Apprendre et, peut-être, se comprendre

'’Je suis un bon épouvantail.’’ résonne à ses oreilles avec malice, et elle presse ses lèvres l’une contre l’autre en ne pouvant retenir un sourire qui l’est tout autant, même si son regard part d’abord en direction de Maître Satrinava, davantage prompte à réfréner ses expressions pour garder son masque de neutralité, qui n’apparaît guère froid mais plutôt prompt à la quiétude et la tempérance, dans un état constant et paisible qui se répercute, souvent, sur ses interlocuteurs. Debout l’une à côté de l’autre, les deux jeunes femmes saluent poliment le Sorcier Suprême lorsque celui-ci prend congé de leur compagnie, la plus âgée accompagnant son départ d’un ‘’Également.’’ dès plus sincère et respectueux, avant qu’elle ne demande à son élève de reprendre les essais pour poursuivre l’entraînement, ce que cette dernière s’applique à effectuer avec volonté, jusqu’à parfaire sa maîtrise. Milena avance, à son rythme, sur le chemin qui devait être le sien, en apprenant à tirer le meilleur du pire qu’elle a pu vivre. Vivre. C’est un joli mot, quand on y pense, dont on oublie parfois le véritable sens, et Milena recommence à l’entrevoir, enfin.


Vendredi 21.12.24

Avec une effervescence enjouée, qui se répand dans tous les bâtiments comme une onde joyeuse gagnant même les coeurs les plus sévères et qui n’éclipse que momentanément les enseignements distillés à Kamar-Taj, les occupants du bâtiment s’affairent depuis quelques heures afin de préparer ce qui est la fête du Soleil Invaincu. Après tout, l’Eldritch est largement dispensé en ces lieux, et il est donc naturel qu’ils célèbrent le Solstice d’Hiver avec un engouement tout particulier : de larges guirlandes colorées se déploient sur les bâtiments pour rendre éloge à l’astre brûlant, et c’est sur ces dernières que l’indienne passe son regard, un instant rêveuse et admirative des ouvrages réalisés par des mains hautement minutieuses, tandis qu’elle se tient dans la cour centrale, sur le départ.

À cette heure de la journée, l’atmosphère est encore chaude malgré l’humidité qui règne en ces lieux, si bien que la Sorcière s’est vêtue plus chaudement pour l’activité qu’elle s’apprête à faire, et ce malgré le fait qu’elle n’assistera pas aux célébrations qui ne vont pas tarder à débuter : les festivités se feront sans elle puisqu’elle est attendue ailleurs, et si elle se permet une légère latence pour rendre hommage aux décorations, c’est par pure rêverie enfantines. Des rêveries interrompues par une voix familière, qui l’oblige à baisser le menton et le nez, abandonnant les ornements pour le visage grave du Sorcier Suprême, arrivé sur les lieux des réjouissances avec quelques minutes d’avance. '’Iriez-vous quelque part ?’’ Joignant ses deux mains sur le devant de son corps, la brune s’avance d’un pas en sa direction, gardant son sourire jovial aux lèvres. ’’Malheureusement, je ne peux assister au Solstice d’Hiver. Une prochaine fois.’’ elle hausse ses épaules d’un air résolue, apparaissant comme un brin déçue de cette impossibilité mais néanmoins enjouée à l’idée de ce qui l’attend, ailleurs. Si elle parvient à se connecter davantage avec Gaea, raison pour laquelle elle sera absente d’ailleurs. ’’Je suis ravie de vous voir, Doctor Strange. Dominique n’est pas avec vous ?’’ Sincère, elle plisse ses lèvres dans un franc sourire avant de détourner le regard vers les décorations, ajoutant un simple ’’C’est vraiment joli.’’ reportant son regard vers son interlocuteur, elle hausse légèrement les sourcils en penchant son menton sur le côté. ’’Merci pour la dernière fois. Vous m’avez bien aiguillée.’’

Elle ne pourra pas assister au Solstice d’Hiver : Strange l’a compris avant même qu’elle l’annonce, et preuve qu’elle n’est plus l’apprentie qui attendait l’approbation de son mentor pour prendre confiance, Milena ne perd même pas son sourire quiet lorsqu’elle entend ’’Le cosmos a eu le bon sens de faire un solstice d’hiver tous les ans.’’ sarcastique, puisqu’elle a bien compris qu’il cultive sans cesse cette phase d’opposition qui veut brandir la supériorité de sa personne pour ne pas voir la médiocrité de cette dernière, et qui lui évoque vaguement la période fleurie de l’adolescence où l’on se croit invincible et meilleur que tout le monde : cette phase dure depuis bien longtemps chez le Sorcier Suprême, certes, mais cette frénésie vindicatif ne l’empêche pas de lui répondre, à son tour, avec une courtoise et un calme qui perdurent sans effort ’’Raison pour laquelle je parle de prochaine fois, oui.’’ Mais malgré son ton passif-agressif, auquel elle s’est visiblement trop familiariser pour oser s’en offusquer encore, la Sorcière, qui s’est détachée de ses espérances le concernant, demande tout d’abord des nouvelles de Dominique avant d’évoquer la beauté des lieux, puis leur dernière rencontre. ’’Ce n’est rien. S’adapter aux Apprentis est chose rare en ces lieux.’’ Elle hoche son menton de haut en bas en courbant davantage ses lippes d’un air entendu, sans véritablement s’attacher à ce passage de leur conversation puisque, dans les faits, elle n’a toujours pas obtenu de réponses concernant Dominique, et ce silence le concernant commence à l’intriguer ; heureusement, Strange met fin à l’attente et elle penche légèrement son menton sur le côté en signe d’attention. ’’Quand à Dominique, il se repose,’’ Plutôt surprise d’entendre une réponse aussi sage et mesurée concernant l’homme volubile qu’ils ont en commun — pour le meilleur comme pour le pire, elle hausse ses sourcils sans remettre en doute cette vérité. ’’La journée d’hier a été rude pour lui. Une mutante a fait s’écrouler un centre commercial et il m’a accompagné pour essayer d’évacuer les blessés de sous les gravats.’’ Oh. Elle comprend mieux, oui, pourquoi il a besoin de se reposer. Compatissante, elle courbe brièvement ses sourcils en faisant rouler ses lèvres l’une sur l’autre, sans rien ajouter de plus. Que peut-elle dire, de toute façon ? ’’Ce genre de drame le touche personnellement,’’ Elle n’est pas assez proche du concerné pour le contredire ou l’affirmer, alors elle se contente d’un regard lancé en direction du Sorcier Suprême sans chercher à fausser ou exagérer sa réaction, puisqu’elle n’en a guère envie. Elle ne va pas non plus lui demander de transmettre ses amitiés à Dominique : elle devine, par avance, qu’il ne jouera pas les pigeons voyageurs, même si le rôle lui irait bien. ’'Bon pèlerinage.’’ Interrompant ses pas, elle se tourne vers Strange pour incliner son buste légèrement vers l’avant, prononçant un sobre ’’Je vous remercie.’’ avant de le regarder s’éloigner, balayant le paysage d’un ultime levé de cils avant de disparaître à son tour.


Jeudi 26.12.24

Son escapade dans les montagnes n’a pas été de tout repos, et Milena ne jouit pas du caractère prodigieux de son ancien mentor, si bien que des heures conséquentes lui ont été nécessaires pour accomplir la tâche demandée et exigée par Maître Satrinava. Elle est revenue à Kamar-Taj bien après la fin des réjouissances du Solstice d’Hiver, épuisée, le corps affreusement tendu par la nervosité, l’effort et le froid, les vêtements couverts de boue et de neige fondue, mais le coeur réjoui d’avoir réussi.  

Mais avant d’être promue pour la dernière fois au sein des Maîtres des Arts Mystiques, il lui reste une ultime marche à gravir, un dernier apprentissage à accomplir, et non des moindres : la maîtrise des tentacules d’énergie tellurique, aussi connues sous le nom de « Lunes Mystiques de Munopoor ». Encore une fois, c’est en compagnie de Maître Satrinava qu’elle s’exerce, et non pas pour la première fois puisque cela fait quelques jours déjà que l’indienne s’adonne à cette pratique, aidée et soutenue par les conseils et la patience de son mentor, entièrement dévouée à l’accompagnement de ceux qui foulent cet endroit.

Quelques perles de sueur brillant sur son front, l’indienne ferme les yeux quelques secondes pour plonger dans toutes les perceptions qui viennent effleurer sa sensibilité et sa conscience, jusqu’aux pulsations qui viennent frapper sous ses pieds. Elle le ressent, ce conduit d’énergie qui circule comme un flux lumineux traversant le rythme de nos vies, elle en prend conscience et écoute sans se laisser distraire, jusqu’à ce qu’elle se sente prête, comme si l’une des pulsations était devenue la sienne. Et lorsque la pulsation devient une impulsion, elle tend ses deux mains en avant pour qu’une tentacule tellurique s’élève : prenant la forme d’une espèce de bras de pieuvre violette s’élevant du sol, la manifestation magique se saisit de l’objet déposé au milieu de la pièce pour l’exercice, la soulevant dans son élévation avant de l’emporter avec elle après son passage. Si la belle a réussi l’exploit demandé, elle relâche la pression exercée sur ses bras en courbant le dos, essoufflée mais ravie de sa démonstration ; un sourire qu’elle partage avec Maître Satrinava bien que, plus elle avance sur le chemin de la guérison et de l’émancipation, elle s’éloigne de ce lieu qui lui évoque tant le confort du coeur et la tranquillité de l’esprit. Elle va devoir quitter son refuge, pour s’en construire un autre. Ailleurs.