[Super Vilain] Romee Di Angelis | Lost soul in revelry

Trigger Warning: Multiples décès dont un d'enfant, suicide, drogue, addictions, troubles psychologiques.


Ce dont Romee ne se souvient plus bien
"Tu en es sûre?"
"Certaine."
Qui aurait cru que je tomberais sur l'amour de ma vie en me rendant à cette conférence? J'avais pourtant tout fait pour pouvoir y échapper, ayant une peur bleue de l'avion. Mais j'avais tout de même fini par me retrouver dans ce pays ensoleillé, et y ai rencontré cette femme. Celle qui m'a fait rester bien plus longtemps que prévu dans ce pays chaud, qui m'a appris qu'il n'y a pas que la science encore imparfaite de la médecine dans la vie, mais aussi une part de hasard et de chance. Elle qui m'a permis de rencontrer Romee, notre petite fille, fruit de notre amour et deuxième femme de ma vie. Mais fonder une famille ne lui a pas suffit, visiblement. J'ai du mal à croire ce qu'elle m'annonce. Qu'ai-je fait pour avoir autant de chance?
"Il est tant que tu rentres chez toi, et Romee et moi ne te laisserons pas y aller tout seul, chéri."
Et c'est sans hésiter que je confirme que l'avion est d'autant plus effrayant avec une enfant de quatre ans à gérer en même temps que la crise de panique du décollage. Au moins, je rentre à New York, avec ma petite famille.

2004, 6 ans
"Regarde maman! J'ai encore eu A+!"
"C'est bien ma chérie, je suis fière de toi! Il faut continuer comme ça."
"Toi aussi maman, il faut que tu travailles bien!"

Le rire de maman, c'est le plus beau du monde, c'est papa qui le dit, et je suis d'accord. J'adore la faire rire, juste pour l'entendre. Mais là, je suis sérieuse. Elle doit faire un beau bébé! Je regarde son ventre rond, ayant hâte de rencontrer mon petit frère qui s'y trouve. Mais en attendant, je colle mon oreille contre le nombril de maman, attentive au moindre mouvement du petit être se cachant au chaud derrière. Papa a dû penser que je faisais un câlin à maman, parce qu'il vient nous rejoindre pour nous coincer dans ses bras. Il est fort papa, à chaque fois il nous serre trop fort sans le faire exprès. Ma maman donne la vie et mon papa sauve des vies. Mes parents, c'est les meilleurs de l'univers.

2005, 7 ans
Enfin t'es là! Je vais être la meilleure des grandes soeurs, tu verras! Mais tu m'as fait peur quand même, à ne pas te sentir bien quand tu étais dans mes bras. Maman m'a dit que c'était normal, que tu étais très jeune et fragile et qu'on devait faire attention. Je t'en veux pas, après tout, tu découvres le monde. Je te montrerais tout! En attendant, si je ne peux pas te porter, je peux au moins te faire des bisous dans ton petit lit!

2007, 9 ans
"Regarde maman! Cette fois j'ai eu A+ en-"
"J'ai pas le temps chérie, désolée."

Bon, c'est pas grave, je vais voir papa. Il aime bien savoir que j'ai des bonnes notes aussi. Mais je le regarde courir dans tous les sens, attraper les affaires de mon petit frère et se précipiter dehors pour aller mettre en route la voiture. Je jette un regard noir à la cause de tout ça, dans les bras de ma maman. Depuis que tu es arrivé, c'est toujours la même chose. Ils n'ont plus le temps. Avant, je les avais rien qu'à moi. Ils avaient tout leur temps libre à me consacrer. Maintenant, ils courent à l'hôpital quasiment tous les jours pour toi. Ils m'oublient un peu plus chaque jour, et toi, tu continues de pleurer, de faire le faible, de ne faire aucun effort. Tu n'essayes même pas de partager. "Mais ce n'est pas de sa faute s'il est malade", que maman elle a dit pour te défendre la dernière fois. En attendant, toi tu peux dormir avec eux, tu peux passer du temps avec eux. Moi, on me laisse à la maison, on me laisse derrière, on me met de côté. Et c'est pas juste. Je te déteste.

2008, 10 ans
Papa dit que les gens superstitieux sont des idiots et qu'ils croient en des choses complètement fausses. Mais il a tort. Pourtant, d'habitude, il ne se trompe jamais. Papa et maman ne sont pas contents. Ils pleurent même. Alors je vais garder ce secret pour moi. Enfin, à toi, je peux te le dire, tu ne le répéteras pas. A mon anniversaire, avant de souffler les bougies, juste après que vous soyez repartis à l'hôpital tous les trois, en me laissant toute seule avec mon gâteau au chocolat, j'ai fait un voeu. Maman dit qu'il faut toujours faire un voeu. Que je ne dois pas le dire, sinon ça ne va pas se réaliser. Papa dit que c'est des bêtises, mais tu es la preuve que ça fonctionne. Moi je ne pleure pas, car te voir dans ce cercueil, c'était mon souhait, et il s'est réalisé.

2009, 11 ans
Même coincé dans la terre, tu te débrouilles pour me pourrir la vie. Moi j'étais contente de t'accueillir, à ta naissance, je voulais même t'aider au mieux. Et toi, tu me voles maman. Pour toujours. Tu l'emmènes sous terre avec toi. Elle y est même allée volontairement. Elle a préféré nous abandonner avec papa, juste pour être avec toi. Tu me dégoûtes. Je te hais. C'était ma maman. Mais je ne vais pas pleurer, je ne vais pas te laisser cette victoire. Par contre, depuis que maman est partie, papa ne parle plus. Il va encore plus au travail. Parfois, il oublie de rentrer ou de m'emmener à l'école. Je dois me débrouiller toute seule. Ça aussi, c'est de ta faute. C'est à cause de toi que les autres enfants à l'école se moquent de moi, parce que ma famille, elle n'existe plus. Parce que ma famille, elle s'est cassée quand tu es né et elle est morte avec toi. Mais pas moi. Je suis forte, comme papa avant, et jamais je ne perdrais contre toi.

2010, 12 ans
Les mauvaises notes, ça permet d'attirer l'attention des profs, mais pas celle de mon père, la seule qui m'intéresse. C'est pas pour autant que je compte faire des efforts en classe. On s'intéresse à moi que quand il faut montrer le mauvais exemple. Allez vous faire voir. Quand on veut parler à personne, on trouve des moyens de se divertir dans son coin. La lecture en est un. J'aime lire, mais faire ça toute la journée, ça a tendance à finir par ennuyer. Le collège, aussi inutile qu'il soit, me permet de découvrir par hasard ce qui devient une immense partie de ma vie: les échecs. Le plaisir d'écraser son adversaire, de montrer que je suis plus intelligente que tous les idiots que je dois supporter à longueur de journée. Je suis vite devenue la numéro un, et ce trône, je ne comptais pas en descendre, même après le collège, en arrivant au lycée. Enfin, on me voyait. Enfin. Et lui aussi, il m'a vu.



2014, 16 ans
Plus fort que les autres. Plus malin, plus digne d'être mon adversaire. Plus intéressant. Ce n'est pas que sa façon de jouer qui m'intrigue, c'est lui en général. Il a beau perdre à chaque fois, il revient toujours. Et ses efforts ne sont pas vains, il s'améliore chaque jour. Mais je l'écrase sans vergogne à chaque fois. Aucun mot n'est échangé, seulement des regards, des sourires, des pièces sur l'échiquier. Je vais de son côté, il va du mien, chacun espérant pouvoir prendre la pièce maîtresse de l'autre. On se découvre, nos côtés noirs comme blancs, à force de jeux de regards et d'échec et mat. Ce rendez-vous est vite devenu une routine, que ma raison me dicte d'ignorer, mais que mon coeur attend avec impatience chaque matin. Ce garçon dont j'ignore tout est devenu ma raison de me lever le matin et de me rendre au lycée. Je me surprend même à ne plus traîner les pieds sur le chemin de l'aller, mais sur celui du retour à la place. Finalement, après des jours de silence avec lequel je suis si familière, il décide aujourd'hui d'ouvrir la bouche. De briser ma bulle, d'y faire sa place, de rendre impossible le retour en arrière. Il me donne un nom, qui sonne comme mon futur à mes oreilles.

"Ezekiel."

2015, 17 ans
Les mots succèdent au silence, les touchers timides aux regards. Je me perdais dans ses yeux, maintenant je me perds contre lui. Je ne sais si c'est sa victoire ou la mienne, mais il est clair que nous avons tous les deux volé la pièce principale de l'autre: le coeur. Plus que les rendez-vous dans la salle d'échecs, maintenant c'est constamment que nous sommes ensemble. On se parle, on s'apprend, on est là l'un pour l'autre. Il me voit. Il ne voit que moi. Et je ne vois que lui. On se comprend en un regard, on s'aime en une multitude de couleurs. J'aime les moments comme celui-ci, où ma tête est juste posée contre son épaule, qu'il parle ou non, que j'entende sa respiration qui m'apaise, seul constante dans ma vie si solitaire jusqu'ici. Le calme avant ou après les tempêtes. Beaucoup de disputes, qui nous éloignent pour mieux nous rapprocher ensuite. On s'aime, on se hait, on vit pour la première fois. Il est ma lumière dans ce cauchemar dont je suis prisonnière depuis qu'on m'a volé ma famille. Désormais, Ezekiel est la seule famille dont j'ai besoin. Il est la seule personne qui ne m'abandonnera jamais, qui ne verra toujours que moi. Et je compte rester à jamais aux côtés de mon roi.

2016, 18 ans
"T'es sûr?"
Pour seule réponse, j'ai droit à ses yeux verts me rassurant et son sourire me donnant envie de l'embrasser. Je lui fais une confiance aveugle, alors je me penche et aspire par le nez cette poudre blanche interdite. En faisant sa connaissance, j'ai découvert un monde nouveau, rempli de nouvelles possibilités. Il m'ouvre les yeux sur pleins de choses et, j'ignore si c'est dû à la magie de la découverte ou de l'aventure, mais Ezekiel ne m'en hypnotise que davantage. Ce nouveau pas franchi aujourd'hui avec cette poudre m'ouvre une nouvelle porte vers l'univers de cet homme qui me fascine. Ma main dans la sienne, je n'ai pas peur des premiers effets, je les accueille même avec un véritable soulagement. La drogue devient rapidement nécessaire, autant à mon organisme en manque qu'à mon esprit désireux de s'échapper de ce monde pendant quelques minutes.



2017, 19 ans
Je le fixe du regard, un peu plus loin. Les soirées passées à boire ou à consommer étaient devenues une habitude. Être entourée d'autant de personnes me dérangeait toujours, même si je m'étais habituée à la présence fréquente de certaines, mais je faisais cet effort surtout pour pouvoir rester à chaque instant avec mon seul point de repère dans ce monde. Mais je ne m'habituerais jamais à ce à quoi j'assiste au moment même. Je sais qu'il m'aime. Je sais qu'il n'y a rien derrière cet échange dont je ne fais pas partie. Mais ce n'est pas la première fois que des femmes vont vers lui. Qu'elles se croient tout permis. Qu'elles pensent avoir le champ libre, alors qu'Ezekiel m'appartient. Que jamais je ne le cèderais à qui que ce soit. Personne ne pourra jamais l'aimer plus que moi. Ma main me brûle et le verre dans celle-ci se brise lorsque je la vois s'approcher de lui pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille. C'en est trop. J'interviens. Je l'éloigne de lui, sans doute trop violemment au goût de mon petit ami, qui me retient le bras. Aveuglée par ma colère, ma jalousie et surtout ma peur, je ne contrôle plus rien. Ma colère se retourne contre lui.

"Parce que tu prends sa défense en plus?! Tu veux pas l'embrasser tant que tu y es?! De quel côté tu es, merde?!"

Je suis là moi. Regarde-moi. Ne vois que moi. Ne m'oublie pas. Je suis tienne toute entière et tu es mien. J'ai peur qu'il parte comme maman, qu'il s'éloigne sans jamais revenir comme papa. J'ai peur que cette fille me joue le même mauvais tour que mon voleur de petit frère. Qu'elle me prenne la chose la plus précieuse que j'ai et le tout sous mes yeux. J'ai déjà vécu cette douleur, je ne survivrais pas à un deuxième acte. Pas si je perds Ezekiel. Il me tient toujours le bras, me regarde comme si je ne comprenais pas. Je sais que je dois l'écouter. Que je dois me calmer, que tout ceci n'est qu'un malentendu, qu'il va tout m'expliquer et tout régler, comme il le fait toujours. Mais j'ai peur. Mon coeur s'affole, ma respiration se fait difficile, des larmes tracent leur chemin sur mes joues. Non. Je ne pleure pas. Je ne veux pas pleurer. Pas moi. Je suis forte. Je suis Romee. Je ne perds contre rien n'y personne. Non, moi je me bats. Je ne recule devant rien. Et j'explose.

Des flammes, partout. Une chaleur atroce, un oxygène devenu toxique. Des cris, la peur au creux du ventre. Autour de moi, il n'y a que le feu dévorant à une vitesse folle la maison dans laquelle nous nous trouvons. Comment? Pourquoi? Ma colère disparaît, laissant place à une panique vite maîtrisée par des yeux verts et des bras puissants qui m'entourent. Je m'accroche à lui et ferme les yeux. L'étreinte est brûlante mais rassurante. Si c'est dans ses bras que je dois disparaître, ça me va. Mais le froid me fait vite frissonner et lorsque je rouvre les yeux, je suis dehors, toujours protégée par les bras d'Ezekiel, les ombres des flammes gourmandes déformant ses traits si parfaits. Il est beau. Il est si beau.

"Tout le monde est là?!"

Un de nos camarades de beuverie hausse la voix, cherchant parmi les jeunes à l'extérieur. Il paraît inquiet. La maison s'effondre au moment où quelqu'un ose lui répondre.

"Laura n'est pas là..."

Quelques mois plus tard
C'est dur, pour lui comme pour moi. Personne n'est au courant, personne ne sait comment le feu a démarré. Ni nos amis, ni la police, ni les parents en deuil. A vrai dire, j'avais moi-même encore du mal à le réaliser. Un accident était la thèse officielle, mais la réalité qu'Ezekiel et moi avions à porter nous faisait plier sous son poids. J'étais effrayée par un tel pouvoir, par la responsabilité d'avoir tué quelqu'un. Une personne que je connaissais. Une amie. Qui n'est plus parmi nous de par mes actes, mes émotions, ma jalousie, ma peur. Mais le pire, c'était sans doute le fait que j'aurais pu blesser Ezekiel, ou... Et que, ceci n'étant pas arrivé, j'avais l'impression de n'avoir rien perdu. Une amie commune à lui et moi était décédée, j'avais assisté à son enterrement et pourtant, durant celui-ci, je n'avais pas même ressenti l'envie ou le besoin de pleurer. Il est là, il me tient la main, me la serre. Il est là, en vie, en bonne santé, et rien d'autre pour moi ne compte que ça.

Mais j'ai peur. Peur que l'on découvre notre secret. Que mes erreurs retombent sur lui. Qu'on l'accuse de choses dont il n'est pas responsable. Les regards sont fuyants, les mots sont hésitants, les touchers sont rares. Nous sommes cassés. Et cette fois, je ne peux en vouloir à personne d'autre qu'à moi. Je suis la seule à blâmer. Mon cerveau malade avait bien essayé de se raisonner comme il l'avait pu, en accusant cette fille qui s'était approchée de lui. J'avais même commencé à accuser Ezekiel pendant quelques jours, lui rejetant la responsabilité de ma colère. J'avais bien vite regretté mes paroles, et ma culpabilité me rongeait d'autant plus. Je m'excuse constamment. J'ai peur. Je n'ose plus le regarder. Je l'aime, mais j'ai peur que ça aussi, ça devienne un problème. Je ne veux pas que l'on s'éloigne, mais c'est ce qui arrive. Présent jusque maintenant pour me soutenir, m'épauler, me rappeler que tout va bien et ce, quoi qu'il arrive, dans les bons comme dans les mauvais moments, je le vois pourtant lui aussi sombrer au fur et à mesure. Je ne veux plus lui infliger ça. Je ne supporte pas d'être la cause de son déclin.


2017, 19 ans
Alors je me réfugie vers la seule échappatoire que j'ai: la drogue. J'oublie tout, je m'oublie moi, je l'oublie lui, je nous oublie nous. Je ne sais pas si c'est mieux comme ça, mais ça me permets de me libérer de mes tortures psychologiques l'espace d'un instant. Je ne veux plus sortir de cet état de libération dans lequel je m'enferme en permanence. Ma fuite en avant ne dure cela dit pas bien longtemps, avant que le sentiment de liberté ne se transforme en trou noir.

Ce que Romee ne sait pas
Le brouillard épais qui s'est emparé de mon esprit depuis la disparation de mon fils et de ma femme m'empêche, encore aujourd'hui, de réfléchir et d'agir correctement. D'endosser les responsabilités que j'ai fui comme un lâche, aussi bien de père que de tuteur. Mais la voir là, allongée sur ce brancard, entre la vie et la mort, c'est le choc qui me réveille. Le défibrillateur fait repartir son coeur en même temps que le mien. Il me fait remonter sur terre, me sortant de l'enfer dans lequel je me suis enfermé moi-même depuis des années. Ma petite Romee a failli mourir. Je suis un mauvais père. Je l'ai abandonné lorsqu'elle avait le plus besoin de moi. Je me doute que je suis la dernière personne qu'elle veut voir. Mais je ne peux pas la laisser disparaître aussi, pas quand le métier dans lequel je me suis abandonné me permets aujourd'hui de recroiser son chemin. Une fois son état stabilisé, je vais en informer le jeune homme qui l'accompagne, ayant attendu dans le couloir. Ma princesse se droguait. Elle n'a jamais eu ce genre d'éducation, de penchants, pourtant voilà qu'elle en avait eu connaissance et accès. Et au vu de l'état du garçon, il savait forcément quelque chose. Je l'interroge, je lui fais sortir la vérité de la vie de ma fille dont je ne fais pas partie. Je lui interdis de la voir tant qu'il ne m'a pas tout dit. Alors il parle. Et je comprends que ce n'est pas la faute de Romee d'avoir cédé à cette tentation nocive et illégale, mais celle de ce garçon que de lui avoir ouvert cette porte. Je lui interdis de la revoir. De l'approcher. De la contacter. Je le menace d'appeler la police s'il ne lui fout pas la paix. Il a mis ma fille dans cet état, nous n'avons pas besoin de lui. En tant que Di Angelis, nous allons nous reconstruire, ensemble, rattraper ces années perdues, être une famille. Celle que j'avais oublié encore avoir. Celle qu'il me reste. Car la solitude me terrifie, me ronge, m'a plongé dans un état léthargique tout ce temps. Le destin me laisse une seconde chance, et je compte bien la saisir, même si c'est au prix de la liberté de ma fille.

2018, 20 ans
Je n'en peux plus de ces murs blancs, encore témoins de mes difficultés à libérer mon organisme de la prison dans laquelle je l'avais moi-même enfermé. De cette ambiance qui me file le cafard. Je veux Ezekiel. Je veux voir ses yeux, sentir ses lèvres contre les miennes, toucher sa peau  et entendre son coeur battre. Ce qui me sert faussement de père, et qui justifie que je sois encore coincée entre ces murs malgré la fin de la cure de désintoxication dans laquelle il m'a enfermé depuis mon réveil, m'a dit qu'il était parti. Qu'il m'avait laissé à l'hôpital cette nuit-là, et qu'il avait décidé de ne plus me revoir. Je ne le crois pas. Ezekiel ne ferait jamais une chose pareille. Il me parlerait, il m'expliquerait. Je refuse de le croire. Mais pourtant, il n'est pas là. Il n'est pas venu à l'hôpital, pas plus qu'au centre. Ces adultes, persuadés de savoir ce qui est bon pour moi, me noient sous une liste de médicaments qui ne font qu'empirer mon état, quand bien même ils ont réussi à éteindre mes flammes, si dangereuses au début. Je fais énormément de crises de panique, cherchant sans cesse la présence de mon pilier désormais disparu. Au moins, ces dernières ne sont plus accompagnées d'étincelles, qui ont causé contre ma volonté les graves brûlures ornant désormais le corps de l'infirmière m'étant affectée. Je pensais ma vie coincée dans ce cercle vicieux de crises, de médicaments, de pleurs et ainsi de suite. Sans lui, je me pensais cassée, incapable de quoi que ce soit. Jusqu'au moment où la moitié de la population disparaît. Que j'arrête de prendre les médicaments qu'on me donne. C'est le déclic dont j'ai besoin. Depuis quand suis-je devenue si docile? Depuis quand je laisse qui que ce soit se mettre en travers de mon chemin? Si celui qui me garde enfermée, malgré ce que le monde devient du jour au lendemain, est encore en vie, pourquoi mon roi ne le serait pas aussi? Si je veux des réponses, je sais que je dois les trouver par moi-même. Fini de se larmoyer sur mon sort, de vouloir jouer aux échecs rien que pour l'imaginer en face de moi, d'apprendre le russe juste pour imaginer que c'est lui qui me parle. Il est là, quelque part, possédant toutes les réponses à mes questions. Je veux le voir. Et j'ai toujours ce que je désire.


2018, 20 ans
Mon père a beau m'avoir tout pris, je n'abandonnerais pas. Je ne peux pas contacter Ezekiel, mais je le trouverais. Il est quelque part. Et quel meilleur moyen pour trouver un consommateur que s'adresser à la source elle-même de son addiction? Avant même que je le connaisse, il consommait déjà. Je ne pense pas me tromper en pensant qu'il continue encore aujourd'hui. Ce milieu est dangereux, je le sais, mais ô qu'ils soient sur leurs gardes, car moi aussi je suis dangereuse sans mon roi. Après tout, la reine est là pour le protéger jusqu'au bout. Mais ma fuite du centre, malgré le déséquilibre engendré par la disparition de la moitié de la planète, n'est pas passée inaperçue. Mon lâche de père a lancé la police à ma recherche, me faisant passer pour une toxicomane et une femme en détresse psychologique. Si je n'avais pas d'autres priorités, j'y serais retourné juste pour l'étrangler moi-même. Je ne peux pas aller dans des endroits trop évidents ou me faire remarquer, mais heureusement, le monde de la drogue adore la discrétion. Evidemment, je me rends en premier lieu dans nos planques habituelles, dans les lieux que nous fréquentions. Introuvable. Mais les rumeurs vont vite dans l'univers criminel. La police me cherche? Bien, je vais leur donner une véritable raison de le faire.

2024, 25 ans
Je remets une mèche de mes cheveux en place, cherchant la moindre distraction pouvant me sortir de cet ennui ferme qu'est cette réunion. Je n'écoute pas vraiment ce qui se dit, me contentant de faire acte de présence comme l'impose mon rang dans le cartel. Je ne peux cependant retenir un bâillement, qui agace particulièrement King, ce qui me fait sourire. Je le déteste, il me hait, c'est donc de bonne guerre. Peu m'importe s'il ne m'apprécie pas, ce n'est pas comme s'il avait le choix. En effet, depuis que les disparus étaient de retour sur Terre, il avait dû s'adapter à mon arrivée ayant eu lieu pendant son absence. Ma recherche d'informations concernant Ezekiel m'avait conduite jusqu'à eux. Un des plus gros fournisseurs de New York. Si eux ne savaient rien, je n'aurais pas de piste et je préfère ne pas penser aux conséquences. Je le trouverais, j'en suis persuadée. Gagner leur confiance, ou plutôt celle de Ace, la tête du trafic, avait pris du temps, mais j'y étais arrivée, évidemment. Il me confiait des choses, j'en apprenais davantage tous les jours, rencontrait différentes branches sous ses ordres et continuait mes recherches, sans jamais perdre mon objectif de vue.

Le ciel avait dû m'entendre, car il m'avait permis d'apprendre qu'Ezekiel était bel et bien en vie, moi qui était sans nouvelle depuis sept ans. Champion des États-Unis, hein? Rien que ça. Je ne sais pas ce qui m'avait fait le plus plaisir, d'apprendre qu'il était là, fidèle à lui-même, ou bien qu'il continuait à jouer à ce jeu. Voilà une piste concrète, un moyen de le retrouver.

"Queen, tu seras avec King pour cette négociation. Je compte sur vous deux pour que tout se passe bien."
"Il ne peut pas y aller tout seul? J'ai autre chose à-"
"Le rendez-vous est convenu au casino, habillez-vous et comportez-vous en conséquence."

Le casino? Il ne m'en faut pas plus pour changer immédiatement d'avis.

"J'en suis."

Oui, fais la grimace King, je m'en fiche. Le casino est un endroit parfait pour y glaner des informations sur Ezekiel. Je viendrais, que tu le veuilles ou non.

Plus tard dans la même journée
"Je sais qu'il est vivant. Je ne cours plus après un fantôme. Je pensais que tu voulais être au courant. Il va bien."

Je souris doucement devant le marbre dont je connais les moindres détails à force de l'observer. Je ne viens pas me recueillir sur la tombe de Laura. Je ne suis pas là pour ma rédemption. Mais elle est un des seuls liens qui me reste avec mon roi, et venir ici me permet de me perdre dans mes souvenirs autant que de me rappeler ce dont je suis coupable. A l'époque, je pensais que l'oubli était la meilleure des solutions, mais je me trompais. On ne fuit pas son passé, on vit avec, on apprend de ses erreurs. Je ne suis plus la gamine effrayée d'il y a quelques années. Mon pouvoir est bien enfoui en moi, endormi, et je ne compte pas le réveiller. Mais, en six ans de trafiquante, j'ai vu les cadavres s'amonceler et ait pu relativiser. Surtout que je ne suis jamais celle qui se salit les mains. Je refuse de tuer. Tout ça, je l'ai raconté à Laura au fil des années. Je ne sais pas ce qu'elle pense de tout ça, mais elle ne peut pas m'empêcher de parler dans sa tombe, alors je garde cette habitude de venir la voir de temps en temps. Pour ne pas oublier. Pour ne plus fuir comme je l'avais fait et qui m'avait amené à perdre la seule personne qui comptait pour moi.

Au vu de la sortie future qui m'attend au casino, dans quelques jours, j'ai besoin d'un verre, à défaut de la drogue à laquelle je refuse de toucher tant que je n'aurais pas mon roi à mes côtés. L'idée de supporter King pendant une soirée entière me donne mal au crâne, mais la perspective de pouvoir en apprendre plus sur la cachette de celui qui est mien et à qui mon coeur appartient ne me rend que plus impatiente.

"Ezekiel, j'arrive."