[Terminé] I think your mother is going to kill me

Cette année, contrairement aux autres, Noël n’a pas été de tout repos : il avait fallu gérer les soirées mouvementées et animées au Club, les nouvelles affaires très prenantes le concernant mais, également, le déménagement à Manhattan, encore tout récent. Si frais que certains cartons ne sont pas encore déballés. Il n’a pas vraiment l’impression d’avoir profiter des fêtes, si ce n’est que, réunir tout son petit monde autour d’une table, son grand-père malade y compris, avait eu quelque chose de particulièrement réjouissant. Profiter de l’instant présent, profiter de ceux qu’il aime, de ceux qui ne seront bientôt plus là et que la maladie fragilise, voilà ce qu’il a eu à l’esprit durant ces quelques jours.

Mais s’il a l’impression de démarrer un nouveau départ, de prendre un nouvel élan dans cette vie qu’il a failli perdre quelques mois auparavant, il y a quelqu’un qui manquait à l’appel, le soir de Noël : Emma. Il n’est pas encore prêt à franchir le pas de renouer avec sa soeur jumelle qui, définitivement, n’est pas morte, mais le temps passé aux côtés de sa nièce leur a permit de développer une réelle relation, si bien qu’il n’avait pu s’empêcher d’avoir une pensée toute particulière pour elle, ce soir-là.

Alors, bien décidé à honorer la tradition des cadeaux concernant sa nièce, il s’est creusé la tête pour lui trouver un présent qui lui plairait à coup sûr : il n’a pas eu besoin de réfléchir bien longtemps, car lors de leurs nombreux échanges, elle a souvent évoqué l’idée d’un tatouage, bien particulier et symbolique à ses yeux. Elle peut paraître un peu jeune pour arborer de l’encre de manière définitive mais, il est plutôt mal placé pour parler, ayant lui-même de nombreux dessins gravés sur la peau. Alors, après avoir cherché le tatoueur le plus réputé de New-York, il a contacté l’artiste pour obtenir un rendez-vous le plus rapidement possible : ce dernier n’a pas été difficile à convaincre, et un chèque généreux l’a rapidement poussé à trouver une place le lendemain, miraculeusement.

Mais Emma habitant assez loin de New-York, c’est le chauffeur d’Ezekiel — récemment engagé lui aussi, qui a eu pour mission d’aller chercher la gamine, à un endroit défini par celle-ci. Ezekiel lui, debout sur le trottoir de Manhattan, devant le salon de tatouage, attend qu’elle arrive pour lui dévoiler sa surprise : il va lui offrir le tatouage de ses rêves. Avant que sa mère l’apprenne et veuille le tuer. Mais chaque chose en son temps : pour l’instant, il veut seulement faire plaisir à Emma.

Un coup d’oeil à son téléphone pour vérifier qu’ils ne sont pas en retard au rendez-vous, il maintient un sourire impatient sur ses lèvres : il ne doute pas du fait que le cadeau va lui plaire, il doute cependant que la douleur engendrée par un tatouage. S’il comprend son envie d’en avoir un, lui-même étant marqué à plusieurs endroits, il redoute un peu le moment où l’aiguille va toucher sa peau pour la première fois…

Mais, enfin, la voiture du chauffeur apparaît au coin de la rue, et le sourire d’Ezekiel ne fait que grandir sur ses lèvres : il la salue avec enthousiasme, se rapprochant même de quelques pas en s’aidant de sa canne pour marcher sur le bitume, le froid hivernal n’aidant pas à soulager sa jambe accidentée. « Salut, toi. » Lui offrant un doux sourire, il lève le menton vers le ciel chargé avant de glisser sa main dans son dos pour l’encourager à marcher vers le salon de tatouage, craignant que sa nièce n’attrape froid. Ce n’est vraiment pas le moment de tomber malade !

« Je t’ai préparée une petite surprise, j’espère qu’elle va te plaire… » Dit-il en poussant la porte du salon de tatouage sans perdre son sourire, guettant la réaction d’Emma car il se doute, avec tout le décor et l’endroit, qu’elle a déjà compris. « Tu as souvent parlé d’avoir un tatouage, alors, je t’offre ton premier. » Refermant la porte du salon une fois qu’elle est entrée, il lui laisse le loisir de découvrir le décor : un endroit feutré mais confortable, avec des centaines de dessins encadrés aux murs.

Interpellé par la clochette à la porte d’entrée, l’artiste arrive, les bras chargés de tatouages, ces derniers montant jusque dans son cou ; il a un air impressionnant, avec ses muscles et son crâne rasé, mais il arrive avec un franc sourire et un air décidé : « Alors, c’est pour qui ? » demande-t-il, obligeant Ezekiel à montrer Emma de son index en disant, enjoué : « C’est pour elle. » Il a hâte de savoir quel tatouage elle va choisir, car le premier est forcément très symbolique.

Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre où ils se trouvent : un salon de tatouage ! Et pas n’importe lequel, le meilleur de la ville. Du moins, le plus réputé ; cela n’est pas gage de qualité, certes, mais Ezekiel avait longuement feuilleté les réseaux de l’artiste, qui a plusieurs fois remporté des concours dans sa catégorie. Pour le premier tatouage de sa nièce, il ne veut absolument pas qu’un mec sans aucune expérience mette sa patte sur sa peau.

Bienheureuse, elle irradie de joie et il remarque même que ses yeux brillent sous l’émotion ; fier et satisfait d’avoir pu lui procurer ces émotions positives, ils se retournent tous deux vers le tatoueur qui, ne prenant pas Quatre Chemins, demande déjà à la jeune fille ce qu’elle veut. Ezekiel se retourne alors vers elle pour l’écouter, gardant l’ébauche d’un sourire au visage. “Ce serait plus simple de vous montrer mais je voudrais des prénoms sur une cicatrice près de ma poitrine.” Elle peut paraître un peu jeune pour faire un tatouage, mais il songe que le projet d’Emma est mûrement réfléchie et, surtout, qu’elle ne prend que peu de risques en se faisant tatouer les prénoms de ceux qu’elle aime. D’ailleurs, le tatoueur ne lui demande aucune pièce d’identité pour justifier de son âge, et l’invite plutôt à passer de l’autre côté pour être un peu plus tranquilles.

Véritable ours protecteur, Ezekiel suit sa nièce dans la petite salle derrière le comptoir, retirant son manteau et prenant place sur le petit sofa installé contre le mur, en croisant ses jambes fines et en appuyant son coude sur le haut du sofa. « T’as une idée de l’écriture que tu veux ? » Demande-t-il en feuilletant un magazine abandonné à côté de lui, ne relevant les yeux que pour constater, en silence, les nombreuses cicatrices parsemant le corps de sa très jeune nièce. Elle a sûrement plus de marques que d’années d’existence…

Un petit pincement au coeur lui survient, car c’est la première fois qu’il les voit, mais il ne dit rien, ne voulant pas la gêner. Le tatoueur aussi, revenant dans la salle avec son ordinateur portable pour lui faire choisir la police, s’interrompt quelques secondes en découvrant son buste ; rapidement néanmoins, il se reprend et s’installe à côté d’elle pour lui montrer l’écran, afin qu’elle choisisse l’écriture. « Tu en as des épaisses, des plus fines ou encore des italiques… Tu voudrais combien de prénoms ? » Demande-t-il en se retournant à la fois vers Emma et Ezekiel qui, berçant sa nièce d’un regard protecteur, s’assure surtout que le tatoueur ne regarde pas trop sa poitrine. Nanméo.

Confortablement installé sur le sofa gris, le bras reposant sur l’accoudoir et les jambes pliées, il observe la scène qui se déroule sous ses yeux avec un petit sourire aux lèvres ; s’il surveille principalement que le tatoueur garde ses yeux bien rangés — difficile quand on sait qu’il va devoir tatouer une zone proche de la poitrine de sa nièce, Ezekiel observe également les réactions de celle-ci, s’émerveillant presque de son sourire joyeux. Il sait qu’ils ne sont pas reliés par le sang mais, il l’aime déjà, cette gamine. Il trouve même qu’ils se ressemblent physiquement, mais il admettra volontiers qu’il n’est pas tout à fait objectif sur ce point. « Fais moi voir cette écriture… » Prenant appui sur sa canne, il se redresse pour faire quelques pas vers l’ordinateur, découvrant ainsi l’écriture qui va être inscrite, à jamais, sur le corps d’Emma. « Très bon choix. » dit-il en passant une main tendre dans le dos de sa nièce, lui accordant un petit sourire encourageant avant de retourner s’asseoir, pendant que le tatoueur prépare tout le matériel nécessaire.

N’ayant pas compris que son prénom allait figurer dans la liste, il appuie son index contre sa tempe en penchant légèrement son menton sur le côté, le tout soutenu par son coude appuyé, tandis qu’il lance un petit sourire joueur à sa nièce, lui disant alors, un peu maladroitement : « Pas trop stressée ? » Visiblement non, puisqu’elle affirme être prête.

Tête brûlée.
Comme lui.

Un sourire emplissant ses lèvres, il prend son portable pour répondre à un SMS avant de relever le menton en entendant le bruit de l’aiguille, qui grésille presque. « Si tu as faim ou soif, tu me le dis, j’irai t’acheter quelque chose à côté. » Manquerait plus qu’elle nous fasse un malaise…

« Tant que tu es là, non. » Qu’elle est douce, cette gamine… Il a un peu l’impression de retrouver la relation fusionnelle qu’il avait avec sa soeur jumelle, avant que celle-ci disparaisse. En un sens, lui qui a du mal à accepter la tendresse venant d’autrui, se surprend à tolérer ces marques d’affection de la part de sa nièce, qu’il apprend encore à connaître mais dont il sait, déjà, qu’il ne veut jamais être séparé. Il lui accorde un sourire emplit d’une tendresse réciproque, sans ajouter un seul mot : pas la peine car la façon dont il la regarde, on peut lire qu’il l’aime tout autant.

Ainsi, après ce bref échange discret mais ô combien précieux, la session du tatouage commence, ponctuée par quelques discussions banales et sessions magazines pour Ezekiel, qui lève parfois le nez de son livre pour s’assurer qu’elle va bien ; elle est moins fragile qu’il n’y paraît.

Tandis que le tatoueur est penché au-dessus d’elle, tatouant un premier prénom, Emma lui transmet une idée qui lui arrache un petit rire, qui n’est point moqueur mais plutôt franchement amusé : « Tu n’as pas fini le lycée. » dit-il gentiment en tournant une page de son magazine, avant de poursuivre sur un même ton léger : « Peut-être les weekend, à la limite, mais… » Refermant le bouquin, qui termine sur ses genoux pliés, il lui demande, plus sérieux et soucieux : « Et ta mère, qu’est-ce qu’elle va dire si tu lui dis que tu travailles dans un night-club ? » Pas besoin de préciser lequel. Le tatoueur n’a pas besoin de savoir.