant de devenir un ami pour l’un et une connaissance particulière pour l’autre. La simple pensée de les croiser me faisait désormais toujours plaisir. Ce soir, ils n’étaient pas là et la réflexion de reprendre contact avec Ezekiel pour lui demander des nouvelles se logea dans un coin de ma tête, je lui enverrais un message après mon service. Une fois la commande servie au client plutôt insistant, je me retourne vers le britannique pour lui offrir un sourire que je n’ai pas offert à beaucoup de clients jusqu’alors.
Pouvoir rentrer chez moi… Oh oui, je n'aspire qu'à cela. Je ne suis à New York que depuis quelques jours, et je déteste cette ville. Je déteste ce pays. Les rues sentent la pisse, les gens sont malpolis. Nous sommes bien loin de Londres. J'idéalise sans doute un peu trop ma ville natale. Mais elle me manque, terriblement. Cette barmaid est la première personne que je rencontre qui me paraît sympathique. Mais je ne me laisse pas abuser : si elle travaille ici, elle est nécessairement mutante.
Sa remarque sur l'absence de pinte me fait légèrement tiquer. Je n'en montre rien, mais sa perspicacité m'inquiète. Comment a-t-elle pu deviner mes pensées ? Serait-elle télépathe ? Ma hantise… Je suis doué pour jouer des rôles, dissimuler mes émotions, manipuler les gens, mais on ne peut pas mentir à un télépathe.
Le temps qu'elle passe à s'occuper d'un autre client me permet de réfléchir. Je ne peux pas continuer à parler avec elle si elle peut lire mes pensées, c'est bien trop risqué. Mais je suis peut-être trop suspicieux. Il faut que je m'en assure avant de poser la moindre question sur mon petit moineau.
Elle revient vers moi en souriant, me demande comment elle peut m'aider. Je lui rends son sourire. Il me faut paraître amical, même si cela me coûte. Une blondasse décolorée et trop maquillée s'introduit alors dans mon espace vital en s'accrochant à mon épaule et émet un gloussement insupportable. Je perds mon sourire factice et deviens instantanément beaucoup plus froid.
« - Heeey, saluuuut beau blond ! Moi c'est Crystal ! Et toi tu es… ? - Pas intéressé. »
Je ne lui ai pas même accordé un vrai regard. La greluche s'en va, en marmonnant quelque chose sur les gens qui ne savent pas s'amuser et ont certains accessoires ménagers coincés dans le derrière. Je soupire, prends une gorgée de bière et souris de nouveau à June, avec une expression néanmoins désolée.
« Navré pour cela, mais je ne supporte pas ce genre d'attitude… Pourquoi faudrait-il nécessairement oublier les convenances sous prétexte qu'on est dans une boîte de nuit ? Je n'ose même pas imaginer ce que vous devez subir chaque soir… »
L'incident a eu le mérite de détourner la conversation. Je peux donc reprendre sur le terrain qui m'intéresse. Je lève mon verre vers elle et lui dis d'un ton bien plus léger, voire complice :
« En tout cas la bière est bonne ! A propos, comment avez-vous su pour la pinte ? Vous êtes télépathe ? »
Dans le doute, je me mets à chanter en boucle une vieille comptine anglaise dans ma tête. Je ne veux pas qu'elle découvre quoi que ce soit de compromettant sur moi. M'exposer dans un club de mutants, me jeter dans la gueule du loup, n'était peut-être pas la meilleure idée du monde…
Entre la musique qui est énergique et assourdissante, les clients qui sont nombreux et parfois insistants et les commandes qui s’enchainent sans répit, il est difficile de tenir une véritable conversation sans être interrompue. Hormis avec le client un peu trop entreprenant, je n’avais pas vraiment eu de soucis, ce qui me permit de rapidement me retourner vers le client Anglais qui semblait en quête d’informations. Au moment où j’arrive à revenir à ses côté c’est à son tour d’être interrompu par une femme qui semble être attiré par ses yeux perçant où plutôt son cuir chevelu à la façon dont elle l’interpelle. J’hausse un sourcil à la fois à sa tentative de le séduire mais encore plus à la réponse du blond en question qui est aussi froid d’un glaçon et aussi rude qu’un gardien de prison. Rien à voir avec l’homme avec lequel j’avais échangé quelques mots plus tôt.
Je ne dis pas un mot mais croise son regard et ressent l’agacement qu’il ressent. Avant même que je ne puisse lui répondre, il reprend de lui-même la parole. J’ai le sourire aux lèvres en l’écoutant avant de répondre le plus naturellement du monde, limite en lui racontant ma vie :
« Ahah, cela arrive parfois mais la plupart du temps j’ai un ami qui vient me voir et qui éloigne les potentiels clients trop insistants. »
Il lève sa bière et je me hasardeuse à prendre les verres en train d’égouttés pour les essuyés en même temps que je lui fais la conversation, ou plutôt que je réponds à ses questions. Pourtant lorsqu’il s’intéresse à mes pouvoirs j’ai un petit sursaut de rire avant de secouer la tête négativement :
« Non, je ne suis pas télépathe. Pour les pintes, c’est de la déduction, j’ai d’autres clients anglais. Navré mais vous n’êtes pas le premier à être agacé par les petits verres américains. »
Je repose le verre sec dans l’étagère derrière moi avant d’entendre une commande d’un cocktail. Machinalement je lève les yeux vers le client en lui faisant un signe de tête avant de commencer la préparation de son cocktail. Pour autant je n’oublie pas l’homme curieux et je me permets de lui répondre :
« Ma mutation a été déclenchée suite à une série d’expérience, je n’ai rien demandé mais c’est ainsi. Je ne ressens plus la douleur physique en surface. Cela va de la coupure à la brûlure. Et je suis en partie empathe, enfin si on veut. Mais ce n’est pas le genre d’infos que vous vouliez si ? »
Je le regarde, le sourire facile aux lèvres. Ne pas parler de l’hydre pour une fois me faisait du bien mais finalement ils reviennent toujours dans un sujet de conversation où un autre. Je finis le cocktail et le présente devant le client avant de reposer mes yeux sur l’anglais, attendant une réponse.
Je la fais sourire, je la fais même rire. Elle prend le temps de me répondre, de me parler un peu d'elle, malgré tout le travail qu'elle a à faire. Son intérêt semble être honnête. Elle semble être une gentille fille. Difficile de croire, lorsqu'on la voit, qu'un monstre se cache au fond d'elle.
Elle n'est pas télépathe, elle a simplement un bon sens de l'observation et un bon esprit de déduction. C'est un grand soulagement. Cela dit, si elle offre des pintes à tous ses clients anglais pour s'excuser de la défectuosité des américains, elle ne doit pas gagner grand chose. A moins que j'aie le droit à un traitement de faveur ?
« On m'avait pourtant dit que les américains avaient le goût de la démesure, que tout était plus grand chez eux… Quelle désillusion ! »
Je parais taquin, gentiment moqueur, mais intérieurement je méprise l'ego démesuré de ce peuple pourtant si récent et primitif, dont les valeurs sont si opposées aux traditions européennes. La rivalité, la haine entre nos deux nations est si ancrée dans nos gènes que je ne pourrai sans doute pas me défaire de mes préjugés.
La serveuse me parle de sa mutation. Je n'en demandais pas tant, mais au moins je sais à présent de quoi elle est capable. Ne pas ressentir la douleur… cela me paraît surtout être un handicap. Elle m'explique que sa mutation n'est pas naturelle, qu'elle est apparue à cause d'expériences qu'elle n'a pas voulues. Intrigant. Je pourrais désirer en savoir plus, mais je ne dois pas m'égarer, je ne dois pas perdre de vue la raison de ma venue dans ce lieu de perdition.
Elle précise également qu'elle est empathe, enfin plus ou moins, enfin en quelque sorte. Cette imprécision est aussi étrange que pénible. L'empathie peut à ma connaissance prendre plusieurs formes : ressentir les émotions des gens, percevoir leurs souffrances, ou savoir s'ils disent la vérité. Deux cas sur trois sont potentiellement problématiques pour moi, l'un des deux me pousserait à couper court à cet échange sur le champ.
« Comment peut-on être "en partie empathe" ? Vous ne détectez les mensonges que par nuit de pleine lune ? »
Je souris toujours et donne l'air d'être quelqu'un qui apprécie l'humour et les jeux verbaux. Mes questions sont détournées par cet aspect comique et avenant, afin de ne pas paraître suspectes. Heureusement pour moi, notre conversation est fréquemment interrompue par d'autres clients, ce qui permet à notre échange de ne pas ressembler à un interrogatoire.
Qui aurait cru que j’aurais passé une soirée finalement pas si anodine que cela. Faire la connaissance – enfin la connaissance c’était vite dit – d’un anglais qui en plus d’être poli avait le mérite de me faire sourire. Sa remarque sur sa prétendue désillusion vis-à-vis des américains me fit sourire avant que je reporte mon attention sur les verres en lui répondant avec le même ton que lui :
« Et encore, vous n’êtes pas au bout de vos surprises… Mais l’on peut être gentil et serviables si on tombe sur des anglais aussi charmants. »
Mais … Mais qu’est-ce qui me prends ? Est-ce que je viens vraiment de dire ça. Déglutissant avec difficultés, je me reprends en baissant les yeux sur mon torchon durant les quelques secondes de silence dans notre conversation. Silence qui ne s’entend pas puisque la musique et l’ambiance battent leurs pleins dans le club. Finalement, je reprends le dessus pour lui parler de ma mutation en même temps que je continue mon travail. Mes mots s’accompagnent d’un regard pour lui alors que je lui demande ce qu’il voudrait comme informations.
Si je trouve étrange qu’il ne me demande pas de suite ce qu’il attend de moi à la place il plaisante sur ma tournure de phrase… Me sentant un peu gourde à ma description précédente plus que médiocre, je tente de m’expliquer avec plus de clarté :
« Non mais les empathes détectent et ressentent toutes les émotions. Chez moi, c’est amoindri, ce sont des sensations. Je suis pas aussi précise qu’eux et surtout je les détectent mais ne les ressens pas. Par exemple, je suis capable de ressentir votre gène dans cet endroit mais je mettrais ça sur le fait que vous n’êtes pas du coin. »
Je me redresse du comptoir et ajoute avec le sourire :
« Je ne suis pas un détecteur de mensonges non plus, dans le sens ou par exemple je m’appuies sur les sensations. Si la personne est stressée en me parlant, j’en déduirais qu’elle ment. »
Je souris de plus bel avant de faire signe à un client que je l’ai vu et que j’arrive.
« J’suis désolée, c’est pas clair comme explication mais tout est une question de sensation, c’est comme ça que je le vois. »
Je lui fais signe que je reviens dans un instant après m’être occupé du client. C’est une grosse commande qui me prend plusieurs minutes mais j’ose espérer ne pas avoir effrayé l’anglais et qu’il sera toujours là quand j’aurais fini…
HRP:
à toi de voir si tu restes et glanes quelques informations supplémentaires
Je hausse un sourcil et souris de plus belle à sa réponse, me montrant charmant puisque c'est ainsi qu'elle me perçoit. D'un point de vue extérieur, nous ressemblons à deux jeunes gens qui flirtent gentiment. Je ne prends pas le temps d'y réfléchir, sinon je risquerais d'être pris de nausée. Faire la cour à une mutante… Yerk. Mais je tiens mon rôle et me prends au jeu, ainsi je suis parfaitement crédible.
Ses explications sur son pouvoir, enfin plus détaillées, me rassurent. Ce n'est pas de l'empathie au sens strict, plus de la perception de sensations plutôt vagues. Elle cite en exemple ce qu'elle appelle ma "gêne". Si ce n'est que cela pour elle, alors ça me convient. J'acquiesce afin de confirmer sa théorie et de la rassurer. C'est là tout le principe du mensonge par omission : moins on en dit, plus on a de chances d'être cru.
Je ne suis pas d'accord avec sa théorie sur le stress et le mensonge. Je suis certain que nombre de vérités peuvent être avouées avec une forte dose d'anxiété, et qu'à l'inverse d'énormes mensonges peuvent être annoncés avec une assurance insolente. Mais je ne la démens surtout pas ; encore une fois, ça m'arrange. Je conclus simplement ses explications par une phrase courte et rassurante.
« C'est très clair, ne vous en faites pas. »
Je souris tellement que je crains d'avoir mal à la mâchoire. Heureusement elle se détourne de moi pour aller s'occuper d'autres clients. Mon regard se promène à nouveau sur la foule de monstres remuants. Je ne me fais pas d'illusions : mes chances d'apercevoir ma proie sont très proches de zéro. J'en reviens donc à ma première idée : exploiter la gentillesse et le savoir de la serveuse. Je patiente donc jusqu'à ce qu'elle revienne vers moi.
« Vous aviez raison tout à l'heure quand vous disiez que j'étais gêné. Je ne me sens pas vraiment à mon aise dans ce genre d'endroit. Trop de monde, trop de vacarme. Mais avec un peu de chance, vous pourriez mettre fin à mon calvaire. »
Je ressors mon portefeuille pour en extraire la photographie de mon petit moineau et je la montre à la barmaid, sans toutefois la lui donner. C'est le seul exemplaire que je possède et il est probable que j'en aie encore besoin.
« Elle s'appelle Kathleen Hunter. On m'a envoyé à sa recherche après qu'elle ait fui l'Angleterre. Ses proches ont été massacrés et elle est en danger. Elle est injoignable depuis des semaines, mais je sais qu'elle est à New York, et comme elle est mutante, j'espérais que vous l'auriez peut-être croisée. »
Je prends soin de ne pas trop en dire, afin qu'aucun détail contradictoire ne puisse me trahir. Je me concentre également sur mon désir de la retrouver. Si mes émotions sont en adéquation avec mon discours, la serveuse a plus de chances de me croire.
La soirée avance doucement et je suis sur la fin de mon service finalement. J’ai bien l’impression que la présence du bel anglais m’a aidé à faire passer le temps plus rapidement. Entre répondre à ses questions et profiter de sa compagnie entre deux autres clients. C’est peut-être ça finalement le vrai métier de barmaid dans la vie de tous les jours. Je n’aurais pas réussi à totalement occulter Hydra mais qu’à cela ne tienne. Je me dis finalement que ce n’est que partie remise.
Il me pose davantage de questions pour comprendre mon pouvoir et finalement je lui réponds avec simplicité. C’est rare que je parle de moi. C’est rare que je parle tout court mais plus je passe de temps en dehors de la base de l’Hydra, plus je deviens loquace. En définitive, il me confirme qu’il n’est pas à l’aise des clubs de nuit. L’espace d’un instant je me demande alors ce qu’il peut bien faire ici avant de me souvenir qu’il cherche des informations.
« Je vais voir ce que je peux faire. »
Je le regarde sortir une photo et me la tendre. Il ne me la donne pas mais alors qu’il la tient par un côté, je prends le temps de la regarder en tenant l’autre côté de la photographie. Ce n’est pas difficile de reconnaitre la personne qui se trouve sur la photo car même si je ne l’ai pas croisé en vrai, je l’ai vu via les vidéos surveillances du Bar.
Alors que l’anglais reprend la parole, je lâche rapidement la photo et le regarde lui pour écouter ce qu’il a à me dire. J’acquiesce rapidement de la tête et en me rappelant la vidéo, je me souviens qu’elle était avec Charlie. Si lui aussi lui en veux, je suppose qu’en effet elle est en danger :
« Je ne l’ai pas vu mais… - Mademoiselle ? - Oui ? Je reviens… »
Malheureusement, je n’ai pas le choix de m’interrompre pour servir rapidement le client avant de revenir faire l’homme que je suppose désormais être un enquêteur.
« A nous deux… alors … Oui la jeune femme est venue ici, elle a même cramé le bar derrière moi après s’être fritée avec le boss. Malheureusement je doute qu’elle revienne ici ou même qu’elle puisse entrer mais si j’ai des nouvelles d’elle je pourrais peut-être vous contacter si vous voulez. »
Il semble déterminé à la retrouver et je songe au fait que cette pauvre demoiselle a dû souffrir, si elle vu ses proches mourir.
« J’espère que vous al retrouverez saine et sauve… la pauvre. »
Mon air désolée et compatissant me trahit fortement et en même je compatis à tout ce qu’elle a pu subir. Si elle a dû fuir, elle doit surement également rester bien cachée dans la ville et cette ville est très grande…
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