TARD DANS LA NUIT DU 16 MAI 2024 AVEC HECTOR MESSNER

Dommage, les questions ne semblaient pas être de mise pour cette fois ! D’ordinaire, en présence des non-mutants, il exultait de bonheur en leur racontant un peu tout et n’importe quoi sur le gène X, car certains humains ont des préjugés tout à fait risibles sur ce dernier : quand ils ne pensent pas qu’il s’agit d’une maladie comparable au cancer, ils pensent que c’est contagieux ! Au moins, il n’aura pas mal aux côtes en riant… C’était peut-être mieux comme ça, finalement.
Et de toute façon, la priorité du colosse était ailleurs, et était bien plus raisonnable que les préoccupations farfelues de son compagnon d’infortune : fuir. Il fallait fuir avant que la police ne débarque telle une meute encerclant les deux biches piégées qu’ils étaient. Dire qu’on l’appelait Orion comme le célèbre chasseur mythologique, et qu’il était à présent traqué ! Soufflant légèrement par le nez, il avait posé un regard néanmoins confiant sur Hector, se fiant entièrement à son plan quand bien même ce dernier était encore un secret bien gardé.

Après avoir enfilé la veste en cuir que ce dernier lui avait généreusement prêté, Orion avait fait un pas vers la montagne de muscles tout en passant ses doigts pâles sur son visage tout aussi blême, essayant vainement d’effacer les traces de sang qui comblaient sa peau laiteuse à certains endroits. S’il était un fin stratège aux Échecs, il n’avait jamais eu à réfléchir à comment fuir un lieu ou une personne, sa mutation lui offrant généralement la possibilité d’y échapper sans trop d’effort.

« Être discret c’est ma spécialité ! »

Non, pas vraiment, mais il allait faire comme si pour cette fois. Debout derrière Hector, prêt à le suivre aveuglement au moindre geste ou ordre distinctif, Ezekiel avait mordillé l’intérieur de sa joue tout en sentant que ses forces lui revenaient légèrement. Il n’était toujours pas en capacité de se téléporter —et encore moins avec une charge supplémentaire avec lui mais, au moins, il était capable de respirer sans ressentir une affreuse douleur dans le thorax. Rien de cassé ou de fêlé : juste un mauvais coup mal placé qui s’évaporait enfin.

Mais alors que les deux hommes s’apprêtaient à prendre la fuite, ayant attendu le moment opportun pour se mouvoir dans l’obscurité du parc, un vacarme infernal avait résonné autour d’eux, signant un tapage bruyant dans un crissement de pneus et de ferrailles qui cèdent… Les flics ?! C’est ce qu’il avait d’abord pensé, avant de s’apercevoir que le van noir ne comportait aucune insigne de police sur sa carrosserie, et que la blonde cadavérique qui se tenait devant eux n’avait rien d’un agent. Déjà, elle sortait d’où cette folle peroxydée ?! Avant même qu’il n’ait le temps de prendre la parole pour poser la question (et c’était peut-être mieux pour tout le monde), Ezekiel avait senti comme une puissante décharge électrique parcourir son corps, à moindre effet car Hector s’était interposé devant lui, le protégeant d’une manière aussi héroïque que volontaire. Mais tout de même, Ezekiel était bien trop maigre pour ne pas en sentir les affres, si bien qu’il était tombé au sol sans le moindre élan de résistance, ses deux paumes amortissant la chute en se plantant dans le sol goudronné. Oh. Non. Les microbes.

« Si on s’en sort, fais-moi penser à te dire merci surtout… »

Avait-il dit péniblement, sa main se lançant à l’assaut du bras d’Hector pour prendre appui, s’employant à se relever avec l’aide un peu forcée de l’homme aux muscles de fer —c’était bien la chose la plus solide dans le coin. Lançant un regard aussi dédaigneux que surpris à la femme qui se tenait devant eux une fois debout, Ezekiel avait légèrement levé sa lèvre inférieure tout en fronçant son nez droit, point impression par son regard dément. Des fous, il en côtoie tous les jours, c’est pas une furie décolorée qui allait lui faire peur. La police l’effrayait même davantage.

« Elle a changé Cruella hein… »

S’il avait reconnu la marque distinctive dans la paume de sa main, Orion faisait comme s’il n’en savait rien ; il avait déjà entendu parler de ce gang, mais n’avait jamais eu aucun problème avec eux, alors pourquoi diable leur « boss » voulait les voir ? Le grognement inattendu d’Hector le sortit de ses pensées, car il ne s’agissait point d’un ronflement humain, mais bien celui d’une fauve… Hector était donc un mutant aussi ?! Les sourcils hauts, les yeux écarquillés et le sourire enjoué, Ezekiel avait donné une légère tape à son acolyte —un geste qui avait dû ressembler à une vague caresse pour le massif, bien que cette attitude dénotait complètement avec la gravité et l’urgence de la situation.

« T’es un mutant aussi alors ! Incroyable. T’imagines les chances qu’il y avait pour que deux mutants se retrouvent au même endroit ?! Bon, je suis pas une flèche en maths, ce qui est assez surprenant pour un joueur d’échecs au passage, mais je pense que les probabilités étaient plutôt faibles… Moi, je pense, en toute honnêteté, c’est probablement le destin qui voulait ça. Et pourtant je ne suis pas quelqu’un qui croit à l’astrologie et tout le bordel MAIS, parfois, je pense qu’il y a des signes tu vois ce que je veux dire ? »

Bien qu’il paraissait être un homme à l’esprit simplet, il n’en était rien : par son discours et son éloquence enjouée, Ezekiel essayait juste de gagner du temps. Un temps précieux. Un temps qui lui permettait de reprendre de l’énergie, des forces, de quoi utiliser ses pouvoirs pour prendre la fuite en compagnie de son acolyte. D’ailleurs, il espérait que ce dernier comprenne pourquoi il agissait ainsi, et son regard appuyé essayait tant bien que mal de transmettre ce message.

« Théoriquement, si on doit être en vie, nous ramener en plusieurs morceaux risque de contrarier ce plan. Moi je dis ça, je sais pas, j’ai pas fait médecine… Mais toi non plus visiblement. »

Répondant au regard inquiet d’Hector par une oeillade apaisée, Ezekiel lui avait adressé un sourire discret en coin, comme pour lui signifier de ne pas trop s’en faire… Il allait bientôt pouvoir se téléporter avec son nouvel ami, alors le cadavre blond ambulant pouvait bien aboyer tant qu’elle le voulait : c’était même amusant.
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TARD DANS LA NUIT DU 16 MAI 2024 AVEC HECTOR MESSNER

S’il n’avait pas compris, au premier abord, les machinations farfelues de son compagnon bien trop bavard pour le moment périlleux qu’ils vivaient tous deux, Hector avait fini par se laisser entraîner dans la ronde fourbe de la parlote interminable, se prenant même au jeu de celle-ci. Avec un soulagement presque perceptible, Ezekiel l’avait vu déblatérer encore et encore sur les rouages mystérieux du temps, du destin et des signes à interpréter, et même s’il y avait fort à parier qu’aucun des deux n’accordait la moindre importance à ces choses dérisoires, pour l’heure, ils étaient de véritables passionnés du hasard.
Hochant légèrement son visage de haut en bas, dans un geste à peine perceptible, Ezekiel l’avait encouragé à parler tandis qu’il surveillait discrètement la blonde du coin de l’oeil, se disant que chaque seconde de gagner était un temps précieux qu’il recueillait comme de l’énergie potentielle pour une future téléportation. Pas encore. Pas maintenant. Il n’était pas encore en état de s’éloigner suffisamment de cet endroit pour assurer leur sécurité, et il était tout bonnement hors de question qu’il parte sans Hector.

En entendant la question purement rhétorique de la jeune femme, Ezekiel n’avait pu s’empêcher de tourner son menton vers elle en cillant à plusieurs reprises, mimant de réfléchir à cette interrogation. Evidemment, la réponse était toute trouvée, et c’est sans l’ombre d’une hésitation qu’il avait repris la parole, haussant légèrement ses frêles épaules au passage :

« Alors, figure-toi que non ! J’adore parler, c’est même une passion dans la vie et tu sais combien il est important de suivre sa passion ? La tienne c’est pas le coiffeur visiblement mais t’es mignonne quand même dans ton genre ! De loin… Dans le noir… »

Quitte à l’énerver, autant le faire jusqu’au bout et essayer d’éviter l’intérieur du camion, pour l’instant. D’ailleurs, où est-ce qu’elle voulait les emmener avec ce fourgon ? C’était qui son boss, il ne pouvait pas se déplacer lui-même ? Elle était vraiment nulle pour faire les présentations celle-là !

Mais cette fois, il l’avait peut-être un peu trop titillée, car la poupée peroxydée perdit patience en lançant une nouvelle décharge en sa direction, de laquelle il fut sauvé inextremis par Hector, encore une fois. Il lui était bien plus que redevable, mais l’heure des remerciements viendrait plus tard : pour l’heure, il fallait essayer de survivre à ce gang sorti des buissons, et ce n’était déjà pas une mince affaire. Si Hector encaissait les coups à sa place, il y avait fort à parier qu’il n’allait pas tarder à être dans le même état que lui, et l’ennemi n’attendait que cela pour se jeter sur eux et prendre l’avantage… Il fallait donc miser sur autre chose que le nombre et la force. Si Ezekiel se sentait à présent capable d’effectuer une téléportation, il savait que celle-ci ne l’emmènerait pas plus loin que la deuxième rue jouxtant le parc… Mais peut-être que ce serait suffisant pour leur permettre de s’enfuir, profitant de la cohue générale et du manque de discernement de tous pour disparaître dans la nuit ?

« Oh, miss météo tu te calmes ! »

Avait-il dit avec un sincère agacement en s’avançant d’un pas vers Hector pour s’assurer qu’il allait bien, mais n’ayant même pas le temps de lui accorder le moindre mot avant d’être tiré en arrière par six bras musclés essayant de le plaquer sur le sol pour l’immobiliser… En d’autres circonstances, il se serait défendu avec bien plus de vivacité, mais comme l’un de ses assaillants appliquait une main brutale sur son épaule malmenée par un combat précédent, il s’était principalement démenée pour se libérer de cette emprise douloureuse. Agitant son bras avec grand remous, il avait fini par faire lâcher l’homme qui s’était machinalement reculé d’un pas, profitant ainsi de son geste pour lui décrocher un coup de poing volontaire, avant que la silhouette massive d’Hector ne vienne le rejoindre —comment il avait fait, c’était un mystère, pour le libérer à son tour.

« Hors de question de partir sans toi. »

D’une voix déterminée et intransigeante, il s’était adressé à Hector en penchant légèrement sa nuque sur le côté afin de jeter un regard attentif dans son dos : la blonde préparait ses éclairs et ses hommes de main s’apprêtaient à leur bondir dessus une nouvelle fois… Encore ? Non, pas cette fois. Plutôt que de les attraper eux, les hommes de ce gang allaient refermer leurs mains sur de la poussière bleutée.
Se rapprochant d’un pas, Orion avait déposé ses deux mains sur les avants-bras d’Hector, empoignant également toute sa volonté et ses forces pour effectuer une courte téléportation, qui l’avait emporté bien loin qu’il l’avait pensé : Hector pesait considérablement plus lourd à cause de sa force, si bien que les pouvoirs d’Ezekiel n’étaient guère de taille à le transporter sur de longues distances. Ainsi, tous deux se retrouvèrent de l’autre côté du parc, non loin de la sortie. À première vue, aucune voiture de police n’était dépêchée à cet endroit, peut-être s’étaient-elles toutes déplacées du côté des Mains Rouges… Tant mieux ! Cela allait les occuper pendant un moment, au moins. Qu’importe les raisons, il fallait en profiter car une occasion pareille ne se représenterait sûrement pas deux fois.

« On y va… Peu importe ce qu’il se passe, continue de courir. Tu en as assez fait pour moi… Sauve-toi. »

Après un léger hochement de tête appuyé d’un regard insistant, Ezekiel avait rapidement noué ses longs cheveux bouclés en un chignon bordélique à l’arrière de son crâne, avant de commencer le décompte de leur fuite désespérée :

« 1…2…3 ! »
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