Spar(kl)ing Diamonds
Ce n’est pas "mademoiselle Donna". Ce n’est même pas "mademoiselle Boudreaux-LeBeau". C’est "Madame Boudreaux-LeBeau". On pince les lèvres dans des excuses muettes, puisque l’on est déjà excusées par celle qui veut qu’on l’appelle "simplement Bella".
Madame Bella, ça passe, interroge Mindee. Aucune idée, difficile de se faire un avis sur elle, exprime Phoebe. Elle reste distante et pourtant semble vouloir une familiarité, exprime Céleste.
Physiquement, la distance nous va. Socialement, on ne lui dirait pas "non" non plus. C’est plus facile pour nous. On a été éduquées avec une distance respectueuse, tant dans le physique que dans le social. Victoriennes, surement. Evidemment, respects et politesses varient grandement selon les cultures et les régions, ainsi serait-il probablement impoli de continuer à l’appeler "Madame" alors qu’elle nous demande du "Bella".
Un peu moins de trois secondes de silence nous sont nécessaires pour nous mettre d’accord puis on détourne bravement le sujet avec l’histoire de boisson. Une histoire sur laquelle
Bella rebondit en demandant ce qui est servi, une excellente question dont on ne connait pas la réponse, puis en exprimant sa crainte d’avoir effrayé l’anonyme, qui n’est pas notre ami, alors que ce n’était pas son intention. Voilà qui continue à créer une perplexité vis-à-vis d’elle, et pas uniquement avec sa volonté d’être appelée
Bella. Ce n’était pas son intention, d’ainsi intimider autrui, et pourtant son regard a été maintenu.
Qu’il n’ait pas été fait exprès est peut-être pire, en fait. Cela montre une tension sous-jacente, oui, derrière la façade de bienséance. Phoebe sait de quoi elle parle. Ahah, Céleste 1 – Phoebe 0 ! Oui je sais de quoi je parle ET je ne serais pas aussi agacée si vous étiez plus supportables ! Mais c’était pas un reproche ou une provocation…
«
Si ça vous fait plaisir, je veux bien rester. »
On la regarde à trois, surprises de sa motivation, puis on acquiesce à trois aussi.
«
D’accord, commence celle du centre avec un sourire poli.
- Ça nous permettra de vous présenter les gens, continue celle de gauche, la plus éloignée, avec un sourire poli, avant que celle de droite, la plus proche, ne conclue avec ce même sourire.
- Et de vous excusez pour votre maladresse. »
Contentes à l’idée d’aider à dissiper un malentendu, celle de droite glisse la carte entre deux phalanges puis récupère son gobelet et on se lève ensemble. Après trois gestes de la main pour inviter mademoiselle… Madame Bella à nous suivre, on s’en va vers le centre de la salle où monsieur Gleason sert les boissons avec trois autres, les prélevant directement à la glacière.
Sur le chemin, une personne se permet une tape amicale sur l’épaule de celle de gauche, ce qui déclenche des yeux ronds à toutes les trois avant que la concernée ne remercie avec gêne. Oui, parfaitement, on est plus à l’aise avec le fait de nous taper dessus entre nous que d’avoir des contacts avec les étrangers. C’est bête mais c’est ainsi et tout ceux qui nous connaissent un minimum le savent.
Robert Gleason, cinquantenaire brun gardant une bonne carrure mais ayant des expressions faciales étranges du fait d’une paralysie de la moitié du visage suite à un accident de moto, nous accueillent avec un demi-sourire et les bras écartés.
«
Alors les Stepford, vous nous terminez sur une égalité ? »
Mindee veut répondre "oui". Phoebe veut répondre "non". Céleste veut répondre "peut-être".
«
C’est vous qui le dites, répond-t-on à trois avec l’amusement créé tant par sa blague que par notre désaccord dissimulé.
Mad…ame Bella n’a pas eu de boisson. Que vous reste-t-il ?
- Un peu de tout. Depuis des eaux minérales jusqu’à des bières. Elles sont pas bonnes pour la santé physique mais elles font un bien fou à la santé morale après une bonne séance de sport.
- Bella, l’interroge-t-on du regard avec un effort de langage,
nous vous présentons monsieur Robert Gleason.
- Enchanté. Qu’aimeriez-vous ? »
On laisse la réponse s’exprimer et la transaction conséquente se faire alors qu’on réparti nos regards dans trois directions différentes afin de trouver l’anonyme précédent. A défaut d’être dans le groupe de quatre serveurs, désormais trois puisqu’on en monopolise un, on le retrouve rapidement à revenir vers lui après ce qu’on suppose être un service. Celle qui l’accroche du regard, à droite, l’invite d’un signe de tête à nous rejoindre tendis que l’opposée, à gauche, se tourne vers Madame Bella.
«
Nous l’avons trouvé. »
A trois, on entreprend ensuite de nous servir en eau dans nos petits gobelets ; une délicatesse que peu de gens ont autour de nous, hommes comme femmes n’hésitant pas à boire au goulot.