[Terminé] Faire un tour sur la grande roue

La vie m’avait jusqu’à présent toujours appris que les mots ne sont pas nécessaires pour exprimer ce que l’on ressent. De même, parler n’est pas toujours une obligation, du moins pour moi. Je ne ressentais pas le besoin de parler pour combler des silences malaisants où même pour m’expliquer dans mes actes et dans mes pensées. Toutefois, maintenant que j’étais ici en présence d’Ezekiel, dans une autre pays, dans une toute autre ambiance, j’avais l’impression que ma langue s’était un peu déliée. Laissant mon enthousiasme et mon euphorie de découvrir de nouvelles choses prendre le dessus sur la façon d’être naturellement. A moins que ma façon d’être actuellement était finalement vraiment moi et que la June silencieuse et mélancolique était celle créée et façonnée par l’Hydre. D’une certaine manière, cela pourrait être réconfortant d’avoir ce genre de pensée. Cela me faisait réfléchir à l’idée que ma vie pourrait être tellement plus belle, tellement plus remplie de joie et de rires.

Ici, à Paris, j’étais curieuse et amusée de la découverte d’une fête foraine. Le premier manège m’avait fait à la fois hurler de joie et de peur du vide et j’avais littéralement adoré cela. Lorsque que le mutant à mes côtés me demandait alors quoi faire, j’avais réfléchi un peu en prenant le temps de regarder autour de nous. Mon choix s'était alors porté sur une “attraction” ou plutôt une structure à l’allure angoissante et lugubre. Demandant des informations sur la dite attraction, Eze me répondit alors qu’elle était différente des autres, me donnant encore plus envie d’y aller.

Je l’avais alors suivi gentiment pour me diriger avec lui devant ce qui était nommé comme étant une maison hantée. Je n’inventais rien, c’était tout simplement écrit sur la facade. Des fausses fenêtres barricadées, des murs décrépits et sales, des exclamations de frayeur répondaient à des rires d’un air machiavélique, dans l’ensemble une ambiance des plus étranges. Voici grossièrement ce qui nous attendaient Eze et moi-même dans cette attraction. J’étais légèrement anxieuse à l’idée de ne pas savoir vraiment à quoi m’attendre.
Ezekiel m’avait tout de même précisé que l’on avait une échappatoire en cas de besoin. En soit, je n’avais pas peur de ce que j’allais voir mais j’avais plus d’appréhension vis-à-vis de mes réactions.

Nous nous installâmes dans le premier wagon d’un petit train. Il me semble alors que cela ne soit pas un manège à sensation puisque nous ne sommes pas attachés. Je regardais un instant Eze qui semblait détendu et ravi d’être là. Pour ma part, je posais mes mains sagement sur mes cuisses, attendant la suite. J’avais beau regarder devant nous, c’était le noir total. Je n’avais jamais eu vraiment peur du noir mais j’avais un mauvais pressentiment. C’est alors que le train se mit en marche. Tel un fantôme, il avança dans l’ombre avec un silence particulier laissant gardant uniquement le bruit mécanique des wagons avançant sur les rails.

Dans un premier temps, il y eut une fumée blanchâtre avec des lumières rouges et violettes qui laissaient monter un certain suspens mais je restais impassible à ces premiers effets. Même les faux hurlements ne me firent pas réagir. Et puis à côté d’Ezekiel, un clown défraichit et ensanglanté surgit alors de l’ombre. Je le regardais sans broncher avant de reporter mon attention devant nous. J’entendais alors les autres personnes réagirent en hurlant de surprise et parfois de peur. Je n’avais pas l’impression d’être impressionnée. Peut-être parce que justement j’avais vécu pire. Puis j’entendis un bruit de lames, comme quelqu’un qui aguisait des couteaux. Un boucher vint alors à notre rencontre de mon côté du wagon, il me hurlait dessus pensant peut-être me faire peur. Je le regardais en silence, restant à nouveau impassible devant lui. Limite, j’étais dégoutée de l’odeur de sueur qu’il dégageait. Visiblement surpris de ma réaction, où plutôt de ma non-réaction, il recula légèrement et recommença son effet sur les personnes derrière moi. Comme avec le clown, il y eut une réaction de la part des personnes derrière nous.  Je haussais les épaules en me repositionnant. Mon regard dévia alors sur Ezekiel rapidement mais je n’eus pas le temps d’interagir à sa réaction qu’un rire particulièrement malveillant se fit entendre. Un frisson me parcourut alors que je me figeais subitement dans ce wagon. Il ne pouvait pas être ici, pas lui. C’était ce rire horrible et stressant que j’avais déjà eu l’habitude d’entendre dans la bouche de Charlie. Ma réaction fut immédiate. Je me refugiais dans le fond de mon assise, le regard fixé dans le vide attendant avec impatience que ce bruit ne cesse. La peur déforma mon visage qui se crispait alors que d’un coup une lumière jaillit devant nous. Une silouhette prenant l’apparence du diable me fit alors agir à l’instinct. Attrapant l’homme par le col de sa chemise ensanglantée, je le plaquais alors violemment sur le capot du wagon en lui assaignant un coup de poing violent sur le nez. Mon regard était fixe et froid, mes gestes étaient rapides et automatiques, mes réflexes de défense étaient là et je n’avais rien pu faire pour les retenir. J’avais eu l’impression que Charlie se trouvait devant moi et je ne voulais pas qu’il soit présent. Je ne voulais pas repartir dans cette spirale infernale alors que j’avais une soirée de libertée. Je n’avais réclamé silencieusement qu’une seule soirée et je n'accepterais pas qu’il me la reprenne.

Et soudain le train s’était stoppé brutablement, me faisant revenir à moi et à ma position. L’homme sous mes coups était en pleurs et en sang mais il s’agissait là de véritable sang que j’avais fait coulé sans m’en rendre compte. Mon regard effrayé se leva vers Ezekiel lui implorant de m’aider alors que je lâchais ma proie involontaire.

“Eze…”

J’avais frappé avant même de me rendre compte de ce que je faisais. Mon instinct de conservation avait parlé pour moi et j’avais réagi la première avant que cela soit lui qui m’attaque encore et encore. Ce soir, j’avais eu l’instinct de dire non alors que ce n’était pas la réalité. C’était mon esprit et mon inconscient qui avaient parlé à ma place et qui m’avait fait agir sur un innocent, un homme qui avait juste la démarche et le rire de mon bourreau. Mon sourire durement obtenu par les efforts d’Ezekiel avait disparu, terrassé par l’angoisse. Mes mains tremblantes se desserraient alors du col de l’homme alors que mes yeux, eux, se relevaient vers celui qui était là pour moi aujourd’hui. Sentant la pression monter en moi en même temps que la peur qui me paralysait de plus en plus, je ressentais également la peur des autres personnes présentes qui m’avaient vu faire usage de la violence.

Ezekiel s’était alors levé et avait entrepris de me prendre dans ses bras. Si le contact en lui-même d’un câlin n’était pas efficace sur moi - de par mon incapacité à en sentir le contact - j’avais cependant apprécié sa délicatesse. Il avait le don de viser juste avec moi et j’ignorais comment il arrivait à faire cela. Me blottissant dans ses bras alors qu’ils nous évacuaient de cet endroit, je ressentais alors une certaine confiance, un apaisement à la pensée que je pouvais fuir et ne pas être obligée de subir le courroux de la personne que j’avais blessé involontairement.

Les bruits de la maison hantée étaient à présent plus lointains. Je nous savais toujours dans le coin de la fête foraine mais nous n’étions plus au cœur du conflit que j’avais engendrait et sans regarder tout autour de moi, je fermais les yeux pour souffler et respirer à nouveau. J’avais un grand besoin d’air et je pris le temps de me reprendre. Profitant encore un instant de la présence d’Ezekiel à mes côtés. Entendant le bruissement de mes vêtements, je le soupçonnais même de passer sa main dans mon dos pour me réconforter. L’apaisement de fit encore plus présent. Mon corps s’éloigna alors de lui, m’obligeant à rouvrir les yeux pour comprendre que c’était lui qui s’était reculé de moi. La crainte qu’il ait peur de moi m’effleura l’esprit mais dans son regard je lisais bien plus d’inquiétude envers ma personne plus qu’une quelconque peur.

“Je… Je ne sais pas trop.”

Je n’avais clairement pas d’autres mots pour m’exprimer. Et c’était la pure vérité. J’étais à la fois encore sous le choc d’avoir blesser un innocent, encore sous l’adrénaline d’avoir agi en fonction de mon instinct et non ma raison, encore sur les nerfs et apeurée d’avoir montré un tel excès de violence à un ami qui ne savait pas tout de moi. Est-ce que c’était le moment de lui dire que j’étais un monstre engendré et contrôlé par une pieuvre géante mondialement connue et détestée. Le mieux que je puisse faire pour le protéger était de me taire et de ne surtout rien lui dire sur moi. Plus j’étais secrète et plus il serait en sécurité.

“Je suis navrée, je ne sais pas vraiment ce qu’il m’a pris. Si tu souhaites me laisser pour aujourd’hui je comprendrais.”

Il était vrai que j’en serais vraiment triste que cette journée et soirée se termine ainsi mais en même temps comment pourrais-je lui en vouloir alors que je n’osais même pas affronter son regard posé sur moi. J’étais bien trop honteuse et trop culpabilisée pour lui faire face et argumenter sur mon comportement.

Cela avait l’air de le surprendre mais c’était pourtant vrai, dire avec précision comment je me sentais était une chose bien trop complexe pour moi en cet instant. J’aurais voulu disparaître, ne pas être là, ne pas avoir ce genre de tares qui font que je ne suis pas vraiment normale. J’aurais voulu ne pas avoir accepté cette escapade ainsi il n’aurait pas vu cette facette de ma personnalité torturée. J’aurais voulu ne pas revenir des années sombres qui pour moi avaient été source de délivrance dans ce monde qui avait envie de me faire payer ma naissance. Et puis il sourit, surprise à mon tour, je restais muette en le regardant faire et agir. Ses mains sur ma peau, je ne les sentais pas mais j’avais l’intime impression qu’il était doux avec moi.
Sa boutade sur mon état de santé eut le mérite de me faire sourire et je le remerciais intérieurement de s’occuper de moi ainsi et d’être aussi chaleureux et compréhensif envers ma personne.  Esquissant un sourire timide je lui répondis tout simplement :

“Merci…”

Un doux murmure entre nous pour qui avait tant de sens à mes yeux. Ezekiel avait su voir en moi plus loin que mon regard fuyant, plus loin que mes silences à répétitions. Il m’avait vu moi, la jeune femme blessée et fragile qu’il fallait préserver de toute torture psychologique. Il m’avait protégé en cet instant de doute et pour cela je lui devais beaucoup.
Sans un autre mot il se dévêtit pour me donner sa veste afin que je n’aie pas froid. Le geste me fit d’autant plus plaisir qu’ensuite il me tendit sa main pour me faire comprendre qu’il n’avait aucunement l’intention de me laisser seule.
Relevant mes yeux vers Ezekiel je lui adressais un tendre sourire en glissant ma main dans la sienne :

“En route pour la Dame de Fer alors…”

L’instant d’après, nous n’étions plus à la fête foraine mais dans le cœur de Paris. Nous avons ri, nous avons parlé, nous avons fait connaissance. J’ai finalement passé l’une de mes meilleures soirées à ses côtés depuis bien longtemps. Je sais désormais que je peux compter Ezekiel parmi mes amis et qu’en plus de cela je sais qu’il pourrait tout entendre venant de ma part. Pourtant il ne sait toujours pas qui je suis réellement.