[Terminé] Du pouvoir des noms

James Buchanan "Bucky" Barnes n’a jamais réfléchi à la nature et aux implications de son nom de code. Au pouvoir des noms. "Tout le monde l’utilise, lui y compris. Sauf au Wakanda, ils l’appelaient "Le Loup Blanc" là-bas". C’est raciste mais cohérent : le héros local se nomme la Panthère Noire. Les Wakandais n’ont guère de grâce à mes yeux puisqu’ils avaient les moyens d’améliorer la vie des nations voisines voire de la totalité de l’Humanité et ne l’ont jamais fait. Même l’ouverture du Roi T’Challa et la régence durant sa disparition suite au Snap n’ont pas changé les choses. Les technologies Wakandaises restent Wakandaises et les pays alentours restent aussi en difficulté. Reproche faisable avec les technologies Stark mais dans une moindre mesure : on parle d’une seule entreprise et non d’un pays entier. Et Stark a créé la technologie permettant la transition écologique, avec les Réacteurs Arcs, ainsi que celle nécessaire au voyage dans le temps et à l’immortalité, annulant au passage le Snap suscité. Stark a eu un impact positif sur l’Humanité et est entré dans la mémoire collective de l’Humanité pour ses créations. C’était un génie. Aucun Wakandais ne l’a fait alors que beaucoup auraient pu y prétendre. Ce n’est cependant pas contre eux que je dresse les charges. C’est contre le Soldat de l’Hiver.

Le Sergent fait face à l’énoncer avec impassibilité. Est-ce de l’indifférence ? Je l’ignore. Je continue. J’arrive à la conclusion : l’absence de possibilité de poursuivre du fait que, juridiquement, le Sergent James Buchanan "Bucky" Barnes n’est pas considéré responsable des actions du Soldat de l’Hiver. Surprise d’abord. Doute ensuite. Réflexion enfin. La déclaration de conclusion est la même que celle ayant précédée l’introduction. Il "ne sait pas". "Ne savait pas". C’est désormais le cas.

Je guide encore un peu pour qu’il sache quoi en faire. Beaucoup de questions. Peu d’émotions. Parfait. J’accepte le refus de faire la pause avec un acquiescement sans changer la posture de mes bras ni celle de mon buste : croisés pour les premiers et cavalier pour le second.

Les mots et le geste suivant confirment une hypothèse déjà formulée : l’appellation du Soldat de l’Hiver provient d’un besoin psychologique. Le tribunal de la conscience du Sergent n’a pas les mêmes lois que celui des Etats-Unis. Sans doute sont-elles plus émotionnelles.

« Je n’ai pas besoin que l’on m’appelle ainsi, non, poursuit-il après s’être réinstallé en contredisant ce qu’il vient de me dire ; chose qui m’amène à plisser les paupières à mon tour. C’est assez surprenant maintenant que vous le dites car je ne supporte pas qu’on m’appelle par mon nom de naissance. Il n’y a qu’une personne qui peut le faire. »

Est-ce que la détestation de l’appellation du nom de naissance à l’inverse de celui d’esclavage n’est-elle pas un élément important pour le sujet convenu ? L’impact de la mutation sur la psyché de l’individu. La mutation n’est pas tant la prothèse et le sérum chez le Sergent. C’est le Soldat de l’Hiver.

Le Sergent pense que les "autres" l’appellent le Soldat de l’Hiver par habitude. C’est ce qui me pose problème : son identité fondamentale est négative. L’unique musée que j’ai vu impliquant le Sergent est la Smithsonian Institution de Washington D.C.. Celle-ci parle des Howling Comando, de Captain America et du Sergent James Buchanan "Bucky" Barnes tel qu’il les a côtoyés avant de mourir au combat. Reste que c’est effectivement sous le nom du Soldat de l’Hiver qu’il a été popularisé lors de la Chute de la SHIELD puis de la traque de sa personne durant laquelle Steve Rogers et Sam Wilson sont redevenus des criminels internationaux ; pour la seconde fois en deux ans.

« Mais dire que je n’arrive pas à me détacher du Soldat de l’Hiver n’est pas une hérésie, continue-t-il en me faisant acquiescer puisqu’ici rien n’est une hérésie ; seulement une perception ou une analyse. C’est la vérité. Je suis mitigé quant à l’idée d’abandonner ce nom de code… J’ai l’impression qu’il m’appartient. Comme ce bras. »

Peut-être accorde-je trop d’importance à la différence entre le bras de Vibranium offert par le Wakanda et celui d’acier utilisé par l’Hydra. Sans doute le fait que le bras actuel soit une version largement supérieure du bouclier de Captain America puisqu’il augmente également la force en plus de pouvoir absorber et libérer l’énergie cinétique. Le bouclier ne fait qu’absorber et recracher même s’il peut être utiliser offensivement. Pas d’amélioration de force et toutes les utilités conséquentes. Moins de protection cela dit. Hors sujet.

Bucky Barnes pense qu’il serait trop facile de faire disparaitre le Soldat de l’Hiver. Son tribunal intérieur parle à nouveau. Ainsi soit-il. Donner une nouvelle symbolique à la prothèse. Donner une nouvelle symbolique au nom de code. Je trouve cela dommage que le Soldat de l’Hiver doive devenir le héros tandis que le Sergent James Buchanan Barnes doive disparaitre mais cela ne me concerne pas. C’est son choix.

« Vous, vous ne m’appelez pas comme ça.

- Peut-être ai-je tort, admet-je sans peine ou quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Je ne contribue pas à votre désir de rédemption à vos propres yeux lorsque je vous nomme "Sergent". »

J’hausse les épaules.

« Peut-être est-ce l’identité de l’héroïque Sergent James Buchanan Barnes que vous trouverez au bout de la route. Une fois que le Soldat de l’Hiver de l’Hydra aura été éclipsé par celui des Avengers. Si tel n’est pas déjà le cas. »

Le Soldat de l’Hiver de l’Hydra était une légende urbaine datant de la Guerre Froide.
Le Soldat de l’Hiver des Avengers est un super-héros de notre époque.
Combien sont ceux à vous nommer "Soldat de l’Hiver" sans aucune pensée pour le meurtrier ?
Quelles sont les probabilités pour qu’ils soient déjà la majorité ?
Quelles sont les probabilités pour que vous soyez le seul à qui cela importe encore ?

Je ne pose pas ses questions. Vous avez exprimé votre désir et je le respecte. Est-il aligné avec votre besoin ? Difficile à dire. D’autant plus qu’aucun de nous n’est là pour cela. Ai-je eu un impact positif sur votre réflexion vis-à-vis de vous-même alors que j’essayais de comprendre l’impact qu’avait eu votre mutation sur votre personnalité ? Le temps vous le dira. Je ne le saurais probablement jamais. C’est autre chose qui m’intéresse de savoir.

« Pouvez-vous me parler de votre rejet de l’identité léguée par votre père, s’il-vous-plait ? Il me laisse perplexe considérant que l’héritage de celui-ci a guidé le reste de votre vie. Pensez-vous que cela ait un rapport avec la différence entre le "vous d’avant" la mutation et le "vous actuel" ? »

Le froncement de sourcils face à mon constat de non-participation à la volonté de rédemption du Soldat de l’Hiver ne m’échappe pas. Je laisse cependant la surprise à son éphémère.

Le frêle sourire qui succède au doute face à mon hypothèse que le Sergent James Buchanan "Bucky" Barnes et le Soldat de l’Hiver puissent finir par être un homme entier lorsque le tribunal de son esprit en aura fini avec lui ne m’échappe pas non plus. C’est peut-être là ma principale réussite dans cette entrevue.

L’amertume qui répond à l’hypothèse que le Soldat de l’Hiver des Avengers ait surpassé celui de l’Hydra est plus que suffisante à me faire savoir que ladite hypothèse est fausse. Les mots qui s’en suivent m’apprennent que les proches du Sergent n’oublient rien et se chargent qu’il n’oublie pas non plus. Je ne prends pas la peine de feindre l’étonnement. Le Soldat de l’Hiver a été le pion pour Helmut Zemo afin de détruire les Avengers. Cela laisse des marques. Plus que l’assassinat d’anonymes.

La tentative d’humour suivie d’un geste de fatigue signifie bien combien le Soldat de l’Hiver est quelque chose de gênant et de fatiguant au sein des Avengers. Ceux-ci sont pourtant majoritairement composés des partisans de Captain America ; Steve Rogers. De ceux qui ont pris le parti du Soldat de l’Hiver contre leurs coéquipiers et les autorités. De ceux qui sont allés en prison pour lui. C’est rassurant de savoir que même cette idiotie ne signifie pas qu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont eu à payer pour que le Soldat de l’Hiver puisse être libre. Cela signifie peut-être également qu’ils ne sont pas le meilleur milieu pour que celui-ci trouve la rédemption. Celle-ci est basée sur le tribunal de son esprit et non des lois objectives : il ne dépassera jamais son souvenir s’il est dans un milieu qui l’entretien. Ce qui explique la préférence a une demeure extérieure à l’Avengers Facility. Ils ne sont plus une famille.

On pourrait croire que Carol Danvers illustre ce fait : vivre chacun de son côté en autarcie et ne participer à la vie de l’organisation que lorsque le besoin s’en fait sentir en étant par conséquent incapable de travailler au sein d’une équipe inexistante le reste du temps. Carol Danvers n’est cependant plus Avenger. Peut-être est-elle "de ceux qui y sont affiliés". Amnésique de sa propre vie mais connaissait celle du Soldat de l’Hiver. Je fixe celui-ci sans décroiser mes bras ou changer ma posture cavalière.

« L’une des premières choses qu’elle m’a dite est qu’elle était désolée pour ce que j’avais dû faire sous HYDRA, continue-t-il avant de marquer une pause de malaise puis de la conclure par l’aveu qu’il laisse tomber. Enfin, elle essayait d’être gentille. Je ne devrais pas prendre la chose aussi mal.

- Elle vous définit par le Soldat de l’Hydra tout comme vous-même, traduis-je simplement même si le Sergent le sait déjà. Ce qui fait mal c’est que ce soit la première chose qu’elle ait dite. La première impression qu’elle ait de vous. Cela sonne comme un échec dans votre recherche de changer le regard des gens sur le Soldat de l’Hiver. Voyez la pitié qu’elle possédait et non la crainte ou le jugement. Le changement est en cours. »

Carol Danvers est plus alien qu’humaine. Cela changera désormais qu’elle se rebase sur Terre car il faut considérer que l’humanité d’une personne dépend non de son espèce mais bien d’un jugement social et sociétal. Il faut également considérer qu’il y a des humains qui sont simplement maladroit. A chacun de juger la patience qu’il accorde aux autres selon la valeur qu’il leur donne. Je suis expéditive dans ce domaine.

Mon interlocuteur n’est pas convaincu que la dépréciation de son identité de James Buchanan Barnes soit liée aux changements imposés par sa mutation artificielle sur sa personnalité. Je décroise les bras pour poser les mains sur le bureau devant moi alors qu’il déclare ne pouvoir expliquer pourquoi il ne supporte pas qu’on l’appelle James. C’est pourtant royal comme nom. Surtout lorsque l’on sait que c’est une variante en ancien français de Jacques ; lequel sonne moins bien. Jacques Barnes. Moins bien que James Barnes. Le fait que le surnom provienne du second prénom laisse à penser que James ne plaisait déjà pas à l’époque. Buchanan Barnes. Bucky Barnes. Répétition phonétique. Cela facilite l’apprentissage. C’est à nouveau une question de Steve Rogers à l’époque contemporaine. Il l’a toujours appelé Bucky. Donc son identité est Bucky. Steve Rogers a eu plus d’impact sur la définition du moi actuel du Soldat de l’Hiver que le Soldat de l’Hiver lui-même.

« Je ne me reconnais plus en James, conclut le concerné en me faisant simplement acquiescer, pour être honnête, j’ai l’impression que Bucky a toujours été mon prénom. C’est sans doute comme mon grade de Sergent… J’ai l’impression qu’ils ne sont plus à moi.

- Peut-être le redeviendront-ils lorsque vous en aurez terminé avec votre propre procès, conclus-je à mon tour avec simplicité. Je suppose qu’il est temps que je vous libère. »

Je conçois que la résurrection de Bucky Barnes soit la pleine et entière action de Steve Rogers. Permise par les sacrifices de Clint Barton, de Sam Wilson, de Wanda Maximoff, de Scott Lang et de Natasha Romanoff. Cette transition entre le Soldat de l’Hiver de l’Hydra et le Soldat de l’Hiver des Avengers qu’il souhaite devenir crée une grande distance avec l’humain qu’il était avant tout cela. Peut-être aurais-je dû plus me focaliser sur ce que lui considère sa mutation plutôt que ce qui est objectivement sa mutation. Mutation et traumas peuvent être intimement liés selon l’histoire de l’individu et c’est présentement le cas. L’aspect lointain est probablement plus une erreur que l’approche de la mutation. Il faut également considérer que cette distance est cohérente avec la piste des deux vies : James Buchanan Barnes avant le Soldat de l’Hiver puis Bucky Barnes après. Il ne le conçoit cependant pas ainsi donc cet entretien ira dans mon antithèse et non ma thèse. Subjectivité. Je n’aime pas cela avec les sciences molles. C’est dur à accepter lorsqu’on vient des sciences dures.

Je ne pense pas avoir perdu du temps si j’ai lancé l’homme en face de moi sur la piste lui permettant de redevenir entier un jour. C’était plus productif pour lui que pour moi mais c’est donc que j’ai été une psychiatre correcte.

« Je vous remercie d’avoir été présent et vous souhaite que vos efforts portent leurs fruits, lui dis-je en guise de salutations alors que je me relève pour lui faire face… Soldat. »

Le rang de Sergent de lui appartient peut-être plus mais il n’est pas le Soldat de l’Hiver. Alors je l’appellerai "Soldat" comme avant sa promotion. C’est une manière de participer à sa transition sans pour autant le considérer comme tous les autres. Comme le Soldat de l’Hiver. L’humain appréhende le monde par le langage qui compose sa pensée. C’est pour cela qu’il est impossible de débattre du pouvoir des noms.