[Terminé] Surprise de Noël

Les flocons volètent dans l’air glacé, s’éparpillant sous la poudreuse qui, depuis quelques heures, ne subit plus les assauts incessants des passants arpentant les rues à la recherche d’un cadeau de dernière minute. Les rues sont paisibles et calmes, presque désertes en ce début de soirée, car les familles sont réunies derrière les fenêtres joyeuses, à travers lesquelles on aperçoit les décorations lumineuses et les tables copieusement garnies, autour desquelles ils se rassemblent. Cette douce effervescence de Noël, Esha l’a véritablement appréhendée en débarquant de son Inde natal, car dans l’orphelinat ayant accueilli ses dix premières années de vie, elle n’avait jamais eu l’occasion de le fêter, quand bien même le 25 décembre est férié : les personnes chargées de son éducation n’étant pas de confession chrétienne, elle a longtemps posé un regard très lointain sur cette célébration, avant de l’envisager sous l’oeil d’un enfant qui, bien qu’ayant vécu derrière sa peau, n’a jamais pu connaître la lumière du jour.

Il existe un mot pour l’enfant qui perd son parent, pour l’époux qui perd sa femme, mais il n’existe aucun mot pour décrire la mère qui perd son enfant ; et pourtant, ne perd-t-elle pas le monde ? Elle se demande, souvent, malgré elle, si son enfant aurait aimé les mêmes choses qu’elle, s’il aurait eu ses grands yeux qui, adolescente, l’avait longtemps complexée. Elle sait qu’elle n’aura jamais de réponses à toutes ces questions, tout comme elle sait qu’elle ne cessera jamais de pleurer l’enfant qui, sans qu’elle n’ait pu le connaître, conserve son amour, immuable, inéchangeable, éternel. L’amour d’une mère.

La blessure, intacte et pourtant invisible, l’effleure d’une larme tandis qu’elle jette un premier regard sur le décor enneigé de Manhattan, dans lequel elle vient d’arriver. Le portail de téléportation se referme derrière sa silhouette gracieuse quand elle s’avance de quelques pas, rapidement mordue par le froid intense qui s’infiltre derrière sa tenue légère, mais auquel elle ne fait pas attention outre mesure, se contentant de presser le pas dans l’allée. Parvenant à destination, non loin de Hell’s Kitchen, l’indienne interrompt sa marche devant une porte fermée, qu’elle contemple quelques secondes, soudainement prise d'une certaine réticence craintive… Elle espère ne pas le déranger, ayant même longtemps hésité avant de venir mais, s’il est en famille ou occupé, elle ne s’attardera pas.

Prenant son courage à deux mains, vêtue d’un Sari traditionnel beige tirant discrètement sur le vert, agrémenté de broderies florales dorées, elle relève sa main fermée en poing, cognant quelques coups discrets contre la porte, ayant désormais bien hâte qu'il vienne lui ouvrir, tout en craignant de ne pas être la bienvenue.

Debout face à la porte, la jeune femme joliment vêtue semble se dégonfler au fur et à mesure que les secondes passent, et que personne ne vient lui ouvrir : l’idée qu’elle dérange s’impose de plus en plus dans son esprit alors, au bout de quelques instants, elle décide de s’agenouiller pour déposer une cadeau soigneusement emballé, de taille carré et un peu lourd il faut bien l’admettre, avec un noeud plus ou moins équilibré sur le dessus. Un léger sourire ornant ses lèvres, elle jette un dernier regard à la porte fermée avant de se redresser, s’apprêtant à ouvrir un autre portail pour quitter la ruelle froide et silencieuse, quand une voix familière se fait entendre dans son dos : « Milena ? » AH. MINCE. En pressant ses lèvres l’une contre l’autre, elle jette un regard en direction du cadeau qui siège fièrement devant la porte, en se maudissant intérieurement : si elle avait attendu quelques secondes supplémentaires, elle aurait pu garder l'effet de surprise.

Se retournant vers Jericho, elle affiche un sourire chaleureux ainsi qu’une mine réjouit, bien que semblant un peu surprise de le trouver là ; un comble quand on sait que c’est elle qui l’attendait devant la porte, quand même. « Bonsoir ! » Elle arque l’un de ses sourcils d’une manière discrète, se demandant s’il va remarquer qu’elle ne bégaye plus… Enfin, beaucoup moins qu’avant. C’est une longue histoire.

Les mains dans le dos, son sourire se transforme à moitié en grimace quand elle entend sa question, redoutant à présent de passer pour une dingue ou une sans-gêne qui s’incruste lors d’une fête de Noel… Bien que ce soit un peu le cas. « Euh… » Super comme réponse. « Oui, ça va. » Sauf qu’elle grelotte un peu de froid ; pas étonnant la façon dont elle est vêtue, ceci dit cela ne l’empêche nullement de sourire avec la même stature joyeuse, et de se maintenir dans la même position pour cacher le cadeau qui est toujours sur le pas de la porte. « Et toi ? » Elle penche alors légèrement son menton sur le côté en pressant finalement ses lèvres l’une contre l’autre, réalisant qu’elle ne peut pas tenir une conversation banale sans justifier de sa présence en ces lieux.

Ses mains se détachant dans son dos, elle perd un peu son sourire durant quelques secondes avant de se décaler de quelques degrés sur le côté pour qu’il puisse découvrir le cadeau emballé qui l’attend, tandis qu’elle hausse ses épaules d’un air désolé. Mais cet air désolé est accompagné d’un petit sourire emplit de tendresse, qu’elle accompagne de quelques mots sur le même ton, de sa voix naturellement douce : « Le Père Noel m’a chargée de te livrer ça. »

L’ombre de l’étonnement, mal-placé certes, s’installe et perdure sur son visage, se voyant comme le nez au milieu de la figure : elle hausse ses sourcils, écarquille légèrement ses yeux, presse ses lèvres l’une contre l’autre à l’image d’un enfant pris sur le vif d’une bêtise, tout en contrastant l’image en joignant sagement ses mains dans son dos. Faut pas qu’il regarde derrière elle. Faut pas qu’il regarde derrière elle. « Bah écoute… Moi ça va. » Bien que toujours stressée que la surprise puisse être gâchée, Milena garde les yeux écarquillés tout en tournant son menton vers la gauche, en ayant l’air tout-à-fait ravie de le savoir : c’est sincère, même si elle paraît un peu crispée tout de même. Heureusement, il ne cherche pas à voir dans son dos mais baisse plutôt les yeux sur la petite casserole blottie contre son bras, en expliquant sa provenance : « Je reviens d’un repas offert pour les personnes qui sont seules ou qui n’avaient pas l’occasion de passer du temps avec leurs familles. Je viens juste de rentrer, du coup. » Tout à coup, son regard s’adoucit et ses traits se détendent, tandis qu’elle lui offre un sourire plus fin, également plus naturel, tendre et détendu, en oubliant presque la raison de sa venue. Elle l’admire pour sa bonté, pour l’humanité qu’il met dans chacun de ses gestes, pour sa façon d’être toujours tourné vers les autres, surtout ceux qui en ont besoin. « Je suis sûre que c’était une belle soirée. »

Gardant cet air suave au visage, l’indienne plisse légèrement ses paupières tout détachant ses mains, la jeune femme espace ses lèvres de quelques degrés tout en ayant l’air d’avoir quelque chose de fort désagréable à dire mais, plutôt que de prendre la parole, c’est son corps qui s’exprime en se décalant sur le côté, dévoilant, enfin, le cadeau joliment emballé qui attend, sur le pas de la porte, qu’on vienne le récupérer.

Elle grimace en tordant sa bouche vers le bas, sans quitter son air jovial, rapidement rejoint par un petit rire quand il avoue avoir craint le pire la concernant. Elle joint alors de nouveau ses mains sous son nez, presque en forme de prière, tout en se rapprochant de lui et du paquet cadeau. « Tout va très bien de mon côté, ne t’inquiète pas. » Elle s’excuse silencieusement de lui avoir causé une telle angoisse en posant brièvement sa main sur son épaule, stationnée à côté de lui, les yeux rivés sur le mystérieux présent. « Bien sûr que c’est pour toi ! Le Père Noel a dit que tu avais été sage cette année, alors… » Elle plaisante en fronçant son petit nez en sa direction, n’attendant guère de temps avant de reprendre, d’une voix encore plus malicieuse : « Attends de voir ce qu’il contient ! Peut-être que ça ne te plaira pas. » Elle espère que non car elle a tout de suite penser à lui en le voyant mais… Elle a pu se tromper ? Poussant ses lèvres en avant dans une petite moue, elle prie intérieurement pour que l’objet, choisi avec soin dans un pays étranger, convienne un minimum à son futur possesseur.

« Est-ce que tu pourrais m'aider à le monter chez moi s'il te plait ? Comme tu peux le constater, j'ai les mains prises. D'ailleurs, tu as mangé ? À l'intérieur, c'est une spécialité que j'ai moi-même cuisiné : du poulet en sauce à la haïtienne ! Mon plat préféré. »  Deux questions à la fois : trop pour la brune qui, s’embrouillant dans ses pensées, exprime : « Non ! » Est-ce qu’elle vient de répondre à la deuxième question en songeant que ce serait parfaitement limpide pour son interlocuteur ? Évidemment. « Enfin, je veux dire… Non, je n’ai pas mangé, mais oui je veux bien t’aider. » Un léger rire emportant ses lèvres, elle secoue lentement son menton de gauche à droite tout en se penchant pour se saisir du cadeau, qu’elle tient des deux mains : s’il est curieux et observateur, il peut constater que le présent n’est pas léger. Mais elle, ce qui l’intéresse surtout, c’est ce que contient cette mystérieuse casserole ; alors, tout en suivant Jericho, elle s’empresse de demander, d’une voix enjoué : « Et c’est quoi cette fameuse sauce à la haïtienne ? »

Galant, Jericho ouvre la porte d’entrée pour qu’elle puisse passer la première et, le remerciant d’un bref sourire toujours aussi affable, la brune s’empresse de rejoindre l’intérieur du bâtiment, où l’atmosphère est déjà plus chaleureuse qu’à l’extérieur. L’attendant ainsi dans le hall, avec son présent fermement tenu entre ses bras graciles et contre son buste féminin pour ne pas le faire tomber — ce serait bien sa veine, elle attend patiemment qu’il montre le chemin en lui confiant les secrets du plat qu’il a énoncé comme étant son préféré : assurément, cela lui ouvre l’appétit et elle a hâte de goûter, sans compter que la dernière fois qu’ils se sont croisés, il lui a déjà apporté de la nourriture et elle avait terminé le plat en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. « Où as-tu appris à cuisiner ? » interroge-t-elle d’une voix curieuse en grimpant les marches derrière lui, regardant ses pieds pour que ces derniers ne s’emmêlent pas dans sa robe et, par malheur, la fasse chuter : non pas qu’elle craint d’être blessée mais plutôt de heurter le cadeau qu’elle tient tant à lui offrir.

« Est-ce que ça va aller ? » demande-t-il alors qu’ils sont presque arrivés, produisant  de ce fait un petit rire à ses lèvres tandis qu’elle répond, sans contrariété aucune. « Pour l’instant, tout va bien. » Rendue joviale par le simple fait d’être en sa compagnie, elle le remercie d’un deuxième sourire en passant à l’intérieur de l’appartement, ne faisant pas tellement attention à la décoration car ces choses lui semblent superflue ; elle note cependant, d’un regard circulaire sur la pièce, que l’endroit est cosy et bien rangé, dans des couleurs claires et neutres pour donner une ambiance chaleureuse à l’habitat. « Bienvenue. Ce n'est pas le grand luxe, mais c'est chez moi. Je pourrais te faire visiter. Malheureusement, tu ferais rapidement le tour du propriétaire je pense. » Mordillant le coin de sa lèvre, elle se retourne vers lui en arborant un air taquin, qu’il doit commencer à lui connaître : « Pas de poupées vaudous suspendues, pas de tête de mort, pas de cartes ni d’encens… Es-tu sûr qu’on est chez toi ? » Faisant mine d’être suspicieuse l’espace d’un instant, elle presse ses lèvres en arquant l’un de ses sourcils avant de rire, d’un son léger et pur, se moquant volontiers des clichés alloués aux Sorciers de son accalmie. « Je ne suis pas venue pour juger la déco, tu sais. C’est très bien ici. » Cela lui fait penser qu’il lui faut aussi trouver un logement puisqu’elle va bientôt quitter Kamar-Taj, et qu’elle n’a aucune envie de vivre avec Strange… Balayant cette question pour se concentrer sur le moment présent, elle offre un sourire emplit de douceur à Jericho avant de se rapprocher de quelques pas pour déposer son cadeau sur le petit comptoir noir de la cuisine, agrémenté d’un tabouret de chaque côté. « Je peux ? » demande-t-elle d’une voix presque timide avant de grimper sur le dit tabouret, appuyant son coude sur la surface vernie du meuble pour que son menton puisse se nicher dans sa paume. « Tout va bien ? » Souffle-t-elle avec un brin d’inquiétude dans la voix après l’avoir observé quelques secondes, ayant remarqué les élans de nervosité qui l’agitent. Est-ce qu’elle le dérange ?

Dans son agitation, il décide de sortir d’un placard de sa cuisine une bouteille de rhum qu’il présente fièrement, ce qui fait sourire de plus belle la jeune indienne. « Je vais te faire honneur, bien sûr ! Je veux bien un verre mais alors, léger. Je n’ai pas l’habitude de boire de l’alcool parce que durant mes études de danse, j’avais une hygiène de vie très stricte. » Suivant son regard, elle se rend compte, à l’image d’un enfant attendant sous le sapin que le Père-Noel dépose les cadeaux, il fixe le dit cadeau : un éclat de rire passant sur ses lèvres étirées en un sourire suave, elle avance sa main pour délicatement pousser le paquet vers lui, disant alors, d’une voix amusée : « Vas-y, ouvre le… » Il faut espérer que la surprise soit à la hauteur de l’attente fixée sur le cadeau, maintenant…

Elle l’observe lorsqu’il ouvre le paquet, sans rien dire, guettant chacune de ses réactions en espérant que celles-ci soient positives. En ouvrant le cadeau soigneusement emballé, Jericho découvre un Tongue Drum ambré, semblable à du bois polie sur lequel, en son centre, des teintes violacées et bleutées ont été peintes, pour que l’on puisse ensuite y dessiner un Om̐, une syllabe sanskrite si fondamentale à l’hindouisme, et qui fait écho à la vibration vitale, le son originel, primordial, duquel l’Univers est né. « Tu connais ? » Demande-t-elle en se levant du tabouret pour contourner la table, venant se positionner à côté de lui. « C’est un Tongue Drum… Il produit un son très doux, très apaisant. J’ai pensé à toi. » Gardant les yeux rivés sur l’objet qui brille légèrement à sa surface, elle se saisit des deux petites baguettes de steeldrum, une dans chaque main, tout en commençant à jouer les premières notes d’une musique de Noel qu’il doit bien connaître, et qui est de circonstance. « Tu vois ? » Le son produit par l’instrument est diffus, comme soufflé par un vent murmuré qui vient caresser les oreilles pour apaiser l’esprit, justifiant son utilisation lors des méditations. « Regarde… » Délicatement, elle glisse les baguettes dans ses mains et pose ses propres mains sur les siennes, reproduisant les sonorités d’une deuxième chanson, tout aussi populaire que la première, en laissant un large sourire prendre possession de ses lèvres.

Puisque la démonstration est terminée, elle retourne sagement à sa place en ayant l’air hésitante, se demandant si le cadeau lui plait ou non…

« C'est ma mère principalement. Elle nous avait appris à cuisiner mon frère et moi. Elle nous disait que le repas était l'un des piliers fondamentaux de l'accueil et de la bienséance. » Elle sourit avec tendresse à la mention de cette mère pleine de bon sens et de générosité, bien qu’elle n’entrevoit son portrait qu’au travers des mots entendus. « Elle avait raison ! » Elle en parle au passé comme il le fait, n’osant pas demander si ce temps est simplement révolu ou si la dame n’est malheureusement plus de ce monde ; par respect mais aussi pour ne pas l’accabler d’une quelconque tristesse, alors que le moment est joyeux.

Après avoir grimpé les étages, ils arrivent devant l’appartement où, gentleman, le locksé la laisse entrer la première afin qu’elle découvre son logement ; l’inverse ne pourra pas être fait car la demoiselle vit encore à Kamar-Taj et qu’elle n’a donc rien d’autre qu’une chambre à lui faire visiter, de ce fait, elle ne fait pas la difficile et ne trouve rien à redire sur les lieux. L’ambiance chaleureuse la réconforte, mais elle ne peut s’empêcher de faire un trait d’humour qui, fort heureusement, est bien accueilli par le concerné ; sans nul doute la connait-il assez pour savoir qu’elle se moque de ceux qui pensent réellement cela, et non pas de sa culture. « Ahhh, c’est vrai. J’avais oublié les cercles rituels, un cœur de poulet et une coupe de sang. Tant pis la prochaine fois… » Un petit rire faisant écho à son buste féminin, elle secoue son menton de gauche à droite, prouvant ainsi le fait qu’elle n’accorde aucun crédit à ces rumeurs, avant de prendre l’initiative de se percher sur un haut tabouret.

Le coude appuyé sur le comptoir, elle l’observe quelques secondes avant de s’enquérir de son état, puisqu’il semble tout à fait curieusement nerveux : pour l’instant, tout va bien. La phrase, qui fait écho à la sienne, dans cette situation, commence mal mais termine bien. Un léger sourire amusé prenant forme sur ses lippes, elle appuie son menton sur sa main repliée en poing tout en affirmant, d’une voix charmante : « Comment ça, pour l’instant ? J’espère que ça va continuer ! » Elle le taquine avec plaisir mais, voyant qu’il lorgne sur le paquet cadeau tel un enfant au matin de Noël, elle se permet de lentement pousser le présent jusqu’à lui, le faisant glisser sur la table à l’aide de sa main libre, lui offrant ainsi la possibilité de ne plus faire souffrir son impatience.

Ainsi, le cadeau est déballé avec soin, bien que le regard fixe de son destinataire laisse entendre qu’il bouillonne de curiosité ; elle retient alors son souffle sans perdre son sourire, suspendue à ses possibles réactions. Elle a bien conscience que ce n’est pas grand-chose, un objet qui n’a que peu de valeurs, peut-être, mais elle a pensé à lui en le voyant, alors elle espère au moins qu’il lui plaise. Cela semble être le cas puisque ses yeux s’illuminent avec bonheur, une joie toute naturelle et presque enfantine, liée au fait de recevoir un cadeau sur la simple générosité, sur la seule attention de faire plaisir.

Mais s’il admire l’objet en question, il avoue ne pas savoir ce que c’est : qu’importe, l’indienne se lève d’un bond souple pour quitter son tabouret, venant y faire une petite démonstration avec deux mélodies successives, l’une étant faite de ses propres mains et l’autre avec celles de Jericho, guidées par les plus fines qui les surpassent : elle ignore si le son plaît autant que l’aspect mais, ayant toujours ce sourire pendu à sa bouche charnue, elle contourne la table pour aller se rasseoir, remettant correctement l’étole de son sari sur son épaule.

Mais l’étole ne résiste pas à l’étreinte inattendue que Jericho lui confère, et c’est seulement parce qu’elle est de lui, cette étreinte, que son coeur ne s’alarme pas ; elle qui redoute tant les contacts physiques ne s’en effarouche guère, étant seulement surprise de la rapidité du geste. Un petit rire enveloppant le son de sa voix, elle dépose brièvement ses mains dans le dos de Jericho avant de lui adresser ces quelques mots, emplit d’une douceur et d’une joie partagée : « C’est avec plaisir, vraiment. » Les verres sont gorgés du liquide ambré si cher au coeur du Sorcier, et elle ne lui fait point ombrage : prenant sa boisson, elle le lève pour accompagner le discours de Jericho avant d’en avaler une première gorgée, qui fait grossir ses yeux en même temps qu’elle pince ses lèvres. La vache ! Après avoir avalé sa gorgée, elle passe la pointe de sa langue sur ses lèvres en disant, les yeux plissés sous l’effet de l’alcool brûlant sa gorge : « Ah oui, c’est fort ! » Évidemment, elle n’a  presque jamais bu d’alcool alors… Ça peut déboucher le nez, ce truc, non ?

Mais elle s’est engagée à faire honneur à sa culture alors, sans attendre que sa raison ne la fasse changer d’avis, elle termine le reste de son verre d’un cul-sec, qui fait plisser l’une de ses paupières durant quelques secondes. « J’ai les yeux qui pleurent, non ? » Oui, mais heureusement elle n’est pas maquillée : sinon Jericho aurait eu un panda pour compagnie. Essuyant le bord de ses yeux tout en riant, elle lui lance un regard malicieux avant de lui dire, toujours aussi taquine : « Tu vois, je t’offre un cadeau et tu me fais pleurer, franchement… » Posant brièvement sa main sur son bras pour lui signifier qu’elle n’est pas sérieuse, elle secoue légèrement le menton avant de reprendre, d’une voix plus sérieuse : « Alors, qu’est-ce que j’ai manqué dans ta vie ? »