" Nul animal n'est plus dangereux que quand il a faim. " En effet, pour subvenir à ce besoin élémentaire, la majorité des bêtes n'hésitaient pas à changer leurs habitudes. Autrefois craintives et discrètes, elles devenaient téméraires et se montraient au grand jour. D'ailleurs, beaucoup d'êtres humains connaissant la même détresse adoptaient ce comportement. Dans le Bronx par exemple, d'innombrables braquages d'épiceries ou de supérettes avaient eu lieu, conséquences logiques du désespoir d'affamés incapables de subvenir à leurs besoins ou ceux de leur famille. Une pratique presque révolue depuis la modernisation de ce quartier du Nord de New York. Du moins, jusqu'au snap de Thanos. En effet, ce quartier accueillait un nouveau fléau en plus de la précarité omniprésente. Comme le disait le fameux dicton: " La faim faisait sortir le loup du bois" et le loup avait faim, très faim, trop faim...

Déambulant lentement dans une avenue, dissimulée sous son hoodie noir, Fenris bouillait intérieurement. La souffrance omniprésente de sa panse vide devenait de plus en plus irritante. Quelle idée avait-elle eu d’aller ici et de s’éloigner de sa source de nourriture que constituaient les forêts au Nord-Ouest de  l’Hudson. Une lubie, un caprice, une erreur ? Il était trop tard pour y penser désormais. Elle allait devoir trouver une source de nourriture, ici-même, dans le Bronx. Un pigeon ?  Un rat ? Ces derniers évoluaient dans un environnement qui leur était familier, contrairement à la Louve qui se voyait déjà éprouver les plus grandes difficultés pour en coincer n’en serait-ce qu’un. Sans parler du goût… Fenris n’était pas un fin gourmet, mais qui pouvait savoir quels déchets ces bestioles avaient ingurgité. Non, il fallait trouver autre chose, tout en restant discrète, à cause du Shield. Plus facile à dire qu’à faire lorsqu’on avait un trou noir à la place de l’estomac qui empêchait de réfléchir.  

Enfin, après quelques avenues, au milieu de ces odeurs nauséabondes et ce brouhaha incessant, un léger fumet parvint jusqu’à ses récepteurs olfactifs. Reniflant instinctivement, la Louve releva la tête et chercha du regard son origine. Suivant son organe, elle finit par arriver devant une sorte de  stand de grillades. Enivrée par le fumet, Fenris se retint de se jeter sur les viandes grillées, se retenant le poignet avec son autre main. Fouillant dans son hoodie noir elle en sortit un billet de cinq dollars, ses dernières économies. Fronçant les sourcils en voyant que ce brave Lincoln ne suffirait pas à lui obtenir une des grillades, elle se détourna et reprit rageusement sa route. Mais après quelques pas, Helaris releva la tête et tendit l'oreille. Ses capacités auditives sensibles lui rendaient rarement service en milieu urbain, étant constamment assaillit par le tumulte de la ville. Mais cette fois-ci... parmi tous les sons parasites, la Louve reconnut très distinctement un appel au secours, des gémissements, des rires pervers. Haussant un sourcil, elle remonta la source et tourna à une rue, croisant un jeune Midgardien qui courait. Observant l'environnement vicié, peuplé de rats et autres parasites, son regard s'immobilisa sur de l'agitation derrière une benne à ordures. De là où elle se trouvait, elle pouvait voir quatre jeunes Midgardiens partiellement dissimulés par le caisson métallique. Néanmoins, une autre paire de jambe était visible, qui s'agitait. Voyant l'accoutrement des parasites humains, un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres. S'approchant à pas de louve du quatuor, elle parvint à se glisser juste derrière eux. Ces derniers semblaient pressés de vouloir dévêtir une jeune Midgardienne brune...

Qu'importe, la Louve n'était pas là pour s'occuper de ça. Attrapant les crânes de deux d'entre eux, elle les frappa l'un contre l'autre. Alors que ses victimes s'écroulaient, elle fracassa la tête du troisième contre la benne de sa main gauche et envoya ensuite une gifle de sa main droite au dernier, qui se retrouva projeté un peu plus loin. L'attaque de Helaris n'avait duré qu'un instant. Elle se retrouva donc là, son regard émeraude planté dans celui de la jeune femme brune partiellement dévêtue, sans dire un mot. Se détournant, elle commença à faire les poches des quatre parasites Midgardiens inconscients. Téléphones, cigarettes, tout ce qui n'avait pas de valeur à ses yeux finit écrasé entre ses doigts et jeté plus loin. Finalement, après quelques minutes de fouilles, Fenris récupéra enfin ce qu'elle voulait: de l'argent. Se relevant, elle compta les billets et les pièces et finit par sourire. Son butin était bien suffisant pour s'offrir une bonne quantité de grillades. Sans se retourner, elle reprit donc son chemin en direction du stand. Sortant de la rue, elle réalisa qu'elle avait oublié de faire les poches de la jeune femme brune. Haussant les épaules, elle abandonna l'idée. Elle avait bien assez pour se sustenter.

Fenris savourait déjà les grillades qu'elle allait dévorer, se voyant mentalement planter ses crocs dans la viande saignante, se délectant du sang jaillissant et de l'arôme fumé de sa cuisson. Un rêve qui allait bientôt se concrétiser avec ce nouveau pécule durement gagné. Ces parasites Midgardiens pouvaient ainsi se montrer des plus utiles. Ce n'était pas la première fois que la Louve s'attaquait à ce genre d'humains qui étaient même méprisés par leurs semblables. Ils appliquaient la loi du plus fort, prenaient de force ce qu'ils convoitaient. Dans un sens, elle ne faisait qu'appliquer leur propre credo. Nul esprit de justice là-dedans, il ne s'agissait que d'un moyen d'obtenir de l'argent rapidement sans attirer l'attention.

Levant un sourcil en tournant légèrement la tête, la Louve s'immobilisa un instant en entendant une voix l'interpeller. Attendre ? Mais pourquoi donc ? Son haussement de sourcil s'intensifia en voyant la jeune fille Midgardienne Brune la rejoindre d'un pas pressant. Cette dernière semblait avoir retrouvé un peu de décence vestimentaire, du moins à ses yeux. Fenris n'était pas très au fait de la mode chez les Midgardiens après tout. La jeune fille lui attrapa le bras et la remercia d'un mot. Tout ça pour ça... S'apprêtant à libérer son bras sans ménagement, la Louve se ravisa en croisant le regard de la Midgardienne. Sincérité, crainte, la main tremblant légèrement, Helaris eut l'impression d'être face à une petite créature craintive et sans défenses. Il était inutile de faire preuve de violence envers un petit être s'il n'était pas une proie. Fixant silencieusement la petite Midgardienne suspendue à son bras, l'attention de Fenris fut récupérée par la pensée des grillades qui l'attendaient.

" J'ai faim. Moi aller chercher grillades. " Dit-elle simplement en enlevant avec délicatesse la main de la jeune fille. L'appétit de la Louve était de loin supérieur à sa pitié et sa compassion. Elle souhaitait poursuivre sa quête de saveurs grillées et l'idée de trainer derrière elle une gamine Midgardienne ne l'enchantait guère. Toutefois, une question lui vint à l'esprit. " Pourquoi toi trainer ici ? Toi visiblement pas assez forte. " Ce quartier était particulièrement mal fréquenté, ce qui permettait à la Louve de passer inaperçue avec son hoodie noir. S'aventurer dans l'une des ruelles était un risque certain. Même le tout venant préférait les éviter. Qu'était donc venue faire là cette Midgardienne ?

Fenris leva un sourcil en écoutant la justification de la jeune fille, l'ironie du langage employé glissant le long de ses cellules grises sans en éveiller une seule. Au contraire, la Louve en tira une toute autre interprétation. " Toi pouvoir parler normalement. Je comprends tout. J'ai simplement difficultés à formuler. " Son usage de la langue Midgardienne ne cessait de s'améliorer et il n'était question que de quelques mois avant qu'elle puisse s'exprimer "normalement" et ainsi passer totalement inaperçue au milieu de la vermine humaine. Ainsi, sa couverture serait parfaite. Du moins, si on exceptait ce Shield qui semblait l'avoir percé à jour. Ce Coulson devait encore manquer d’éléments pour l'incriminer. Une chance et... une opportunité. Si elle ne se montrait pas sous sa véritable forme pendant quelques temps, elle aurait sans aucun doute la paix. " Il existe autres chemins que ruelles. J'ai souvent croisé genre individus ici. Mais... toi être libre. " Conclut-elle en haussant les épaules. Après tout, elle n'avait pas eu l'intention de sauver cette Midgardienne et n'avait aucune envie de jouer les chaperons.

Prête à poursuivre finalement sa route, se promettant à l'avenir de vérifier qu'il n'y avait pas de jeune fille aux prises avec des parasites avant de les mettre au tapis, elle tourna la tête en entendant la proposition de la jeune Midgardienne répondant au nom de Soraya. Bonnes adresses, payer moins cher, obtenir davantage de grillades ? Le cheminement mental avait été particulièrement rapide. La jeune fille devenait enfin intéressante. Souriant en coin à destination de l'humaine, fait assez rare pour être signalé, elle fit un léger mouvement de tête pour l'inviter à se joindre à elle. C'est elle qui disposait des bonnes adresses après tout. " Tu me montres ? " Demanda-t-elle cordialement. Autant de familiarité avec une représentante du peuple Midgardien n'était pas une chose courante. " Moi c'est Helaris. Toi rien à craindre. Moi pas te manger. "  Ajouta-elle pour la mettre davantage en confiance. Elle n'avait rien contre la chair Midgardienne, même si elle lui préférait celle de cerfs et autres animaux que les humains semblaient habillement cuire et assaisonner. Enfin quelque-chose que la vermine de Midgard savait faire: cuisiner.

Mesurant l'offre qui lui était faite et nonobstant le fait qu'elle avait sauvé la pureté de Soraya, Fenris sentit comme un déséquilibre dans cette relation naissante. " Tu as questions ? " Des informations contre de la nourriture. Le deal semblait juste, du moins du point de vue de la Louve. De toute façon, elle n'avait rien d'autre à offrir. Elle devait bien avoir des bois de cerf dans sa tanière, mais il n'était pas question de faire l'aller-retour. Non, des réponses et une certaine sécurité en marchant à ses côtés seraient bien suffisantes. Il fallait être juste sans toutefois être généreuse.

La Louve n'avait pas l'habitude de se moquer des gens, sauf si ces derniers le méritait. Elle était plutôt du genre franc, même si ses propos risquaient de blesser son interlocuteur. Non, vraiment, blesser les gens ne la dérangeait absolument pas. Que cela soit verbalement ou physiquement. Mais la jeune Midgardienne pouvait se rassurer, l'un et l'autre n'étaient pas prévu au programme. Non, pour l'heure, il était question de manger et en plus, elle avait un guide gastronomique. Guide qui avait visiblement tendance à se mettre en danger pour aider son prochain. Ce n'était pas très malin. Il fallait en avoir les moyens. Posséder une différence par exemple. Tout le monde n'avait pas la chance d'être une Louve Apocalyptique. " Dangereux de jouer les héros. Il faut avoir les moyens. Force, différence, ce genre de choses. Moi forte par exemple. " Doux euphémisme.

Un point supplémentaire attribué à cette Soraya, cette dernière semblait apprécier son nom. Helaris. Ce dernier avait décidément beaucoup de succès. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Il était unique. Le parfait mélange entre Hela et Fenris, les deux créatures les plus fabuleuses ayant jamais existé dans cette Univers. Toute une époque... Mais il fallait avancer, évoluer, rendre fière sa défunte Maitresse. Même si pour le moment, elle avait du énormément la décevoir. Un Fléau qui ne détruisait pas n'était plus un Fléau. Mais son heure de gloire viendrait bientôt. Il fallait être patient.

Soraya n'avait pas peur ? Si seulement la jeune fille savait qu'elle s'adressait à l'une des créatures les plus effrayantes actuellement sur Midgard. Enfin. A bien y réfléchir, elle n'avait pas forcément trouvé bizarre que la Louve règle aussi vite son compte aux quatre parasites. Distraite, sous le choc, les raisons étaient nombreuses. Quoi qu'il en soit, la chose était passée et la Brune en était à lui proposer plusieurs options. " Moi préférer viande saignante, sans pain ou autres aliments parasites. " La Louve avait déjà eu l'occasion de gouter ces "burger" et "hot-dog", mais avait toujours trouvé le pain superflu. Elle était carnivore. Seule la viande comptait.

La Midgardienne ne sembla pas avoir de questions, au grand dam de Fenris. Au contraire, elle proposait de répondre aux siennes. Non, non, ce n'est pas comme cela que ça devait fonctionner. Le déséquilibre allait se creuser encore davantage. Le besoin de parler... Non. La Louve n'avait aucun besoin de parler, jamais. D'ailleurs, c'était elle qui l'avait aidé et non l'inverse. Se renfrognant un peu, une question germa néanmoins dans son esprit. " Toi parler d'aider les gens. Toi aider souvent les gens ? Moi avoir compris que toi travailler dans restaurant. " L'un n'excluait pas forcément l'autre cela dit. " Et non, moi jamais ressentir besoin de parler. " Glissa-t-elle en tournant la tête en soufflant légèrement du nez.

Cette Soraya avait bon cœur, du moins c'est ce qu'il lui semblait. Elle souhaitait aider son prochain, oubliant que d'autres prochains pouvaient être de véritables parasites, tout juste bons à être écrasé. Elle apprendrait avec le temps ou demeurerait naïve. Quoi qu'il en soit, Fenris se laissa donc guider par la promesse d'un morceau de viande. La jeune fille avait pas mal de contact. Selon ses dires le lieu de restauration n'était pas si loin. Une bonne chose. Chaque seconde loin de cette viande promise semblait durer une éternité. Mais au bout de quelques minutes, un délicieux fumet se discerna à travers l'air vicié et pollué de la métropole. Celle-ci se fit de plus en plus précise jusqu'à leur entrée dans un petit restaurant. Tout le monde sembla y reconnaitre la Midgardienne. Autant de familiarité... étaient-ils de la même famille ? La Louve avait encore du mal avec les interactions Midgardiennes. Soraya sembla se prêter au jeu, jusqu'à un certain point. Comment les Midgardiens appelaient-ils cela ? Infantilisation ? Réfléchissant un instant sur le sujet, Fenris sortit brusquement de ses pensées en entendant la commande énoncée par la jeune fille. Viande, saignante, grosse portion. Quatre mots dont la magie opéra instantanément. Se laissant installer à une table, enivrée par le fumet régnant dans le restaurant, Fenris accueillit la conversation de la Midgardienne avec davantage d'attention cette fois.

La Louve se retint de lever les yeux au ciel durant le discours de la jeune fille, par respect à son égard. Aider les gens. Le but d'une existence. Cette notion échappait totalement à la Lupine. L'entraide... Cette Midgardienne était d'une insoutenable naïveté. De ce qu'elle avait pu voir, Midgard était nid d’égoïsme, de marchandage, de chantage. Tout se négociait. Tout s'achetait. Peu de choses s'offraient. Et pourtant, cette Soraya... Fenris usa de toute sa volonté pour ne pas exposer sa pensée et ainsi se montrer acerbe avec son hôte. La retenue, une notion qu'elle avait apprise lors d'une nuit froide, sur un pont, auprès d'un Midgardien éclairé. Elle pouvait aujourd'hui la mettre en pratique.

La pièce de viande tant désirée se manifesta sous les yeux de la Louve, son fumet lui taquinant agréablement les narines. Aussitôt, toutes les pensées du Fléau des Neuf Royaumes s'évanouir. Propulsée dans un univers où il n'y avait que cette tranche de rosbif et elle, Fenris n'entendit même pas les derniers mots de Soraya. Saisissant lentement les couverts, jetant un bref coup d’œil à une table alentour pour en imiter l'usage, la Lupine découpa un morceau de viande et le fit disparaitre entre ses dents. Quel moelleux, quel arôme, quel délice. La Louve se mit à sourire, profitant de ce petit moment de bonheur absolu. Moment qui se termina une minute plus tard, la tranche de rosbif ayant disparue. Haussant les sourcils face à un tel sacrilège, Fenris fixa de loin le serveur. Se levant en nonobstant la présence de la jeune fille, elle s'approcha de lui et extirpa une petite liasse de billets, mélange de portraits d'Ulysse Grant, Andrew Jackson et même quelques Benjamin Franklin. " Délicieux. Encore. Tout. Tout ce que moi pouvoir avoir avec ça. " Annonça-t-elle avant de jeter un œil à la Midgardienne qu'elle avait laissé seule à la table. " Et tout ce que Soraya vouloir. " Dit-elle en souriant avant d'aller la rejoindre.

Lorsque Fenris retrouva sa place, son visage était lumineux, presque aimable. Cette petite Midgardienne lui avait trouvé un véritable petit paradis pour ses papilles. Le déséquilibre était désormais abyssal. Il fallait rééquilibrer et vite. " Merci pour avoir fait découvrir paradis. " Dit-elle simplement en souriant, avant de poursuivre leur précédent échange, dénué de toute pensée acerbe cette fois-ci. " Si aider être ta volonté. Pourquoi toi pas en faire métier ? Toi sûrement être capable. " Un compliment, quelque-chose que le Fléau des Neuf Royaume ne faisait pourtant jamais. Peut-être était-ce à cause de l'ivresse provoquée par la tranche de rosbif. Quoi qu'il en soit, la conversation pouvait se poursuivre et durer, durer. Du rosbif allait revenir, encore et encore. D'ailleurs, le serveur revint vers la table, probablement pour demander à Soraya ce qu'elle voulait.