[terminé] Montre moi ton âme, je te dévoilerai la mienne

MARDI 14 MAI 2024 AVEC WANDA MAXIMOFF ET SON ALTER EGO

Le soulagement n’était que trop gris pour qu’il puisse pleinement s’en satisfaire ; présentement, Wanda n’insistait pas pour évoquer l’épineux sujet qui mettrait à mal les derniers soupçons de calme qu’il s’efforçait de conserver à son égard, mais elle témoignait d’une envie certaine d’en parler lorsque le temps serait propice aux révélations douloureuses ; pour lui, ce temps-là ne viendrait pas. C’était un sujet révolu, écrasé et déchiré, qu’il préférait enterrer sous dix mille épaisseurs pour ne plus jamais avoir à en entendre parler : pour seule réponse, il lui lança donc un regard qui était bien plus froid qu’il ne l’avait voulu mais, fort heureusement pour les deux, elle avait le menton baissé vers ses genoux donc il pensait qu’elle n’avait pas vu le voir. Et puisqu’elle n’avait pu interpréter cette œillade de rancœur comme un refus catégorique, il avait soupiré avant de prendre la parole à son tour, d’un ton bien plus réprobateur qu’il l’avait souhaité :

« Je ne vais pas faire comme toi, je vais donc te dire la vérité : je n’ai aucune envie d’en parler. Ni maintenant, ni jamais. Il n’y a plus rien à dire. »

Sa langue avait été contrainte de s’enrober de délicatesse pour ne pas cracher son venin avec un « nous n’avons plus rien à nous dire » car, tout compatissant et bienveillant qu’il était, l’amertume commençait doucement à gagner son coeur malmené, qui se crispait d’une douleur atroce en cet instant. Comment un organe aussi vieux pouvait-il encore le faire souffrir de la sorte ?
Bucky ne lui en voulait pas d’en aimer un autre, il lui en voulait d’avoir été lâche, de ne pas lui avoir dit la vérité bien avant, de l’avoir si peu considéré en ignorant totalement les sentiments qu’il lui portait. Il se sentait trahi. Trompé. Coléreux. Malheureux. Haineux. Le tout formait un mélange qui était d’une laideur absolue, mais rien de comparable à ce qu’elle avait fait. Peut-être avait-elle craint de lui révéler le nom de son prétendant ? Mais l’aurait-il exigé ? Bien sûr que non. Il n’aurait rien demandé, rien réclamé. Il savait qu’il ne la méritait pas, il s’en voulait d’avoir été aussi naïf. Oui, peut-être était-il davantage en colère contre lui-même, au fond ? Mais sa souffrance l’aveuglait, il avait la douloureuse sensation qu’elle s’était moquée de lui ou, pire, qu’elle l’avait manipulé pour protéger sa véritable idylle : avait-il été une couverture pour elle ? Une façon de détourner l’attention pour que personne ne remarque ses élans amoureux envers Loki ? Le schéma tortueux se dessinait dans son esprit comme un fil pernicieux qui l’écorchait sans cesse, semant les graines de la haine et de la colère sur le terrain stérile de son esprit. La haine. L’amour. La frontière est si mince qu’il l’avait peut-être déjà franchie sans même le savoir.

Croisant ses bras contre son torse, il était sorti de sa torpeur coléreuse lorsqu’elle avait évoqué Rocket ; après l’avoir rassurée au sujet de ce dernier, il avait été surpris d’entendre que « Raven » lui avait fait quelque chose également… Ses bras retombant le long de son torse, il était resté quelques secondes silencieux en ayant les sourcils froncés, ses yeux voguant de gauche à droite alors qu’il réfléchissait à toute vitesse. Raven, Raven… Il connaissait ce prénom. Il l’avait déjà entendu quelque part… Mais c’était loin. Les années 70. Budapest. L’Orient Express. La belle blonde du train ! Mais oui ! Ce n’était sûrement pas la même personne car la sienne devait être très âgée aujourd’hui, mais c’était néanmoins un détail presque amusant, qu’il prit comme un signe du destin, Raven ayant été autrefois une bulle de paradis dans l’horreur et le chaos.
Maintenant, restait à savoir ce que le pauvre Rocket avait subi avec les deux femmes… Est-ce qu’elle l’avait torturé ? Et qui était cette femme ? D’où sortait-elle ? Bien que naturellement curieux suite à cette révélation, il n’avait posé aucune question la concernant, se disant que le Gardien devait être celui qui lui en parlerait s’il le souhaitait. Il avait bien trop de respect pour agir de la sorte.

« Je lui dirai, aucun souci. »

Hochant son visage de haut en bas, il avait légèrement tourné son menton sur le côté pour observer les deux personnes qui traversaient la rue en riant, plaisantant l’un à côté de l’autre malgré le temps maussade qui s’annonçait. Elle était blonde, lui brun… Ils étaient de dos alors Bucky n’avait pu voir leurs visages mais, l’espace d’un instant, il avait eu l’impression de voir une image du passé : Raven et lui, coupés du monde dans cette cabine de train, discutant durant des heures en mangeant tout et n’importe quoi… Surtout n’importe quoi. Dire qu’il n’avait jamais pu la revoir après cela, qu’était-elle devenue ? Avait-elle eu une belle vie ? Il se souvenait à peine de son visage mais se rappelait sans mal de sa douceur et de sa gentillesse, alors il espérait qu’elle avait été heureuse tout au long de sa vie.
Une fois que Raven —celle qu’il pensait être la sienne, avait été chassée de ses souvenirs, Bucky s’était recentré sur Wanda, lui insufflant alors l’idée de rejoindre le QG du S.H.I.E.L.D. Il n’était guère un grand médecin ou un scientifique émérite, mais il pensait (peut-être naïvement) que les équipes présentes là-bas seraient compétentes pour maintenir Wanda en pleine conscience, en utilisant la même technologie que Rocket avait le bracelet mais, visiblement, il se fourvoyait. Et alors que Wanda lui disait que ce n’était pas une bonne idée de se rendre là-bas, elle avait donné l’impression d’être soudainement pétrie de douleur,  comme si une affreuse migraine assaillait son crâne en même temps que mille épines perforant sa chair. Haussant d’abord l’un de ses sourcils, pressentant la menace grandissante qui commençait à poindre en elle, Bucky avait braqué ses yeux azurés sur son visage pour observer chaque expression passant sur le paysage de celui-ci, sans réellement savoir quoi faire pour contrer cette insurrection psychique. Il n’était pas formé pour ça, et il craignait d’aggraver les choses en intervenant… Mais est-ce que la situation pourrait être pire que celle-ci ? Heureusement, il n’y avait plus personne autour d’eux, ce qui signifiait qu’il serait la seule victime si la situation dérapait.

S’agenouillant face à elle, Bucky avait appuyé son coude sur son genou tout en prenant une fine inspiration, faisant tournoyer ses pensées à toute vitesse pour tenter de trouver une solution qui la calmerait, au moins pour quelques instants précieux. Une idée risible était apparue dans son esprit et, sans vraiment avoir d’alternative, il s’était lancé dans un récit aussi maladroit que chaotique, mais qui témoignait néanmoins d’une réelle volonté de bien faire et de l’apaiser, essayant de l’extirper de la tornade rouge et noire dans laquelle elle était aspirée, pour la maintenir à la surface :

« Tu… Tu te rappelles, à l’enterrement de Tony, quand on s’est éloignés tous les deux ? Tout le monde parlait, c’était bruyant et on avait envie de marcher parce qu’il faisait frais et qu’on voyait bien les étoiles ce soir-là. On a parlé, longtemps, trop longtemps, je ne sais même plus de quoi. Mais on a tellement parlé qu’on s’est perdus, tu t’en souviens ? Tu m’as dit qu’il fallait toujours suivre l’eau pour retrouver notre chemin alors on a marché le long du lac et… Je ne sais même plus qui est tombé en premier, mais l’autre a suivi en essayant de le rattraper. Il faisait nuit, il y avait des bruits de crapauds autour de nous et on était trempés jusqu’aux os ! On n’arrivait même plus à remonter sur la terre ferme tellement on riait… »

Penchant légèrement son menton pour essayer de capturer son regard, essayant de jauger si son monologue fonctionnait ou non, il avait recommencé à parler, toujours d’une voix calme :

« Et là, tu as utilisé tes pouvoirs pour créer des petites lumières à la surface de l’eau, avant de m’arroser… On a tellement rigolé qu’on en a eu mal au ventre, tu t’en rappelles ?  Heureusement que personne ne nous a vu revenir, on était trempés et couverts de terre ! Tu dois t’accrocher pour les moments comme ça. Tu as encore beaucoup de choses à vivre. Et beaucoup t’attendent. Clint, Rocket… Loki. C’est pour eux que tu dois te battre. »
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MARDI 14 MAI 2024 AVEC WANDA MAXIMOFF ET SON ALTER EGO

Devant la douleur sourde qui avait accablé le corps de celle qui avait été son amie, sa plus proche alliée, la femme qu’il pensait être un modèle de droiture et d’honnêteté, l’homme pétrit de rancune n’avait pu se détourner de son visage défiguré par la souffrance, quand bien même la sienne continuait de malmener son coeur. Un soupir ayant passé la barrière de ses lèvres à cette pensée, car son cerveau l’empêchait d’agir avec égoïsme, et il n’avait point hésiter à s’agenouiller devant elle, restant à ses côtés malgré les nombreuses sommations qui lui disaient de partir avant qu’il ne soit trop tard : avec toutes les batailles qu’il avait mené, avec toutes les épreuves qu’il avait enduré, le Soldat de l’Hiver avait appris à ne jamais s’enfuir devant un combat. Peu importe le danger, peu importe les risques, il fallait les affronter.

« Non, je ne vais pas partir. »

Avait-il dit d’une voix curieusement sereine tout en s’agenouillant devant elle, avant de se mettre à parler longuement, évoquant le souvenir à la fois touchant et risible de leur première vraie rencontre. Leur amitié était née lors des funérailles de Tony, et quand bien même le deuil emplissait le coeur d’une tristesse et d’une culpabilité sans nom, tous deux s’étaient trouvés comme  on trouve un refuge au milieu d’une tempête : sans jugement, sans mépris, sans douleur, ils s’étaient acceptés l’un l’autre avec leurs défauts respectifs, sans jamais chercher à se changer. Ils s’étaient apprivoisés comme deux animaux traqués font route ensemble, semant leurs souffrances unis sous le même drapeau, car ils étaient le fruit de l’Hydre pernicieuse, pour laquelle ils avaient joué les pantins meurtriers. Deux coupables essayant de redorer le blason de leurs mains ensanglantées. Comment se racheter une conduite après avoir semé le sang et la peur sur son chemin ? Si Bucky connaissait fort bien ces  deux sentiments, il craignait que la jeune femme ne les affronte une fois revenue parmi les siens, sans avoir de bourreau à blâmer pour ses méfaits, cette fois. Il lui faudrait du courage pour affronter les terreurs de la vérité, mais il n’y avait pas d’autres issus possibles. La Sorcière Sombre était coupable, pas Wanda. Mais saura-t-elle faire la différence le moment venu ?

Pour l’heure, Bucky essayait de la ramener à la raison, l’extirpant des filets perfides de la Sorcière Sombre pour la garder dans le monde réel, quand bien même la tache semblait ardue. Il lui rappelait les souvenirs joviales de leur escapade nocturne dans le lac, et de la difficulté avec laquelle ils avaient grimpé la pente pour en sortir ; une longue marche dans les bois pour revenir près de la maison des Stark, où ils étaient arrivés trempés et plein de boue une fois la nuit bien avancée, révélant une piètre image des héros de l’Amérique sursautant sous le cri d’une chouette amusée.

Et miraculeusement, cela avait semblé fonctionné.

Dans un souffle, un murmure à peine perceptible, la jeune femme avait prononcé son nom en accrochant ses yeux, comme si le regard azuré du Soldat était le dernier rempart avant la chute. Il l’avait ramenée, elle était là, mais pour combien de temps ? Elle semblait être prête à partir, à fuir pour ne causer de mal à personne, et Bucky n’avait pas l’intention de la retenir : à présent, le sort était entre ses mains. Il lui faudrait se battre contre elle-même pour se dénouer des sorts malicieux lancés par son double pour la maintenir en cage, et malgré tous les ressentiments qu’il éprouvait à son égard, l’homme était certain qu’elle y parviendrait.

Mais, avant de partir, la rousse avait témoigné un réel besoin de l’entendre promettre qu’il serait toujours son ami. Était-il réellement capable de lui faire un tel serment ? Tandis que la main de la jeune femme trouvait la sienne, nouant symboliquement les sentiments qu’ils se portaient, Bucky s’était redressé en relevant légèrement son menton, ses yeux impassibles ne pouvant se résoudre à lui mentir, à lui faire miroiter un fallacieux mirage qui bercerait son coeur d’une douce illusion. Au bout de quelques secondes de silence, décidant d’être honnête avec elle, comme il l’avait toujours été, l’Avengers quitta délicatement sa main tout en prenant la parole, d’une voix qui ne relevait aucune agressivité malgré la dureté des mots prononcés :

« Je ne peux pas te faire cette promesse… Fais attention à toi, surtout. C’est tout ce qui compte. »

C’était la fin. Il avait la sensation qu’ils ne se reverraient pas avant un long moment et, curieusement, il en éprouvait un certain soulagement. Le recul nécessaire pour enfouir les grains de la colère, peut-être ? Reculant d’un pas sans la quitter du regard durant quelques secondes, Bucky avait fini par se détourner d’elle pour marcher vers sa moto, sans se retourner. Désormais, les deux enfants d’HYDRA n’étaient plus le refuge l’un de l’autre. Ils marcheraient seuls sur leur chemin respectif, sans savoir s’ils se retrouveraient un jour.
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